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mercredi 26 novembre 2014

Quand notre monde est devenu chrétien (312-391)

Alors que je lisais Le Royaume, j'ai croisé cet essai de Paul Veyne sur le moment où le christianisme bascule d'une religion parmi tant d'autres à LA religion de l'empire romain. Et ce moment, c'est le règne de Constantin et les années qui le suivent. 

Constantin, vous le savez sans doute, a vu en rêve le chrisme (le χ et le ρ grecs, signe du Christ) et a entendu "par ce signe tu vaincras". Le lendemain, il livre bataille contre Maxence en 312 et le vainc. Dans la foulée, il se convertit. Et cela change pas mal de choses : plus de persécutions, plus de paganisme dans les domaines qui touchent au culte de l'empereur. Pour autant, Constantin ne cherche pas à convertir tout l'empire. Le règne de Constantin reste d'ailleurs plus païen que chrétien. C'est certainement cette méthode douce de valorisation progressive des chrétiens plutôt que de conversion violente qui a facilité la christianisation. 

Parmi les questions de l'auteur, certaines s'attachent à l'empereur tandis que d'autres s'intéressent à la nouveauté que constitue le christianisme.

Pourquoi ce choix de Constantin ? Est-ce une conversion personnelle ? Un choix politique ou idéologique ? A une époque où le christianisme est minoritaire, on ne voit pas bien ce que cela peut lui apporter politiquement. Ce pourrait être un caprice, la preuve d'une superstition, la vision à long terme d'un ambitieux ou encore la volonté d'être avant-gardiste : par sa conversion, toute personnelle, il devient l'homme providentiel qui fait triompher la vraie foi et donne sa prospérité à l'empire. Bref, on comprend mal les motivations autres que spirituelles de Constantin. Par contre, on peut juger de ses actes qui favorisent l'Eglise de façon évidente : d'abord en la laissant libre, ensuite en l'enrichissant par des bâtiments, enfin en érigeant sa foi comme modèle auprès de ses proches, l'élite de l'empire. Voilà qui donne un élan à cette religion (pratiquée par environ 1/10e de l'empire sous Constantin).

A une époque où les élites se préoccupent des questions philosophiques afférant à la nature de l'âme, il est évident que le christianisme apportait des éléments au débat. Il se présente comme une doctrine, une philosophie de vie autant qu'une religion et répond aux questions sur notre origine et notre fin. Et la nature de son message, qui touchait à la vie personnelle de chacun et prônait l'amour, était original et propre à séduire ces élites. Quand on y pense quelques secondes, c'est dingue ce dieu qui s'intéresse à chacun. On est loin des dieux des philosophes, indifférents au monde. 

Et ce qui est efficace, c'est que le christianisme n'est pas qu'une religion, c'est aussi une morale, une métaphysique, une spiritualité et une Eglise. Il encadre tous les aspects de la vie. En cela, il est séduisant car il n'entre pas uniquement dans le cadre d'un culte, il participe à la vie sociale et personnelle. C'est aussi une religion prosélyte et exclusive. Constantin n'insiste pas trop sur l'exclusivité mais ses successeurs s'y attachent. C'est ainsi qu'au IVe siècle, le paganisme est interdit dans l'empire romain. 

Pourquoi ce succès du christianisme ? Après Constantin, tout aurait pu rentrer dans l'ordre. Après tout, Julien dit l'apostat a favorisé le paganisme aux dépens du christianisme et cela aurait pu orienter tout autant l'empire. Selon Veyne, c'est la défaite du païen Arbogast devant Théodose qui a tranché la question en 394. Même si le paganisme survit quelques siècles dans certains lieux... Au VIIe siècle, on estime que le christianisme touche la majorité de la population. Cela est dû au maillage d'églises et d’évêques qui exercent une autorité sur les villes. Le vivre ensemble chrétien devient la norme.

Enfin, Veyne s'interroge sur les racines chrétiennes de l'Europe. Et les récuse. Pour lui, le christianisme a préparé le terrain de l'humanitarisme, il est un élément historique parmi tant d'autres mais certainement pas l'origine de l'Europe telle que nous la connaissons. Et dans l'appendice, il est question du judaïsme ancien, examiné selon le prisme du polythéisme ou de la monolâtrie. 

Cet ouvrage d'un historien sur le moment qui a fait basculer l'empire est très intéressant. Il insiste sur l'originalité du christianisme, sa pertinence et son universalisme. Sans nous rendre réellement claires les raisons de la conversion de Constantin, il propose des pistes qui bousculent les idées reçues et les faux sens, notamment sur les monnaies. Il insiste sur la démarche personnelle de l'empereur, à telle point que c'en est troublant, on touche presque à sa psychologie. Et ce qui est complexe à trancher, c'est ce qui se passe dans la population, dans l'intime de chacun, ce que Veyne passe sous silence, certainement faute de sources. Qui sait ce qu'était la louange ou l'oraison de Constantin ou de ses esclaves ? Avec sa plume claire, ses hypothèses et arguments très étayés, Veyne propose au lecteur une lecture de l'histoire très inspirée, qui peut venir contredire d'autres historiens, toujours cités et explicités.

Christ, tombeau constance

8 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour ce compte-rendu de lecture. J'avais repéré aussi ce livre. Je suis déjà en train de lire une synthèse monumentale sur les trois monothéismes, donc je ne vais probablement pas lire Paul Veyne tout de suite, mais ton avis me rassure, l'ouvrage a l'air assez agréable à lire. Je le lirai un peu plus tard en 2015, peut-être ;)

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    1. Celui-ci est réellement un livre d'histoire, qui revient sur le moment du basculement. On ne rentre pas dans le détail de ce qu'il s'est passé avant, ni dans tout ce que recouvre le christianisme, c'est assez spécialisé. Mais loin d'être inintéressant ou complexe à comprendre.

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  2. Deux billets très intéressants que je viens de lire, très clairs, celui sur Cassandre et celui-ci. ( Dois-je les considérer comme ta participation au projet non-fiction ? )

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    1. Merci :)
      Oui, ils participent au projet avec L'homme rouge. Je t'envoie un mail avec tout ça !

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  3. Je note bien sûr , comme lecture post Le royaume;

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  4. Le Royaume m'attend toujours dans ma liseuse. Sa taille me rebute un peu.

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