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vendredi 26 septembre 2014

Chroniques de Jérusalem

Je poursuis ma découverte de l'univers de Guy Delisle avec (enfin !) le titre que l'on m'avait initialement recommandé. Comme dans Chroniques birmanes, le dessinateur suit son épouse. Elle travaille à médecins sans frontières et lui s'occupe des enfants... mais moins qu'en Birmanie.

Difficile d'arriver à Jérusalem sans préjugé. Difficile de comprendre le fonctionnement de ce lieu. L'auteur commence par des promenades, avec ou sans poussette. Il s'étonne des aberrations des bus qui ne desservent que les quartiers arabes ou juifs. Et petit à petit, il s'aventure un peu plus loin dans la ville, découvre les joies des checkpoints et nourrit une fascination pour le mur de séparation...

Avec son coup de crayon toujours simple et clair, son regard naïf et curieux, Guy Delisle nous invite à visiter Jérusalem avec lui. Il nous fait partager son quotidien via ce carnet de voyage pas banal. Et il s'essaie à quelques planches sur la situation historique et géopolitique des lieux. Mais cela ne vous suffira absolument pas pour comprendre le conflit israëlo-palestinien, ne vous emballez pas ! Un roman graphique plein d'humour et de légèreté pour une ville qui en aurait besoin.

Chroniques Jerusalem Delisle
D.R.

jeudi 25 septembre 2014

Les années 50

J'aime beaucoup la mode des années 50, les petites jupes à corolles qui tournent autour des fines gambettes. Et pourtant, je ne me sens pas fashionista. D'ailleurs, j'ai toujours l'impression d'être sous-sapée lorsque je pénètre au musée, pardon, palais Galliera

L'exposition propose un retour sur les années de l'après-guerre, de 1947 à 1957. Elle présente de façon thématique l'évolution des tenues, de la tenue de jour, à la tenue de soirée, en passant par le maillot de bain, la lingerie et la robe de cocktail. 
On y croise la figure imposante de Dior, qui révolutionne la mode par son New Look. Chanel est toujours là, austère. C'est aussi une période bénie pour Grès (ses plissés me fascinent), Givenchy (les couleurs et la vivacité), Schiaparelli (ou l'excentricité), Faith (le style)... Qui se clôt avec l'arrivée d'Yves Saint Laurent

Une exposition qui regorge de très jolies tenues (que l'on aimerait presque essayer) et qui replonge dans l'époque de la très chic Audrey Hepburn ! 


mercredi 24 septembre 2014

Le quatrième mur

Merci au Livre de poche pour l'envoi de cet ouvrage de Sorj Chalandon. C'est un livre fort, un livre auquel on se cramponne, dont on tourne les pages sans les compter. 

Georges, notre narrateur, est un homme engagé. Il manifeste, il distribue des tracts, il peint des drapeaux. Français, il a l'impression que son engagement le rend frère de tous les opprimés. Il ose frapper, il ose se mettre en danger pour ses idéaux. Et pourtant, il est loin de tous les conflits. Ce pion sans ambition vit dans la France apaisée et prospère des années 80. Parmi ses amis, il compte Samuel, metteur en scène juif et grec, un exilé qui a fui le régime des colonels. Samuel, c'est un artiste qui imagine que le théâtre peut changer le monde et peut faire dialoguer des ennemis
Il monte un projet fou : faire jouer Antigone d'Anouilh à Beyrouth à des acteurs issus de camps ennemis. Antigone, cette petite jeune fille qui dit toujours non, cette petite résistante qui donne sa vie pour une poignée de terre. La pieuse Antigone de Sophocle est ici oubliée au bénéfice de sa petite sœur, la maigre Antigone d'Anouilh. Samuel espère une trêve de quelques heures pendant lesquelles le théâtre fera taire les fusils. Mais, bloqué dans un lit d’hôpital, il confie cette mission à Georges. Incapable de refuser cette dernière volonté d'un ami, Georges abandonne femme et fille le temps de monter cette pièce. Mais il n'imagine pas ce qu'il va trouver au Liban et les rencontres qui l'attendent. Ne va-t-il pas y croiser son destin, comme dans toute tragédie ?

Passionnant livre sur le théâtre et son pouvoir. Celui de faire changer les choses et les hommes. Un roman qui donne tout son relief au texte d'Anouilh, toujours juste et à propos. Mais ce n'est pas que cela. 
Cratère etrusque Aristonothos 650Ce livre explore également les relations amicales, la place de l'engagement et la violence des guerres. S. Chalandon ne nous fait grâce de rien à ce sujet : le Liban est déchiré par ses peuples et nous en voyons les exactions. 
Comme le héros, nous en perdons nos repères. Car ce livre interroge nos belles certitudes, notre recul d'européens en paix. Facile de juger, de prendre position quand on est si protégé. Au Liban, plus de bons et de mauvais côtés, chacun est un peu responsable, chacun est aussi victime. Et c'est cette lecture multiple, qui refuse un manichéisme facile, qui séduit le lecteur et qui fait toute la richesse de ce texte. Cerise sur le gâteau, l'ensemble est servi par une plume vive et affûtée.

Et ce quatrième mur ? C'est celui que "les acteurs construisent en bord de scène pour renforcer l'illusion. Une muraille qui protège leur personnage. Pour certains, un remède contre le trac. Pour d'autres, la frontière du réel. Une clôture invisible, qu'ils brisent parfois d'une réplique en s'adressant à la salle".

Pour les amateurs de théâtre, dans un tout autre genre, il y a L’œil du prince, cette place qui permet de bénéficier de la meilleure vue sur la scène.

Anciens sont de sortie

mardi 23 septembre 2014

Les Âges de la vie

J'aime beaucoup ce qu'écrit Christiane Singer. Je la trouve souvent d'une grande pertinence. J'aime son regard sur le monde et sur elle. J'étais curieuse de la lire sur le thème de l'âge, à notre époque de jeunisme triomphant (commence l'anti-ride à vingt ans, après il sera trop tard) mais aussi de grande défiance envers la jeunesse (frilosité des entreprises devant la créativité, refus de nommer des gens compétents à des postes intéressants avant qu'ils aient 50 ans). 

Cet essai se divise en plusieurs temps : 

La gestation, la naissance, le nouveau né

C. Singer rappelle la beauté et la merveille qu'est la gestation. Loin de n'être qu'un fardeau, elle est un don ! Elle rappelle que les réalités économiques et sociales poussent à l'indépendance et font du bébé une entrave. Mais cette indépendance n'est-elle pas creuse et vaine ? Voilà qui me questionne. Sans pour autant me convaincre... Elle signale aussi que la famille n'est pas une prison : "Chacun de nous est à la fois l'enfant de l'homme et la femme qui l'engendrèrent et l'enfant de la création". Aimé ou pas, tu as ta place dans le monde nous dit-elle. Une phrase que je trouve absolument réconfortante !

La petite enfance

Nous abordons l'âge "sauvage" de l'enfance, un âge de totale liberté : pas de barrières sociales ou morales et des mondes imaginaires qui enrichissent le quotidien. C'est le moment où se forme notre propre cosmogonie. "Il est un temps pour toute chose et le temps de l'enfance est celui de l'adhérence au monde, de son investigation par les sens et l'imaginaire. L'intelligence pourra construire plus tard ses édifices les plus hardis, ses subtils systèmes d'abstraction sur ce solide soubassement. S'il vient à manquer, c'est le drame de la dépendance, de l'adhésion fatale aux systèmes préfabriqués". 
L'auteur nous met en garde contre une société qui veut domestiquer l'enfance, qui veut faire du petit homme un consommateur de plus : "Substituer à ses facultés différenciées et vivantes, alors en plein essor, tout un attirail de prothèses - de la télévision aux multiples gadgets de l’électronique - est un crime que le code pénal n'a su prévoir". 
Et outre ces considérations, ce chapitre est plein de belles histoires, de contes, qui viennent enrichir cette pensée : "Le conte ne dépose jamais ceux qui l'écoutent à l'endroit où il les a pris - mais plus haut et plus loin". Je suis persuadée que le conte est un appareil à rêver et à construire les hommes, que les livres les forment, les questionnent et les font réfléchir. Peut-être manquons-nous de contes dans nos quotidiens ? Je propose une cure de contes pour tout le monde et des conteurs dans nos villes : un conteur dans le métro, ce serait chouette, non ?

Plaidoyer pour l'adolescence

L'adolescence, c'est le moment où l'homme s'ouvre à une vie spirituelle et culturelle sans couper avec le monde naturel. Un moment où les sentiments et la raison sont les plus agiles : "Il évolue avec aisance, dix fois le jour, de l'appel de la sainteté à la fascination de la déchéance, du profane au sacré, du ludique au solennel". Pour C. Singer, c'est le moment de la vie où nous sommes le plus proche de notre perfection. 

La jeunesse

Passe le temps, s'écoulent les fleuves, nous voilà rendus à l'âge où l'homme est capable de tous les séismes, de tous les défis. Un âge bourré de vie ! Celui de la soif de savoir et d'aimer, celui du désir qui ne peut être comblé. C'est l'âge où se révèle et se dessine ce que nous souhaitons de notre vie, nous en apercevons les trésors.

L'âge adulte

C'est le temps de l'équilibre et de la plénitude qui débute selon l'auteur : "La jeunesse y déverse ses torrents tumultueux et ses boues, sa vigueur et ses instincts, et la maturité y laisse affleurer ses nappes profondes, sa maîtrise et son savoir". C'est un temps plus long et lent, où l'on ne dévore plus la vie d'une bouchée, où l'on prend le temps de choisir et d'approfondir. Mais gare à celui qui s'éloigne de ce qu'il est : "Comment s'étonner dès lors que ces années soient aussi secouées de crises profondes (parfois minabilisées sous l'appellation de "middle age crisis"), de ruptures, de dépressions, de morts brusques ? Ce sont autant de rébellions de l'âme contre les mutilations subies [...] Contraint dès lors de recourir, pour momentanément survivre, à des substituts multiples, soit matériels (argent, consommation, accumulation d'objets), soit idéels (position sociale, promotion, honneurs), il s'éloigne de plus en plus de son être profond, se cherche avec constance et hargne où il n'est pas". 
Voilà son conseil : "Devenir ce que nous sommes n'est pas la formule de la facilité mais le chiffre secret d'une conquête. Car il ne s'agit pas de subir ce que nous sommes ni de nous en accommoder mais de le vouloir avec ferveur". 

La vieillesse

Évoquant ici les visions de la vieillesse d'Améry et de Beauvoir, l'auteur ne parle pas ici de son propre vécu mais de celui qu'elle peut observer chez de sages vieillards : ralentissement du temps, connaissance de l'humain... Plutôt que d'en faire un temps de regret, elle y voit un nouveau lieu d'épanouissement.

Rodin, L'âge d'airainSans fixer d'âge précis à ces périodes de la vie, Christiane Singer montre la beauté et l'utilité de chacune dans notre construction personnelle. Elle invite à faire confiance au temps. Mais aussi à se faire confiance pour choisir ce qui est bon pour nous, ce qui nous épanouit, nous rend heureux. Même si je n’acquiesce pas à tout, je trouve ce livre d'une grande vérité et d'une belle harmonie. Il nous invite à nous situer, à relire notre parcours, à nous interroger sur ce qui a du sens pour nous et ce qui ne nous construit pas. Une lecture essentielle !

Quelques autres citations pour ceux qui ne sont pas totalement convaincus :
"En ne faisant rien, celui qui n'a rien fait a déjà fait beaucoup ; et ce qu'il faut à l'homme pour aller au bout de ses rêves et de ses possibilités n'est rien d'autre que ce qu'il a déjà : son corps"
"Seul l'esprit familier des allées et venues entre la pérennité et l'actualité est en mesure d'aborder les problèmes de son temps avec cette responsabilité accrue, cette perspective agrandie sans laquelle l'homme contemporain est un grand semeur de désastres". 

lundi 22 septembre 2014

Illusions perdues

Oui, c'est le plein boom de la rentrée littéraire et je relis des classiques. Lassitude ? Incapacité à faire un choix dans l'offre pléthorique ? Je crois qu'il y a un peu des deux.

Challenge classique Stephie
Alors, que dire de ce Balzac ? Cet auteur qui me laisse souvent mitigée et que je persiste à lire m'a paru dans ce roman d'une grande modernité. Sachez qu'il y explore les dessous de l'édition et de la presse de son époque et que certaines considérations restent tout à fait actuelles. 

Nous sommes à Angoulême, sous Louis XVIII. David Séchard et Lucien Chardon ou de Rubempré ont étudié ensemble et restent très amis. Le premier est fils d'imprimeur, le second de pharmacien. 
David sera imprimeur, comme son père, un avare illettré qui vend à son fils son entreprise en le ruinant. Et ce qui risque d’accélérer sa ruine est le goût de David pour l'invention. Il veut produire du papier pour moitié moins cher. 
Lucien est un joli garçon, poète et plein d'espoirs. Il rêve de gloire. Épris de Mme de Bargenton, il fuit à Paris avec elle. Et se fait larguer ! Dévoré d'ambition, notre homme vit d'abord comme un poète maudit qui économise le moindre sou avant de se lancer dans le journalisme pamphlétaire, acquis au plus offrant. Mais, comme l'indique le titre, on ne devient pas maître de Paris sans quelques compromis et compromissions... 

Ces illusions perdues sont celles de Lucien sur le monde, bien entendu, à Paris comme en province, mais aussi celles de sa famille sur sa faiblesse et sa lâcheté. C'est enfin la douloureuse lucidité de Lucien sur son caractère et ses aspirations. 

Pourquoi est-ce que je quitte ce roman un peu mitigée
D'abord pour la rencontre finale improbable avec un jésuite (forcément cynique et opportuniste). Ensuite pour ses personnages, souvent très beaux et attachants mais dont l'éternelle naïveté m'a agacée (David mérite une palme) ou très très méchants (les frères Cointet sont d’infâmes manipulateurs) : Balzac est ici très manichéen. J'ai également regretté quelques longueurs (les passages sur la justice sont un peu longs) et les effets d'annonce dont Balzac saupoudre ce livre (la faute au roman feuilleton ?). 

Mais je suis éblouie par la richesse de ce roman, son côté universel et indémodable. J'ai beaucoup aimé le personnage d’Ève, la sœur de Lucien et femme de David. Les écrivains du Cénacle, groupe littéraire auquel Lucien appartient un temps, sont des personnages d'une pureté magnifique dans ce cloaque qu'est le Paris littéraire. Et puis même si l'on s'attend à la suite de ses aventures, les déchirements de Lucien entre pureté et gloire, entre travail et oisiveté, sont toujours étonnants. Il est d'une richesse, ce Lucien !

Rodin, Balzac nu

samedi 20 septembre 2014

Les Banksters

Marc Roche, journaliste financier, revient sur des crises et des scandales financiers des dernières années. Effaré par la faillite de Lehman Brothers en 2008, M. Roche est un "libéral qui doute, un déçu du capitalisme". Il propose dans cet ouvrage un "Voyage chez mes amis capitalistes".

Cet essai s'organise en deux parties : 
Cap town

Aveuglements 

1. Tout était sous mes yeux et je n'ai rien vu !
Anecdote sur la faillite de la Northern Rock auprès de laquelle M. Roche avait souscrit un crédit.
2. Une affaire de famille
Promenade à Jersey avec Robert et John Christensen.
3. Entre intimidation et séduction
Pas de transparence chez les banquiers !
4. Des Etats infiltrés
Recyclage des banquiers dans le monde politique et vice-versa.
5. Pleins feux sur le FT
Du Financial Times comme meilleur journal économique... mais trop engagé contre l'euro.
6. Impunité
Des boucs émissaires des scandales financiers.
7. Goldman et moi
Sur le livre précédent de M. Roche, La Banque et son documentaire sur Goldman Sachs. 
8. La culture bancaire n'a pas changé
Fraude au Forex.
9. Frankenstein détruit... par son propre créateur
Sur les credit default swaps.
10. Burn out, les financiers aussi
Le rythme dans la finance.

Résistances

11. Les marchés achètent tout seuls !
Des ordinateurs dans les salles de marché.
12. L'éclat terni de l'or
Sur l'étalon-or et les soubresauts du marché de l'or.
13. Le pouvoir des hommes en gris
Les auditeurs : un gang de 4 superpuissances... qui maquillent les comptes ?
14. Genève, la fausse endormie
Voyage en Suisse. 
15. Laxisme et volupté dans la City
Puis à Londres.
16. Régulateurs, unissez-vous !
Pour des réglementations et un capitalisme régulé.
17. La finance, facteur (aussi !) de progrès
Opportunités et inventions suscitées par la finance.
18. Bombes à retardement
Elles sont trois : les prêts étudiants aux US, la banque de l'ombre en Chine et les produits dérivés.

Entre "Aveuglements" et "Résistances", l'auteur dresse un portrait de ces banquier gangsters. Tirés à quatre épingles, polis et golfeurs, souvent discrets et méfiants devant le journaliste qu'est M. Roche : voilà à quoi vous pourriez reconnaître ces grands de la finance. Certains ont des tableaux de maîtres dans leurs bureaux, d'autres préfèrent une déco minimaliste... Et surtout, certains ont dépassé des limites, favorisant des spéculations dangereuses et des crédits toxiques. 
On commence par un tour chez différents banquiers et l'on passe par la City, par les paradis fiscaux, par la Suisse et par diverses salles de marché où quelques traders plus malins que les autres manipulent des taux ou spéculent sur des faillites. Tout le monde en prend pour son grade : les banquiers bien sûr, les traders, mais aussi les auditeurs, les politiques, les entreprises... Il émarge de ce livre une impression de collusion générale. Et d'impunité. Tous ces hommes qui fraudent, qui perdent des sommes énormes, sont-ils jugés ? C'est toujours un homme de paille qui prend et la banque et ses actionnaires qui payent. Et les grands responsables ? Ils se recyclent d'une banque à un fonds, d'un cabinet de conseil à un cabinet ministériel. Une belle plongée dans un monde opaque, surtout pour qui n'est pas du milieu. 

Et malgré toutes ces affaires, M. Roche veut encore croire au capitalisme libéral. Un capitalisme un peu plus encadré, certes. Moralisé et responsabilisé

Merci à Albin Michel pour cet ouvrage !

vendredi 19 septembre 2014

Bernard Zehrfuss (1911-1996), la poétique de la structure

A la Cité de l'architecture et du patrimoine, cette exposition touche à sa fin. Je voulais vous dire quelques mots sur l'architecte du CNIT...

L'exposition propose un regard chronologique sur l'oeuvre de Bernard Zehrfuss, depuis ses débuts en Tunisie jusqu'au musée gallo-romain de Lyon. Je suis passée assez rapidement sur ses travaux tunisiens, plutôt sobres, pour me concentrer sur les commandes de deux usines ; l'imprimerie Mame à Tours et l'usine Renault à Flins. L'imprimerie est particulièrement intéressante : elle est construite pour pouvoir être agrandie facilement et couverte de sheds vitrés. 

Autre construction qui attire l'attention, celle de l'UNESCO, ce grand bâtiment en Y sur piliers précédé par une salle en accordéon. On voit Zehrfuss, Marcel Breuer et Pier Luigi Nervi plancher sur le projet avec Le Corbusier par exemple. Outre ces bâtiments initiaux, l'architecte propose ensuite une architecture enterrée, esthétique et discrète. 

Mais le plus fou est certainement ce qui concerne la Défense. Ce quartier est imaginé comme un nouveau Manhattan. Il devait élever ses gratte-ciels de part et d'autre d'un gigantesque boulevard. Ça, c'est avant qu'on ne pense à faire une grande dalle. Les maquettes sont à ce titre particulièrement parlantes de même qu'une grande perspective de ce qu'aurait pu être le lieu. C'est dans ce lieu qu'il imagine avec Robert Camelot, Jean de Mailly, Jean Prouvé et Nicolas Esquillan un espace couvert par un long voile autoportant : le CNIT. Étonnante performance dont témoignent des photos de construction. Par contre, les projets de buildings tombent à l'eau. 

Camelot, Perspective avenue general de gaulle

Il est également question d'immeubles de logement et de bureaux mais je préfère terminer sur le musée de Lyon, enterré dans la colline de Fourvière. Il se déploie le long d'une spirale pensée pour valoriser les ruines du théâtre et les objets archéologiques. Une démarche assez inédite, qui ne vieillit pas trop mal.

Une exposition qui plaira aux amateurs d'architecture contemporaine et à ceux qui ne sont pas trop rebutés par le béton ! Elle permet de découvrir des archives et des maquettes qui éclairent la démarche de cet architecte des 30 glorieuses.

jeudi 18 septembre 2014

La Mutante

Merci à Albin Michel pour cet ouvrage de Marie-Laure Susini. J'étais curieuse de lire cet essai sur la place de la femme dans la société et sur sa mutation

George Sand David D'Angers
En quoi la femme actuelle est-elle une mutante ? Suis-je et êtes-vous une mutante ? 
Aujourd'hui la femme n'a besoin de personne pour réussir : elle peut se défendre, elle est indépendante par son travail et elle peut faire des enfants sans avoir même besoin d'un homme. Elle maîtrise la contraception et la procréation. Du coup, à quoi sert l'homme ? A s'occuper des enfants et à faire la cuisine ? Il s'efface progressivement derrière la femme. Plus besoin d'être féministe, la domination des femmes est en marche. Pourquoi lutter encore contre les hommes, si le patriarcat s'effondre en occident ?

Ce livre est découpé en parties biographiques

George, la prototype, Gabrielle, la révoltée et Margaret, la scandaleuse 

Ce sont les femmes émancipées d'"avant" : George Sand, Coco Chanel et Margaret Mitchell. Par le travail, par le rejet des conventions sociales, par leur indépendance vis-à-vis des hommes, ces trois femmes se sont distinguées à une époque où elles auraient dû être discrètes et effacées derrière la réussite d'un homme. Brossant à grands traits les épisodes de leur vie, Marie-Laure Susini en tire quelques "images" (résumés de ce qu'il faut retenir du portrait) et "modes d'emploi" qui rappellent fortement les pages des magazines féminins. Par exemple, "Règle numéro 8 : Ne pas chercher à comprendre le mâle. Ne s'intéresser ni à ce qu'il pense, ni à ce qu'il fait. Dès qu'il parle sérieusement, cesser de l'écouter". C'est drôle au début mais ça lasse rapidement. Et ces portraits ne sont là que pour servir un propos, pour introduire aux femmes d'aujourd'hui. Les biographies sont donc uniquement orientées vers la valorisation de l'émancipation. 

Lisbeth, l'amazone, Marissa, la madone mutante et Crista, la mutante dans son miroir 

On garde la même répartition dans la partie "Aujourd'hui" : biographie, mode d'emploi et image. Ces contemporaines sont déjà des mutantes. Elles sont fortes en tout. Les hommes sont pour elles soit à détruire (parce qu'ils font des femmes des objets), soit à dominer (parce qu'ils ne servent plus à rien). Et Lisbeth dans Millénium est bien dans cet état d'esprit : elle s'en sort toujours par elle-même.
Marissa, c'est à la fois Googirl et la CEO de Yahoo !, la fille ultra féminine et la geek, la copine et la patronne. Et la mère. Une working girl qui gère sa communication de main de maître. Bref, notre modèle à toutes (ou presque) ! Et Crista ? C'est un peu toi. Ou moi ? C'est un portrait robot dessiné à partir d'articles de magazines à propos de ces femmes qui jouent (et gagnent) sur tous les tableaux. Une fille qui n'a pas besoin d'un homme pour s'épanouir mais qui cherche quand même un mec (ou un toy boy). La superwoman qui frôle le burn-out à force de vouloir être parfaite.

Et cet ouvrage se termine sur ce titre un peu facile :

Avenir ?

Là, l'auteur met en garde la femme contre tous ceux qui voudraient lui ôter la maîtrise de son corps et de sa sexualité : pas question de laisser des religions ou des gouvernements gommer cette émancipation de la femme occidentale ! 

Cet essai m'a semblé être un long article pondu par un mensuel féminin. Il en a l'humour, la légèreté de traitement, le style et les standards (Rihanna, Demi Moore et Madonna sont volontiers convoquées). C'est une observation plus qu'une réflexion : l'examen des causes est succinct, le parti pris est uniquement celui de la femme, les conclusions tiennent de la répétition plus que de l'analyse... Bref, je sors de ce livre un peu échaudée par le style hyper journalistique (franglais à toutes les pages comme "élever les kids"), les portraits parfois simplistes des femmes convoquées et le propos qui ne m'a semblé ni révolutionnaire, ni très juste dans ses analyses. En effet, la mutante en question ressemble beaucoup à la parisienne ou à la californienne CSP+ qui a eu la chance de faire des études et de grimper les échelons d'une grosse boite (et dois-je rappeler que même là, elle gagne souvent moins qu'un homme et met plus de temps à accéder aux mêmes responsabilités ? Pourquoi laisserait-elle son mec à la maison ?). Bref, je ne crois pas  que cette mutante soit très représentative et je m'interroge : est-ce vraiment le modèle vers lequel on se dirige ? 

Quelqu'un l'a-t-il lu et est-il plus emballé que moi par cet ouvrage ? 
Je serais heureuse de discuter de tout cela avec lui : vous savez combien ce genre de sujet me passionne et combien je déplore de n'avoir pas trouvé dans ce livre de quoi réellement nourrir ma réflexion sur la place de femme !

mercredi 17 septembre 2014

365 pingouins

C'est la nouvelle année pour une famille tout à fait ordinaire dans une maison tout à fait ordinaire, jusqu'à ce que le facteur sonne avec un colis en provenance du Pôle Nord : dedans, un pingouin
Le lendemain, la même chose se produit, et bien vite tout le monde comprend que chaque jour amènera son nouveau (et très mignon) pingouin dans la maison.

Très vite, des problèmes se posent : combien de kilos de poisson pour nourrir les pingouins ? Comment les ranger ? En cube, en tiroirs de douze ? Et puis quand même, d'où viennent-ils, tous ces pingouins ? Qui est à l'origine de ces colis ?

Ce grand album pour enfants, écrit par Jean-Luc Fromental et illustré par Joëlle Jolivet, aux couleurs simples et à la patte graphique charmante ravira les amateurs de chiffres et de pingouins. Faisant partie des deux catégories, je vous avoue que j'ai fort apprécié ce cadeau ! J'ai particulièrement aimé les images, très drôles et pleines de petits détails, qui donnent envie de s'arrêter longtemps sur chaque page.

365 Pingouins Jolivet
D.R.

mardi 16 septembre 2014

L’œil du prince

J'ai sur ma LAL un ou deux titres de Frédérique Deghelt alors lorsque J'ai lu m'a proposé de recevoir son dernier roman, j'ai accepté avec joie et curiosité : j'allais découvrir cette auteur ! Et je n'ai pas été déçue de ce choix. En effet, j'ai apprécié ce roman choral dans lequel six personnes se dévoilent et révèlent leur proches. J'y ai trouvé une grande finesse psychologique et des personnages attachants. Du côté de l'écriture par contre, ces six personnages m'ont semblé assez peu différenciés malgré la variété des formes choisies (journal intime, lettre, récit). Dernier conseil avant d'attaquer ce roman : ne regardez l'arbre généalogique qu'à la fin de votre lecture, ça ne sert à rien de se spoiler tout seul !

Rodin, Eve Fairfax marbre


D'abord, c'est Mélodie qui se présente à nous. Une ado rebelle qui vit à Cannes et rêve de faire du cinéma. Une fille qui rejette son milieu social. Une fille de tête ! Elle tient son journal et nous casse un peu les pieds à se la jouer intello. Bref, Mélodie a failli ne pas me faire rentrer dans ce roman, elle m'agaçait trop avec ses grands airs.
Puis l'on rencontre Yann, bouleversé par un deuil récent. Il fuit les lieux de l'accident pour errer et se terrer lors d'un road trip américain. Et petit à petit, il se reconstruit. Yann est terriblement touchant. Son approche de la vie, sa façon de la goûter à nouveau m'ont parlé.
C'est ensuite une correspondance entre Alceste et Agnès qui nous est livrée comme un secret rescapé de la guerre. Une histoire d'amour se dessine entre deux êtres qui ne se croisent pas mais forgent un même idéal.
Puis, place à Benoît, pianiste et à Anna son épouse qui, à trente ans d'intervalle, nous font le récit d'un moment de leur existence. Hélas, le dernier paragraphe du livre est un peu de trop à mes yeux. Je m'empresse de l'oublier car il m'a un peu gâché la lecture de l'histoire d'Anna.

Il est amusant dans ce roman de repérer les jeux de miroirs entre les histoires, de voir le temps qui passe ou s'arrête sur les personnages, de noter les points de vue. A ce titre, c'est effectivement 'l’œil du prince' : le lecteur voit et comprend tandis que les personnages sont bloqués dans leurs vies, surpris par leurs mésaventures que le lecteur anticipait. Car il ne semble pas y avoir de hasard ou de chance dans leurs vies, tout est trop lié : il y a comme un destin commun qui s'écrit dans ce roman, une histoire d'amour qui s'écrit sur une soixantaine d'années.

Une lecture très plaisante malgré les quelques limites que j'ai évoquées.

lundi 15 septembre 2014

Première neige sur le mont Fuji

Il y a beaucoup de Kawabata sur ce blog en ce moment ! Il faut dire qu'il est pas mal traduit et réédité ces derniers temps. Merci à Albin Michel pour l'envoi de ce recueil de nouvelles que je ne connaissais pas encore. Toutes celles-ci se caractérisent par une impression d'interruption, d'inachevé. Les situations, très différentes, nous font ressentir une nostalgie voire une mélancolie certaines. 

Passé et temps qui passe

Première neige sur le mont Fuji

Dans cette nouvelle qui donne son titre au recueil, nous accompagnons Utako et Jiro dans une excursion près du mont Fuji. Amants avant la guerre, chacun s'est marié de son côté alors qu'ils avaient eu un enfant ensemble. Se retrouvant après le conflit, ils fuient pour une journée loin de Tokyo. Et le passé doucement refait surface. Et les comparaisons se dessinent avec les temps présents. Empreinte de mélancolie, on ne sait trop quelle relation se renoue entre ces deux êtres, s'ils peuvent même reconstruire quelque chose.

En silence

Curieuse histoire que celle de ce disciple qui vient revoir son maître, un écrivain qui ne peut plus écrire ni parler. Pour cela, il doit passer devant un crématorium que l'on dit hanté. Une histoire qui joue sur les mises en abymes et interroge sur le travail de l'écrivain.

Terre natale

Est-ce la réalité ou un rêve ? Notre héros revient sur les lieux de son enfance et y rencontre une petite fille avec laquelle il jouait enfant. Étrange remontée dans le temps, en compagnie d'êtres fantomatiques. 

Gouttes de pluie

Plusieurs familles vivent dans une même maison, leurs enfants jouent ensemble. Histoires de couples, de suspicions, sur la difficulté de vivre ensemble.

Une rangée d'arbres

Soeda découvre qu'un étrange phénomène est survenu dans son jardin. Les ginkgos du bas de sa propriété ont perdu leurs feuilles alors que ceux du haut les possèdent toujours. Personne n'arrive à se souvenir si c'est déjà arrivé ou non. Une nouvelle qui pratique elle aussi la mise en abyme et nous fait réfléchir sur le temps qui passe et les apparences... A qui et à quoi se fier ?

La jeune fille et son odeur

Amiko est une demoiselle de 17 ans que son amant aime pour sa douce odeur (entre autres). Ils se donnent rendez-vous devant un vieux temple qui abrite la tombe de la mère d'Amiko. Celle-ci s'est suicidée. Parmi les raisons de son geste, sa fille soupçonne la jalousie pour les maîtresses de son père. Qui ne semble pas spécialement bouleversé par cet acte... 

Ces six nouvelles sont teintées d'une pointe de fantastique (quelques fantômes hantent ces nouvelles), d'une pincée d'amour et de quelques évocations du passé. Le tout laisse une drôle d'impression, un peu cotonneuse et poétique, entre le rêve et la réalité. Une bien belle promenade !

dimanche 14 septembre 2014

L'Alchimiste de Khaim

Merci à Libfly et Au diable vauvert pour ce second ouvrage reçu dans le cadre de la voie des indés

Comme celui de Bordage, ce récit de Paolo Bacigalupi est un conte. Un conte de magie et de mort. Un conte qui s'intéresse aux conséquences des actes, à la notion de bien commun et d'individualisme. Imaginez un monde où tous peuvent pratiquer la magie à divers degrés. Un monde où cette magie nourrit des ronces qui, petit à petit, grignotent les villes et les campagnes. Des ronces dont on ne peut se débarrasser. Elles sont toujours plus grandes, plus solides. Et si on les brûle, des graines tombent et poussent pour remplacer le roncier carbonisé. Et si l'on s'approche trop ? On meurt, empoisonné.

C'est dans ce monde que vit notre alchimiste avec sa fille Jiala. Il s'est ruiné pour mener des recherches sur la façon de stopper cette avancée des ronciers. Et il touche au but avec son balanthast. Il va donc présenter son objet au maire de la ville. Mais une bonne invention entre de mauvaises mains peut faire plus de dégâts que ce que l'on imagine...

Si j'ai trouvé l'idée de ce court roman très intéressante, je suis un peu déçue par la façon dont elle est traitée. En effet, j'ai trouvé les personnages un peu pales, sans consistance. Ils ont très peu suscité mon empathie. Et pourtant, la question de la responsabilité collective est très intéressante. Elle nous fait penser à notre propre comportement devant la pollution par exemple : quels engagements prenons-nous ? Que sommes-nous prêts à sacrifier pour l'avenir ? 
"Doit-on laisser les siens dépérir pour éviter que les ronces ne grandissent ?" C'est la question qui se pose quotidiennement à tous les citoyens. Et puis, une petite dose de magie, ça ne peut pas faire tant de mal que cela... Mais si l'on multiplie par le nombre de citoyens : cela donne des villes noyées sous les ronces.

Un monde et un scénario intéressants qui me laissent un peu sur ma faim. Je regrette que Paolo Bacigalupi n'ait pas choisi une forme plus longue pour ce récit : j'aurais aimé en savoir plus sur la magie, sur les ronces, sur ces villes perdues ou menacées, sur les personnages... Bref, je suis un peu frustrée !

chateau ronces Collet reveries lointaines 2012

samedi 13 septembre 2014

Le Prix unique du livre à l'heure du numérique

Voici un intéressant petit essai de Mathieu Pérona et Jérôme Pouyet sur l'économie du livre

Les premières parties "Le secteur du livre" et "Le prix unique du livre : comment et pourquoi ?" s'intéressent à la chaîne du livre telle que nous la connaissons depuis la loi de 1981 qui encadre le prix des livres. L'économie du livre est particulière pour plusieurs raisons : le livre est un bien d'expérience. On ne peut que difficilement en prédire le succès car celui-ci n'est pas lié à des conditions matérielles (gps intégré, sans huile de palme, etc.) mais à un phénomène de buzz, alimenté par les médias mais surtout par le bouche-à-oreille. Par ailleurs, le livre a une vie très brève : il est exposé quelques semaines sur une table avant de rejoindre les autres "rossignols" sur les étagères. Enfin, une foultitude de titres sort chaque année : le rôle des prescripteurs est essentiel pour mettre en lumière un titre. Si le best-seller n'a absolument pas besoin qu'on l'encense, le premier roman d'un auteur ne deviendra un succès que si votre libraire, votre voisin ou un journal vous le conseille. Sinon, vous n'aurez même pas idée que ce livre existe.
Parmi les autres considérations sur la chaîne du livre, nos auteurs signalent une concentration toujours plus poussée des éditeurs (12 éditeurs vendent 80% des livres) et un éclatement des lieux de vente de livres. Et ils constatent un nombre toujours croissant de livres publiés mais une baisse du tirage moyen d'un livre.

Observant ensuite "Les effets du prix unique du livre", on se rend compte que ce prix n'a pas beaucoup augmenté par rapport à l'ensemble des activités culturelles et de loisirs. Mais nos auteurs s'interrogent sur son intérêt. Ils remarquent que la diversité éditoriale est parfois aussi vaste qu'en France dans les pays qui n'ont pas légiféré sur le prix du livre. Et ils proposent d'autres solutions pour l'économie du livre dans "Le prix unique du livre face aux mutations de l'édition". Je retiendrai notamment celle-ci, qui nécessite que l'éditeur connaisse bien l'état de ses ventes : il s'agirait de récompenser les libraires qui lancent le bouche-à-oreille autour d'un livre en proposant une marge plus importante aux détaillants qui vendent les premiers exemplaires d'un roman. C'est une façon de récompenser les libraires qui jouent réellement leur rôle de prescripteur. A l'opposé, le libraire qui vend un best-seller recevrait une marge plus faible. Intéressant, non ?

Vitrine de livres Art deco


Par contre, je m'attendais à ce que cet ouvrage parle un peu plus de l'économie du livre numérique, plutôt absent de l'analyse. Un regard sur le prix du livre, avant les débats sur Amazon et consorts.

vendredi 12 septembre 2014

Maine

J'avais entendu parler à maintes reprises de livres de Julie Courtney Sullivan. Et plutôt en bien. J'étais donc très heureuse de recevoir ce titre du Livre de poche dans le cadre de l'opération le #Camionquilivre, une librairie qui a longé les côtes françaises cet été. 

Maine nous fait rentrer dans l'intimité de quatre femmes d'une même famille. Alice Kelleher est l'aïeule. C'est une femme de caractère, veuve, très pieuse. Son mari Daniel a gagné le terrain dans le Maine sur lequel elle a passé toutes ses vacances entourée de sa famille. Cette année, le lecteur est invité à prendre quelques mois dans cette maison et son petit cottage en bord de mer. Pour des vacances assez peu reposantes... Car Maggie, la petite fille d'Alice, est à l'heure d'une grande décision. Ann Marie, la belle fille d'Alice, tente de combler le vide de sa vie de mère qu'ont quitté ses enfants. Quant à Kathleen, elle n'a pas mis les pieds dans le Maine depuis la mort de son père, trop exaspérée par les sautes d'humeur et la méchanceté de sa mère. 

On suit l'évolution des relations entre ces personnages à travers leurs regards croisés et l'on découvre petit à petit les secrets des unes et des autres. Cette histoire de famille est sympathique mais reste relativement classique. Les portraits de ces femmes sont intéressants, assez nuancés sans être d'une finesse exceptionnelle. Il ressort de ce livre des interrogations sur la vocation de ces femmes, sur leurs rapports avec les hommes, sur la transmission, sur leur fibre maternelle et sur la maternité en général. Finalement, "qu'est-ce qu'être une bonne mère" est une question qui traverse tout le roman.

Ce livre est de ceux que l'on lit sans trop y penser : écriture simple, un peu plate, personnages parfois caricaturaux, quelques longueurs... Je ne suis pas sûre que sa lecture laissera beaucoup de traces. 

Maison Newport

jeudi 11 septembre 2014

Paroles d'espoir

Sous titré "Ose devenir qui tu es", c'est un joli ouvrage illustré par Michèle Ferri qui rassemble des extraits littéraires compilés par Michel Piquemal. Tous parlent de la beauté de la vie, des rêves et de l'espoir. De longueur variable, d'une phrase à une page, en vers ou en prose, issus de la littérature française ou étrangère, tous ces textes sont plein d'une belle vitalité. Le genre d'ouvrage à ouvrir lorsque l'on ne sait plus bien à quoi ça rime !

Quant aux illustrations, elles éclairent le texte de leur lumière, de leur douceur, apportant à ce livre un côté très harmonieux.

"Si je recommençais ma vie, je tacherais de faire mes rêves encore plus grands ; parce que la vie est infiniment plus belle et plus grande que je n'avais cru, même en rêve" dit Bernanos.

Paroles d'espoir Piquemal Ferry

mercredi 10 septembre 2014

Mémoires d'Hadrien

J'ai lu ce livre de Marguerite Yourcenar au lycée. Je ne l'avais pas aimé. Mais depuis quelques années, j'avais envie de le relire, persuadée d'être passée à côté de quelque chose. Bien sûr, ma découverte de Tivoli a décuplé mon désir de replonger dans cette oeuvre. Mais prise par d'autres découvertes, je n'aurais certainement pas relu ce roman si tôt sans la LC organisée par Maggie, Claudia, Océane, Margotte et Alison.

Ce roman, c'est une longue lettre d'Hadrien, empereur malade et vieillissant, à Marc Aurèle, son successeur après Antonin. Dans celle-ci, il revient sur les différents moments de son existence, sur ses actes comme sur ses pensées, sur ses amours comme sur sa philosophie de vie. "Quand je considère ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flèche". D'une superbe finesse psychologique, ce roman nous fait pénétrer la mémoire d'Hadrien, avec les petits événements qui marquent finalement plus que les grands (souvenir de chasse, de paroles, d'initiations religieuses plus que d'honneurs). On découvre aussi sa construction spirituelle, nourrie de philosophie grecque, de poésie, de cultes grecs, romains ou orientaux. 

Jeune garçon studieux et brillant, formé à Athènes, et soldat valeureux des forêts danubiennes, Hadrien conte son accession au pouvoir et ses années de formation. C'est un garçon travailleur et philosophe :"Je choisissais ce que j'avais, m'obligeant seulement à l'avoir totalement et à le goûter le mieux possible. Les plus mornes travaux s’exécutaient sans peine pour peu qu'il me plut à m'en éprendre. Dès qu'un objet me répugnait, j'en faisais un sujet d'étude ; je me forçais adroitement à en tirer un motif de joie".

Après la mort de Trajan, Hadrien devient empereur. Voyageant sans cesse de la Bretagne à l'Orient, du Danube au Nil, il tâche de maintenir un empire pacifié, préférant les accords à la guerre. Refusant une politique de conquête, il donne aux romains des années de stabilité et de richesse. Cet âge d'or se poursuit alors qu'il vit les plus beaux jours de son amour pour Antinoüs, à la fois amant, ami et maître de ce jeune homme qu'il regarde grandir avec tendresse. Sans oublier de tremper son âme grâce à des initiations aux cultes à mystères, aux chasses et aux expériences érotiques. Quel bel éphèbe que ce Patrocle attaché à son Achille ! Empreinte de nostalgie et de regrets, cette partie "Saeculum aureum" est certainement la plus brillante du règne d'Hadrien. Mais avec la mort de son favori, tout se dégrade, la guerre reprend, la maladie de l'empereur grandit...

On redécouvre avec cet ouvrage un empereur profondément philosophe. Un homme curieux de tout, intelligent et peut-être moins mauvais que d'autres. Ses faiblesses et ses manquements ne sont pas cachés mais souvent justifiés. Il apparaît comme un homme humble, en fin de vie, oscillant entre fatalisme et espoir, entre liberté et retenue. 

Ce magnifique portrait, très documenté mais jamais pesant, est porté par la plume classique et érudite de Marguerite Yourcenar, trempée à l'encre des textes antiques. En proposant un portrait moral plus qu'historique d'Hadrien, elle en fait un personnage universel et éternel, à peine assujetti aux contraintes de son temps. Et rien de ce fait ne sonne faux dans ce roman historique, pas même l'usage de la première personne. 

Un roman que j'ai pris énormément de plaisir à relire et qui m'a fait replonger avec bonheur dans l'histoire et le monde antique. Mais aussi le genre de roman qui interroge sur ce qui fait le sens et la saveur de l'existence, qui invite à en apprécier les beautés et les joies malgré (ou à cause de) la nostalgie qu'il dégage. 

Tivoli, théâtre maritime

mardi 9 septembre 2014

Paris Belle époque, architectures 1890-1914

Ce petit livre de Maurice Culot est une façon de revivre l'expo Paris 1900 du Petit Palais. On y retrouve notamment certains dessins des archives de la CAPA.

Cet ouvrage très illustré nous introduit au contexte historique en quelques phrases avant de s'attacher à l'architecture parisienne. Celle des métros, des gares, des ponts qui signalent de nouveaux moyens de transport. Il est également question de l'architecture éphémère des expositions universelles. Et bien sûr, des lieux de spectacle et de shopping, les nouveaux théâtres et les fameux grands magasins. Les immeubles de rapport ne sont pas oubliés dans ce panorama rapide.

Ce court opus est un parcours de la capitale au pas de course, qui s'arrête rapidement sur quelques architectures sans les détailler, les citant tout au plus. C'est assez frustrant ! Heureusement, il y a de jolies images...
Bonnier, projet de buvette, expo universelle 1900

lundi 8 septembre 2014

La Nostalgie de Dieu, l'intégrââl

Cette intégrale comporte trois BD de Marc Dubuisson : La nostalgie de Dieu, Le complexe de Dieu et Le Retour de Dieu. Un dessin très simple, en noir et blanc, un décor minimaliste, un personnage schématique et des bulles impertinentes et drôles. 

Un homme en a marre de la vie et s’apprête à se jeter d'une falaise. Et là, miracle, Dieu lui parle. Enfin, lui demande de se taire. Et c'est ainsi que notre héros déprimé va pouvoir poser toutes les questions qu'il souhaite à Dieu. Des questions sur l'Eglise et la religion mais aussi sur les hommes et la société. 

La seconde partie suis Dieu chez son psy. Et ça va plutôt mal. D'abord, il n'a pas de parents. Ensuite, il a fait un transfert sur son fils. Et puis, il est immortel et misanthrope... Pas évident pour lui comme pour son psy.

Dans la dernière partie, Dieu se trouve un nouveau messie. Il s'attache à décrire son message avec lui. Et c'est loin d 'être simple !

Une BD souvent amusante et irrévérencieuse, qui sonne juste. Tout n'est pas de la même qualité et le concept s'épuise à mesure que l'on tourne les pages. Mais l'idée reste sympa, les petits personnages d'une expressivité follement rigolote, les considérations plus ou moins intéressantes... Sympathique sans être dingue.

Nostalgie de Dieu Dubuisson
D.R.

dimanche 7 septembre 2014

Le jour où la guerre s'arrêta

Merci aux éditions Au diable Vauvert et à Libfly pour l'envoi de ce roman de Pierre Bordage dans le cadre de la voie des indés.

Imaginez un enfant, sans souvenir, qui, une nuit, apparaît brusquement dans le métro parisien face à un clochard imbibé de vin. Jolie entrée en matière dans un monde qui ressemble furieusement au nôtre. A mesure de ses déplacements sur les ailes du vent (il sait parler à la matière), notre enfant, appelé tour à tour Théo ou Moïse, découvrira la tristesse, la peur, l'argent, la mort... Il plonge dans un monde où les hommes ont oublié leur liberté de faire des choix, dans lequel chacun est plus poussé vers la mort que vers la vie. Mais notre héros sait voir les sources d'amour et de joie dans chacun. Oui, oui, il lit plus ou moins dans l'âme de ceux qu'il croise. Par ses mots plein de vérité, francs et naïfs, il trouble ses interlocuteurs : il voit les maladies que l'on se cache, la peur et le désir des femmes transformé en haine de celles-ci, l'orgueil de savoir et la science qui dissimulent parfois l'ignorance... Bref, il perce à jour nos petites carapaces, nos fuites, nos mensonges.

Et il décide d'agir : il fait taire les armes pendant sept jours, une trêve qu'il veut mettre à profit pour rencontrer les chefs des hommes et, pourquoi pas, leur apprendre la paix... 

Mais lorsqu'on est un enfant dans notre monde étrange, qui nous écoute ? Un enfant, c'est suspect. Rester seul avec un enfant, c'est déjà presque de la pédophilie. Croiser un enfant dans une rue, c'est qu'il a des parents inconscients, qu'il a été enlevé, agressé ou qu'il est autiste, fou ou triso. Outre la violence et la tristesse de notre monde, Pierre Bordage souligne l'absence de place laissée aux enfants. Et pourtant, ils sont les seuls êtres à se livrer naïvement à la joie, à la confiance et à l'amour. 

Est-ce un ange, un messie ?On est ici dans la grande tradition du Petit prince qu'avait déjà ré-exploité et affadi Petite Plume. Ce conte est ici très ancré dans notre temps, notre monde et nos réalités. Il est en cela moins puissant que le livre de Saint-Exupéry. Si notre héros se défend d'être un messie, ses paroles et ses actes font de lui un être messianique. Seulement, il n'a pas de mission, il ne sait pas ce qu'est sa mission. Il erre, il cherche, et nous avec lui.

Cette lecture fut celle d'un conte : rien de plus efficace que de voir le monde à travers les yeux étonnés d'un enfant perdu. Mais je ne suis pas sûre que ce conte soit très optimiste et, sans vous raconter la fin, elle m'a un peu perturbée, voire déçue. Je sors avec une impression mitigée de cette lecture. J'ai l'impression que cette fin allait à l'encontre de tout ce que je venais de lire. Si quelqu'un a une explication à me donner, je suis à l'écoute !

Ce genre de lecture a ceci de salvateur qu'elle nous rappelle combien la vie pourrait/devrait être simple et belle. Quel meilleur exemple que cette famille indienne qui n'a pas grand chose mais qui rayonne ? Cette histoire est empreinte des philosophies de la connaissance de soi "Gnothi seauton" et de la maîtrise de soiElle invite à se défaire de ses peurs et de ses lâchetés, à suivre son chemin. Et en cela, elle est un bel appel à l'espérance.

vendredi 5 septembre 2014

Devant l'image

Sous-titré "Questions posées aux fins d'une histoire de l'art", cet essai de Georges Didi-Huberman est une lecture exigeante. Il y est question de la compréhension de l'image et de l'histoire de l'art. Quand  tu vas au musée, tu peux admirer une peinture comme celle-ci (Van Gogh, Amandier en fleurs, 1890, Amsterdam). Tu as peut-être lu et appris des choses à son sujet. Et puis, le cartel et le discours de l'audioguide (tape 21) vont t'informer. Pas de doute, tu pourras passer au tableau suivant. Et si tu n'avais pas tout appris ? Et si le conservateur qui croit si bien connaître sa collection ne savait pas tout ? Didi-Huberman apprend le doute aux historiens de l'art dans cet ouvrage... 
En voici les différentes parties :

Van Gogh Amandier en fleurs 1890

Question posée

L'auteur décrit l'histoire de l'art comme un domaine toujours plus large et complet. C'est une discipline qui nourrit un savoir, qui crée des spectacles (expositions) et fait de l'argent en cautionnant le marché de l'art. Or, l'histoire de l'art est-elle vraiment la science qu'elle croit être ? Ne se prendrait-elle pas un peu trop au sérieux ?

L'histoire de l'art dans les limites de sa simple pratique

Cette première partie commence par l'observation d'une fresque de Fra Angelico. Voilà qui me réjouit ! Et là, l'auteur nous explique qu'il existe trois entrées dans l'oeuvre : le visible (ce qui peut être décrit), le lisible (ce qui peut être traduit) et l'invisible (ce qui fait l'objet d'une métaphysique). En réalité, l'oeuvre est un agrégat de savoirs et de non-savoirs : l’attitude de l'observateur serait de se laisser saisir par l'image. Ainsi, le blanc de l'oeuvre de Fra Angelico est à la fois simple et complexe. N'est-ce pas l'incarnation du mystère chez ce peintre ?
Didi-Huberman signale que l'historien de l'art se fait piéger par deux écueils : le fait de vouloir la mort de son sujet pour être sûr de dire la vérité à son propos et le fait de se croire sûr de son savoir. Or, "l'histoire de l'art échouera à comprendre l'efficacité visuelle des images tant qu'elle restera livrée à la tyrannie du visible". N'est-ce pas une curieuse invitation à explorer l'invisible ? 

L'art comme renaissance et l'immortalité de l'homme idéal

Après Fra Angélico, Vasari, le fondateur de l'histoire de l'art et des artistes. Celui qui leur donne une légitimité et qui les empêche de sombrer dans l'oubli. L'occasion de faire un point sur le "disegno", ce dessin et dessein qui fonde la discipline comme un savoir. 

L'histoire de l'art dans les limites de sa simple raison

On entre ensuite directement dans la philosophie avec la figure de Kant qui "disloquait la conjonction humaniste de la mimesis et de l'idea esthétique, distinguant la faculté de connaitre la nature et celle de juger l'art, distinguant l'universalité objective de la raison pure et l'universalité subjective du génie". Et l'on croise Panofsky qui propose une grammaire et une symbolique des œuvres, systématisant leur lecture. Mais cette connaissance logique et rationnelle ne satisfait pas l'auteur.

L'image comme déchirure et la mort du dieu incarné

On a parlé de ce qui se voyait et faisait sens immédiatement, on a parlé des symboles qui nourrissent ce savoir mais sont moins perceptibles. Mais il y a aussi ce que l'objet ne montre pas (Merci Freud), qui se manifeste par des symptômes. Et c'est cela qui doit nourrir le doute quant au savoir en histoire de l'art. En gros, "plus je regarde, moins je sais". "Nous sommes devant l'image comme devant un trésor de simplicité, une couleur par exemple, et nous sommes là-devant -selon la belle formule d'Henri Michaux- comme face à ce qui se dérobe".

Appendice : question de détail, question de pan

Pour conclure, l'auteur examine la question du détail et du pan. Ce que par définition nous voyons mais ne percevons pas forcément. Ce qui est visible mais qui nous reste dissimulé. Ainsi, le tableau ne nous montre pas la même chose de loin ou de près. C'est un mélange de description et d'expérience, de couleur et de matière. Il y a des détails qui sont visibles et compréhensibles en tant que tels et des pans qui détonnent et dépassent dans le tableau à la façon du pan de mur jaune de Vermeer que décrit Proust (en réalité, un toit). Ce sont des objets qui sautent aux yeux mais ne sont pas nommables. Ils sont des intrusions accidentelles, liées à un trouble, qui sont aussi l'essence du tableau même s'ils ne sont pas compréhensibles.

Cet essai érudit et complexe propose un regard humble et neuf sur l'histoire de l'art et sur les œuvres. Il se nourrit de références esthétiques, philosophiques et psychanalytiques dans cette réflexion et propose des exemples parlants qui permettent au lecteur (parfois un peu démuni) de bien percevoir ce que conceptualise l'auteur. Je retiendrai de cet essai une grande liberté face à l'image : celle-ci ne se situe pas uniquement dans le domaine de la connaissance mais aussi dans un domaine plus métaphysique et inconnaissable. Et cette liberté donne une richesse beaucoup plus vaste aux œuvres ! Le genre de lecture qui me donne envie de retenter l'aventure avec Kant, que j'ai abandonné plusieurs fois ou avec d'autres philosophes comme Heidegger qui m'ont traumatisée plus jeune.