Pages

jeudi 29 mars 2018

Dans la peau d'un migrant

Vous l'avez compris par certaines lectures ou films, la question des migrants m'interpelle. Je n'ai donc pas hésité longtemps devant ce titre d'Arthur Frayer-Laleix croisé dans ma bibliothèque. Sa démarche est intéressante, il se propose des petites incursions dans les lieux clés pour les migrants : les lieux qu'ils fuient, les villes qu'ils traversent et où ils s'établissent pour gagner leur vie en attendant de reprendre la route, les lieux où ils passent, ceux où ils attendent... 


Le périple débute au Pakistan où un ami du journaliste l'accueille dans sa famille. Vêtu en pachtoune, vivant avec les frères d'Hanan, il plonge dans la réalité d'un pays corrompu, en proie à des attentats hebdomadaires. Il y rencontre un passeur, un ancien apparatchik, Amine, qui lui raconte comment il est organisé, en distillant quelques informations. Et l'on découvre petit à petit ce monde clandestin financé par les hawalas, des banques informelles. 
"Sârrâf ("banquier" en arabe) est un mot que j'ai déjà entendu au Pakistan. C'est sur ces agents de change que repose le système de paiement baptisé hawala, utilisé depuis le Moyen Âge par les Indiens et les musulmans pour transférer des sommes d'argent d'un bout à l'autre de la planète à l'abri de tout contrôle politique et bancaire [...] Tout le système est basé sur une confiance inconditionnelle entre les Sârrâf qui tissent le réseau à travers le monde, ainsi que sur des jeux d'écriture. Au lieu de faire circuler les billets de banque d'un pays à l'autre, les sârrâf s'échangent les dettes et les créances de leurs clients"
Ressortant sa carte de presse et son passeport français, Arthur/Akhter se rend aussi à l'ambassade et s'intéresse au regard des fonctionnaires sur l'immigration. 
C'est aussi immergé dans les réseaux de clandestins qu'il enquête à Istanbul, où il découvre les quartiers et les ressources des diverses communautés exilées, qui rassemblent de l'argent pour continuer le voyage. Logement, travail, soins, passage... comment se passent ces différents moments quand on vient d'Afrique ou d'Afghanistan ? Là encore, Arthur laisse sa carte de presse et suit au plus près les candidats à l'immigration.
Après la Turquie, la Bulgarie avec une tentative de franchissement illégal de frontière (en réalité, un coup monté pour voir comment est accueilli un migrant) de la part de notre journaliste... Qui découvre que la police bulgare n'est pas des plus hospitalières. Et qui se fait repousser en Turquie. Ce qui est illégal bien sûr. Et qui n'existe pas selon les autorités.
Enfin, passage à Calais pour découvrir les différents moyens de passer la Manche, les groupes qui organisent le passage. Et les jugements de ces derniers dans les tribunaux français.

Un ouvrage passionnant, qui se lit comme un roman, mais qui reflète une réalité pas très glorieuse : corruption, atteintes au droits de l'homme, esclavage (ou presque)... Pour une arrivée aléatoire en Europe et une déception à la découverte d'un quotidien moins rose que prévu. Très bien écrit, avec des titres de chapitres toujours alléchants et des rencontres fortes, il nous plonge dans un "cinquième monde" aux rythmes et règles propres.

"En écoutant les explications d'Ayoub, une idée prend forme dans mon esprit : on ne comprend rien à l'immigration massive vers l'Europe si on ne regarde pas les vagues d'immigration régionale qui la précèdent. Pour saisir la dynamique du grand voyage européen, il faut d'abord examiner toute les tentatives infructueuses des migrants pour s'installer dans des pays voisins"

"Peut-on encore dire que Kamal, Rangin, Thierry Henri font partie du "Tiers-monde" ? Ils me donnent plutôt l'impression d'être en transit permanent. Comme si la route vers l'Europe avait créé à Istanbul - et ailleurs - un univers autonome, invisible des touristes. Comme si le monde des migrants était devenu un "cinquième monde""

"Le 16 décembre 2013, quelques semaines après mon retour, la Turquie et l'Union européenne ont signé un accord "clandestins contre visas". La Turquie s'engage à reprendre tous les immigrants illégaux qui ont transité sur son sol, en échange de quoi l'UE promet d'ouvrir les négociations en vue d'exempter les turcs de visas pour entrer sur son territoire. Ce pacte fait de la Turquie le grade frontière de l'Europe, tout comme la Lybie a servi un temps de sentinelle à l'Italie, et tout comme aujourd'hui la Papouasie-Nouvelle-Guinée et la petite ile de Nauru abritent des centres de rétention australiens pour clandestins. Ou comment refourguer la question migratoire à d'autres pays moyennant quelques arrangement financiers"

mercredi 28 mars 2018

Deux mensonges et une vérité

Ils nous avaient demandé une sortie au théâtre, de préférence un boulevard. Nous avons repéré cette pièce au Théâtre Rive Gauche. Le plot est simple : un couple fête ses 27 ans de mariage, il se réjouit de l'absence de surprise et de stress dans leur relation. Elle espère toujours le surprendre. Il lui propose un jeu : ils doivent se dire deux mensonges et une vérité. Lorsqu'elle lui annonce qu'elle a un enfant avec un autre homme, qu'elle a fait de la prison et qu'elle a changé de nom, il rit jaune. Et commence une enquête sur sa femme...

Leighton Pavonia

Menée par Lionnel Astier, cette comédie nous fait passer un bon moment. Elle peine un peu à démarrer et la fin est tout à fait décevante mais l'entre deux est plutôt agréable. Les répliques sont toutefois un peu lourdes et répétitives. On aurait pu faire plus court. 

lundi 26 mars 2018

Journal

Le Journal d'Hélène Berr fait partie de ces livres que j'hésite à ouvrir. Peur d'entrer dans l'intimité d'une vie, dans la violence d'un temps... 

On entre à pieds joints dans le quotidien d'Hélène, dans ses cours, dans ses réunions amicales, ses flirts, ses lettres, ses occupations. Paris est occupé mais ça ne se voit pas trop. La vie continue, douce et stimulante pour cette jeune intellectuelle. Et puis, orage dans cette vie tranquille et insouciante, le père d'Hélène est arrêté et emprisonné à Drancy. Voilà qui rend la menace plus concrète et qui ouvre les yeux d'Hélène. A partir de ce moment, la fraîcheur demeure mais l’émerveillement naïf est révolu. Elle s'engage, elle suit les déportations, elle écrit... Et jusqu'à sa déportation, on suit les craintes d'Hélène, ses interrogations, ses considérations sur l'humanité.

S'il n'a pas la puissance du journal d'Anne Frank ou d'Etty Hillesum, il constitue un témoignage intéressant de la période. Mais ce n'est peut-être pas le plus essentiel.

mercredi 21 mars 2018

Devance tous les adieux

Je suis une victime du marketing. Ce sont les jolies couvertures des éditions Points qui m'ont fait choisir ce livre. Et la préface de Bobin. Mais c'est aussi une jolie découverte que cet ouvrage d'Ivy Edelstein. C'est un livre hommage à un père disparu. Un père trop sensible, trop fragile pour ce monde. Un père qui a préféré se retirer.

Ce sont des mots à ce père, des souvenirs de ce père, des mots à cet enfant seul, devenu soudain "l'homme de la maison". Ce sont des phrases ciselées, les mots d'un chagrin apprivoisé, et d'un geste toujours incompris. Est-ce une oeuvre de "développement personnel" ? Je n'en suis pas sûre. Pas de conseils, pas de réconfort dans cette approche de la mort. Une histoire personnelle, un bout de vie et d'amour...

"Ma fille me lance, haute comme quelques pommes : "Je sais pourquoi il est mort ton papa. Il est mort parce qu'il ne savait plus vivre"
"En serrant sa veste de costume contre moi et cette odeur d'un papa qu'on aime tant, cette pensée me saisit : il a eu une vie sans rien mon père, une vie juste avec une suite de petits événements. Et je ne sais que faire de ce que je ressens"

lundi 19 mars 2018

La vie est ailleurs

C'est vraiment bizarre de relire un auteur qu'on a adoré ado et de découvrir que l'on est nettement moins fan. C'est ce qu'il vient de m'arriver avec ce titre de Milan Kundera. Je n'avais pas de souvenir précis de celui-ci, puis, en commençant ma lecture, certains passages m'ont paru très familiers. Notamment celui du rêve de Xavier (qui est certainement le moment que j'ai le plus apprécié, sur le thème de "la vie est un rêve"). Pour le reste, je demeure circonspecte. 


Oui, c'est souvent de l'humour noir et notre anti-héros est un salaud malgré lui. Oui, le thème de la mère étouffante est intéressant, tout comme celui du poète et de l'art moderne. Mais ceci n'est-il pas finalement une vaste plaisanterie ? La fin ridicule du poète tend à nous le prouver. 

De quoi ça cause ? De Jaromil, né à Prague d'une mère romantique et d'un père pragmatique entre deux guerres. Celui-ci sera hors du commun, c'est sûr ! Enfant, il a déjà tous les talents. Adolescent, c'est un artiste. Adulte, il ne l'est jamais vraiment. Comme si le poète restait adolescent, tourné sur lui-même, sur son idéalisme, sur ses idées. Et finalement influençable sans s'en rendre compte. Vendu au régime qui lui donne une demi-heure de gloire. Image glaçante du poète, enfermé dans son monde et prêt à tout pour être aimé. Image terrible des êtres égoïstes en carence d'affection. 

C'est certainement un grand roman, qui se moque des poètes et les caricature, qui s'inspire d'un Rimbaud, mais qui laisse un goût très amer.

mercredi 14 mars 2018

Sommeil

Diana Block, MirrorCroisé chez ma sœur et aussitôt dévoré, il ne m'a pas filé d'insomnie, ouf ! Car c'est ce qui nous guette dans cette nouvelle de Haruki Murakami au personnage insomniaque et aux illustrations psychédéliques de Kat Menschik.

Elle est femme et mère. Elle ne travaille pas. Mais sa journée est rythmée. Lessives, cuisine, ménage, piscine. Elle fait vivre le foyer. Mais ne passe-t-elle pas à côté de sa vie ? C'est ce dont elle se rend compte durant ses 17 nuits d'insomnie. La première nuit, elle espère se rendormir mais Tolstoï la maintient éveillée toute la nuit. Puis les jours suivants. Sans que jamais elle ne ressente de fatigue. Seulement de la distance par rapport à sa vie quotidienne, son mari, son fils. Une seconde vie s'offre à elle, à travers la littérature. Mais quelle vie ?

Rêve ou réalité ? Quel destin ou quelle vie pour ce personnage ? S'éveiller à soi-même en refusant le sommeil ? Autant de questions qui se posent en reposant le livre fantastique et fantasque...

jeudi 8 mars 2018

Les portes de Damas

Tous les bouquins qui trainent dans ma PAL ne sont pas forcément des bonnes surprises, des pépites restées enfouies sous d'autres pépites. C'est par exemple le cas de ce titre de Lieve Joris. Je suis complétement passée à côté de ce roman.


Deux copines, Lieve et Hala, qui se sont connues pendant une conférence à Bagdad vont se redécouvrir dix ans plus tard. Bien des choses ont changé depuis l’élection de Hafez al-Assad. Et la première guerre du golfe est passée par là. Ahmed, l'époux de Hala, est en prison depuis des années. On se méfie de tout et de tous. La vie de famille est omniprésente, voire étouffante. Lieve a du mal à savoir ce qu'elle fait là, ce qu'elle cherche dans les rues, près des plages ou dans les sables de Damas, Alep, Latakieh, Palmyre... 
Elle nous livre donc des conversations familiales et les rites propres à la maison de Hala, les liens avec sa famille. C'est un positionnement curieux car il n'y a aucune chaleur dans cette amitié et il n'y a rien non plus de journalistique dans la description de ce qui se passe. C'est un entre deux pas très confortable pour la lectrice que je suis. Je n'ai jamais pu rentrer réellement dans l'ouvrage. Dommage car cela aura pu être un témoignage intéressant de ce qu'était alors la Syrie.

lundi 5 mars 2018

C'est vert et ça marche !

C'est le Livre de Poche qui m'avait fait parvenir cet essai de Jean-Marie Pelt il y a quelques années, alors que je chroniquais une sortie par mois. Oui, j'ai mis un peu de temps à le lire alors que le sujet du développement durable m'intéresse beaucoup.

Après un petit point sur la situation écologique du monde, qui se veut comme un appel à l'action plus qu'un épouvantail, cet ouvrage recense des initiatives écologiques et durables dans des domaines aussi variés que les transports, l'énergie, le bâtiment, les déchets, la santé ou l'agriculture. Et il les expose en quelques paragraphes. Issus de tous les continents, ces exemples sont des alternatives séduisantes et optimistes. De belles choses qui viennent compléter ce que j'ai pu lire chez Marie-Monique Robin ou Coline Serreau


vendredi 2 mars 2018

Don Quichotte, farce épique

On m'a offert ce joli cadeau récemment. En même temps qu'une place pour le ballet Don Quichotte qui se jouait à l'opéra Bastille en janvier. Je ne vous ai pas parlé du ballet. Coloré, drôle, centré sur des intrigues amoureuses, il parle de Barcelone, des gitans et des toreros. Don Quichotte est plutôt un prétexte. Il transforme la réalité et a même des visions. Mais le coeur du ballet est plutôt dans les exploits des amants pour obtenir la permission de se marier. 

Bref, ça ne vous renseigne pas du tout sur le spectacle qui se joue au Lucernaire jusque fin mars. Il s'agit d'une improvisation (tout de même bien rodée) autour de Don Quichotte. On reprend les moments forts et on les met en scène. Le duo Sancho/Quichotte fonctionne à merveille. C'est drôle, du gras au plus léger, c'est simple. ça cause de chevalier errant et de pouvoir de l'imagination. ça n'aurait pas déplu à Cervantès (enfin, j'espère).