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lundi 24 août 2015

Sacrée croissance !

Après le film, le livre. Marie-Monique Robin a choisi de publier en complément de son documentaire une uchronie : comment vivrions-nous en 2034 si François Hollande avait lancé en 2014 la "Grande Transition" ? Il s'agirait d'un moment de clairvoyance politique rare pendant lequel un président aurait assumé de renoncer à la croissance et proposé de s'attaquer véritablement au problème du réchauffement climatique. L'uchronie revient sur les moments clés de cette transition à travers l'étude de divers facteurs.

En introduction, Matthieu Ricard lance des questionnements intéressants sur notre façon de vivre. Reprenant une citation de R. Kennedy, "En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue", il interroge sur cette omnipotence de la croissance qui "oublie de comptabiliser comme coûts les dégâts qu'elle occasionne, nous appauvrit au lieu de nous enrichir". Est-ce que ça ne fait pas tilt quand vous lisez :"A quoi bon une nation qui serait richissime et toute-puissante, mais dans laquelle les gens ne seraient pas heureux ?" ou "La simplicité volontaire ne consiste pas à se priver de ce qui nous rend heureux -ce serait absurde-, mais à mieux comprendre ce qui procure une satisfaction véritable et à ne plus être assoiffé de ce qui engendre davantage de tourments que de bonheur". Tout un programme ! 

Après cette introduction dense, on plonge dans l'uchronie de Robin. Et j'avoue que la forme ne m'a pas emballée plus que cela. Outre son côté un peu superficiel et forcé, le côté politique m'a pas mal gênée. Faire de François Hollande un héros, pourquoi pas, mais l'adhésion de ses ministres me laisse un peu rêveuse. Bref, si on oublie la forme, le fond reste intéressant. Voilà comment se présente l'ouvrage.

Hiver Galen Kallela

I. La grande idéologie

1. Le mythe de la croissance

Dans cette partie, petit retour sur ce qu'est la croissance, avec une rapide histoire économique. Comment peut-on imaginer toujours plus de croissance dans un monde limité, dont les ressources diminuent ? Dommage que le vocabulaire employé comme "L'intoxication générale" fasse un peu trop société totalitaire... Idem pour pas mal de titres ou d'expressions du livre.

2. L'alliance avec le diable

On continue sur les questions économiques et notamment sur la répartition des richesses, sur la consommation 'utile' ou non, sur le PIB, etc.

3. La fuite en avant

Dans ce chapitre, rendez-vous avec le productivisme et la société de consommation. 

Cette partie sur la croissance convoque des économistes et des historiens pour expliciter les tenants et aboutissants de notre société libérale. La conclusion de Richard Heinberg, chercheur au Post Carbon Institute est sans appel : la croissance ne peut pas revenir "en raison de la convergence de trois facteurs : le premier est l'augmentation inéluctable du prix du pétrole ; le deuxième est le coût croissant des impacts du processus industriel, principalement liés au changement climatique (inondations, incendies, sécheresses, tempêtes...) ; le troisième est notre dépendance extrême à la dette, qui n'a cessé de grimper pour stimuler artificiellement la croissance depuis plusieurs décennies".


II. Le grand gâchis

4. Y'a plus de pétrole !

C'est à ce moment du livre qu'on réalise à quel point tout ce qui nous entoure est le fruit de l'or noir. Le pétrole, c'est un peu notre drogue. Et l'on peut imaginer qu'une autre ressource pourra le remplacer, que le progrès technique pourra nous sortir de l'impasse... mais faut pas fonder trop d'espoirs là dessus. 

En plus, en raison de l'effet rebond, les améliorations techniques ont forcément des impacts :"un effet rebond direct où le gain d'efficacité est utilisé pour consommer davantage le même type de produit : une voiture qui consomme moins d'essence permet de rouler plus longtemps et plus loin pour le même coût ; un effet rebond secondaire où le gain d'efficacité autorise la consommation de produits différents : les économies d'essence réalisées sur les trajets quotidiens permettent d'acheter un billet d'avion pour une destination lointaine ; l'effet rebond peut aussi avoir un effet sur l'économie globale : le développement de la voiture favorise les supermarchés face aux petits commerces et modifie l'urbanisme".


5. La menace de l'effondrement

Pour noircir un peu le scénario, retour sur les civilisations ayant disparu suite à la destruction de ses ressources avec l'île de Pâques et les Mayas. Voici les facteurs à surveiller : "la déforestation et la destruction des habitats naturels (érosion des sols et salinisation), des aléas climatiques sévères, la surchasse et la surpêche, les effets d'espèces introduites sur les espèces natives, la croissance démographique et l'augmentation de l'impact écologique par habitant". 

Le plus raisonnable, ce serait donc de se calmer un peu. Mais pourquoi est-ce qu'on ne fait rien ? Là, on reprend le dilemme du prisonnier. "Si j'y renonce et que les autres n'y renoncent pas, mon pays sera ruiné ; si je n'y renonce pas et que les autres y renoncent, il sera toujours temps d'aviser ; si j'y renonce et les autres aussi, c'est formidable, mais ça n'arrivera jamais, alors continuons comme toujours...". Et pourtant, si l'on en croit les experts interviewés, plus on attend, plus ça nous coûtera cher en vies et en argent. 

6. L'argent fou

Alors, malgré toutes ces mises en garde, pourquoi ne dit-on pas stop à la croissance, visiblement incompatible avec la baisse des émissions de CO2 ? Parce que la croissance est un cercle vicieux -ou vertueux selon les points de vue : "Quand les consommateurs arrêtent d'acheter, les problèmes commencent : la baisse de la demande entraîne une baisse de la production, et donc de l'emploi et des revenus". Et pourtant, il suffirait de peu pour changer les choses :"travailler moins, créer plus, dépenser moins et se connecter davantage".

Là, on s'attarde sur l'endettement des ménages, les prêts à la consommation et la financiarisation de l'économie... et sur les répercussions des jeux des banques sur nos existences. C'est un sujet important, sur lequel l'auteur revient ensuite dans son chapitre sur la monnaie.

III. La grande transition

7. La nouvelle révolution agricole

Premier lieu du changement pour Robin : notre agriculture. Ras-le-bol de l'agriculture industrielle dopée aux insecticides et aux produits chimiques qui abîment les terres et nos corps, des exploitations qui polluent plus que des usines, des aliments qui font des centaines de kilomètres. Pourquoi ne pas renouer avec les petites exploitations et avec une alimentation de proximité. Comment faire pour les villes ? Cultiver dans les villes, bien sûr. Et c'est l'objet du chapitre suivant.

8. Les fermiers urbains, lanceurs d'avenir

L'idée de l'agriculture urbaine est en pleine expansion, notamment aux US et au Canada nous dit Robin. Et où planter ? Un peu partout où c'est possible et même sur les toits. 


9. La révolution énergétique

Deuxième lieu du changement ? L'énergie, bien sûr. Parce qu'on a bien compris que le pétrole, le charbon et tout ces bidules là, ça produit pas mal de CO2... Et que le nucléaire, c'est peut-être pas le meilleur plan. L'idée est de passer aux énergies renouvelables : biomasse, éolien, solaire, hydroélectricité. 

Alors là, ça me questionne. Est-ce vraiment si efficace ? Si l'éolien et le solaire produisaient réellement beaucoup d'énergie, pourquoi n'aurait-on pas investi là-dedans ? C'est ce que ferait assez logiquement une société tournée vers la croissance, non ? Quel est le prix en CO2 et en matériaux rares du solaire (parce qu'il y a des composants un peu évolués là-dedans), pour quelle durabilité et quelle production ? Idem pour l'éolien. Ce n'est pas neutre environnementalement : tu te retrouves avec des tonnes de bétons. Et je ne parle même pas de l'esthétique ! Et l’hydroélectrique : on a déjà de grands barrages sur le territoire. Et là où ça pouvait être efficace, ça a dû être fait, non ?


10. La révolution monétaire

Troisième lieu du changement, la monnaie. Avec l'exemple des monnaies locales, l'auteur signale que l'on peut investir plus fortement dans la bonne santé de son territoire. "Nous avons découvert qu'à peine 20% des habitants faisaient leurs achats dans le quartier, les autres achetaient à l'extérieur. Nous étions pauvres parce que l'argent que nous gagnions péniblement ne profitait pas à la communauté [...] Notre première décision fut d'accorder des microcrédits à la production pour soutenir la fabrication locale des choses dont les gens avaient besoin pour vivre [...] les territoires organisent leur autonomie maximale pour assurer le bien être de leur population tout en étant en relation avec l'économie globale, dont l'influence doit être réduite au maximum". Si les exemples et les résultats exposés sont très enthousiasmants, les clés du fonctionnement de cette monnaie ne sont pas très claires, notamment pour les investissements et les prêts. On aimerait plus de détails et d'infos, que l'on ne trouve pas non plus vraiment sur les sites web des monnaies locales existant.


11. La société postcroissance et le laboratoire du Bhoutan

Le livre se clôt avec l'étonnant pays du "bonheur national brut", le Bhoutan. L'objectif de ce pays n'est pas de développer son PNB mais le bien-être et la résilience de ses habitants. La résilience ? C'est un mot à la mode que l'auteur explique ainsi :"Dessinez un cercle imaginaire, mettez votre famille au centre et réfléchissez à tout ce qui doit entrer et sortir pour assurer son bonheur : l'argent, les déchets, la nourriture, l'énergie, l'information, etc. Imaginez que l'un de ces flux est interrompu pendant une heure, un jour, un mois. Que pouvez-vous faire pour soutenir votre famille pendant cette interruption ? Cet exercice mental vaut aussi pour votre quartier, votre usine, votre école, votre pays, à tous les niveaux vous trouverez des mesures utiles".

Alors, que se passe-t-il au Bhoutan ? Que font-ils pour être heureux ? Ils s'appuient sur quatre piliers : la conservation de la nature, la promotion de la culture, le développement d'une économie soutenable et la bonne gouvernance. 
Est-ce que ça marche vraiment ? Visiblement, les populations ne sont pas malheureuses (elles sont sondées régulièrement) mais cela parait être le rêve fou d'un monarque éclairé. Est-ce possible à plus grande échelle ? 

Grâce à cette uchronie, Marie-Monique Robin permet d'entrevoir un avenir dépourvu de croissance mais non de bonheur. Un avenir plus heureux que celui des crises économiques et climatiques qui nous guettent. Mais, malgré son enthousiasme, certains points restent un peu trop flous selon moi. Et, à vouloir montrer qu'il n'y a que cette voie si l'on veut éviter la dégradation brutale de nos milieux et de nos vies, on a envie de la contredire, de lui demander plus de preuves. Bref, d'interroger un peu plus les experts en question. Et de nuancer deux ou trois trucs.

Mais l'intention est bonne, celle de nous sortir de notre immobilisme et de nous alerter. Et je ne peux que souscrire à cette conclusion en forme de citation: "On arrive au bonheur personnel, sans le chercher mais en travaillant plutôt au bonheur de l'humanité" selon John Stuart Mill.

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