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lundi 13 avril 2020

La dame blanche


Dans ce livre, les pages de la vie d’Emily Dickinson, poète et recluse, sainte sous la plume de Bobin. Pas une biographie qui cavale, de la mort à la mort. Mais quelques évocations, des instants choisis, délicats, des moments de la vie ordinaire, d’une femme qui s’habillait de blanc, cuisinait, soignait les fleurs et l’écriture. Une femme sensible. Une musicienne aussi. Et dans cette suite de jours, quelques visages se détachent, celui d’Austin et de Vinie, son frère et sa sœur, de Sue, la belle-sœur adorée, la rudesse d’un père et la faiblesse d’une mère. Et des amies et amis qui viennent la visiter, parfois sans même la voir, séparés par les murs que la recluse ne franchit plus.


Comme souvent avec Bobin, c’est l’écriture qui marque et plait, plus que le sujet, d’ailleurs entraperçu. Peu de dates, de faits et d’événements mais plutôt des sensations, des rencontres et la vie qui passe là-dessus. Une lecture qui donne envie de découvrir les poèmes de la dame blanche, espérant y retrouver la douce sensibilité que lui donne Bobin : « Certaines personnes sont si ardemment présentes à elles-mêmes que, devant elles, on se découvre douloureusement une âme »


« Edward est emmuré vivant, comme le sont tous les hommes de Devoir »
« Les fantômes se penchent sur le berceau d’Emily. Ils regardent celle qui sera leur scribe, dont l’irradiante sensibilité traverse déjà le mur d’inattention qui sépare les absents des présents. Un poète, c'est joli quand un siècle a passé, que c'est mort dans la terre et vivant dans les textes. Mais quand c'est chez vous, un enfant épris d'absolu, bouclé dans une chambre avec ses livres, comme un jeune fauve dans sa tanière enfumée par Dieu, comment l'élever ? Les enfants savent tout du ciel jusqu'au jour où ils commencent à apprendre des choses. Les poètes sont des enfants ininterrompus, des regardeurs de ciel, impossibles à élever »
« L’inexplicable d’un lien est la meilleure preuve de l’existence d’un Dieu qui s’amuse beaucoup à mettre les uns en rapport avec les autres, pour compter les étincelles et les coups. Que veut Samuel Bowles, que veut l'homme du dehors ? Il veut la vie la plus intense. C'est un homme moderne : il croit que rien n'est plus intense que ce qu'on appelle un "événement" - quelque chose qui fait du bruit, qui va vite et qu'il ne faut absolument pas manquer. Mais un événement n’est le plus souvent qu’une épiphanie du néant, un feu follet courant au-dessus du grand cimetière du monde. Et que veut Emily Dickinson, que veut la femme du dedans ? Elle aussi veut la vie la plus intense, mais elle la cherche du côté de la vie timide, lente et silencieuse, sur le versant ombragé des jours, là où les pâquerettes dodelinent de la tête sous le poids de la rosée, et où les agonisants cherchent à avaler une ultime gorgée d’air. Personne ne peut être plus loin d’Emily que Samuel Bowles – une chance pour elle, l’occasion inespérée d’agrandir par un amour la lumineuse douleur de vivre »
« Derrière la porte fermée à clé de sa chambre, Emily écrit des textes dont la grâce saccadée n'a d'égale que celle des proses cristallines de Rimbaud. Comme une couturière céleste, elle regroupe ses poèmes par paquets de vingt, puis elle les coud et les rassemble en cahiers qu'elle enterre dans un tiroir. "Disparaître est un mieux. "À la même époque où elle revêt sa robe blanche, Rimbaud, avec la négligence furieuse de la jeunesse, abandonne son livre féerique dans la cave d'un imprimeur et fuit vers l'Orient hébété. Sous le soleil clouté d'Arabie et dans la chambre interdite d'Amherst, les deux ascétiques amants de la beauté travaillent à se faire oublier. »
« Parler sans fin de ce qui se dérobe sans fin est une jouissance en regard de laquelle toutes les autres ne sont rien. Rencontrer quelqu'un, le rencontrer vraiment - et non simplement bavarder comme si personne ne devait mourir un jour -, est une chose infiniment rare. La substance inaltérable de l'amour est l'intelligence partagée de la vie »
« Un lecteur d'Amherst, après avoir lu l’avis de décès lui confirmant qu'il est, lui, bien vivant, se souviendra quelques secondes de celle qui éblouissait le ciel avec ses camélias et ses jasmins, puis il passera à autre chose ignorant qu'en tournant la page du journal il venait d'enterrer la sainte du banal »

1 commentaire:

  1. J'ai lu un très beau roman de Dominique Fortier sur Dickinson... du coup, je suis curieuse... et il a rejoint ma liseuse!

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