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mercredi 13 mai 2020

La panthère des neiges

L'Amoureux a pris des risques en m'offrant ce roman de Sylvain Tesson. En effet, ma rencontre avec Dans les forêts de Sibérie n'augurait pas d'une future lecture. J'ai donc ouvert le livre avec un peu de réticence, motivée simplement par la possibilité de rencontrer la panthère du titre, un de mes animaux favoris. J'adore leur démarche, leur longue queue balancier, leur solitude et leur beauté.

Embarqué avec Munier, Marie et Léo dans la recherche de la panthère, notre narrateur part au Tibet, en plein hiver, pour tenter de la voir. Et de la prendre en photo. C'est un récit de voyage un peu différent. Pas d'hommes ou peu. Des animaux. Des étendues glacées. Des jours d'attente et de patience. Cela semble ennuyeux mais c'est passionnant. C'est la redécouverte de la nature, d'un monde en mouvement, auquel nous ne prêtons même plus attention, pris par un mouvement incessant, une frénésie sans but. 
C'est aussi une quête, celle d'un animal presque disparu, discret, secret. On l'attend, la star du roman. Et joyeusement, elle se montre aux plus patients. 
C'est le froid - et c'est certainement ce que j'ai le moins aimé. Comment ont-ils fait pour rester ainsi immobiles dans des températures polaires ? Un froid qui ralentit, qui anesthésie, qui rend plus humble quelque part. Ode à la patience aurait pu être le titre de l'ouvrage, ou au temps retrouvé. Un temps de contemplation d'une nature pleinement vivante, loin des hommes qui la mutilent. Car si nos panthères sont si rares, c'est bien parce que leurs peaux sont mises à prix. 

"J'avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre le transformer. Elle invitait à s'asseoir devant la scène, à jouir du spectacle, fût-il un frémissement de feuille. La patience était la révérence de l'homme à ce qui était donné"

Ouvrage porté par une langue élégante, il me réconcilie avec Tesson, dont je lirai peut-être d'autres romans ! Ne serait-ce que pour continuer à réfléchir mon rapport au monde, à sa destruction par l'homme et aux moyens de ne pas le faire. 


J'ai glané pas mal de phrases inspirantes : 
""J'ai beaucoup circulé, j'ai été regardé et je n'en savais rien" : c'était mon nouveau psaume et je le marmonnais à la mode tibétaine, en bourdonnant. Il résumait ma vie. Désormais je saurais que nous déambulions parmi des yeux ouverts dans des visages invisibles. Je m’acquittais de mon ancienne indifférence par le double exercice de l'attention et de la patience. Appelons ça l'amour [...] "Là, en face, sur le talus, un renard, à cent mètres !" me disait Munier comme nous traversions la rivière sur la glace. Et je mettais longtemps à voir ce que je regardais. J'ignorais que mon œil avait déjà capté ce que mon esprit refusait de concevoir. Soudain se composait la silhouette de la bête comme si pigment par pigment, détail par détail elle se précisait dans les rochers, se révélant à moi"
"Les génies de l'humanité étaient des hommes qui avaient choisi une voie unique, sans dévier. Hector Berlioz voyait dans l'"idée fixe" la condition du génie. Il soumettait la qualité d'une oeuvre à l'unité du motif. Si l'on voulait passer à la postérité mieux valait ne pas butiner"
"A la fenêtre de sa chambre, sur la terrasse d'un restaurant, dans une forêt ou sur le bord de l'eau, en société ou seul sur un banc, il suffisait d'écarquiller les yeux et d'attendre que quelque chose surgisse. On ne l'aurait jamais noté si l'on ne s'était pas maintenu aux aguets. Et si rien n'arrivait, la qualité du temps passé s'était trouvée accrue par l'attention portée. L'affût était un mode opératoire. Il fallait en faire un style de vie.
Savoir disparaître relevait de l'art. Munier s'y était entraîné pendant trente ans, mêlant l'annulation de soi à l'oubli du reste. Il avait demandé au temps de lui apporter ce que le voyageur supplie au déplacement de lui fournir : une raison d'être"
"Que choisir ? Vivre maigre sous les voies lactées ou ruminer au chaud dans la moiteur de ses semblables ?"
"Je croyais depuis longtemps que les paysages déterminent les croyances. Les déserts appellent un Dieu sévère, les îles grecques font pétiller les présences, les villes poussent au seul amour de soi, les jungles abritent les esprits. Que des Pères blancs aient réussi à conserver leur foi en un Dieu révélé au milieu des forêts où criaient les perroquets me paraissait un exploit. Au Tibet, les vallons glacés annulent tout désir et déclenchent l'idée du grand cycle. Plus haut, les plateaux harassés de tempêtes confirmaient que le monde était une onde et la vie un passage"

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