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lundi 15 décembre 2014

Les contes de fées et l'art de la subversion

lectrice de contes
Vous commencez à connaitre mes lectures et centres d'intérêt. Parmi eux, les contes et leur influence en littérature, psycho et sociologie. Avec cet ouvrage de Jack Zipes, déjà ancien, on s'intéresse au rôle social du conte.

Voilà un livre que j'avais noté depuis des années mais que je soupçonnais moins sexy que son titre le laissait imaginer. Le sous-titre n'aidait pas "Etude de la civilisation des mœurs à travers un genre classique : la littérature pour la jeunesse". Erreur fatale ! Cet essai de Jack Zipes est tout à fait passionnant. Il s'interroge sur l'histoire sociale du conte de fées, sur son utilisation comme discours moralisant par les conteurs. Etudiant les contes depuis Perrault jusqu'à Dumas et Moissard, il s'arrête sur quelques contes qu'il décortique, de façon très différente de Bettelheim. Pas de psychologie ici, plutôt de l'histoire littéraire et sociale.

Le propos est construit autour d'une progression chronologique. On part du XVIIe siècle avec Charles Perrault, on suit les frères Grimm, Andersen puis l'on fait un petit détour par les subversifs du XIXe comme Wilde avant de s'intéresser aux années 20-40 en Allemagne et aux contes contemporains.

1. Le discours du conte de fées : vers une histoire sociale du genre

Le conte n'est pas créé au XVIIe siècle, il circule sous forme orale bien avant que Charles Perrault ne les écrive. Mais c'est avec lui et sa production, agréée par la Cour, que nait le conte porteur des codes sociaux de l'époque. Il nait à une époque où l'enfant est considéré comme un être moral, à qui l'on doit donner des codes. Dans cette partie introductive, l'auteur annonce le rôle manipulateur des contes. Ne sont-ils pas nés de la volonté de donner des leçons de morale ?  

2. L'établissement des modèles de civilisation par les contes de fées : Charles Perrault et ses contemporaines

Perrault, c'est un peu le créateur du conte de fées. Partant d'une tradition orale, il en fait un genre littéraire à part entière, lui donnant ses lettres de noblesse. Avec ce passage, c'est la personne à qui est destinée le conte qui évolue. D'un auditoire et de héros adultes, il élargit le cercle des lecteurs au monde enfantin. Pas n'importe lequel, celui des classes aristocratiques, que l'on souhaite ainsi éduquer. A la jeune fille, il est proposé de cultiver réserve, patience et discrétion en attendant que son prince la demande en mariage. Quant au héros, il doit être rusé, courageux et ambitieux. Aux femmes, la beauté et aux hommes, le cerveau. Oui, les contes expriment bien la mentalité classique et sexiste du XVIIIe siècle...
Perrault est l'artisan de la vogue du conte au XVIIIe siècle et alimentera les auteurs du XIXe, de Goethe à Hoffmann. Sans se soucier réellement de la version première (et orale) du conte, il le plie à ses besoins. 

3. Qui a peur des frères Grimm ? Socialisation et politisation dans les contes de fées

Quand on relit les contes de Grimm, il n'est pas rare d'y lire des comportements sexistes également. Au programme : valoriser le modèle bourgeois soit la compétition et la richesse pour les garçons et le dévouement pour les filles. "Ils souhaitaient voir la riche tradition des classes pauvres utilisée et acceptée par la classe moyenne montante". Les contes, issus des classes populaires, s'embourgeoisent (ils justifient la répartition des rôles selon les sexes) et s'étoffent (en longueur, en style, etc.). C'est ce modèle qui est beaucoup repris par les médias, le cinéma etc. avec un processus d'identification facile et efficace.
Bien entendu, ces contes font hurler les psychologues qui y lisent un cadre normatif trop étroit pour l'enfant. Il est amusant de voir que certains contes ont pu être réécrits en valorisant des valeurs de coopération plutôt que d'ascension sociale mais qu'ils n'ont pas bénéficié de la même diffusion que les incontournables Grimm...

4. Hans Christian Andersen et le discours du dominé

Andersen, c'est un peu le pleurnichard et le vaniteux du groupe. Ses valeurs ? Le salut par le dévouement, qui va jusqu'au sacrifice de soi, le respect des règles protestantes pour rejoindre les classes aristocratiques. Il véhicule une haine de la pauvreté et un désir puissant d'ascension sociale. Pour l'auteur, ses contes sont un miroir des frustrations d'Andersen. 

5. Comment renverser ou subvertir le monde par l'espoir : les contes de fées de Georges MacDonald, Oscar Wilde et L. Frank Baum

Au contraire des précédents, les contes de ces trois auteurs visent à critiquer le discours dominant, à questionner la société, ses mœurs et son gouvernement. De modèle à suivre, le conte devient matière à penser, porteurs d'autres styles de vie. 
MacDonald construit des sociétés où les hommes se développent de façon coopérative, sans exploiter l'autre. Ce sont des êtres spirituels, qui cherchent à s'améliorer, sans s'inquiéter des différences de sexe. 
Wilde subvertit les contes classiques et ne propose pas de happy end. Il met le sacrifice au cœur de ses histoires. Pour découvrir Le Prince heureux et quelques autres contes
Baum imagine un monde qui, par l'utopie, fait voler en éclats le rêve américain. Il donne un sens politique à Oz et interroge les idéologies dominantes. 

6. La bataille autour du discours du conte de fées : famille et socialisation en Allemagne, sous la République de Weimar et pendant la période nazie

Le conte de fée a subi quelques modifications au début du siècle. Il n'a pas forcément été réécrit mais réinterprété par les gouvernements au pouvoir. Il peut apparaître comme un repoussoir anachronique qu'une société nouvelle a rendu obsolète. 

7. Le pouvoir libérateur du fantastique dans les contes de fées contemporains pour enfants

Les contes écrits après les années 1960 insistent sur la liberté des héros, leur lutte contre des éléments aliénants. Ancien objet de morale, il devient lieu de l'émancipation. Il n'y a plus de valeur et de modèle uniquement féminin ou masculin. Mais la diffusion plus faible de ces nouveaux contes par rapport à celle des grands classiques que sont Grimm, Perrault ou Andersen limitent leur efficacité sociale. Bref, ce sont les adultes qui lisent les contes qui orientent leurs choix selon leurs propres objectifs. Voilà qui devrait nous rendre plus attentifs aux premières lectures faites aux enfants...

Mon seul regret est que cet ouvrage commence à franchement dater. Il serait intéressant d'étudier si la situation a évolué...

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