Pages

samedi 14 mars 2009

L'amour en plus


Sous titre : histoire de l'amour maternel

A travers un livre très documenté qui se dévore comme un roman, E. Badinter nous montre que l'instinct maternel n'est peut être pas si instinctif que ça. Remontant aux comportements du XVIIe siècle où l'abandon, l'infanticide, la mort du nourrisson ou la mise en nourrice étaient courants (bon, moins l'infanticide), elle s'intéresse à la construction d'une famille aimante, centrée autour de l'enfant. Au XVIIe, on regarde l'enfant comme un jouet imparfait et ennuyeux condamné par le péché originel. C'est aussi l'époque des précieuses qui veulent maîtriser les désirs et passions du corps : le mariage et la maternité les dégoûtent comme autant de chaînes. Pour être une femme "philosophe", il faut se garder des mondanités, du mariage et de la maternité. Voilà pour l'élite. 
Pour le reste, il n'y a que les plus pauvres qui gardent leurs enfant chez eux car ils ne peuvent pas payer de nourrice. Les ouvriers, bourgeois et même paysans n'hésitent pas à se séparer des nourrissons (je vous raconte pas les conditions, vous pleurerez)... 

C'est notre bon ami Rousseau qui change un peu la donne en prônant une maternité naturelle et belle, comme chez les "sauvages". Sans compter qu'un discours sur l'idéal mystique de la vocation maternelle et un déplacement du centre de la famille du père à l'enfant tendent à culpabiliser la mère indigne. Bref, on moralise tout ça et on ajoute : c'est mal de travailler (parce que vous imaginez bien que ces dames tenaient boutiques, comptes ou glanaient avec leurs maris... et tenaient la maison). 

Enfin, cerise sur le gâteau : le bon docteur Freud. Avec lui, c'est fini : la mauvaise mère est normativée par le discours médical. Qu'est-ce qu'une femme normale ? Simple : une egoiste-narcissique, maso et passive. J'adore cet homme ! Et c'est à elle que revient la tache éducative des premières années. Si elle se plante, c'est dommage parce que ça traumatise le petit qui développe ses névroses... Bonjour la responsabilité ! Ce qui est sympa c'est que les politiques natalistes réutilisent tout cela

Et maintenant ? Les mouvements féministes ont dénoncé cette femme-sacrifice créée par la psycho. Et surtout l'accès généralisé à l'éducation a permis un réel choix, pas un destin éternel. Mais... le discours culpabilisant existe toujours. 
Contrepoint : la femme peut se définir autrement que comme une mère et dénonce la maternité comme une déception. Par contre, émergence en pointillés d'un amour paternel...

Lecture tout à fait passionnante, parfois étonnante. Un ton juste et des exemples frappants conduisent la plume de l'auteur. Et la lectrice ? Cela la confirme dans ses craintes. La maternité, c'est vraiment un sacerdoce ! Courage Mélou !

9 commentaires:

  1. Du même auteur, j'ai lu le livre qu'elle consacre à Mme du Châtelet et à Mme d'Epinay (qui s'intéresse à la pédagogie). C'était passionnant !

    RépondreSupprimer
  2. Très intéressant, ton article et cela me donne vraiment envie de découvrir cet ouvrage.

    RépondreSupprimer
  3. Rose : tu ne m'étonnes pas. J'aime ces livres d'historiens ou de philosophes bien écrits. Cela sort vraiment du lot (hélas, je m'en lis des fournées assez peu exaltantes).
    Liliba : Eheh ! But atteint !

    RépondreSupprimer
  4. Attends, là, ce n'est pas récent du tout . Je l'ai acheté en 1980, mais son contenu semble ne pas avoir vieilli !

    RépondreSupprimer
  5. Le propos, attaché à prouver, selon la passion de l'époque, l'historicité des sentiments humains, même ceux qui auraient pu nous sembler les plus naturels, et donc à démonter comme une construction historique l'organisation des rôles et des fonctions sociales, me semble hélas un peu daté. Il y a l'aspect enthousiasmant du livre: qu'on puisse faire une généalogie y compris du sentiment maternel. Mais il y a aussi ce qui m'agace toujours un peu dans l'oeuvre d'Elisabeth Badinter: cette histoire de la maternité est d'abord une histoire intellectuelle, pensée depuis l'intérieur des systèmes qui l'encadre. Je ne pense pas qu'on puisse hélas donner autant de poids à la pensée. Et même si tout système de pensée est dans une certaine mesure une construction idéologique, il est d'abord un effort pour penser le réel et se libérer de certaines pratiques (voir Rousseau notamment qui sans doute invente le modèle de la "mère parfaite", mais invite cependant à promouvoir le sentiment contre l'habitude et le conformisme,qui sont soutenus par la "rationalité" du discours médical de l'époque, en s'opposant pour sa part à la pratique de l'emmaillotage des enfants)

    RépondreSupprimer
  6. Je ne connaissais pas du tout mais j'aime ce genre d'études. But atteint avec moi aussi !

    RépondreSupprimer
  7. Cléanthe, ce n'est pas non plus qu'histoire de la pensée. Certes, elle s'appuie sur des textes littéraires mais aussi sur des archives... Après que dire de son interprétation si ce n'est qu'elle est forcément subjective. Comment pénétrer autrement l'intimité en histoire ?
    Keisha, non ça n'a pas vraiment vieilli. Après on ne fait plus de l'histoire comme ça maintenant.

    RépondreSupprimer
  8. Je ne devais lire qu'un passage de ce livre (une dizaine de pages) pour mes études ... et je l'ai dévoré en entier ! Vraiment très bien. Je viens également de terminer le dernier de cette auteure : Le conflit, tout aussi passionnant ! (bientôt un petit billet !)

    RépondreSupprimer

Pour laisser un petit mot, donner votre avis et poser des questions, c'est ici !