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lundi 31 mars 2014

Le bar sous la mer

Ce roman de Stéfano Benni m'a été offert avec Achille au pied léger. Échaudée par ma première rencontre, j'ai mis un peu de temps à lire ce titre. Et finalement, je l'ai beaucoup plus apprécié que le précédent. Est-ce moins loufoque ? Pas tellement. Mais je vous laisse vous faire votre opinion...

villa pornichet ker souveraine

Notre narrateur en promenade voit un homme se jeter dans la mer. Sans hésiter un instant, notre héros s’apprête à le sauver... Mais point n'en est besoin, notre homme va simplement boire un verre au bar sous la mer. Un bar dont tous les occupants sont des conteurs. Ceux-ci, que vous retrouvez sur la couverture, sont au nombre de 20. Nous voila donc embarqués dans une suite de contes, souvent étranges, ironiques et parodiques. Reprenant des chefs-d’œuvres de la littérature comme l'Iliade et Moby Dick ou parodiant Poe, Bradbury et Christie, l'auteur propose des histoires très variées, tant par le style que par l'histoire. Tout le jeu est de trouver à qui ou à quoi les textes font référence. Enfin, pour ceux qui ne seraient pas joueurs, cette lecture a un intérêt au delà du pastiche, celui de savourer un recueil bien écrit, qui joue beaucoup avec l'absurde... et qui donne la voix à tous, même à la puce du chien ! C'est également une critique en creux de nos sociétés.

N'hésitez pas à aller boire un verre dans ce bar, vous y découvrirez d'étonnantes histoires !

dimanche 30 mars 2014

Au bois dormant

Un poème de Paul Valéry pour ce dimanche.

La princesse, dans un palais de rose pure,
Sous les murmures, sous la mobile ombre dort,
Et de corail ébauche une parole obscure
Quand les oiseaux perdus mordent ses bagues d’or.

Elle n’écoute ni les gouttes, dans leurs chutes,
Tinter d’un siècle vide au lointain le trésor,
Ni, sur la forêt vague, un vent fondu de flûtes
Déchirer la rumeur d’une phrase de cor.

Laisse, longue, l’écho rendormir la diane,
Ô toujours plus égale à la molle liane
Qui se balance et bat tes yeux ensevelis.

Si proche de ta joue et si lente la rose
Ne va pas dissiper ce délice de plis
Secrètement sensible au rayon qui s’y pose.

samedi 29 mars 2014

De Rouge et de Noir, les vases grecs de la collection de Luynes

Vous commencez à me connaître, voilà plus de sept ans qu'on se fréquente. Vous savez donc que les vases grecs font partie de mes péchés mignons. Je n'ai donc pas résisté à cette exposition (gratuite) qui se tient au Cabinet des Médailles, la partie musée de la BNF (attention, ce n'est pas dans les magnifiques tours de Perrault, c'est rue de Richelieu). 

coupe figures noires BNF
Vendanges dionysiaques autour d'un Gorgonéion, coupe attribuée au peintre de Chiusi, -520-500

Cette exposition thématique met en valeur les œuvres d'un collectionneur du XIXe siècle, le duc de Luynes, archéologue et numismate. Œuvres léguées en 1862 au fameux Cabinet des médailles (si vous ne connaissez pas, ça vaut le détour, pour l'échiquier de Charlemagne, le Trône de Dagobert, le calice de Gourdon et plein d'autres objets remarquables). Dans la collection de Luynes, on trouve beaucoup de vases grecs mais aussi des intailles, des monnaies et quelques sculptures. Les vases sont ici mis sous les feux des projecteurs, présentés selon leur iconographie mythologique, partant du monde des dieux vers celui des héros et terminant par la vie quotidienne des grecs. L'essentiel des collections est constitué des vases à figures rouges athéniens, mais l'on trouve également quelques figures noires et surtout quelques vases corinthiens ou étrusques. 

BNF crateres collection duc Luynes

Cette exposition peut être une bonne introduction à l'art des vases grecs, pour ceux que les multitudes de la galerie Campana effraient. L'accès aux œuvres par leur iconographie est assez aisé. Les questions liés à la production, notamment des peintres et des potiers sont évoquées ainsi que les attributions mais sans risque de perdre le visiteur. On déplorera tout de même une absence de cartels détaillés, qui auraient pourtant été utiles pour expliciter certaines scènes moins connues comme l'histoire d'Amycos, géant spécialiste de la lutte, supplicié par les Argonautes. Je regrette aussi que la partie technique soit si peu détaillée. Je ne suis pas certaine que cela réponde aux interrogations des visiteurs. Mais l'ensemble est clair et précis, qu'il s'agisse de l'importance de la collection, de l'usage des vases ou de leur iconographie. Et surtout, le duc de Luynes avait un goût très sûr et les objets qui sont exposés sont tous d'une très grande qualités et témoignent de la production de l'âge d'or de la céramique athénienne. 

coupe dionysos figures rouges BNF
Dionysos entre deux satyres, coupe attribuée au peintre de Brygos, -480-470

vendredi 28 mars 2014

Infidélités

Merci au Livre de Poche pour ces nouvelles délicieuses de Vita Sackville-West. D'une plume légère, élégante et ironique, l'auteur nous invite dans des intérieurs très british, tout en retenue. En apparence. Car de véritables drames se jouent dans ces atmosphères feutrées et cosy.

A. Laprade, Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, perspective de la voûte d'eau lumineuse, Paris, CAPA
D.R.

Son fils. C'est une journée spéciale pour Mrs Martin. Elle va revoir son fils, qui vient de passer cinq ans en Argentine. Elle prépare chaque détail avec amour et précision. Sans laisser paraître sa folle joie. Mais quand Henry arrive, tout ne se déroule pas comme prévu. De sourdes déceptions pèsent sur leurs retrouvailles. Chacun joue son rôle... jusqu'à la fausse note. 
Cette nouvelle, la plus longue du recueil, nous imprègne de la vie tranquille dans la campagne anglaise, qui ne ressemble en rien à celle du jeune Henry. Entre hypocrisie et cruauté, ce séjour contraste vivement avec l'heureuse attente. 

Patience. Pendant que son épouse joue aux cartes, dans un intérieur rangé et bourgeois, Paul est entraîné, un peu malgré lui, par ses souvenirs. Il repense à une femme, libérée, volage, extravagante. Tout le contraire de sa vie actuelle (je vous mets un extrait pour vous montrer jusqu'où va la notion de l'ordre dans la bonne société) : "Il attendit patiemment, sans jamais montrer aucun agacement, se contentant d'observer la manière dont elle tapotait les coussins de son fauteuil. 
"Tout va bien, dear ; bien sûr, on ne peut éviter d'écraser les coussins quand on est assis dessus. Mais après tout, si on les a inventés, c'est pour s'en servir ?"". Bref, le contraste n'aurait pu être plus accentué entre présent et passé.

Fiançailles. Cela fait huit ans qu'un jeune marin vient la voir à chaque permission. Il est amoureux. Elle le méprise un peu. Mais aujourd'hui, elle ne se demande plus si elle ne devrait pas l'accepter comme époux, tout en sachant qu'il ne colle pas trop à son monde : "Il lui arrivait aussi de se demander si elle n'aurait pas honte de lui comme mari". Elle a pris une décision. 
Une fin assez classique et attendue pour cette nouvelle, mais une fine analyse psychologique du personnage.

Liberté. Un triangle amoureux. Ruth est l'épouse de Paul et l'amante de David. Paul encourage la liberté individuelle. Ruth ne souhaite pas lui faire part de son nouvel amour. Et d'ailleurs, elle respecte et dit aimer Paul plus que David. Lequel veut que la situation soit clarifiée. Evidemment, rien ne se passe comme prévu ! Mais l'on reste en bonne société, donc pas de scandale...

Cet été-là. Ils sont quatre jeunes gens, libres et en vacances. Deux jeunes filles et deux jeunes hommes. Ils prônent l'amitié et refusent que l'amour ou la sexualité viennent changer leurs relations. C'est pourtant ce qui arrive lorsque Simon offre une bague à Judith. Michael sent la jalousie l'envahir... et les rapports se tendent, inexorablement.  

Justice. Certainement la nouvelle la plus terrible de ce recueil car ici l'on n'est plus dans cette bonne société policée. Dans un pub, un homme aux cheveux blancs attire l'attention du narrateur. Il en découvre l'histoire. Encore une fois, le triangle amoureux. Notre homme est l'amant. Sauf que le mari n'est pas du style à se laisser faire et imagine un terrible supplice. 

Ces nouvelles révèlent une grande subtilité psychologique et une plume douce-amère. Les ressorts des êtres humains sont finement décrits et mis en scène. Dans tout le recueil courent une ironie et une clairvoyance qui m'ont fait penser aux nouvelles d'E. Wharton et K. Mansfield. Bref, Vita Sackville-West explore et dessine, de façon assez classique mais non sans intérêt, la société de son temps à travers des thématiques intemporelles.


jeudi 27 mars 2014

Petites scènes capitales

Ce dernier roman de Sylvie Germain m'avait été décrit comme très sombre, très triste, bref, très déprimant. Ce n'est pas entièrement faux. Les personnages qui entourent Lili-Barbara s'éteignent, brutalement ou après de longues années. Est-ce un destin contraire qui s'acharne ou simplement la vie qui est ainsi ? 


Ce roman, c'est l'histoire d'une vie, celle de Lili-Barbara. Une fillette discrète voire effacée, une jeune femme passive et sans ambition, toujours en recherche d'elle-même, une adulte finalement sereine. Mais pour cela, que de drames, que de vexations, que d'interrogations. La vie de Lili s'expose pendant de courts chapitres, ces fameuses quarante-neuf scènes capitales qui la construisent et écrivent son histoire. Il y a son enfance lumineuse, transformée par le remariage de son père puis par des décès. Il y a les histoires des autres, celles de cette nouvelle famille qui accompagne sa belle-mère, aux quatre enfants bien différents. Il y a des sensations, des images, des moments anecdotiques. Tous composent l'aventure, somme toute banale, d'une femme née en France après la Seconde Guerre mondiale. 

Ce roman d'apprentissage, ciselé par une plume toujours élégante et précise, à la limite du lyrique, pose des questions existentielles, universelles mais profondément liées à l'intime et à l'histoire personnelle : "Qui suis-je ? D'où suis-je issu ? Où vais-je ?" et l'éternel "pourquoi ?" des injustices, du destin et de la chance. Notons également le très beau moment de la prise de conscience de soi par Lili, cette cassure qui se fait entre elle et le monde, cette naissance du "ego". Sans donner de réponse définitive à toutes ces questions philosophiques, ce roman explore bien des pistes : vie religieuse, vie d'artiste, vie en communauté, vie familiale... une ribambelle de possibles avec ses satisfactions et ses échecs. 

Petit extrait, on se promène dans les rues... 
"Les façades des immeubles, à la nuit tombée, ressemblaient à des pages de livres illustrés, dont les images étaient mouvantes. Des livres qui chuchotaient des bribes d'existences dont elle ignorait le début et la fin, dont elle ignorait tout en vérité, mais dont les personnages, aussi réduits à de succinctes et fugaces esquisses aient-ils été, vivaient bel et bien. Non des vies fantômes, mais des vies autres, indépendantes, qui, dans leur totale indifférence à son égard, n'en ébauchaient pas moins avec elle des liens de sympathie. Des liens fluides entre vivants qui partageaient un commun ici et maintenant, et qui, dans leur flottement, s'incurvaient en point d'interrogation. Tant de gens en train de vivre tout autour d'elle, si près, inaccessibles, tant de corps en mouvement, tant de gestes déployés, tant de paroles et de regards échangés, hors d'elle, tant de pensées. Tant de destins - peut-être médiocres pour la plupart, mais magnifiés par le soyeux et la clarté d'or fondu des cadres où ils se laissaient apercevoir". 



Mon petit favori de Sylvie Germain reste toutefois Tobie des marais

mercredi 26 mars 2014

Henri Cartier-Bresson

Qui n'a pas entendu parler de cette expo proposée par le Centre Georges Pompidou et la Fondation Henri Cartier-Bresson ? 

Henri Cartier-Bresson, Oaxaca, Mexique, 1963, Collection Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris
D.R.

Cette rétrospective propose de parcourir chronologiquement l'oeuvre du photographe de "l'instant décisif" en nous faisant découvrir plus que ses reportages photographiques. 
Parmi ses premières images, celles prises en Afrique dans les années 1930. On découvre sa science de la composition et son choix de photographier des ensembles géométriques et dynamiques. Puis l'on s'aventure parmi ses créations inspirées du surréalisme : tissus dissimulant des corps ou des objets, jeux sur les déformations, poseurs endormis... 
Mais c'est dans ses premiers reportages que l'on est ébloui par tout le talent du photographe : choix du sujet, cadrage serré, prise rapide. Il documente à la fois le couronnement de Georges VI (d'un point de vue très inhabituel, à la limite du subversif), les congés payés et... les "enfants perdus". Le concept est rigolo : il s'agissait d'un concours organisé par un journal. Les parents qui reconnaissaient leur enfant photographié gagnaient une récompense. S'ensuivent les collaborations cinématographiques de Cartier-Bresson, comme figurant ou comme réalisateur. A noter, un film de propagande, Victoire de la vie, qui appelle à soutenir les républicains espagnols, notamment leurs hôpitaux, fait très bien sentir l'engagement du photographe. L'homme et l'humain sont au centre de ses préoccupations, esthétiques mais aussi politiques. Car le photographe est engagé politiquement auprès du parti communiste, notamment pendant la guerre d'Espagne, ce dont témoignent ses films et photos. 
Vient ensuite la période Magnum pendant laquelle il parcourt le monde et immortalise les moments forts du XXe siècle : mort de Gandhi, Pékin avant Mao et Moscou après Staline, par exemple. Il photographie les hommes, les villes, la modernité, ses foules. C'est certainement cette partie du photo-reportage qui est la plus forte visuellement. Le photographe maîtrise parfaitement ses techniques et crée des images marquantes. Tout y est : le contexte, l'homme, l'émotion. Sa photo nous fait comprendre le monde. 
Sa dernière période, plus descriptive, est certainement celle qui m'a le moins plu. Le photographe s'adonne alors au dessin, avec plus ou moins de bonheur. 

Cette exposition est à la fois la rétrospective d'une vie mais aussi d'un siècle. Le regard et l'appareil de Cartier-Bresson semblent être présents partout, aux moments phares, saisissant non pas les événements mais les réactions des hommes à ces événements. Ce qui est particulièrement intéressant dans cette exposition, c'est la variété des thèmes abordés par le photographe et l'accent mis sur sa période de "formation". J'en retiendrai les vues de la Côte d'Ivoire et de Florence, même si ce sont surtout ses photos de reportages qui interpellent. Notons également que les tirages exposés sont souvent des tirages originaux et non des retirages, ce qui donne à voir les choix du photographe en termes de couleurs (ou de gammes de gris), de tonalité, etc. Bref, une expo à ne pas manquer !

mardi 25 mars 2014

The Grand Budapest Hotel

Voilà un film complètement loufoque et déjanté de Wes Anderson qui nous a beaucoup plu.

Un écrivain, campé par Jude Law, passe quelques jours au Grand Budapest Hotel, un ancien hôtel de luxe de la République de Zubrowka tombé en désuétude. Il y rencontre Zero Moustafa, le propriétaire des lieux qui lui conte l'histoire et les temps glorieux d'un hôtel qui a vu passer toute la belle société de la Belle Epoque et de l'entre deux guerre. Mr Gustave, concierge du Grand Budapest Hotel prend Zero, groom, sous son aile. Cet homme exquis, aux manières délicieuses, dandy qu'incarne divinement Ralph Fiennes est le favori de ces dames. Lorsque Madame D. décède, il hérite d'un tableau précieux et est soupçonné d'avoir assassiné sa belle. 
Commence alors une superbe course poursuite, qui se solde par la prison, puis une évasion et une enquête encore plus spectaculaires !

Avec un casting éblouissant (Brody, Swinton, Murray, Amalric et bien d'autres), ce film est un hommage à l'esprit européen des années 30, avant que les uniformes sombres ne prennent le pas sur les smokings. Plongée garantie dans le rétro (images d’Épinal, impression de colorisé, etc) ! Rythmé et drôle, c'est un sympathique divertissement. 

Cinema Grand Budapest Hotel
D.R.

lundi 24 mars 2014

La mort du roi Tsongor

Et voilà, j'ai enfin lu ce livre qui était sur ma PAL depuis 11 ans. Il a encore son joli bandeau "Prix des libraires 2003 / Goncourt des lycéens". Merci à Shelbylee qui m'accompagne dans cette lecture. Sans elle, ce livre serait encore dans les limbes de la PAL. 

Afrique roi Tsongor

Tsongor pépare les noces de sa fille, Samilia, avec Kouame, roi des terres de sel. La veille du mariage, Sango Kerim demande Samilia comme épouse. Samilia lui a promis, enfant, d'être sa femme. Où qu'il regarde, le roi conquérant voit la guerre. Il est las. Il est âgé. Et c'est aujourd'hui le jour où il doit mourir. Il appelle Souba, son fils benjamin, et lui demande de lui construire des tombeaux. Aux autres, il ne dit rien. Commence alors une guerre effroyable entre Kouame et Sango Kerim. Une guerre sous les remparts de Massaba, un siège sans fin. Et Tsongor, errant parmi les ombres, voit sa famille se déchirer et ses enfants mourir l'un après l'autre.

Il y a dans ce texte de Laurent Gaudé une immense force épique et tragique. Ces terres d'Afrique font résonner un nouvel épisode des guerres mythologiques. Massaba devient Troie, Samilia, Hélène, Etéocle et Polynice s’entre-tuent à nouveau. On retrouve cette même puissance dans son roman Pour seul cortège. Sang et larmes, vanité, haine, un pays plonge dans la violence et la mort pour la possession d'une femme.
Suivant les enfants de Tsongor et les transformant en héros, l'auteur nous dévoile un peu de leur père, un peu d'eux, de leur pays et des dieux qui président à leur triste destinée. 

dimanche 23 mars 2014

Lysistrata

Voilà un bout de temps que je n'avais pas lu Aristophane. Retour sur un classique de la comédie grecque ! 

Plat à figure rouge, peintre de Briséis,
-470-460
Les Athéniennes en ont marre. Leurs maris passent leur temps à se battre tandis qu'elles dépérissent dans leurs demeures. Menées par Lysistrata, elles décident de faire pression sur eux. Rien de moins qu'une grève du sexe ! Retirées sur l'Acropole, elles comptent bien faire fléchir leurs époux. Surtout que les femmes des ennemis, les spartiates, entament la même démarche qu'elles. 

Cette comédie, qui met les femmes au centre de la scène, étonne par sa modernité. Eh oui ! Les femmes se lancent en politique ! Mais elles le font avant tout pour épargner leurs époux et leurs enfants. Et pour avoir un lit bien chaud le soir ! Cette pièce caricature les femmes (et les hommes, Priapes en proie au désespoir) comme des êtres uniquement guidés par le sexe et les sens. Le langage y est très cru (c'est du Aristophane, quoi) mais joue aussi sur les doubles sens. Beaucoup veulent y lire une première occurrence du féminisme, c'est plutôt un appel au pacifisme. Car la femme ne revendique rien pour elle-même, elle ne conserve pas le pouvoir, elle ne demande pas de nouveaux droits. Elle veut simplement son mari et son foyer en paix...

Nous ne sommes plus en Grèce, c'est un lupanar de Pompéi

samedi 22 mars 2014

Papier glacé, un siècle de photographie de mode chez Condé Nast

Le musée Galliera propose une exposition autour de la photo de mode. On y trouve des clichés des années 30 à nos jours, des magazines et quelques vêtements. Il est amusant de noter que les photos des magazines, que vous avez peut-être l'habitude de feuilleter, sont déjà entrés dans les collections comme des œuvres.

Le visiteur aborde le sujet de façon thématique via les décors, les extérieurs, la fiction, la nature morte, le portait ou encore le corps. Il joue à identifier les photographes : Man Ray, Blumenfeld, Lindbergh et bien d'autres. Il admire les composition, les innovations. Étonnamment, il s'attache peut être plus au geste artistique du photographe qu'au modèle et au vêtement : "I always felt that we are selling dreams, not clothes".

Une petite exposition, courte, qui introduit bien au sujet et à ses problématiques.

Vogue, janvier 1921, Source Gallica

vendredi 21 mars 2014

Aujourd'hui pour toujours

Merci aux éditions Belfond pour l'envoi de ce livre de Christophe Paviot. J'avais peu apprécié son roman La Guerre civile est déclarée et j'avais annoncé que je risquais d'être tout aussi hermétique à ce nouveau roman. C'est malheureusement ce qu'il s'est passé. Mais pas pour les mêmes raisons que le précédent livre car il en diffère énormément.

William Baker, la quarantaine, est une ex-star d'Hollywood. L'acteur est resté boiteux suite à une beuverie qui s'est mal terminée (l'accident de la coupe de champagne, un exploit que je vous laisse découvrir). Cela a suffi à éloigner ses amis et son agent. William décide de prendre sa retraite à Martha's Vineyard, près de Cape Code. Là, il achète une splendide maison... et rencontre Lisa. C'est la femme de sa vie malgré son comportement un peu louche : "Chose étonnante, Lisa ouvrit la poignée inversée de la porte de la salle de bains sans aucune hésitation. Elle la tira instinctivement vers le haut, comme si elle l'avait déjà ouverte des centaines de fois, sans se laisser surprendre par ce mécanisme illogique". Mais Will n'est pas au bout de ses surprises, entre sa maison (hantée ?), Lisa et les habitants de l'île.

Mer USA Villa

Ce roman est une comédie romantique, avec une touche de fantastique et de thriller... Les personnages, qui cachent chacun un secret, sont sans profondeur et sans nuance. J'ai également trouvé le roman un peu boiteux en terme de rythme : on s'attarde sur la rencontre et l'éclosion des sentiments pendant douze chapitres. Un élément perturbateur est évacué en quatre chapitres. Puis ça roucoule. Et drame de la nature (dont tu ne comprends pas ce qu'il vient faire là, à part, peut-être, proposer un sanglant prélude). Puis nouvel élément compliqué pendant dix chapitres avant un happy end. Je ne vois pas comment le premier choc peut-être évacué aussi vite : ça ôte toute crédibilité à la suite de l'histoire. Et ça la rend assez ridicule. 

Quant au style, il est passe-partout. Les dialogues m'ont semblé artificiels et répétitifs. Et pour les idées, gloire au cliché : "Il contemplait Lisa en se disant que les filles valent décidément mieux que les garçons, car elles savent redonner des forces à ces derniers qui passent leur vie à leur en ôter", "- Et ça vous fait quel âge du coup ? - Trente-huit... - Vous avez la vie devant vous, du moins, une partie" ou "C'est facile d'aimer, mais plus difficile de rencontrer quelqu'un qui vous rende la pareille"... 
Bref, Christophe Paviot, ce n'est pas pour moi. Et vous, l'avez-vous déjà lu ? Avez-vous apprécié un de ses romans ? 

jeudi 20 mars 2014

Bleu, histoire d'une couleur

Je poursuis ma période Pastoureau avec ce titre, consacré à l'histoire de la couleur bleue de l'Antiquité à nos jours. 

Après les mises en garde et la contextualisation de rigueur sur la difficulté d'écrire cette histoire, nous plongeons dans l'Antiquité pour constater que le bleu en est absent. Certes, il existe bien dans les décors de lapis-lazuli ou d'azurite de l'Egypte et de l'Orient. C'est une couleur bénéfique, associée à la protection du mort. Mais chez les Grecs et les Romains, c'est à peine si le terme existe. Jusqu'à la fin du Haut Moyen Age, le bleu reste discret. Son émergence progressive est liée à son assimilation à la lumière et au ciel. Il devient donc la couleur de la Vierge, reine du ciel. Mais s'il se trouve dans l'art, cela ne signifie pas qu'il devienne une couleur du quotidien. Au contraire, le bleu est repris par les grands personnages : le roi de France l'introduit dans ses armoiries "d'azur semé de fleurs de lis d'or" au XIIe siècle, bientôt suivi par sa noblesse. Mais le rouge a toujours la primauté, notamment dans le textile. Les teinturiers du rouge et du bleu ne sont d'ailleurs pas les mêmes et tentent de se nuire les uns aux autres. Le rouge devient l'un des opposés du bleu, de la même façon que le blanc s'oppose au noir et au rouge. 
Au XVe siècle, le noir domine. C'est la couleur morale et riche par excellence, un noir profond mais vertueux. A celui-ci s'opposent les couleurs vives, qui permettent d'identifier les êtres à l'écart de la société : prostituées, juifs, acteurs, etc. Des règlements ont même été mis en place dans beaucoup de cités qui attribuent à chacun sa couleur. Le noir, c'est aussi celui de la Réforme. Les protestants se posent la question de l'art et des couleurs, détruisant ce qu'ils trouvent trop vif ou trop riche. Parmi les couleurs qui trouvent grâce à leurs yeux, le bleu. Celui-ci demeure et se nuance dans les pays protestants, pensez aux bleus de Vermeer par exemple (qui, même s'il était catholique vivait en territoire protestant). 
Mais c'est au XVIIIe siècle que le bleu s'impose. D'abord dans le vêtement avec la teinture à l'indigo qui remplace la guède. C'est aussi la couleur de Werther, qui influence toute l'Europe. Le bleu n'est plus uniquement une couleur mariale, c'est la couleur de la mélancolie, de l'amour blessé, du rêve... et du blues. Et dès la fin du XIXe siècle, le bleu c'est le jean, le pantalon des travailleurs avant d'être celui du jeune des années 70 et l'uniforme des années 90. 

A travers des exemples précis et bien datés, M. Pastoureau nous fait voyager dans le temps afin de déterminer les moments phares de cette couleur en occident. Il s'intéresse à la fois à sa construction symbolique (bleu marial, bleu royal, bleu conservateur), artistique (vitraux, peinture), historique (de l'inexistence à l'omniprésence) et matérielle (pigments). Une lecture passionnante !
A noter : un excursus passionnant sur le drapeau français. 

Vermeer, Femme lisant une lettre, 1663

mercredi 19 mars 2014

Une collection de trésors minuscules

Merci aux éditions Belfond pour l'envoi de ce roman de Caroline Vermalle, tout à fait charmant avec son petit marque page personnalisé, sa couverture et sa tranche bayadères. 

Le plot ? Attention, voilà un pseudo Da Vinci Code girly... Frédéric Solis, avocat et collectionneur de tableaux impressionnistes (scènes de neige uniquement), a tout pour être heureux. Il est sexy, il côtoie des stars... et il vient d'hériter. Sauf qu'il reçoit une carte au trésor et des billets de train et de musées (Orsay et Giverny). Étonnamment, l'avocat se prend au jeu et remonte les pistes proposées, risquant ainsi sa carrière. Sa secrétaire, Pétronille (non mais franchement, quel prénom !), trouve d'autres indices. Tous deux remontent jusqu'à l'enfance de Frédéric. 

Ce roman, plein de bons sentiments et de toiles impressionnistes (la formule magique), plaira beaucoup, je n'en doute pas. Il semble d'ailleurs bénéficier de critiques très positives sur les blogs. Hélas, je n'ai pas réussi à l'apprécier. Pour tout un tas de raisons. D'abord, parce que le numéro d'inventaire de la Pie de Monet n'est pas RF 1984 64 (ça c'est un Redon) mais RF 1984 164. Non mais ! Et puis ce roman est facile, de bout en bout. Il est bourré de bons sentiments du type "l'argent ne fait pas le bonheur", de personnages clichés, sans nuance : le voyou repenti, la fille douée qui n'a pas confiance en elle, l'avocat sans cœur qui retrouve la simplicité, les frères farceurs, la soeur en or... Ne parlons pas de l'Impressionnisme, on risquerait de se fâcher. Le tout est construit comme une chasse au trésor sans grand intérêt ni suspense. Et je ne parle pas du style léger, plat et sans imagination (j'ai tout de même noté quelques rares exceptions). Bref, un aimable roman d'amour et d'amitié qui ne révolutionne pas le genre, qui ne heurtera personne (il y a des gays et des hétéros), qui fera joli dans votre bibliothèque et que vous oublierez certainement très vite. Après, il suffit de savoir ce que vous attendez d'un livre ! 

Sisley, Les bords du canal à Moret-sur-Loing, 1892, Nantes

mardi 18 mars 2014

Histoire couleur terre

Ce très beau manga manhwa coréen de Kim Dong-Hwa édité en trois tomes m'a souvent attiré l'oeil. Cette fois-ci, j'ai craqué. 

Histoire couleur terre Kim Dong-HwaCe livre conte le passage de l'enfance à l'âge adulte d'une jeune coréenne, Ihwa. Celle-ci vit avec sa mère, Namwon, dans une verte campagne. Veuve, Namwon tient la taverne du village. Les admirateurs ne manquent pas cette belle femme. Quant à Ihwa, c'est encore une petite fille, elle découvre que les garçons et les filles ne sont pas semblables. Elle joue avec ses copines. 
A mesure que passent les saisons, elle embellit, comparable chaque année à une nouvelle fleur. Elle découvre les premiers appels de l'amour. Dans ce manga, le passage des saisons, l'attente et la patience tissent les amours. Mais le cœur de ce livre, c'est aussi la relation qu'entretiennent Ihwa et sa mère. D'une grande complicité, elles se disent presque tout, Namwon transmet des secrets de beauté à sa fille et l'accompagne dans sa découverte de l'autre. 

Par ailleurs, ce manga manhwa est très esthétique. Il dépeint merveilleusement la nature, les plantes, surtout les fleurs, et les animaux. Et les portraits des deux femmes sont bien souvent époustouflants. Un très bel hommage aux femmes et à l'amour.

Première participation, catégorie "Amours sans frontières"

lundi 17 mars 2014

Monuments men

monuments men pillage restitution
Ce film de Georges Clooney sur le sauvetage des œuvres d'art à la fin de la Seconde Guerre mondiale est à la croisée des genres. Est-ce un film de guerre ou une parodie ? Est-ce un film d'aventure ? 
Ce groupe de sept d'historiens de l'art, artistes et collectionneurs a pour mission de retrouver les chefs-d’œuvres artistiques dérobés par les nazis dans toute l'Europe. Ces objets, destinés à orner le musée d'Hitler, sont parmi les plus précieux de l'histoire de l'humanité : Raphaël, Rembrandt, Michel-Ange... Mais comment savoir où sont stockés ces objets ? Dans une Europe en pleine libération, ces hommes font une course contre la montre : il faut aller le plus loin possible pour contrer les Russes qui ne tiennent pas à restituer les œuvres mais à les garder et trouver les cachettes avant que les nazis ne détruisent les œuvres. Car Hitler souhaite que rien ne lui survive, c'est le "Nero decree" ou, en clair, "brûlez tout".

S'il est important de faire des films sur ce sujet, de rappeler l'importance de l'art pour les civilisations, je ne suis tout de même pas emballée par celui-ci. A vrai dire, c'est trop bavard sur "l'art compte plus que nos vies". Sans parler des scènes complètement inutiles (la mine, le jeune soldat allemand, etc). Certes, la bande fonctionne bien, notamment le duo Clooney-Damon, et l'on trouve quelques moments humoristiques ou émouvants. Mais jamais l'on ne s'attache vraiment à ces hommes. Tout est très facile, lisse et sans réelle profondeur. Ces sept hommes suffisent à sauver tout le patrimoine artistique, envers et contre tout. Et tous les autres sont très méchants, na !

Sur ce sujet, je conseille le passionnant Le musée disparu de Feliciano (sur lequel je ne retrouve pas mon billet, bizarre).

dimanche 16 mars 2014

Ida

Merci à celle qui a attiré mon attention sur ce film, peut-être Aifelle ou Sentinelle, je ne sais plus. Je ne pense pas que sans ces belles chroniques j'aurais eu envie d'aller voir ce film polonais de Pawel Pawlikowski, en noir et blanc. Mais j'aurais alors manqué un film aux images superbes, qui conte une histoire avec pudeur et subtilité. 


Dans la fin des années 50, Ida, jeune novice, va rencontrer sa tante pour la première fois avant de prononcer ses voeux. Wanda l'accueille froidement puis se prend d'affection pour cette étrange fille, toujours voilée, toujours en prière. Toutes deux partent à la recherche de la tombe des parents d'Ida, juifs tués pendant la guerre. 

Dans ce film, peu de mots suffisent et la puissance des images est parfois plus parlante que n'importe quel discours. Dans une Pologne rurale, dure, qui veut enfouir ses souvenirs et perdre la mémoire, deux femmes cherchent la vérité et apprennent à se connaitre, par des regards et des gestes.

samedi 15 mars 2014

Une histoire de la lecture

C'est Cléanthe qui m'a proposé de sortir de ma PAL ce livre d'Alberto Manguel. L'occasion d'une petite lecture commune !

Voilà une lecture indispensable pour tout amoureux des livres et de la lecture. Et pas uniquement parce que c'est une référence sur le sujet. C'est un ouvrage très riche, qui ouvre des perspectives à chaque chapitre. C'est un livre de passionné qui mêle petites et grandes histoires de la littérature, anecdotes personnelles et citations. C'est un essai qui se dévore comme un roman, prenant, fluide et agitateur de l'imaginaire. Bref, une oeuvre que je recommande, bien évidemment.

lecteur bibliophile bibliothèque

Alberto Manguel nous fait entrer dans l'aventure de la lecture à travers deux passages : des faits de lecture et les pouvoirs du lecteur. 
Il nous introduit à l'invention de l'écriture et de la lecture, au combat entre oralité et écrit. 
Il rappelle que la lecture se fait d'abord à voix haute : la lecture silencieuse paraît étrange aux anciens et leurs bibliothèques devaient être de bruissants lieux de savoir. 
Il raconte aussi comment le cerveau et la vue fonctionnent lors de la lecture. 
Il s'intéresse à l'apprentissage de la lecture, qui nous semble naturel mais pour lequel un esclave noir pouvait être tué. C'est dire le pouvoir des mots pour celui qui sait les reconnaître. 
Il souligne combien la lecture nous aide à nous construire, nous apprend à réfléchir et à imaginer. Combien la lecture peut être subversive aussi : "La dichotomie artificielle entre la vie et la lecture est activement encouragée par ceux qui détiennent le pouvoir. Les régimes populaires exigent de nous l'oubli, et par conséquent ils traitent les livres de luxe superflu ; les régimes totalitaires exigent que nous ne pensions pas, et par conséquent ils bannissent, menacent et censurent ; les uns et les autres, d'une manière générale, ont besoin que nous devenions stupides et que nous acceptions avec docilité notre dégradation, et par conséquent ils encouragent la consommation de bouillie. Dans de telles circonstances, les lecteurs ne peuvent être que subversifs". 
Il fait aussi un historique de l'objet, de la tablette au papyrus, du rouleau au codex. Et nous expose des livres improbables, minuscules ou gigantesques, dont la forme reflète le contenu, etc. Et bien sûr les bibliophiles, voire bibliomanes (pour les plus atteints), sont passés sous la loupe d'A. Manguel. Le plus étonnant est certainement le cas de bibliocleptomanie du bien nommé comte Libri !
Il est aussi question de la lecture solitaire, des positions et des lieux dans lesquels on lit. De la lecture au lit, paresseuse et délicieuse. Et de lecteurs ! De la façon dont ils lisent le texte et l'interprètent. Par exemple, qui n'a jamais ouvert un livre et pointé une phrase en imaginant qu'elle pouvait être signe ? Et bien sûr, il est question d'écrivains, eux-mêmes lecteurs assidus voire traducteurs.

Ce livre risque de devenir pour moi un livre de chevet. Je l'ai lu avec passion, dévoré, souligné et annoté. Mais cette lecture féroce et rapide me donne envie de revenir de façon plus réfléchie à ce livre. Certains passages appellent à la relecture, non parce qu'ils ne sont pas compréhensibles lors de la première lecture, mais parce qu'ils contiennent des pistes à explorer. 

Lectrice lecture femme
Rembrandt, Vieille femme lisant, 1631

Plongez-vous sans crainte dans cette lecture, vous qui avez peur des essais. Tout lecteur aimant passionnément lire trouvera dans ce livre de quoi se nourrir, s'enrichir (voire enrichir sa PAL) et réfléchir. Après tout, n'est-ce pas ce que l'on demande à un livre ? Ecoutez plutôt Kafka sur ce sujet : "On ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d'un bon coup de poing sur le crane, à quoi bon le lire ? Pour qu'il nous rende heureux, comme tu l'écris ? Mon dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n'avions pas de livres, et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions, à la rigueur, les écrire nous-mêmes. En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu'un que nous aimerions plus que nous-même, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide - un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois". 

Le très beau billet de Cléanthe

vendredi 14 mars 2014

La Garçonnière

Vittorio, psy, voit un jour débouler Lisandra dans son cabinet. Et s'enfuir. Il se jure de la retrouver.

allégorie masque
Lippi, Allégorie de la simulation, 1650

Quelques années plus tard, Vittorio rentre du cinéma pour découvrir Lisandra, devenue sa femme, écrasée au pied de l'immeuble. Leur appartement est sens dessus-dessous. Vittorio est jeté en prison. Seule une de ses patientes, Eva Maria s’intéresse à son sort. Et mène l'enquête pour lui. Cela l’amène à se plonger dans les séances de psychanalyse de Vittorio, à découvrir les autres patients... Elle remonte les pistes, seule. Cette femme, dont la fille Stella a disparu sous la dictature argentine, n'est pas un détective modèle : elle boit, elle bouscule, elle accède à des dossiers privés. Et rapporte religieusement à Vittorio ses découvertes... 

Ce roman policier très efficace, sur fond de tango, joue sur les faux-semblants. Qu'est-il arrivé à Lisandra ? Est-ce un suicide ? Un meurtre ? Un assassinat ? Et qui voudrait du mal à la femme de son psy ? 
Hélène Grémillon multiplie les pistes possibles, nous mène dans une danse avec les personnages dont elle seule a la clé. Mon seul regret est que ce livre ne se soit pas terminé à la page 323. Laissant le lecteur dans l'incertitude. Car le dénouement, à mon sens, n'est guère à la hauteur de l'intrigue. 

Malgré ce bémol, ce roman reste de très bonne facture, prenant et étonnant. Laissant entrevoir un fond politico-historique violent, celui de l'Argentine de la junte militaire, il distille des témoignages, notamment celui de Miguel, sur cette période sanglante. Je me suis demandée si cela apportait réellement quelque chose à l'intrigue, si ce n'était pas une façon de faire un peu de pathos. Mais cela s'intègre bien à l'atmosphère de suspicion générale du roman... et, qui sait, le coupable est peut-être là ?


jeudi 13 mars 2014

Lego - la grande aventure

La franchise Lego continue sa percée dans l'univers des loisirs numériques : après les courts métrages et les jeux vidéo, voici le film ! A l'instar des autres productions, celui-ci se veut décalé tout en restant de très bonne facture.

Le héros de l'aventure se prénomme Emmett. Ouvrier sur un chantier, Emmett est un personnage Lego tout ce qu'il y a de plus banal. Il prend son petit déjeuner en regardant la télé, écoute les mêmes chansons que tout le monde à la radio et se contente de suivre bêtement les guides que les autorités lui proposent pour se faire des amis et bien se comporter en société.
Seulement voilà, un jour Emmett repart un peu plus tard que les autres du chantier et tombe sur une très jolie fille qui cherche un étrange artefact. Par hasard, Emmett va le trouver à sa place et sera instantanément bombardé comme l'élu par une population de Legos surdoués qui cherchent à renverser la tyrannie du pouvoir en place... C'est alors que les vrais ennuis commencent !

Il va sans dire que le film, qui fait voyager nos personnages à travers plusieurs univers, ravira les petits et les grands enfants. Mais il n'est pas seulement réservé aux fans de Lego : la trame de l'histoire vaut celle d'un bon film d'animation. Le film est résolument drôle et l'univers du jeu de construction est utilisé de façon très intelligente. Et puis c'est pas tous les jours qu'on voit Batman, Gandalf et un chat-licorne qui parle dans la même salle ! On pourra rester dubitatif face au dernier quart d'heure du film, un peu trop proche de la pub à mon goût, mais que cela ne vous empêche pas d'aller voir le film. Il vous fera passer un très bon moment, et à défaut peut-être d'émerveiller l'enfant à côté de vous, réveillera celui qui sommeille en vous ! 


mercredi 12 mars 2014

Les Mouettes

Merci aux éditions Albin Michel pour l'envoi de ce beau roman de Sandor Marai. 


Un homme voit surgir dans son bureau ministériel la vivante image d'un amour passé. Cette femme finlandaise, Aino Laine, qui vient lui demander un visa, ressemble comme deux gouttes d'eau à Ilona, son amour de jeunesse. Belle Ilona qui s'est suicidée, le laissant seul. 
Sur fond de guerre menaçante et d'Europe en état de siège, Marai conte une journée hors du commun pour l'administrateur. Discutant avec la jeune femme, Aino Laine, ce qui signifie Unique Vague, il lui propose de passer la soirée avec lui à l'opéra. Puis dans son salon. L'occasion pour eux d'échanger et de se découvrir... enfin, tout en restant dans le non-dit, le mystère et la méfiance réciproque ! Qui est Unique Vague ? Que s'est-il passé avec Ilona ? La vie propose-t-elle une deuxième chance au héros sans nom du roman ? 
Quant aux mouettes du titres, que l'on croise lors d'une promenade, elles sont semblables à Vague Unique et viennent de sa contrée : "Elles sont arrivées en provenance de pays lointains plongés dans la nuit, elles ont survolé l'hiver et la guerre avec une ardeur muette, elles ont cherché dans l'infini des champs d'azur, flairant, tâtonnant, le chemin qui les mènerait vers des températures un peu moins basses et des fleuves charriant des blocs de glace moins compacts." 

A travers cette simple journée, nous explorons la subtilité de la psychologie et des rapports humains, avec une atmosphère à la fois très ancrée dans le temps (les années 1940) mais aussi très onirique. Une fois dépassée la simple découverte mutuelle, les personnages s'interrogent sur le destin.
Un roman qui s'écrit par petites touches, qui construit progressivement des personnalités. Il se lit de la même façon, en prenant le temps de peser les mots, d'en chercher les sous-entendus et en savourant cette belle langue classique.


mardi 11 mars 2014

La terrible vengeance

Dans ce conte, Gogol nous introduit à la Russie des récits fantastiques. 

Jour de fête chez les cosaques : on festoie, on danse. Le plus appliqué de tous... se révèle être un démon, un sorcier. Il jette sur la soirée une ombre terrifiante. Cet homme, on le retrouve près de Dounia et Katherine. Le seigneur se jure de pourchasser ce démon qui se présente chez lui sous la figure du père de Katherine. Mais l'âme damnée est la plus forte, elle ne renonce devant aucune infamie. Dans un paysage où coule la Dniepr, les puissants cosaques ne sont pas au bout de leurs (mauvaises) surprises. 

Ce conte de Gogol, très inspiré par des conceptions judéo-chrétiennes et par l'éternel combat entre le bien et le mal, campe un sorcier terrifiant, que rien ne peut racheter. Décrivant précisement un monde sauvage voire primitif, dans lequel les morts s'éveillent et souffrent, Gogol nous guide à travers une société violente et dure. Les hommes y sont virils et bornés. Les femmes y sont faibles, soumises et destinées au veuvage et à la folie. Tristes perspectives mais belle histoire !


lundi 10 mars 2014

Gustave Doré (1832-1883). L'imaginaire au pouvoir

Le musée d'Orsay présente actuellement une très belle exposition sur un illustrateur très présent dans la mémoire collective, Gustave Doré. 

Gustave Doré DOn quichotte

Vous le retrouvez dans vos Fables de la Fontaine, dans vos contes ou votre Bible. Mais ce que l'on sait moins, c'est que Doré s'est essayé à la peinture et à la sculpture. Avec assez peu de succès, il est vrai : « Nous constaterons avec tristesse, que, mauvais dessinateur et mauvais peintre, M. Gustave Doré vient d’ajouter à sa réputation celle de mauvais sculpteur » dit de lui Castagnary. Adhérerait-on aujourd'hui à l'opinion du critique d'art ? Rien n'est moins sûr ! 

Artiste polyvalent, il commence par la caricature, puis s'essaye à la peinture. En illustrant Rabelais, il débute sa carrière d'illustrateur prolixe des grands classiques de la littérature. Les Contes de Perrault, la Divine comédie de Dante et Don Quichotte de Cervantès suivent, puis la Bible et les Fables. Il pratique cependant la peinture toute sa vie et représente la guerre de 1870, en grisaille (et ça ressemble fortement à Yslaire, c'est fou). On le voit aussi s'essayer au genre du paysage, de lac et de montagne. Et à la sculpture. 

L'exposition présente d'une part les grands formats et les sculptures en s'interessant aux thèmes du saltimbanque, de la mort (avec Dante) et du religieux puis (cinq étages plus haut), le visiteur découvre les caricatures, l'illustrateur, la guerre de 1870, la Bible et le paysage (de montagne, où l'homme romantique cherche le sublime). L'exposition se conclut sur les illustrations qui ont inspiré le cinéma. C'est plus ou moins du chrono-thématique. 

Cette exposition permet de découvrir beaucoup d'oeuvres, on regrettera simplement la toute petite taille des écrans où défilent les oeuvres numérisées et leur situation (dans des passages étroits) : il est complexe de les regarder à plus de deux-trois et c'est quasi impossible en cas de forte affluence. Cette visite se révèle riche et passionnante et le catalogue (pas encore acheté) a l'air très bien. Attention cependant à bien viser votre heure de visite : les espaces sont vite combles. 

Pour vous donner un avant goût, un petit site vous permet de mieux voir toutes ces illustrations sans être bousculé ! 

dimanche 9 mars 2014

Ainsi résonne l'écho infini des montagnes

Je n'avais encore jamais lu de livre de Khaled Hosseini mais je peux vous assurer que cette première lecture ne sera pas la dernière. J'ai aimé rencontrer tous les personnages de ce roman, les voir se perdre et se retrouver. 

Abdullah vit avec sa soeur, Pari, dans le village de Shadbagh en Afghanistan. Il grandit avec son père et sa belle mère. Un jour, son oncle Nabi propose une offre à son père, à Kaboul. Cet acte détermine l'avenir de la famille (et je n'en dirai pas plus sur cet épisode). On suit ensuite Nabi, dans son quotidien de chauffeur et cuisinier à Kaboul, au service d'une riche famille. Puis l'on rencontre Markos, un médecin grec, Timur, un médecin américain, Pari, une artiste, Adel, un fan de foot... et bien d'autres dans ce roman qui mêle les dates et les lieux. Bien entendu, on passe du temps à Kaboul mais aussi en France, en Grèce et aux Etats-Unis. 

Ce roman s'attache aux relations familiales et crée des personnages complexes, riches et vivants. Tous ne m'ont pas semblé aussi intéressants mais l'ensemble est très convaincant et propose une belle réflexion sur la tolérance, sur l'acceptation des autres et de soi. Une lecture dont je retiendrai surtout le superbe conte initial qui contient déjà tout le roman. 




vendredi 7 mars 2014

La femme au collier de velours

Dumas nous propose avec ce livre un conte fantastique voire gothique sur Hoffmann. 

Victor Hugo David d'Angers


Tout commence par une lettre de Dumas à Marie Nodier. Cette rédaction évoque des souvenirs de jeunesse chez l'écrivain. Celui-ci nous explique combien il a été proche de Charles Nodier, introduit dans son salon de l'Arsenal, le Cénacle, avec les plus grands (Hugo ou Lamartine entre autres). S'ensuit un véritable hommage à Nodier, à sa bibliophilie et à sa curiosité intellectuelle. Mais cet hommage est aussi une façon d'introduire la dernière histoire que lui a livré le bibliothécaire. 

Cette histoire concerne la jeunesse d'Hoffmann, le talentueux écrivain allemand. Celui-ci souhaite de tout cœur partir à Paris (au plus fort de la Terreur) avec son ami Werner. Mais une jeune fille retient son attention, Antonia, fille du compositeur Gottlieb. Il reste pour elle. Mais il se languit de découvrir le monde. Antonia l'encourage à partir en lui faisant jurer, devant elle et devant Dieu, qu'il lui sera fidèle et se tiendra éloigné des tables de jeu. Hoffmann promet. A Paris, la guillotine fait rage, le musée est fermé. Hoffmann découvre l'opéra. C'est là qu'il découvre Arsène, une danseuse fabuleuse, qui porte un collier de velours avec un pendant en forme de guillotine. Le voilà sous le charme... 

Ce court roman, dans la lignée des histoires de fantômes de Dumas, est intéressant à plusieurs titres. Tout d'abord, il nous fait bien sentir le regard de la fin du XIXe siècle, sur son temps et sur la Révolution. Puis, il rend perceptible la folie de la Terreur, propice justement à une histoire fantastique. Enfin, il nous propose un récit sur un écrivain, par un autre écrivain, dont il se fait la plume. L'ensemble se dévore avec passion ! 

Voilà un petit mot sur la passion du jeu, l'un des sujets du roman : "Le joueur a toutes les vertus de son vice. Il est sobre, il est patient, il est infatigable. Un joueur qui pourrait, tout à coup détourner au profit d'une passion honnête, d'un grand sentiment, l'énergie incroyable qu'il met au service du jeu, deviendrait instantanément un des plus grands hommes du monde. Jamais César, Annibal ou Napoléon n'ont eu, au milieu même de l'exécution de leurs plus grandes choses, une force égale à la force du joueur le plus obscur. L'ambition, l'amour, les sens, le cœur, l'esprit, l'ouïe, l'odorat, le toucher, tous les ressorts vitaux de l'homme enfin, se réunissent sur un seul mot et sur un seul but: jouer. Et n'allez pas croire que le joueur joue pour gagner ; il commence par là d'abord, maïs il finit par jouer poux jouer, pour voir des cartes, pour manipuler de l'or, pour éprouver ces émotions étranges qui n'ont leur; comparaison dans aucune des autres passions de, la vie ; qui font que, devant le gain ou la perle, ces deux pôles de l'un à l'autre desquels le joueur va avec la rapidité du vent, dont l'un brûle comme le feu, dont l'autre gèle comme la glace, qui font, disons nous, que son cœur bondit dans sa poitrine sous le désir ou la réalité, comme un cheval sous l'éperon, absorbe comme une éponge toutes les facultés de l'âme, les comprime, les retient, et le coup joué, les rejette brusquement autour de lui pour les ressaisir avec plus de force. Ce qui fait la passion du jeu plus forte que toutes les autres, c'est que, ne pouvant jamais être assouvie, elle ne peut jamais être lassée. C'est une maîtresse qui se promet toujours et qui ne se donne jamais. Elle tue, mais elle ne fatigue pas. La passion du jeu c'est l'hystérie de l'homme. Pour.le joueur tout est mort, famille, amis, patrie. Son horizon, c'est la carte et la bille. Sa pairie, c'est la chaise où il s'assied, c'est le tapis vert où il s'appuie."

Challenge classique Stephie

jeudi 6 mars 2014

La mouche qui pète

Vous n'imaginez pas les conséquences terribles d'un fait si commun. Pire que le battement d'aile d'un papillon ! 

Ce petit livre de Michael Escoffier décrit chacune des étapes qui, d'une cause ridicule, conduit à des conséquences déplorables pour l'humanité. Un vrai drame !

Un livre pour enfant, sympathiquement gribouillé par Kris Di Giacomo, humoristique... Si vos lecteurs ne le prennent pas au premier degré !

mouche pete enfants

mercredi 5 mars 2014

Camille Chamoux. Née sous Giscard

Nouvelle sortie au Petit théâtre Saint-Martin pour découvrir un one woman-show, celui de Camille Chamoux. Mais si, vous avez forcément croisé sa tenue de miss France et sa tiare dans les couloirs du métro !


On entre dans la salle. Camille, sur scène, nous salue. C'est sympa. Elle met des disques et sirote son thé tout en notant deux-trois idées dans son journal intime. Seule déception, pas de tiare à l'horizon. Et le spectacle commence, sur le ton de la conversation. Camille a serré la patte d'un baby-boomer, d'un djeun de la génération Y et d'un de ses contemporains. Car, sachez-le, selon votre date de naissance, vous appartenez à une catégorie précise. Camille, née sous Giscard, est de la génération X. Génération nostalgique. Génération précaire. Camille nous retrace son histoire : petite fille imaginative et émerveillée, ado sage puis rebelle, adulte, enfin.
Racontant avec beaucoup d'humour le parcours de cette petite fille qui pose des questions pas chouettes à la maîtresse (sur la Marseillaise, notamment), elle épingle au passage notre époque... et les autres générations.

Ce spectacle parlera certainement plus à la génération X qu'à la Y (je ne connaissais pas du tout ses dessins animés) mais fait rire et sourire, toutes générations confondues ! Mention spéciale à son imitation  de l'ado, plus vraie que nature. Une sortie rafraîchissante. 

mardi 4 mars 2014

La première fois

Avec ce titre d'Anne-Marie Garat, je replonge dans le goût de cet auteur pour la photographie

De retour dans une maison de famille, la narratrice frissonne et peine à apprécier les lieux. Puis, elle se souvient d'une autre venue. Ce jour là, elle avait pris des photographies. Elle nous conte combien elle aimait les développer elle-même... Et combien ses prises furent décevantes. 

A travers un texte très court, la narratrice s'interroge sur la mémoire et les réminiscences, sur l'atmosphère des lieux. Une lecture agréable, comme souvent avec cet auteur, sans être complètement dingue. 

famille maison