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mercredi 21 octobre 2015

Le petit Hippias

Sous-titré "ou du faux", ce dialogue de Platon met en scène Socrate, Eudicos et Hippias. Hippias a précédemment parlé de Homère. Vient désormais la question de Socrate, qui est le meilleur : Achille ou Ulysse ? (Non, les groupies, on ne s'emballe pas sur les muscles de l'un ou de l'autre, la question est essentiellement philosophique).

Vase François, Florence


Evidemment, c'est Achille le meilleur ! Il a des gros muscles, un beau bouclier... Il dit le vrai. Alors qu'Ulysse n'est qu'un faux jeton. Il ment tout le temps ! Mais s'il ment, n'est-ce pas qu'il a la capacité de le faire ? Et aussi de dire vrai ? Et n'ont-ils pas tous les deux cette possibilité ?
Hippias nuance : Achille ne ment qu'involontairement, lorsqu'il y est contraint, tandis qu'Ulysse ment à dessein ! Mais qui sont les meilleurs, ceux qui mentent volontairement ou ceux qui ne le font que sous la contrainte ? Là, Socrate comme Hippias peinent à trancher... Car ceux qui se trompent de façon involontaire, n'est-ce pas parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement ? N'est-ce pas le reflet d'une infériorité ? Mais alors, faut-il conclure que ceux qui commettent volontairement l'injustice sont meilleurs que ceux qui la commettent sans le vouloir ? Qui est le bon, qui est le méchant ? Est-ce celui qui sait ou l'ignorant ?

Comme toujours, Socrate nous laisse sans réponse, dans l'incertitude de la discussion. Il a bousculé nos idées reçues, a démonté quelques préjugés et s'en va, sans crier gare. A nous de penser la suite !

lundi 19 octobre 2015

Repenser la pauvreté

On continue à s'attaquer à des sujets un peu lourds avec cet ouvrage de Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo sur la pauvreté. Plus qu'un livre théorique, il s'agit plutôt d'expériences mises bout à bout et d'études à partir de cas concrets. Je m'attendais à un pensum pesant mais ce livre se lit très facilement grâce à ses exemples.

1. Y réfléchir à trois fois

Ce chapitre d'introduction dessine les réactions classiques face au problème de la pauvreté. La première est une approche solidaire, qui imagine qu'un peu d'argent peut aider les populations à sortir de la pauvreté, qu'il suffit d'une petite mise de fond pour passer d'un cercle vicieux à un cercle vertueux. La seconde est une approche plus libérale consistant à croire que ceux qui font les bons choix s'en sortiront tous seuls. "Notre première réaction est d'être généreux [...] Mais lorsque nous y réfléchissons, nous nous disons souvent qu'en fait ce n'est pas la peine : notre contribution ne sera qu'une goutte d'eau dans la mer. Ce livre est une invitation à réfléchir non pas à deux, mais à trois fois : à nous détourner du sentiment que lutter contre la pauvreté est une tâche trop écrasante et à penser ce défi comme une série de problèmes concrets qui, une fois correctement identifiés et compris, peuvent être résolus un à un"
On parle aussi du piège de la pauvreté : "chaque fois que la possibilité de faire croître ses revenus ou sa richesse à un rythme très élevé est limitée pour ceux qui ont trop peu à investir, mais augmente de façon considérable pour ceux qui peuvent investir un peu plus. Si le potentiel de croissance rapide est élevé chez les pauvres, et se réduit à mesure que l'on s'enrichit, alors il n'y a pas de piège".


I. Vies privées
2. Un milliard d'affamés ?

Pauvre et affamé sont presque synonymes pour nous. Pourtant, il semblerait que la nutrition ne soit pas leur unique priorité. Ainsi, les choses qui rendent la vie moins ennuyeuse, comme la télévision, sont essentielles. De même, si un pauvre peut s'acheter plus, il ne prendra pas forcément plus de son aliment de base mais des aliments meilleurs (quoi qu'avec moins d'apports caloriques). Curieux, non ?

3. L'amélioration de la santé publique mondiale est elle à portée de main ?

La santé est un problème complexe et potentiellement très cher : se soigner est un gouffre. On pourrait penser que la prévention suffit. Hélas, elle n'est pas très répandue et surtout peu adoptée. Car pour prévenir, il faut à la fois se projeter dans l'avenir et mettre en place un traitement pour éviter une maladie que l'on n'a pas encore. Mais comment voit-on que cela fonctionne ? Est-ce le traitement ou la chance qui m'évite telle maladie ? A ce rythme-là, on comprend que les bienfaits de la vaccination échappent tout à fait aux populations concernées. Et puis, difficile de savoir que croire dans nos pays bien informés... alors dans ceux qui le sont moins, ce n'est pas très surprenant que les croyances prennent le dessus.
Entre les structures étatiques et le médecin non qualifié, qui vont-ils choisir ? Étonnamment, c'est plutôt le médecin non qualifié et cher qui sera choisi. D'abord parce que les structures d'état ne fonctionnent pas très bien, ensuite parce que la valeur est souvent liée au prix : si je me soigne pour pas cher, je me soigne certainement mal.

4. Premiers de la classe

L'éducation des enfants, c'est un cadeau que leur font les parents en leur permettant de s'imaginer un avenir meilleur que le leur. Mais c'est aussi une façon d'investir pour leur propre avenir : un enfant qui réussit en classe trouvera un bon travail et pourra s'occuper de ses parents. Mais plutôt que d'investir sur tous les enfants, c'est souvent sur un seul d'entre eux que l'effort est porté.
Cependant, les systèmes éducatifs des pays en développement souffrent de difficultés comme des objectifs irréalistes ou de visions pessimistes de la part des profs qui ne permettent pas de repérer les talents des enfants. Cela ne sera jamais le problème du prof mais plutôt de l'élève s'il ne comprend pas. Et comme dans la santé, l'éducation publique est en proie à beaucoup d’absentéisme qui la discrédite.

5. La famille nombreuse de Pak Sudarno

Mais pourquoi les pauvres font-ils tant d'enfants ? Il faut les nourrir après ! Mais c'est un placement pour l'avenir : il y en aura bien un ou deux dans le tas qui s'occupera bien de son vieux père...
Cette question des enfants est si prégnante dans les pays en développement que de nombreuses politiques ont cherché à limiter les naissances (que ce soit par la stérilisation de population (!) ou par des incitations diverses). Est-ce une question de contraception ? En ce sujet comme dans d'autres, les études montrent une grande influence des familles d'une même appartenance sociale ou religieuse : si deux ou trois femmes protestantes veillent à une régulation des naissances dans leurs familles, leur exemple ne sera pas suivi par des catholiques ou des musulmanes.
Et pourquoi les filles ont-elles des enfants si jeunes ? N'est-il pas parfois préférable pour elles de tenter d'accéder au mariage avec un sugar daddy que d'être la bonniche de sa famille ?

II. Institutions
6. Des traders aux pieds nus

Le risque est un des éléments quotidiens de la vie d'un pauvre : sa santé, son travail, sa nourriture... Tout est compliqué.
Pour s'en sortir, mieux vaut ne pas mettre ses oeufs dans le même paniers. certains choisissent de migrer pour envoyer de l'argent à leur famille, ils multiplient les jobs, ils n'investissent pas dans des nouveautés mais préfèrent se fier aux façons traditions d'exploiter leur terre. Mais cela a des côtés négatifs : ne pas se spécialiser, c'est être condamné à ne faire que des petits boulots.
Pourtant, il existe des moyens de réduire les risques aujourd'hui. C'est à ça que servent les assurances. Outre le problème de la confiance vis-à-vis de ces organismes, la question de prévoir l'avenir reste bloquante. Pourquoi se priver maintenant pour une hypothétique indemnisation future ? Plutôt que des systèmes formels, un système de prêts informels régit les communautés

7. Les hommes de Kaboul et les eunuques indiens, ou une explication (pas si) simple de l'économie du prêt aux pauvres

La question du microcrédit est très étudiée dans ce chapitre. C'est un peu l'idée miraculeuse le microcrédit, non ? Prêter pas très cher par rapport aux prêteurs des communautés (qui pratiquent des taux d'environ 5% par jour), c'est tout de même une riche idée. Toute la question est de réussir à faire respecter un contrat. Pour s'en assurer, le microcrédit favorise des prêteurs qui se connaissent entre eux et qui appartiennent à une même communauté et met en place des remboursements à dates régulières. L'une des limites est l'incapacité à soutenir des personnes hors de la communauté. L'autre est la petitesse des entreprises qui peuvent être ainsi financées : pour faire quelque chose en grand, il faut trop de temps.

8. Construire son épargne brique par brique

Construire sa maison, c'est une façon d'économiser. Mais pourquoi ne mettent-ils pas leur argent à la banque ? Pour nos auteurs, c'est avant tout un problème de contrôle de soi. D'autres besoins ou envies plus urgentes pourraient venir entraver une épargne. Alors qu'une brique posée ne pourra pas être mise ailleurs que sur une maison. C'est la motivation pour rester concentré sur une perspective lointaine qui pose problème.

9. Entrepreneurs malgré eux

Tous les pauvres sont des entrepreneurs, débrouillards et motivés. Ils ont plein d'idées pour gagner de l'argent. Pourtant, les entreprises sont souvent toutes les mêmes et les rendements tellement faibles qu'elles ne parviennent pas à grandir. L'entrepreneuriat n'est souvent qu'un moyen de se créer une façon de subsister que le fruit d'une véritable volonté. D'ailleurs, le rêve le plus partagé est que les enfants de ces pauvres deviennent fonctionnaires !

10. Economie politique et politiques économiques

Dans ce chapitre, il est question de la corruption et du contrôle des autorités locales. Sans contrôle, pourquoi avoir des scrupules à piocher dans la caisse ? Pour lutter contre ce fléau qui favorise des systèmes clientéliste et qui aggrave les inégalités, un début de solution : contrôler les autorités locales, vérifier les comptes. Et pour ce qui est des politiques économiques, elles sont bien souvent éloignées des réalités du terrain et ne parviennent pas à atteindre ou à fonctionner correctement. Elles sont pavées de bonnes intentions mais sont en réalités plus idéologiques que pratiques.

L’Intérêt de cet ouvrage est qu'il bouscule pas mal d'idées reçues sur la pauvreté et les pauvres. Il est plein d'optimisme et souligne l'importance de la compréhension des motivations des uns et des autres pour faire changer les choses. Parmi les mises en garde, il en est une que je souligne : attention à ne pas projeter sur les gens des faiblesses qui les enferment. C'est la même chose que pour les enfants qui ont des difficultés à qui l'on répète qu'ils sont nuls. C'est en valorisant les talents et la créativité que l'on arrivera à insuffler de l'élan, pas en s'apitoyant sur le sort des malheureux. Et je retiendrai pour tous les projets l'importance de faire des campagnes d'information de façon attrayante et de source crédible !

jeudi 15 octobre 2015

Dieu dispose

Après l'histoire dramatique du Trou d'Enfer, Dumas n'a pas souhaité laisser ses personnages dans une si grande détresse. Il faut dire que le premier tome de cette histoire se termine dans les larmes et la tristesse. 

Avec ce deuxième tome, nous retrouvons Julius et Samuel, 15 ans après. Julius, ambassadeur pour Berlin en France, est prématurément vieilli par les excès via lesquels il a tente de se consoler. Samuel, toujours manipulateur, n'a pas beaucoup évolué: il n'a ni or ni passion sinon celle de jouer avec la vie des autres. Et le fait de recroiser Julius lui donne des idées: s'il tentait de récupérer sa fortune ? Car son objectif est de gagner l'amour de sa pupille, Frédérique, et il ne voit que l'argent pour acquérir du prix à ses yeux. Triste personnage, n'est ce pas ? Il n'a pas beaucoup changé avec les années. 
À nos vieux compagnons s'ajoutent de jeunes et chastes figures: Frédérique, pupille de Samuel, dont seul le lecteur connait l'identité, et Lothario, le neveu de Julius. Bien entendu, une voire deux ou trois histoires d'amour se nouent. Bien entendu, Dumas joue avec les cliffhangers à chaque chapitre ou presque. Et les plans de Samuel ne cessent de changer et de s'adapter aux circonstances. 

Comme dans Le trou d'enfer, on est à 100% dans la littérature romantique: paysages grandioses, climat de fin du monde, mystères et fantômes... Mais les temps sont moins héroïques: Napoléon n'est plus au pouvoir, c'est Charles X en fin de règne qui a pris sa place. Et l'Allemagne à laisse la place à la France, une terre bien moins romantique !


vendredi 9 octobre 2015

Félix Arnaudin. Le guetteur mélancolique

De passage à Bordeaux, nous avons découvert le musée Aquitain qu'il me tardait réellement de connaitre. Outre ses collections permanentes, très chouettes, surtout sur les périodes modernes et contemporaines, nous avons exploré une expo temporaire.


Felix Arnaudin, nom complètement inconnu pour moi... Figurez-vous que c'est un photographe de la fin du XIXe qui a immortalisé la campagne bordelaise et ses habitants. Il était aussi ethnologue à sa façon, conservant la mémoire et les contes de son pays. Dans cette exposition, beaucoup de paysages des grandes landes avec des bergers et des fermiers, des architectures vernaculaires, des portraits campagnards, des arbres...
Ce sont les métiers et leurs outils qui resurgissent devant nous, ce sont les visages graves ou curieux des paysans, ce sont des vêtements, des attitudes, des regards qui revivent. Et surtout, c'est un paysage assez différent de l'actuel. Pas de pins mais des petits bosquets, pas de villages mais des fermes dispersées. La précision des photos, les nuances de noir, gris et blanc, la préparation du cadre et des paysans, la recherche de la meilleure façon de faire connaitre les lieux, tout fait de certaines photos de superbes œuvres d'art.

Une très chouette expo photo, qui tient de l'ethnologie, de l'histoire et de l'art.

vendredi 2 octobre 2015

Le trou d'enfer

Rien de tel qu'un petit Dumas pour contourner la rentrée littéraire !

Nous rencontrons Samuel et Julius dans un paysage des plus romantiques : les montagnes allemandes, de nuit, sous un orage ! Oui, Dumas ne lésine pas sur les moyens. Ces deux étudiants regagnent leurs pénates à Heidelberg mais s'arrêtent sur le chemin. Une petite chevrière, Gretchen, les guide jusqu'à la maison du pasteur Schreiber. Au réveil, Julius tombe amoureux de la jeune fille de la maison, Christiane. Mais les étudiants ont d'autres priorités que l'amour : une société secrète dont ils sont membres les attend à Heidelberg. Complotant contre Napoléon, cette société secrète va tester la fidélité des jeunes gens en leur proposant un dangereux duel. C'est à ce moment que nous découvrons un peu plus Samuel : mécréant et insolent, c'est aussi un homme savant et sans morale. Il aime jouer avec les autres, leur imprimer sa marque. C'est ce qu'il fait avec Julius depuis son adolescence. Mais l'amour de Christiane va l'écarter quelques temps de ses griffes... avant qu'il ne sombre à nouveau en entraînant bien des vies autour de lui.

Ce roman, assez noir, nous présente un Faust nouveau, qui n'a pas besoin de guide ou de pouvoirs puisqu'il croit déjà tous les posséder. Sans âme ni scrupule, son seul intérêt est de se glorifier auprès de la société secrète et de manipuler les autres... Triste sire qui règne en maître sur ces pages, lesquelles se terminent un peu en queue de poisson. Heureusement, il y a une suite : Dieu dispose. Peut-être Samuel y gagnera-t-il une âme ? Je vous l'annonce dès que je le découvre.

Romantique à souhait, on est dans du Dumas à 200%, teinté d'un peu de Goethe ! 

St Peter Zurich