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mardi 30 août 2022

Le Maître des illusions

Ce roman de Donna Tartt est sur ma LAL depuis une éternité. Et j'ai passé un excellent moment avec lui !

Bienvenue sur un campus du Vermont où Richard, un jeune californien un peu paumé, va vivre avec nous une année terrible. Dès le début, on le sait, Bunny est mort et c'est Henry qui est à l'origine du plan. Durant les 790 pages de ce roman chez Pocket, on va suivre Richard dans sa fin d'adolescence, jeune étudiant boursier, helléniste intrigué par cinq étudiants dédiés au grec ancien. Composé d'Henry, Bunny, Francis, Camilla et Charles, ce petit groupe suit l'enseignement de Julian Morrow. C'est une élite qui ne se mêle pas aux autres, dépense des sommes astronomiques et part régulièrement à la campagne. Elite que rejoint Richard, entrainé presque malgré lui et en dissimulant tant bien que mal son humble origine !

Si ces personnes s'avèrent être de bonne compagnie, elles ne le mettent pas au courant de tous leurs secrets et plans. Richard soupçonne que des événements se passent sans lui, observe ses amis, se regarde aussi en leur compagnie mais c'est finalement très subtilement que nous sommes menés jusqu'à la disparition de Bunny. On découvre le caractère de chacun à mesure que l'événement initial, une bacchanale qui a mal tourné, est ébruité. 

On sent aussi une sorte de tragique à l'œuvre dans le roman, notamment dans les relations entre les personnages. J'ai tout de même regretté que ces hellénistes ne rentrent pas plus dans le détail de leurs cours et que cet aspect antique ne soit pas plus présent ! Un bon thriller, long mais pas si lent à mes yeux.




jeudi 25 août 2022

L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale

C'est le titre de ce livre de Ruwen Ogien qui m'a interpellée avant que je n'en connaisse le thème. Quand j'ai découvert qu'il s'agissait de philosophie morale et de dilemmes, j'ai encore plus eu envie de le lire. Et en commençant la lecture, j'ai été encore plus séduite parce qu'il n'y a pas de complexité dans la façon de traiter le sujet : c'est accessible et ça fait réfléchir, what else ?

A travers diverses expériences, l'auteur propose des choix à faire. Ces expériences de pensée inventées pour susciter la réflexion ont permis de questionner des personnes et leurs intuitions morales. A chaque chapitre, deux expériences sont décrites, souvent très proches. L'une semble souvent plus acceptable que l'autre. L'auteur se demande pourquoi, surtout si le résultat est identique. Par exemple, entre laisser mourir et tuer, le résultat est le même (mort de la personne) mais l'intention diffère. Et c'est là que ça devient parfois absurde dans les différents cas !

Outre les expériences, l'auteur nous introduit à des théories telles que le déontologisme (il y a des choses qu'on ne doit pas faire) ou le conséquentialisme (il faut faire en sorte qu'il y ait le plus de bien dans l'univers), ou l'arétisme (c'est la perfection morale personnelle qui compte). Il s'interroge sur la dignité humaine, le prix de la vie, le fait de traiter les personnes comme des moyens, sur la liberté humaine, sur les saints, sur ce qui se passerait si tout le monde en faisait autant ou sur la pente fatale (le fait d'accepter une action sur laquelle il y a un débat lié à la morale mène forcément à un résultat intolérable). 

Sur la bonté humaine et par exemple les Justes : peut-on dire que ce sont des personnes plus altruistes que les autres ? L'auteur relève que des facteurs ont favorisé ce comportement comme une demande directe ou une mise en responsabilité progressive.

Dans la seconde partie, l'auteur distingue les intuitions (ce que les gens répondent spontanément), la justification, l'interprétation par les psy ou les philosophes et les raisonnements moraux. Il invite à se méfier des interprétations. Il analyse ensuite quatre règles de raisonnement moral : 

- De ce qui est, on ne peut pas dériver ce qui doit être ou peut on dériver des normes de fait ? 
- Devoir implique pouvoir.
- Il faut traiter les cas similaires de façon similaire. Mais que veut dire similaire ?
- Il est inutile d'obliger les gens à faire ce qu'ils feront nécessairement d'eux-mêmes ; il est inutile d'interdire aux gens de faire ce qu'ils ne feront volontairement en aucun cas. Mais pourquoi tant de règles morales dans nos sociétés ?

Vous pouvez vous demander à quoi ça sert tout ça. Surtout qu'on n'a pas de solution à la fin ou de réponse : à chacun de se faire son avis, de réfléchir et sortir de l'intuition. Et à part se poser des questions sur des cas imaginaires, à s'interroger sur des questions plus concrètes autour de la bioéthique par exemple. Et à débusquer des manières d'argumenter qui relèvent de l'une ou l'autre théorie et peuvent abuser un auditeur. 


Quelques définitions et citations pour la route :

"Compatibilisme - Incompatibilisme : est-il possible de concilier ce que nous savons du comportement humain, soumis, comme tout ce qui appartient au monde naturel, à des forces qui leur échappent, et notre tendance à les juger comme s'ils étaient libres et responsables de leurs actes ? Comment faisons nous pour rendre compatibles ces deux idées contradictoires : nous sommes libres et en même temps soumis au déterminisme de la nature ?"

"Conséquentialisme : ce qui compte moralement [...] faire en sorte qu'il y ait, au total, le plus de bien ou le moins de mal possible dans l'univers. [...] Le conséquentialisme n'impose cependant aucune définition du bien."

"Déontologisme : il existe des contraintes absolues sur nos actions, des choses qu'on ne devrait jamais faire."

"Doctrine du double effet : Cette doctrine morale, dont on attribue la mise en forme à Thomas d'Aquin, désigne deux effets, l'un bon et l'autre mauvais, d'une action qui, prise en elle-même, est bonne, ou ni bonne ni mauvaise. L'un de ces effets est bon. C'est celui sui est visé par l'action, voulu par ses auteurs. L'autre est mauvais. Il est prévu par les auteurs de l'action. C'est un "effet collatéral" inévitable. [...] Ce genre d'action à deux effets est moralement permis à ces conditions (le mauvais effet n'est pas visé, ce n'est pas un moyen), auxquelles il faut ajouter que le tort causé n'est pas disproportionné."

"Internalisme - Externalisme : L'internalisme du jugement affirme qu'un jugement moral authentique est nécessairement accompagné d'une certaine motivation à agir conformément à ses exigences. [...] L'externaliste rejette l'idée qu'il existe un lien nécessaire entre nos jugements moraux et la motivation. Pour lui, la phrase "Je sais que c'est bien, mais je n'ai aucune envie de le faire" est parfaitement intelligible." 

"Utilitarisme : ce qu'il faut faire pour l'utilitarisme c'est œuvrer au plus grand plaisir (ou au plus grand bien être ou à la satisfaction des préférences) du plus grand nombre. Cet objectif peut être visé de deux façons :
- Ou bien en évaluant par un calcul la contribution de chaque acte à la promotion du plus grand bien pour le plus grand nombre (utilitarisme des actes)
- Ou bien en suivant, sans calcul, certaines règles générales comme "ne pas torturer", "ne pas mentir" dont on a toute les raisons de penser que, si tout le monde les suivait, on contribuerait à la promotion du plus grand bien pour le plus grand nombre (utilitarisme des règles)."

"Dans la tradition philosophique, on juge la valeur morale d’un acte à ses intentions. Mais certaines études expérimentales montrent que, spontanément, nous jugeons les intentions à la valeur morale des actions. Plus précisément, notre tendance à juger qu’une personne agit intentionnellement sera plus forte si les résultats de son action sont mauvais, et plus faible si les résultats de son action sont bons."

lundi 22 août 2022

Lorsque le dernier arbre

Très chouette découverte que ce livre de Michael Christie qui invite le lecteur au cœur des arbres, dans une histoire familiale circulaire qui traverse les XXe et XXIe siècles.

Tout commence en 2038 dans une île préservée, où des arbres millénaires existent encore. C'est devenu un divertissement touristique pour les super riches qui viennent prendre des selfies devant quelques survivants. Car partout ailleurs, les arbres ont disparu, la poussière balaie les continents et les humains s'étouffent. Jake Greenwood a de la chance, elle travaille comme guide sur cette île. Etudiant les arbres depuis son plus jeune âge, elle fait partie du personnel surqualifié de Greenwood Island. Tiens, comme elle ! C'est ce que son ancien ami Silas tente de lui faire comprendre : elle pourrait réclamer la propriété de l'île et sortir de ses dettes, il lui en apporte des preuves. Et voici comment le lecteur se retrouve à remonter l'histoire de génération en génération jusqu'en 1908, origine de la famille Greenwood. Ceci, avant de repartir dans l'autre sens jusqu'en 2038, en refermant, histoire après histoire, les questions ouvertes. 

C'est une saga familiale avant tout, avec ses secrets et ses surprises. Une histoire aux rythmes divers selon le personnage concerné, qu'il traverse le pays avec un bébé dans les bras en 1934 pendant la crise de 29, la grande dépression, ou qu'il milite dans des groupes écolos dans les années 70. Tous ont en commun, non pas les mêmes ancêtres mais un amour des arbres, qui s'exprime de façons diverses. 

Un roman qui se dévore, où je ne me suis jamais ennuyée, qui traite de façon très fine le rapport au monde et à l'autre. Un roman plein d'espoir, avec l'écologie au cœur. 

608 pages chez Albin Michel

mercredi 17 août 2022

Le roman du mariage

Encore une sortie de LAL pour ce titre de Jeffrey Eugenides, grâce aux trésors des boites à livres. C'est un roman de campus américain, au début des années 80 et un triangle amoureux. Oui, ça semble assez banal et pourtant, c'est drôlement addictif - roman de 572 pages chez Points, lu en 2 jours (et nuits). 

Madeleine est une petite bourgeoise étudiant la littérature. Cette fan de Jane Austen découvre la sémiotique, le post-structuralisme et le déconstructionnisme lors d'un de ses cours les plus en vogue - et les plus selects. C'est là aussi qu'elle rencontre Léonard, un esprit brillant et original qui devient son petit ami. Un peu coincée, naïve, elle découvre avec ses études des formes de pensée qui l'interrogent. C'est quand même un moment passionnant pour les études de lettres et pour le féminisme, même si tout semble s'être joué dans les années 60-70. Autour de Madeleine, des copains de fac, assez peu différenciés pour le lecteur, à part Mitchell, un de ses soupirants qui croit qu'ils sont destinés à se marier ensemble. Si Madeleine a le premier rôle, le lecteur suit aussi les itinéraires et le point de vue de Mitchell et Léonard. A travers une narration subtile, qui joue sur la temporalité et le séquençage des points de vue interne, pas de temps mort. Plus qu'un roman d'amour, c'est un itinéraire amoureux et spirituel, inspiré des Fragments d'un discours amoureux. Et le portrait d'une génération universitaire. Enfin, c'est aussi le douloureux chemin d'un maniaco-dépressif et de son entourage. 

Vous avez tous les éléments pour un chouette roman américain, bien plus intéressant que je ne l'imaginais malgré des personnages peu attachants. On est plutôt dans une approche au microscope qu'au stéthoscope. Bonne lecture !

lundi 15 août 2022

Oublier le bien, nommer le mal

Cet ouvrage de Laurence Hansen-Love est sur ma LAL depuis sa parution. Ses interrogations sur le bien et le mal m'intéressaient mais j'avais peur d'un ouvrage très théorique. J'ai eu la joie de découvrir un livre accessible, ancré dans la réalité, qui fait réfléchir : triptyque gagnant ! 

"Agis toujours de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien en ta propre personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais seulement comme un moyen" Kant

Le bien et le mal, en tant qu'opposés, sont-ils pour autant symétriques ? C'est intuitivement ce qu'on croit et pourtant, ce n'est peut-être pas si binaire. Certes, Platon nous parle des indissociables kaloskagathoi (les beaux et bons), Adam et Eve d'un arbre qui les contiennent, et quelques autres ont pu nous renforcer dans cette apparente symétrie. 
"Dans un cœur envahi par le mal, elle préserve un bastion du bien. Dans le meilleur des cœurs, un coin d'où le mal n'a pas été déraciné." Alexandre Soljenitsyne

Pourtant, le bien ne connait-il pas une multitude d'acceptions ? N'est-il pas souvent un objectif idéal plus qu'une réalité ? Imaginer le mal de cette même façon serait nier les crimes et souffrances infligées par des hommes à d'autres, nier une partie de l'histoire et de la réalité. Laurence Hansen-Love fait un détour par le nazisme et le "suicide" de l'Allemagne. Elle note aussi que sous prétexte de lutter contre une "barbarie", quelle qu'elle soit, on oublie souvent les droits humains dont on se réclame. S'interrogeant sur les valeurs morales, sur le relativisme, sur le témoignage, l'auteure parcourt les siècles jusqu'à aujourd'hui et préconise de 
"nommer les crimes (option juridique), témoigner (c'est la tache des journalistes et des écrivains, ne pas craindre la contagion du mal (pour le citoyen lambda, en tant que destinataire de ces témoignages) et ne pas se laisser intimider (pour tout le monde)."



Composition de l'ouvrage :

1. Le mal n'est pas l'absence de bien
2. Seule la pierre est innocente
3. "Le mal c'est bien", ou l'inversion des normes
4. "Le devoir d'exterminer"
5. Oublier le bien
6. L'impasse relativiste
7. Le fait du mal
Conclusion : nommer le mal

"Le Mal désigne une réalité, ou, sans doute, plus exactement, le dénominateur commun d'un certain nombre de réalités, tandis que le Bien renvoie à un objectif hypothétique, à un idéal régulateur (Kant), dont l'unification et la définition sont pour le moins problématiques"
"Les méchants ne "pensent" pas, en ce sens que, incapables de se mettre à la place des autres, ils s'abstiennent de chercher à comprendre quels sentiments les autres peuvent éprouver [...] La méchanceté n'est donc pas la volonté du mal, elle n'est rien d'autre, plus trivialement, que le négatif de la bonne volonté. Consentement à l'indifférence, au mépris ou à la haine, la méchanceté ne serait donc que "l'amour à l'envers""
"Pourvu d'un cerveau surdimensionné et d'une intelligence hors-norme, Homo sapiens sapiens détient, de facto, « le privilège douteux d'être l'espèce la plus meurtrière des annales de la biologie ». Paradoxe qui n'en est pas un si, renchérissant sur Descartes, nous considérons que la « liberté d'indifférence » (choisir le pire parce que c'est le pire, en toute conscience) et non pas « le plus bas degré de la liberté » mais sa manifestation la plus « positive ». Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle témoigne d'une aptitude spécifiquement humaine, celle de poser librement nos propres valeurs, ce qui implique de commencer par rejeter celles de notre entourage - insoumission et sédition qui nous arrachent à notre condition animale originelle. […] L'inversion des normes témoignerait tout au contraire d'une conscience morale exacerbée, autrement dit d'un désir d'humanité poussé jusqu'à ses plus extrêmes conséquences"
"Toute « politique » commence par la désignation de l'ennemi, comme l'explique un autre grand théoricien du nazisme, le juriste Carl Schmitt: cet être maléfique, ce sera donc aussi, et même ce sera d'abord, le représentant de la contre-nature, véritable principe de mort dirigée contre Soi, qui toujours se cache, empruntant les traits d'un rival faussement semblable… La résultante prévisible d'une telle fabrication paranoïaque de l'altérité est l'obligation quasi « morale » d'éliminer l'ennemi"
"Dans le cas de l'Allemagne des années 30 le sentiment intolérable d'être perçus, de facto, et par le monde entier, comme des perdants, et de devoir l'assumer, ne put être compensé que par une fuite en avant dans la mégalomanie. Les nazis en vinrent ainsi à nourrir le fantasme hypnotique de dominer le monde. Or, c'est ce qui est le plus frappant, dans le cas du nazisme comme dans celui de l'extrémisme islamiste, plus le projet est voué à l'échec, plus le fanatisme avec lequel il l’épouse s'exacerbe"
"Aussi longtemps que chaque camp prétendra lutter contre « l'Empire du Mal » tout en incarnant le parti du Bien, il faudra assumer - comme nous y invitent les auteurs évoqués ici - notre part de responsabilité dans ce mouvement réciproque de diabolisation qui reconduit un conflit sans nom (ce n'est pas une « guerre » au sens habituel de ce terme) ainsi qu'une violence sans fin […] Nous devrions peut-être cesser de considérer que combattre le mal, et ceci par n'importe quel moyen, c'est forcément « bien » : nous ne pouvons plus ignorer que c'est toujours et partout au nom du Bien que les hommes liquident leurs semblables"
"Il y a une multiplicité de "biens" - tels que, par exemple, la santé, l'honneur, la puissante, la vertu ou la sagacité - et, selon les prédilections des uns et es autres, différentes éthiques entreront donc inévitablement en concurrence. L'idée de Bien suprême, ou de Souverain Bien, est non seulement vaine : elle est trompeuse"
"Bien loin de désirer les choses parce qu'elles sont bonnes, nous ne les jugeons bonnes que parce que nous les désirons!"
"Nos représentants ne se règlent pas nécessairement sur ce qui est bien, ni sur ce qui est bon, ni sur ce qui est juste, pas même peut-être sur ce que devrait prononcer une "volonté générale" soucieuse de respecter prioritairement une constitution républicaine et les droits humains universels"
"Il existe une autre manière d'assumer les difficultés que pose la société multiculturelle, tout en évitant l'écueil du relativisme radical. Elle consiste tout simplement à distinguer l'éthique (la représentation de la vie bonne) et la morale qui, sans se prononcer sur le sens et les finalités de l'existence belle et bonne, impose pourtant à tous des obligations selon Dworkin : "Tandis que l'éthique désigne les convictions à propos des sortes de vie qu'il est bon ou mauvais de mener, la morale renvoie aux principes qui guident la manière dont toute personne doit se comporter avec les autres". Plusieurs éthiques donc, mais une seule morale pour une société certes tolérante, mais non pas disposée à tolérer... l'intolérable"

"Le relativisme moral s'auto-réfute. Il conduit en effet à renoncer non pas seulement à tel ou tel système particulier de normes morales, mais à toute appréciation d'ordre éthique (« ceci vaut mieux que cela », «  ceci est cruel, insupportable »), puisqu'il impose à ses partisans de s'abstenir de porter un jugement de valeur quel qu'il soit, y compris sur ce relativisme lui-même"
"Il y aurait dans le mal un phénomène énigmatique, irréductible et indicible […] Seuls les mythes et les formations symboliques peuvent éventuellement tenter d'en rendre compte, quoique de façon détournée et circonspecte, car si ce « super diable » a été vaincu, il est loin d'avoir été liquidé. Or, ceux qui sont possédés par le Mal finissent toujours par le transmettre aux autres."
"Quelles que soient nos orientations morales, nous pouvons nous accorder sur le fait que l'extrême individualisme et l'indifférence au sort de nos semblables, qui sont des traits marquants de notre époque, en particulier dans les sociétés les plus « avancées », sont préoccupants. Cet aspect de notre culture démocratique, anomique et tolérante suscite d'ailleurs un violent rejet de la part de tous ceux qui en sont éloignés, ou qui s'en sentent, à tort ou à raison, rejetés ou exclus"

vendredi 12 août 2022

Le chœur des femmes

Encore une sortie de LAL pour ce chouette roman de Martin Winckler ! 

Au programme, la découverte d'un service gynéco dédié aux femmes et à l'écoute de leurs questions / besoins avant tout. C'est le Dr Karma qui gère ce service bien différents des autres lieux de l'hôpital où l'égo des médecins règne en maître et où les patients sont infantilisés. Quand l'interne J. Atwood débarque dans ce service, elle imagine que son boss est un grand manipulateur avant de comprendre qu'il est possible d'être dans un posture de soignant aidant sans prendre les patients pour des idiots - des idiotes en général. 

Toutes les histoires des unes et des autres sont chouettes, éclairantes ; les femmes sont attachantes, leurs questions rejoignent les miennes, je rêve de rencontrer des médecins aussi disponibles... Et l'histoire d'Atwood, qui creuse son identité et ses origines, est intéressante quoi que mal répartie dans le bouquin selon moi. 

Plus que le roman, ce sont vraiment les interactions qui m'ont plu dans ce livre. 

682 pages chez Folio

lundi 8 août 2022

La coquille

C'est dans la bibliothèque secrète de Daraya que j'ai noté ce titre de Moustafa Khalifé. C'est un étrange livre que ce journal romancé.

Le narrateur revient en Syrie après ses études en France. A la sortie de l'avion, il est directement jeté en prison et torturé sans comprendre ce qu'il a bien pu faire pour cela. Transféré à la prison du désert, il y reste plus de dix ans, mis à l'écart par les autres prisonniers pour des questions religieuses. Le lecteur découvre son quotidien avec les maladies, les violences policières, les exécutions sommaires, la torture, la vie en commun dans une cellule, les moments de grâce et ceux d'horreur qui se côtoient. Perdant les plus belles années de sa vie en prison, seul, se terrant dans ses couvertures, il finit par sortir dans un monde qui a changé sans lui et dans lequel il ne peut trouver sa place. 

Témoignage terrible de la violence d'une dictature et d'un pays où l'on peut être emprisonné pour rien, cet ouvrage à la langue froide et crue nous éclaire sur cet arbitraire des régimes totalitaires. L'absurde de cet enfermement et la passivité voire la résignation du narrateur interpellent tout autant que la deshumanisation des prisonniers par les policiers. Inspiré de l'expérience de l'auteur, c'est une lecture qui fait froid dans le dos.  



lundi 1 août 2022

La mer sans étoiles

Voilà un livre d'Erin Morgenstern qui m'a donné envie de crier au chef-d'œuvre dans ses deux premières centaines de pages. Rythme impeccable, monde de livres, de portes et de mystère... plein de choses pour me plaire ! Et puis, le rythme s'épuise sur la dernière centaine de pages, le personnage se perd un peu et le lecteur avec lui.

On commence avec des contes, extraits du livre Doux Chagrins que Zach, le héros de ce livre, va emprunter en biblio universitaire. C'est un livre étonnant, avec des contes de styles différents et surtout, un moment de la vie de Zach. Intrigué, l'étudiant essaie de trouver d'où vient le livre. Il tombe sur des symboles, à base d'épée, d'abeilles et de clés qui l'emmènent jusqu'à une soirée littéraire. A partir de ce moment, et du conte du temps et du destin qui tombent amoureux, l'histoire s'accélère et Zach se voit entrainer dans un monde de livres... et de chats !

Roman de la mise en abime, des symboles, des temporalités et des auto-référence, il intrigue et ne se lâche pas. On joue à débusquer les références, à collectionner les indices, à identifier les livres. On s'amuse des liens avec les jeux vidéos et les livres dont vous êtes le héros. Pourtant, ce petit monde lasse à mesure que le livre s'avance vers sa fin. Idem pour le héros, un personnage sympathique dont on ne sait finalement pas grand chose si ce n'est qu'il incarne un énième amour maudit. Et la fin est plutôt décevante. Je ne regrette pas cette lecture mais je crois que quelques pages et symboles de moins n'auraient fait de mal à personne.


Lu en Pocket, 755 pages