Pages

mardi 28 avril 2015

La Comtesse de Rudolstadt

Encore George Sand ? Ecoutez, j'avais laissé la petite Consuelo aux portes de Berlin, je n'allais tout de même pas l'abandonner là ! Ce livre est en effet la suite de Consuelo et il nous présente non plus un voyage terrestre mais un voyage spirituel.

En effet, Consuelo reste un bon bout de temps à Berlin et en Prusse, d'abord comme cantatrice puis comme prisonnière. Devenue la Porporina, du nom de son professeur chéri, elle est tous les soirs sur les planches de l'opéra de Berlin. Mais l'ambiance n'est pas à la fête car Frédéric II n'est pas aussi cool qu'il en a l'air. Entouré de Voltaire, d'Argens et La Mettrie, il se donne des airs de roi philosophe, de prince des Lumières. Mais la réalité est plus sombre et chacun tremble devant sa dictature. Seule Consuelo y semble indifférente et se comporte avec la même vérité et humilité que nous lui connaissons. Cela la rend chère à la princesse Amélie, qui complote un peu, et à Frédéric II, qui se souvient de son bon cœur. Mais ne dure qu'un temps. Car le roi est soupçonneux et Consuelo sans soutien... Elle se retrouve bien vite en prison. 
Et d'une prison dans une autre... Enlevée par un homme mystérieux, elle est désormais aux mains d'une société secrète, les Invisibles. Dans une tradition du secret et des épreuves, la jeune chanteuse est petit à petit initiée à la philosophie, à la politique et à l'histoire. Sa foi simple et ardente devient une foi humaniste plus que religieuse. Bref, elle est appelée à un nouvel éveil spirituel. Mais il n'est pas sans douleur car Consuelo est tombée amoureuse de son libérateur, Liverani, et doit, pour être initiée, le repousser sans cesse.

Gallen Kallela Ad astra

Si ce tome est beaucoup moins axé sur les rebondissements permanents, on y retrouve le goût un peu gothique et romantique du mystère, des secrets, voire des fantômes et des ruines. Il passe aussi à un autre niveau, moins romanesque et plus philosophique et politique. Avec Consuelo, George Sand nous interroge sur ce vers quoi doit tendre la société, sur ses idéaux et sur les moyens qui sont pris pour y parvenir. Je lui reprocherai toutefois d'être parfois bavarde et de camper des personnages un peu trop dogmatiques. On frôle le préchi-précha, notamment avec les discours de Wanda et la lettre de Philon ! Mais la réflexion globale reste intéressante : G. Sand met en perspective les aspirations de ces sociétés secrètes et les violences de la Révolution, dont leur action, toute pacifique, a été le prélude. Bref, le côté franc-maçon m'a un peu fatiguée de même que les histoires d'initiation. J'aurais bien raccourci certains passages. Mais l'ensemble est plutôt réjouissant et bien pensé ! De même, les réflexions sur l'amour et le mariage sont pertinentes et toujours d'actualité. Un roman qui montre bien l'implication sociale de G. Sand.

Et vous, amateurs de sociétés secrètes ou non ? Qu'en dites-vous lorsque votre roman devient une démonstration philosophique ou morale ? 

lundi 27 avril 2015

De l'amphore au conteneur

Malgré son titre peu sexy, cette exposition du musée de la Marine vaut le détour ! Même si la marine marchande ne vous passionne pas. Car tout est fait pour vous la rendre intéressante et accessible. A travers plus de 2000 ans de commerce maritime, j'ai pu découvrir l'évolution des bateaux, des ports, des marchandises et de leurs contenants, des métiers, etc.

Tout commence avec le commerce antique (trop bien !). Amphores et dolia voyagent à travers la Méditerranée. Et surtout sur les fleuves. Outre les conteneurs (amphores de toutes tailles et formes, scellées par des bouchons de liège ou de terre cuite) et leurs contenants (évoqués dans chaque section à travers leurs odeurs), on s'intéresse aux bateaux. Un petit jeu vous sera proposé à chaque grande période de l'expo sur la ligne de flottaison des navires, leurs points d'équilibre, bref, tout ce qui fait qu'ils sont plus ou moins vulnérables au poids et au déplacement de la cargaison - surtout sur une mer agitée. En outre, un dispositif pédagogique récapitulatif, le "navire du bout des doigts", vous permettra de tout savoir sur le navire le plus courant de chacune des périodes (vitesse, taille, espace de stockage, etc.) Enfin, un petit dessin animé est diffusé pour mieux comprendre comment se faisait le commerce, quels dangers courraient les armateurs et quels procédés étaient utilisés dans les ports. Bravo, tous ces dispositifs sont ludiques et pédagogiques mais ne lassent ni ne prennent le pas sur les objets exposés.

De l'amphore au conteneur Musee Marine
Dispositifs de médiation de l'expo © Musée de la Marine

Au Moyen Age, les mers explorées ne sont guère plus lointaines que durant l'Antiquité. Je retiendrai de cette période la grue de Bruges et la main mise de la ligue de la Hanse. C'est à partir du XVIe et du XVIIe siècle que le commerce maritime prend son essor vers l'Asie et l'Amérique. Et que les produits échangés se diversifient : c'est l'âge d'or du commerce du thé, du chocolat, des soieries et de la porcelaine. Ça, c'est le luxe ! Et les bateaux ? Ils ne sont pas beaucoup plus rapides mais ils sont plus nombreux. C'est au XIXe siècle que tout change vraiment. Les clippers sillonnent les mers, les ports se modernisent (grues, rails, lieux de stockage rationalisent l'espace : c'est étonnant de lire sur des cartes et des images la transformation du port du Havre), les trajets raccourcissent avec l'ouverture du canal de Suez... Mais c'est finalement le vapeur, qui prend peu à peu le pas sur la voile, qui fait entrer la marine marchande dans l'ère industrielle. 

Après un détour par le commerce avec les colonies, le tramping et une incursion dans les grands cargos du début du siècle, le porte conteneurs nous fait entrer dans l'ère contemporaine. Les bateaux s'agrandissent démesurément, toujours prêts à transporter plus de grandes boites, les conteneurs. Standardisés et multimodaux, ils permettent de transporter une infinité de produits différents et surtout de les décharger rapidement, partout. Car l'enjeu principal est désormais le temps. Il faut passer le moins de temps au port... quitte à embouteiller dans le canal de Suez ! 

Cette exposition permet de bien comprendre les évolutions du commerce maritime et son importance dans les différentes sociétés : il a pu être plus rapide, plus économique mais aussi plus dangereux que le transport terrestre selon les périodes. Ce commerce est aussi lié à toute une part de rêve et d'exotisme, surtout à l'époque moderne, où l'on s'entiche de chinoiseries. C'est aussi un monde de démesure qui cherche toujours plus d'efficacité et de profit. Bref, une incursion à plusieurs niveaux dans l'histoire de la marine marchande qui, sans questionner directement nos façons de consommer, donne un bon aperçu de l'accélération du monde et de son économie. 

Quelques points m'ont cependant gênée, notamment l'usage de reproductions plutôt que d'originaux (en début d'expo), les limites du sujet (quid de la piraterie, des conditions précises de navigation, des guerres économiques, etc.) et la numérotation parfois étonnante des objets... Mais ce ne sont que des détails. Je préfère souligner à nouveau le remarquable travail de médiation autour de l'expo, qui rend ce sujet peu excitant tout à fait passionnant ! Bref, c'est une sortie idéale pour ceux qui ont un peu de vacances... ou pour les week-ends prochains.

Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur les échanges commerciaux en Méditerranée, le voyage dans l'Antiquité ou au Moyen Age.

lundi 20 avril 2015

La sainteté des gens ordinaires

Pendant le carême, j'ai eu besoin de lire des textes un peu plus spi que d'habitude. Parmi ceux-ci, il y a eu les textes de Madeleine Delbrêl, et plus spécialement, ce tome 7 de ses œuvres complètes. Madeleine Delbrêl était assistante sociale à Ivry, elle a cherché à suivre le Christ dans toutes ses actions, missionnaire des petites choses et des petites gens.

Cet opus comporte notamment Nous autres gens des rues ou Notre pain quotidien. Ces textes témoignent d'une personnalité forte, engagée à vivre l’Évangile dans une nouvelle terre de mission : les banlieues rouges : "Nous autres gens de la rue, croyons de toutes nos forces, que cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre sainteté".

Ronchamp, Le corbusier

Il est assez difficile de parler de ces textes. Ils invitent à la méditation, à la prière. Ils sont simples. Ils sont forts. Ils sont ancrés dans notre temps, notre relativisme, notre athéisme occidental. Ils parlent des défis de l'évangélisation nouvelle. De Dieu dans les petites choses du quotidien, dans notre travail, dans notre surmenage, dans nos gestes. Mais plutôt que de la paraphraser, je vous offre quelques citations de ses textes. Bonne lecture !

Nous autres gens des rues (1938)

"Il y a des lieux où souffle l'Esprit ; mais il y a un Esprit qui souffle en tous lieux".
"Nous trouvons que la prière est une action et l'action une prière"

Notre pain quotidien (1941)

"Le travail, c'est de l'amour [...] On perd ce sens de l'amour quand on fait du travail une servitude au lieu d'en faire un service [...] Travailler, c'est presque toujours donner de la joie quelque part. Souvent, on voudrait laisser son travail et partir ailleurs, servir les autres et toucher du doigt qu'on les sert".

Pays païens et charité (1943)

"A travers ces êtres proches que nous aimons, au bureau, en famille, dans la rue, c'est le monde entier que nous avons à aimer".

Missionnaires sans bateaux (1943)

"Les fils de marins s'ennuient de la mer. Que surgisse en nous la nostalgie des lieux où l'on n'est pas chrétien, l'obsession des routes qui y conduisent".
"Peut-être parce que nous n'aurons pas vu dans la France "une terre de Mission", nous n'aurons pensé à missionner : qui dans les champs, qui dans son village, qui dans son quartier. Les communautés humaines attendaient leurs apôtres : ces apôtres c'était nous, et nous avons compté sur d'autres".

Pourquoi nous aimons le Père de Foucauld (1946)

"Le Christ a tellement pris la dernière place que personne n'a jamais pu la lui ravir" H. Huvelin

Conférence sur le Père de Foucauld (Rambouillet, 1950)


Liturgie et vie laïque (1947)

"L'Eglise a couvert le temps d'une robe faite avec la parole de Dieu. A cette magnifique robe, faite pour le recouvrir c'est justement, souvent, notre temps qui manque. Nous n'avons plus notre temps à nous [...] Pour nous, cette trêve priante sera insérée souvent au milieu de beaucoup de bruit et d'agitation. Elle aura même pour mission de pacifier cette agitation et ce bruit"

Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres (1948)


Le peule de Paris va à l'enterrement de son Père (1949)


Mission et missions (1950)

"Etre missionnaire, ce n'est pas plus facultatif que ça n'est exceptionnel"

Eglise et mission (1950-51)

"Il faut pour annoncer l’Évangile s'appauvrir soi-même"
"Il ne faut pas mêler l’Évangile du salut aux recettes de bonheur que le monde charrie"

vendredi 10 avril 2015

(Dé)placements

Merci à la Société Générale qui m'a fort bien accueilli pour le vernissage de son nouvel accrochage, (Dé)placements. Si vous m'avez suivi lors de ma précédente visite de cet espace, lors de l'expo Invitations au voyage, vous n'êtes pas sans savoir que la banque se constitue une collection d'art contemporain depuis 20 ans.

Koyo Kouoh devant Rui Moreira, the machine of entangling landscapes VII, 2011

Régulièrement, un commissaire est contacté pour jeter un regard sur cette collection et proposer un parcours dans ce qui est à la fois un espace de travail, un endroit de passage et un lieu de réception. Cette année, c'est Koyo Kouoh, directrice de RAW Material Company, qui a carte blanche. Sa démarche ? Se laisser guider par ses perceptions et sa sensibilité pour déployer de nouvelles facettes de la collection. Jouant sur les mots, elle a mis derrière ce (dé)placement à la fois des œuvres mobiles, des œuvres trompe-l’œil que le visiteur anime entre visible et invisible, des œuvres sur le mouvement, voire sur les migrations et la mondialisation. Il parait même qu'il y a un jeu avec les placements bancaires mais cet aspect ne m'a pas sauté aux yeux. A moins que la collection ne soit considérée comme telle, ce qui n'est pas du tout le message de la banque... Koyo Kouoh a aussi voulu donner de la visibilité à des œuvres qui n'avaient peu ou pas été présentées lors des dernières expositions ainsi qu'à des artistes souvent sous représentés en histoire de l'art : les femmes et les artistes d'origine non occidentale. 

Zilvinas Kempinas, columns, 2006
Amusantes ces Columns de Zilvinas Kempinas en bandes vidéo

Les espaces sont scandés par ces thèmes : "Regardeur/regardé", visible, invisible ; "Cinétisme et jeux visuels", illusion, trompe-l’œil, camouflage ; "Visibilité et invisibilité" ; "Flux et dynamiques", arrêt/déplacement, esthétique et réalité. Mais ils ne constituent pas un parcours à proprement parler : ils invitent le visiteur à se laisser guider et déplacer par ses propres réactions et attirances. Certaines œuvres jouent ainsi sur la notion de cartographie, entre réel et imaginaire, intérieur et extérieur, avec des artistes comme Rui Moreira, The machine of entangling landscapes VII (2011), Philippe Favier, La légende d'Iflomène (1986) ou Lyndi Sales, Flight path I, Variation 3/3 (2009). D'autres sur l'optique et l'art cinétique comme Jake, Virtual picture (1995) ou Philippe Decrauzat, Sans titre (2011). Vous pouvez même tenter un jeu des 7 différences avec Bernard Piffaretti ! D'autres œuvres enfin tentent de représenter le mouvement comme Cheval flèche de Sotor (1993). 

Philippe Favier, La légende d'Iflomène, 1986
Philippe Favier nous propose une curieuse chasse au trésor avec La légende d'Iflomène (1986)

Ce qui étonne dans cet accrochage, c'est finalement d'avoir voulu les rassembler sous une même thématique. Leur hétérogénéité et leur variété parviennent à brouiller leurs liens et à questionner le visiteur sur ce que recouvre le terme même de (dé)placement. Se sent-il réellement déplacé ? Moi j'ai été surprise par les effets de l'art optique qui m'ont rappelé Dynamo, j'ai été touchée par deux-trois œuvres qui m'ont fait voyager, mais la notion de parcours m'est restée étrangère. De même, j'ai assez rarement eu l'impression de dialogue entre les œuvres voire de dialogue entre les œuvres et le lieu. Du coup, j'ai plutôt envie de parler d'accrochage plutôt que d'exposition.  

Pour vous faire votre propre idée, sachez que l'expo est visitable gratuitement, sur réservation
Pour découvrir l'accrochage en images