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mercredi 29 septembre 2021

True Story

J'ai littéralement dévoré ce premier roman de Kate Reed Petty en deux soirées. En tournant les premières pages, j'ai pensé :"encore un roman d'ados qui ont la belle vie". Et puis, le script de film d'horreur, les premiers ragots, les bizutages, tout ça plante une ambiance étrange sur le roman. Au centre de l'intrigue, une soirée très arrosée où deux joueurs de l'équipe de crosse raccompagnent une fille chez elle. Que s'est-il exactement passé ce soir-là ? Il va vous falloir lire tout le roman pour le découvrir. Et accepter de croire, de douter, de questionner. 

Ce qui rend ce roman palpitant, c'est bien sûr la question de la vérité et de la rumeur, de l'influence de nos croyances sur nos vies, mais aussi sa construction. Le lecteur suit Nick, un membre de l'équipe de crosse, et Alice, la jeune femme qui a été raccompagnée chez elle. Autour d'eux, Harley, une jeune femme à qui tout réussit, et d'autres personnages plus secondaires, une amante, un pervers, etc. Entre leurs récits, échelonnés de 1999 à 2015, des scripts de film, des lettres et des brouillons de rédactions. Ce qui est fascinant dans cette construction, c'est justement les surprises qu'elle fait naitre.

Un roman qui traite aussi de la pression universitaire, du féminisme, de l'alcoolisme et de bien d'autres thèmes qui enrichissent la lecture. Très chouette !



mardi 28 septembre 2021

Quelques sorties avec pass...

Voilà bien longtemps que je n'ai pas parlé des sorties théâtre, musée, ciné... Séance de rattrapage !

Dune

Un film qui rend justice au livre, à son ambiance et à ses personnages ! Par contre, on en a pour des années à se faire toute la série au rythme de ce premier opus.


Nomadland

Documentaire sur les dessous du rêve américain, sur les précaires, les retraités qui doivent travailler ou vendre leur maison. On suit l'héroïne à travers ses contrats saisonniers, vivant dans son van, avec une grande liberté mais aussi peu de sécurité. Elle est attachante, traverse des endroits magnifiques et s'interroge sur sa place dans la société.



Le discours

On y est allés parce qu'on aime bien les BD de Fabcaro et son humour. C'était sympa mais sans plus de suivre cet homme qui doit préparer un discours de mariage, coincé dans une réunion de famille, avec son ex qui ne répond pas à ses messages.


Interdiction de fumer

Joué par une troupe d'amateurs, c'est une pièce absurde et drôle qui se joue au Funambule. Fumer est interdit, mais quelques fumeurs se retrouvent sur le toit de l'entreprise pour s'adonner à se péché mignon. Sauf qu'il est tout à fait déconseillé de fumer dans cette drôle de société - et qu'on découvre ainsi des morceaux de vie des personnages (divorce, deuil, ambitions professionnelles, relations amoureuses etc.)


Bio

Ce n'est peut-être pas la première fois que je vous parle des spectacles d'impro de la compagnie Eux. On est allé les revoir et on a encore été bluffés par leur talent ! L'idée est simple : le public propose un nom, une profession et un lieu que les trois comédiens vont utiliser pour nous conter l'histoire d'un héros anonyme. C'est inventif, drôle et mené tambour battant : à ne pas manquer.


Une histoire d'amour

On a renoué avec Michalik avec ce spectacle qui ne manque pas de rythme non plus. Cinq comédiens sur scène nous content une tragique histoire d'amour, une histoire belle, parfois drôle et surtout touchante.


Le petit coiffeur

Une histoire touchante également que ce morceau de la Libération - et pas les moments les plus glorieux. Il est question d'amour, de femmes, de peinture, de collaboration et de résistance.

lundi 27 septembre 2021

Une âme en incandescence

Un peu de poésie pour le mois américain avec Emily Dickinson, que j'avais très envie de lire depuis ma lecture de Bobin. Dans cette édition, beaucoup de poèmes, classés par carnets, quelques notes et une intro qui nous donne quelques infos sur la poétesse. Les thématiques sont variées : états de l'âme, états de la nature, observations, spiritualité... il y a tellement de choses dans sa poésie, les choses de la vie de tous les jours - les carnets proposés ici datent essentiellement de 1861-1863. C'est une version bilingue, que j'ai eu la joie de parcourir en français ou en anglais selon les poèmes. J'en ai glané pas mal !


228

Blazing in Gold - and

Quenching-in Purple!

Leaping-like Leopards-in the sky-

Then-at the feet of the old Horizon-

Laying it's spotted face - to die!

 

Stooping as low as the kitchen window-

Touching the Roof-

And tinting the Barn-

Kissing it's Bonnet to the Meadow-

And the Juggler of Day - is gone!


509

If anybody's friend be dead

It's sharpest of the theme

The thinking how they walked alive -

At such and such a time -

 

Their costume, of a Sunday,

Some manner of the Hair -

A prank nobody knew but them

Lost, in the Sepulchre -

 

How warm, they were, on such a day,

You almost feel the date -

So short way off it seems -

And now - they're Centuries from that -

 

How pleased they were, at what you said -

You try to touch the smile

And dip your fingers in the frost -

When was it - Can you tell -

 

You asked the Company to tea -

Acquaintance - just a few -

And chatted close with this Grand Thing

That don't remember you -

 

Past Bows, and Invitations -

Past Interview, and Vow -

Past what Ourself can estimate -

That - makes the Quick of Woe!

 

670

One need not be a Chamber - to be Haunted -

One need not be a House -

The Brain has Corridors - surpassing

Material Place -

 

Far safer of a Midnight - meeting

External Ghost -

Than an Interior - Confronting -

That cooler - Host.

 

Far safer, through an Abbey – gallop -

The Stones a'chase -

Than Moonless - One's A'self encounter --

In lonesome place -

 

Ourself - behind Ourself - Concealed -

Should startle - most -

Assassin - hid in our Apartment -

Be Horror's least -

 

The Prudent - carries a Revolver -

He bolts the Door -

O'erlooking a Superior Spectre -

More near -




677

To be alive - is Power -

Existence - in itself -

Without a further function -

Omnipotence - Enough -

 

To be alive - and Will!

'Tis able as a God -

The Maker - of Ourselves - be what -

Such being Finitude!


783

The Birds begun at Four o'clock -

Their period for Dawn -

A Music numerous as space -

But neighboring as Noon -

 

I could not count their Force -

Their Voices did expend

As Brook by Brook bestows itself

To multiply the Pond.

 

Their Witnesses were not -

Except occasional man -

In homely industry arrayed -

To overtake the Morn -

 

Nor was it for applause -

That I could ascertain -

But independent Ecstasy

Of Deity and Men -

 

By Six, the Flood had done -

No Tumult there had been

Of Dressing, or Departure -

And yet the Band was gone -

 

The Sun engrossed the East -

The Day controlled the World -

The Miracle that introduced

Forgotten, as fulfilled.

jeudi 23 septembre 2021

Soi-même comme un roi

Sous-titré "Essai sur les dérives identitaires", cet ouvrage d'Elisabeth Roudinesco m'a beaucoup intéressé et appris. Il examine et rappelle l'histoire des mouvements militants et émancipateurs qui semblent aujourd'hui cloisonner plus qu'ouvrir notre société. Pour cela, elle s'intéresse à la question du genre, de la race, des postcolonialités, de l'intersectionnalité. Elle conclue sur les récits de grands remplacements qui enferment.

Cette assignation identitaire qui pousse à déboulonner des statues ou à faire traduire des textes par des personnes de la même appartenance ou identité que leur auteur est questionnant, non ? Est-ce que ça n'assigne pas chacun à résidence, dans des stéréotypes de genre, de culture, de race etc. ? C'est cet excès, cette culture identitaire et ce cloisonnement que dénonce l'auteure, en exposant la variété des discours - car c'est avant tout une histoire de mots et d'identité. 

Ce qui est passionnant dans ce livre, c'est la présentation de ces différents débats qui animent nos sociétés dans leur contexte historique, avec des éléments d'histoire de la pensée. E. Roudinesco revient sur l'évolution des luttes sociales en luttes sociétales. 
On croise Sartre, Beauvoir, Fanon, Saïd et bien d'autres ainsi que des penseurs plus contemporains. Ce qui est un peu plus délicat, c'est la question des interprétations et appropriations qu'en fait chacun, surtout dans le débat contemporain. En effet, des interprétations peuvent parfois contredire complétement l'intention ou les paroles d'un auteur parce pas remises dans un contexte, une histoire, parce que ceux qui parlent appartiennent aux "dominants", où ont former leur pensée dans la culture occidentale etc. La difficulté face à ce constat, est de savoir si ce n'est pas un jeu à double face, où chacun séquence et instrumentalise des propos selon ses objectifs. L'auteure souligne aussi une moralisation parfois hors de propos, parce que hors de la pensée du temps, et la censure a posteriori. C'est notamment vrai vis-à-vis des œuvres d'art. Faut-il les cacher, les réécrire ou repeindre, les condamner ? Il est également question de l'hystérisation des débats et du lynchage médiatique plutôt que du recours, certes plus long, au droit. 

La petite faiblesse de ce livre toutefois, c'est son aspect très théorique, centré sur la guerre des idées et des paroles, même s'il s'appuie sur des événements bien concrets. De même, les pistes pour sortir d'une binarité de raisonnement, pour inviter à la subtilité, au questionnement, sont assez maigres. Elle invite les intellectuels au débat, à la liberté d'expression... et au courage de défendre et analyser leurs prises position.



Comme souvent avec ce genre d'ouvrage, voici une foison de citations : 
"L'affirmation identitaire est toujours une tentative de contrer l'effacement des minorités opprimées, mais elle procède par un excès de revendication de soi, voire un désir fou de ne plus se mélanger à aucune autre communauté que la sienne. Et dès lors que l'on adopte un tel découpage hiérarchique de la réalité, on se condamne à inventer un nouvel ostracisme à l'égard de ceux qui ne seraient pas inclus dans l'entre-soi. Ainsi, loin d'être émancipateur, le processus de réduction identitaire reconstruit ce qu'il prétend défaire"

"On aura compris comment une conception réellement novatrice des études sur la sexualité - distinguant le genre et le sexe - a pu, en quelques décennies, se retourner en son contraire et amorcer un mouvement de régression normalisatrice. Tout commence par l'invention d'un vocabulaire adéquat. Une fois solidement établis, les concepts et les mots se transforment en un catéchisme qui finit, au moment voulu, par justifier des passages à l'acte ou des intrusions dans la réalité. Ainsi passe-t-on, sans même s'en rendre compte, de la civilisation à la barbarie, du tragique au comique, de l'intelligence à la bêtise, de la vie au néant, et d'une critique légitime des normalités sociales à la reconduction d'un système totalisant"

"Si les races n'existent pas, l'idée d'une prétendue infériorité de l'une par rapport à l'autre serait, en revanche, une construction universelle, propre à toute organisation sociale. Les humains ont en effet pour habitude, dès qu'ils se forment en groupe ou en communauté, de rejeter l'altérité au nom de leur propre supériorité culturelle [...] Si tout le monde se ressemble, l'humanité se dissout dans le néant ; si chacun cesse de respecter l'altérité de l'autre en affirmant sa différence identitaire, l'humanité sombre dans la haine perpétuelle de l'autre"

"En inscrivant de cette manière l'histoire de l'extermination des Juifs à l'intérieur de celle de la domination coloniale, issue elle-même de l'esclavagisme, Césaire, comme Lévi-Strauss, donnait un contenu logique et historique au long processus du colonialisme. Et du coup, il faisait de l'anticolonialisme un combat aussi important que celui qui était mené contre l'antisémitisme. Mais pour autant, il ne considérait pas le colonialisme comme une entreprise génocidaire semblable à celle du nazisme : les crimes perpétrés par le colonialisme ne visaient pas à exterminer des populations jugées inférieures mais à les exploiter en réprimant, par le sang, toute tentative d'insurrection. Il n'y eut dans le colonialisme ni entreprise concertée d'extermination ni projet génocidaire sciemment mené à son terme"

"Il [Derrida] refusait aussi le principe selon lequel une langue serait la propriété d'un peuple. Pas de "nationalisme linguistique" : une langue, disait-il, est la signature de celui qui l'invente sans être pour autant sa propriété. Et il allait même jusqu'à affirmer que la langue comme "langue de l'autre" impose sa loi et relève de la culture et non pas de la nature"

"Cette hyper-ethnicisation - ou cet hyper-séparatisme - aura conduit aux dérives identitaires. Remarquons qu'elle encourage autant le racisme que l'antiracisme puisqu'elle alimente à la fois les intérêts des adeptes de la ségrégation et du suprématisme (de la race blanche) et les revendications de discrimination positive (affirmative action et political correctness) selon lesquelles il faut corriger les inégalités ethniques (mises en évidences par ces classifications) par des politiques de compensation, de repentance ou de réparation des offenses passées"

"Notons que l'idée qu'un "étranger" n'ait pas la capacité ou le droit de penser une réalité extérieure à lui-même est une ineptie"

"Ils faisaient tous mine d'oublier que l'Europe avait produit une pensée anticolonialiste et qu'elle n'était pas réductible aux atrocités de l'impérialisme"

"Face au racisme mis en œuvre par les puissances occidentales, il s'agissait désormais, pour les Indigènes, d'inventer un racisme de l'estime de soi, un racisme protecteur prônant la "non-mixité raciale", principe hiérarchique selon lequel un "Blanc", quel qu'il soit, devrait être banni de toute expérience de vie avec les Noirs, puisque par essence tout homme blanc serait un "dominant""

"Dans le cas des révoltes identitaires, on a l'impression que l'acte de destruction s'étire à l'infini, n'est tenu par aucune limite et se produit à l'aveuglette comme l'expression d'une rage pulsionnelle et anachronique [...] La vraie question posée par ces tumultes qui n'en finissent pas d'empoisonner les relations entre les groupes associatifs, les historiens et le pouvoir politique est celle de la construction d'une mémoire partagée. On sait bien que les adeptes de la repentance, des réparations et de la fureur punitive ne parviendront jamais à guérir les souffrances des enfants d'immigrés qui se tournent vers le fanatisme et qui, pour une partie d'entre eux, désavouent l'histoire de leurs propres parents. Au lieu de les libérer, ils ne font qu'accentuer leur malaise en les précipitant dans les pièges qui leur sont tendus par l'obscurantisme"

"Chacun peut librement cultiver son identité à la condition de ne pas prétendre ériger celle-ci en principe de domination. Par ailleurs, l'Etat ne doit pas jouer les censeurs en prétendant réguler la liberté de débattre et d'enseigner. Il n'a pas à prendre partie pour une thèse ou pour une autre"

lundi 20 septembre 2021

No impact man

Bienvenue à New York, au coeur de la vie de quarantenaires et de leur fille ! Colin Beavan, en janvier 2006, se rend compte qu'il fait trop chaud... et se renseigne sur le réchauffement climatique. Il se lance dans un projet : changer de vie jusqu'à ne produire aucun impact sur l'écologie. Cela commence par sa poubelle : Colin et sa femme ne cuisinent pas, commandent des plats à emporter, prennent des cafés à emporter aussi, bref, une alimentation qui génère un nombre de déchets plastiques effrayant. Alors changer de vie, ça semble utopique dans une ville comme New York, non ? C'est ce que je me suis dit en commençant cet ouvrage. Et puis, des déchets, aux transports, en passant par l'alimentation et l'énergie, Colin fait des expériences qui interpellent !

"Je visais non seulement le zéro carbone mais aussi le zéro déchet, zéro pollution dans l'air, zéro toxine dans l'eau, zéro ressource pompée à la planète"

Evidemment, il le fait de façon progressive, et entraine sa famille dans l'aventure. Il y a de belles découvertes comme le vélo ou la trottinette, il y les couches lavables que réclame Isabella, la fillette d'un an, il y a la télé qui est vendue, la lessive dans la baignoire, l'absence de déplacements en avion etc. A chaque pas, l'auteur n'oublie pas de nous dire ce qui lui pèse, ce qui l'amuse, ce qui lui plait, quels moyens il met en œuvre. Il le lie à une philosophie de vie et à ce qu'il souhaite en faire. Certaines actions sont tenables sur un an mais guère plus - notamment vivre sans électricité ou sans voyager pour voir ses proches, à moins de se brouiller avec eux. D'autres peuvent s'ancrer, comme passer ses soirées sans télé, à jouer avec des amis, se fournir localement, prendre les escaliers et le vélo etc. Bien entendu, la question politique est aussi abordée ainsi que la responsabilité des entreprises. Des réformes sont évoquées mais ce n'est pas le cœur de l'expérience. Par contre, ce qui est intéressant, c'est de découvrir aussi ce qui existait avant, notamment pour les déchets qui étaient récupérés, transformés etc.

Une expérience passionnante, inspirante, mais aussi effrayante : est-ce que des choses ont changé dans nos façons de consommer depuis 2006 ? Est-ce que des lois ont vraiment été mises en place ? Est-ce qu'on attend que ça empire ? Bref, c'est encore trop peu !



jeudi 16 septembre 2021

Entre ciel et terre

Ce roman de Jon Kalman Stefansson dormait aussi sur ma PAL. Je savais pourtant qu'il serait beau, qu'il serait marquant, bref, qu'il me fallait l'ouvrir. Mais ça fait partie des romans que j'aime garder pour des circonstances particulières, attendre le bon moment pour l'ouvrir et en profiter. C'est un roman qui nous emmène jusqu'en Islande, près des pécheurs.
Barour et le gamin sont allés au village, ils ont emprunté un livre et reviennent à la cabane de pécheurs. Ils dégustent les vers du Paradis perdu sous le toit bas de la maison. Ils sont un peu moqués par le reste de l'équipage. Le lendemain, Pétur les emmène pêcher. Les hommes rament dans la nuit, à travers une mer dangereuse. Ils s'installent, pêchent. Et Barour découvre qu'il a oublié sa vareuse, tout à la joie de retenir les vers de Milton. Oubli fatal qui le fera périr de froid cette nuit-là. Le gamin, éperdu de douleur de perdre son seul ami, déjà orphelin de toute sa famille, décide d'aller rendre le livre.

Histoire d'amitié et de pêche, c'est un livre infiniment poétique et fort. Il nous plonge dans le monde rugueux des marins, dans la vie des pécheurs de morues. Univers violent et dur, où la camaraderie vient soutenir les forces des hommes. Il nous plonge dans une terre hostile, dont le froid, le vent, la terre peu fertile, pousse les hommes vers une mer traitresse.
Econome de mots, choisissant des images fortes et poétique, c'est un livre qui transporte, qui nous fait vivre une belle aventure humaine. 

"L'enfer, c'est d'être mort et de prendre conscience que vous n'avez pas accordé assez d'attention à la vie à l'époque où vous en aviez la possibilité."
"Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts. Pourtant, à eux seuls, ils ne suffissent pas et nous nous égarons sur les landes désolées de la vie si nous n'avons rien d'autre que le bois d'un crayon auquel nous accrocher."
"Les yeux échappent à tout contrôle. Nous devons réfléchir où et quand nous les posons. L'ensemble de notre vie s'écoule à travers eux et ils peuvent aussi bien être des fusils que des notes de musique, un chant d'oiseau qu'un cri de guerre. Ils ont le pouvoir de nous dévoiler, de te sauver, te perdre. J'ai aperçu tes yeux et ma vie a changé. Ses yeux à elle m'effraient. Ses yeux à lui m'aspirent. Regarde-moi un peu, alors tout ira mieux et peut-être pourrai-je dormir. D'antiques histoires, probablement aussi vieilles que le monde, affirment que nul être vivant ne supporte de regarder Dieu dans les yeux car ils abritent la source de vie et le trou noir de la mort"

lundi 13 septembre 2021

Beloved

Voilà un autre roman qui patientait gentiment sur ma LAL. Mais qui me faisait régulièrement envie. Retour dans l'Amérique du milieu du XIXe siècle, bien avant Black lives matter. 

Toni Morrison nous plonge dans les horreurs de l'esclavage à travers une histoire fantastique. Imaginez une maison, un peu à l'écart de la ville, où vit une esclave en fuite, Sethe, ses enfants et sa belle-mère. Cette maison, autrefois pleine de vie, est en proie à d'étranges phénomènes depuis la mort d'une des filles de Sethe. Lorsque commence notre histoire, cette petite fille va revenir dans la maison sous les traits d'une jeune femme maladive, au moment même où Paul D, ancien esclave dans la même maison que Sethe, arrive dans la ville. 

A travers ces personnages, via de nombreux flash-back, nous découvrons les excès d'un esclavagiste, Maître d'école, qui considère Sethe, Paul D, N°6, Halle et d'autres comme des animaux. D'autres visages apparaissent, le gentil maître, l'inconnue de l'accouchement au clair de lune, les esclaves enchainés... Nous lisons aussi comment Sethe a été humiliée au point d'en perdre la tête et de passer du temps en prison. Mais le plus intéressant, ce sont les relations qui se nouent entre Denver, Sethe, Paul D et Beloved dans cette maison malsaine. 

Terriblement réaliste mais pourtant très poétique, ce roman est captivant. Il joue avec son lecteur, lui proposant des pistes, des bouts de souvenirs, des phrases attachées ou non à des personnages, autant de petits indices pour nourrir son imagination et chercher des réponses... qui ne viennent pas toujours. 



jeudi 9 septembre 2021

Pierre,

C'est peut-être une lettre. Ou un poème. En tout cas, il s'adresse à Pierre Soulages, de la part de Christian Bobin. C'est un peu gênant d'entrer dans l'intimité d'une lettre, une lettre faite d'admiration, de peinture, de moments de rencontre, de moments d'attente. 


Bien sûr, on parle peu de peinture ici. Bobin parle lumière, matière. Et surtout relations, avec Soulages, avec son père, avec d'autres comme Lydie. Il y a aussi le récit d'un voyage en train, un soir de Noël et d'une attente, pour un anniversaire. 

Construit de courts chapitres, comme des morceaux choisis, ce livre est un hommage et une réflexion. Parfois un peu étrange dans leur succession, ces textes forment un joli ouvrage.

"Je ne lis jamais pour réfléchir. La vie s’en va lorsqu’elle nous voit froncer les sourcils pour penser. Elle croit que nous sommes fâchés. Je lis pour être sonné de coups, comme je le suis par cette phrase de cuir noir. La beauté, la vérité, toutes choses qui importent dans la traversée du jour unique qu'est notre vie, ne prennent aucun égard. Elles ont raison. Sinon, elles ne nous atteindraient jamais"
"Comment écrivez-vous ? A l'oreille et au cœur. J'écris sous la dictée des étoiles qui se taisent et du train qui rumine sa portion de ballast. Je rejoins sans écrire les plus beaux livres"
"En vérité je ne suis pas ce faible pèlerin, mais l'homme le plus vaste du monde - un chantier d'étoiles"

lundi 6 septembre 2021

L'Art de marcher

On écluse la LAL avec un livre de Rebecca Solnit qui me semblait passionnant et qui m'a un peu déçue, parce que j'attendais une histoire littéraire de la marche et qu'il s'agissait d'une histoire plus large : scientifique, historique, philosophique, géographique et littéraire. C'était un peu fouillis parfois !

Elle commence assez naturellement par la marche chez l'homme et la bipédie, s'intéresse à la marche comme lieu de formulation d'une pensée philosophique, des péripatéticiens à Kant ou Rousseau ou d'une pensée tout court dans la littérature de Joyce ou Woolf. Elle évoque aussi le pèlerinage et les labyrinthes comme lieux de cheminement spirituel et physique. Elle poursuit avec la découverte de la nature, d'abord dans la promenade au jardin puis dans les explorations pédestres des campagnes avec Wordsworth et des montagnes jusqu'aux exploits des alpinistes pour conclure sur les club de rando contemporains. La suite concerne la marche en ville et dans les rues, de la balade à la manifestation jusqu'à la révolution. Elle conclut sur la disparition des lieux de marche dans les villes américaines, la marche ou le sport sur un tapis comme substitut et ce qu'il dit des absurdités contemporaines. La marche devient même un objet artistique pour quelques performeurs.

Un gros bouquin sympathique dont je vous livre quelques extraits glanés !


"Elle crée un équilibre subtil entre travailler et muser, être et faire. La marche est un effort du corps uniquement productif de pensées, d'expériences, d'arrivées [...] Le rythme de la marche donne en quelque sorte son rythme à la pensée. La traversée d'un paysage ramène à des enchainements d'idées, en stimule de nouveaux. L'étrange consonnance ainsi créée entre cheminement intérieur et extérieur suggère que l'esprit, lui aussi, est un paysage à traverser en marchant"

"Le combat pour les espaces où marcher (espaces naturels ou espaces publics) doit s'accompagner de la défense du temps libre, seul disponible pour leur exploration"

"La marche est une des constellations clairement identifiables dans le ciel de la culture humaine. Elle comprend trois étoiles, le corps, l'imagination, le monde, qui existent indépendamment les unes des autres tout en étant reliées par les usages culturels de la marche"

jeudi 2 septembre 2021

Les versets sataniques

Encore un livre qui sort de la PAL, youpi ! Et de 752 pages - pour le Pavé de l'été. Par contre, niveau plaisir de lecture, c'était assez inégal. Ce roman de Salman Rushdie est dense, passe souvent du coq à l'âne - enfin, d'un personnage à l'autre -, bourré de références que je n'avais pas forcément et surtout très long. 

Tout commence par le crash d'un avion au-dessus de la Manche. Deux hommes, d'origine indienne, en réchappent après une interminable chute : Saladin Chamcha et Gibreel Farishta. Le premier est doubleur voix, le second est acteur. On découvre dans le roman, comment ils en sont arrivés là, depuis leur enfance indienne, jusqu'à leur carrière anglaise pour Chamcha, Bollywood pour Gibreel, leurs familles, leurs amours - compliquées pour l'un et l'autre avec tromperies et poursuites jusque dans les airs pour Gibreel. 

Mais surtout, l'un et l'autre vont rejouer une lutte éternelle entre bien et mal - pas par leurs actions ou existences mais plutôt par ce qu'ils semblent représenter : l'un est transformé en homme à pieds de boucs quand l'autre se voit entouré d'une nuée. Gibreel est d'ailleurs en proie à d'étranges rêves où il pourrait jouer un rôle d'ange annonciateur. On y croise un prophète, Mahound, et d'autres êtres inspirés.

Roman foisonnant, qui part parfois dans tous les sens, baroque, riche de sensations et de vie sous toutes ses formes, il déstabilise le lecteur à ses débuts. Où est-on ? Que se passe-t-il ? Qui sont ces gens ? Et puis, on tient des fils, des personnages, en proie à un monde complexe, à des questions politiques et religieuses, à des questions d'identité surtout. Indiens tous les deux, vivants en Angleterre, ils vivent le questionnement des exilés, entre rejet ou adhésion à sa culture d'origine, à sa famille...

Pas toujours très digeste et lecture assez lente, entrecoupée d'autres ouvrages, j'ai peiné sur les premier tiers du livre. Puis j'ai apprécié !

"Qui est-il? Un exilé. Terme qu'il ne faut pas confondre, pas mélanger, avec tous les autres mots que les gens emploient à tort et à travers: émigré, expatrié, réfugié, immigré, silence, ruse. L'exil est un rêve de retour glorieux. L'exil est une vision de la révolution: Elbe, pas Sainte-Hélène. C'est un paradoxe sans fin : regarder devant soi en regardant toujours derrière soi. L'exilé est une balle jetée très haut en l'air. Elle reste là, gelée dans le temps, transformée en photographie ; négation du mouvement, suspendu de façon impossible au-dessus de sa terre natale, l'exilé attend le moment inévitable où la photo doit se remettre en mouvement, et la terre réclamer son bien. Telles sont les choses qu'imagine l'Imam. Sa maison est un appartement en location. C'est une salle d'attente, une photo, de l'air.

L'épais papier mural, des rayures vert olive sur un fond couleur crème, a légèrement passé au soleil, suffisamment pour faire ressortir les rectangles et les ovales plus vifs qui indiquent les endroits où étaient accrochés des tableaux. L'Imam est l'ennemi des images. Quand il est entré les tableaux ont glissé sans bruit des murs et quitté la pièce furtivement, fuyant d'eux-mêmes la colère de sa muette désapprobation. Quelques images, cependant, ont eu le droit de rester. Sur la cheminée il conserve quelques cartes postales conventionnelles de son pays, qu'il appelle simplement Desh : une montagne qui se découpe au-dessus d'une ville ; une pittoresque scène villageoise sous un grand arbre ; une mosquée. Mais dans sa chambre, sur le mur qui fait face à la couchette dure où il se repose, est accrochée une icône plus puissante, le portrait d'une femme d'une force exceptionnelle, célèbre pour son profil de statue grecque et ses cheveux noirs aussi longs qu'elle est grande. Une femme puissante, son ennemie, son autre : il la garde près de lui. Exactement comme, là-bas dans les palais de son omnipotence elle garde son portrait à lui sous son manteau royal ou dissimulé dans le médaillon qu'elle porte autour du cou. C'est l'Impératrice, et son nom est - quoi d'autre? - Ayesha. Sur cette île, l'Imam exilé, et là-bas à Desh, Elle. Tous deux complotent la mort de l'autre.

Les rideaux, un épais velours doré, restent fermés toute la journée, sinon le mal pourrait se glisser dans l'appartement : l'étrange, l'Extérieur, la nation étrangère. Le fait douloureux qu'il se trouve ici et pas Là-bas, l'endroit qui mobilise toutes ses pensées. Dans les rares occasions où l'Imam sort prendre l'air de Kensington, au centre d'un carré formé par huit jeunes hommes portant des lunettes noires et des costumes où l'on distingue des bosses, il croise les mains devant lui et les fixe des yeux, pour qu'aucun élément, aucune particule de cette ville haïe - cette fosse d'iniquités qui l'humilie en lui offrant un refuge, ce qui l'oblige à un sentiment de reconnaissance malgré sa luxure, son avarice et sa vanité - ne puisse lui tomber, comme une poussière, dans l'œil. Quand il quittera cet exil détesté pour revenir triomphalement dans cette autre ville aux pieds de la montagne de carte postale, il dira avec fierté qu'il est resté dans l'ignorance totale de cette Sodome dans laquelle il a été obligé d'attendre ; ignorant, et par conséquent non souillé, non altéré, pur.
Et une autre raison pour laquelle les rideaux restent fermés c'est bien sûr parce que les yeux et les oreilles qui l'entourent ne sont pas tous amicaux. Les immeubles orange ne sont pas neutres. Quelque part de l'autre côté de la rue il y a des téléobjectifs, du matériel vidéo, des micros hypersensibles; et toujours le risque des tireurs d'élite. Au-dessus et en dessous et à côté de l'Imam les appartements sont occupés par ses gardes, qui parcourent les rues de Kensington déguisés en femmes couvertes de voiles avec des becs d'argent ; mais on n'est jamais assez prudent. Pour l'exilé, la paranoïa est une condition préalable de survie."

"L'exil est un pays sans âme. En exil les meubles sont laids, chers, tous achetés en même temps dans le même magasin et bien trop vite : des canapés argentés et brillants avec des accoudoirs comme des ailerons de vieilles Buick DeSoto Oldsmobile, des bibliothèques vitrées qui ne contiennent pas de livres mais des dossiers bourrés de coupures de presse. En exil quand quelqu'un tire de l'eau dans la cuisine la douche devient brûlante, aussi quand l'Imam prend son bain les membres de sa suite doivent se souvenir de ne pas remplir une bouilloire ni rincer une assiette sale, et quand l'Imam va aux toilettes ses disciples se sauvent de la douche brûlante. En exil on ne fait pas de cuisine ; les gardes du corps à lunettes noires vont acheter des plats à emporter. En exil toute tentative d'enracinement est vue comme une trahison : c'est un aveu d'échec."

"Flottant sur un nuage, Gibreel pensa que le flou moral des Anglais venait de la météorologie. « Quand il ne fait pas plus chaud le jour que la nuit, raisonna-t-il, quand la lumière n'est pas plus claire que l'obscurité, quand la terre n'est pas plus sèche que la mer, alors il est évident que les gens perdent le pouvoir de faire des distinctions, et commencent à tout considérer – partis politiques partenaires sexuels croyances religieuses – comme du pareil-au-même, rien-à-choisir, à-prendre-ou-à-laisser. Quelle folie ! Car la vérité est extrême, elle est ainsi et pas autrement, c'est lui et pas elle ; il faut prendre parti, ne pas rester spectateur. En bref, la vérité est engagée."