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lundi 28 décembre 2020
Teologia guarani
mercredi 23 décembre 2020
La folle allure
Voilà un magnifique Bobin comme je les aime, un joli roman - avec une vraie narration. Au centre, une héroïne, dont on ne connaitra pas le nom. Une héroïne libre, fugueuse, amoureuse. Une jeune femme, une jeune fille, une fillette qui a grandi dans un cirque et dormi avec un loup. La fille d'une femme très aimée, rayonnante, et d'un père perfectionniste. La sœur de jumeaux. La femme d'un écrivain raté, bohème. L'amie de la liberté, de la joie. Une héroïne qui nous emporte dans sa vie comme un tourbillon de vitalité et d'amour ! Qu'en dire d'autre ? Que la moisson des phrases est plus qu'abondante !
"Tu sais ce que c'est la mélancolie ? Tu as déjà vu une eclipse ? Eh bien c'est ça : la lune qui se glisse devant le coeur, et le coeur qui ne donne plus sa lumière. La nuit en plein jour. La mélancolie c'est doux et noir"
"Les fugues ont commencé après la mort du loup. C'est ce que prétendent mes parents. Moi je crois qu'elles avaient commencé bien avant. Simplement elles n'étaient pas visibles. Passer des heures à contempler le feu couvant dans les yeux d'un loup, c'est aller au bout du monde. Aujourd'hui encore, dans cette petite chambre aux murs blancs, si je veux voyager, je m'approche de la fenêtre et je regarde le ciel longtemps, le plus longtemps possible, jusqu'à y reconnaitre quelque chose de la brulure et de la douceur d'un loup"
"Ma mère est folle, je crois. Je souhaite à tous les enfants du monde d'avoir des mères folles, ce sont les meilleures mères, les mieux accordées aux coeurs fauves des enfants. Sa folie lui vient d'Italie, son premier pays. En Italie, ce qui est dedans, ils le mettent dehors. Leur linge à sécher et leur coeur à laver, ils mettent tout à la rue sur un fil entre deux fenêtres, et ils font l'inventaire plusieurs fois par jour, devant les voisins, dans un interminable opéra de cris et de rires"
"Je sors et je rentre après avoir embrassé mon loup, après avoir exercé le droit élémentaire de toute personne vivant sur cette terre : disparaitre sans rendre compte de sa disparition"
"La séparation la plus grave entre les gens, elle est là, nulle part ailleurs : dans les rythmes"
"J'ai toujours reconnu d'instinct ceux qui se lèvent avec le jour, même en vacances, et ceux qui restent pour des siècles au lit. J'ai immédiatement craint les premiers. J'ai toujours craint ceux qui partent à l'assaut de leur vie comme si rien n'était plus important que de faire des choses, vite, beaucoup. Ma mère était tellement aimée que ce n'était plus la peine d'occuper toutes les heures du jour. Le monde appartient, dit-on, à ceux qui se lèvent tôt. Ils le font bien sentir que ça leur appartient, le monde, ils en sont assez fiers de leur remue-ménage. Mais quand on est aimée, on s'en fout du monde, on a beaucoup moins besoin d'y faire son tour. Ma mère baignait dans un flux d'amour. Ses parents l'avaient célébrée. Les hommes l'admiraient. Elle n'avait rien à prouver, à construire. Elle pouvait bien rester au lit à des heures déraisonnables"
"Parfois, chaque seconde qui passe peut vous amener la mort ou la joie pure d'y avoir encore échappé - jusqu'à la seconde suivante où tout recommence. Je décide d'utiliser chaque seconde comme ça. Utiliser n'est pas un mot heureux : je décide d'aller d'une seconde à l'autre comme on saute d'un rocher au suivant, pour traverser une rivière profonde. Eclaboussée, rafraichie. Jamais noyée"
"Mourir doit ressembler à ça : nager dans le noir et que personne ne vous appelle"
"J'ai peur qu'on ne m'aime plus - de rien d'autre. Si, peut-être : des araignées. Pour la première peur, je suis rassurée. J'ignore pourquoi mais je suis rassurée, comme ma mère l'est pour elle-même : il se trouvera toujours quelqu'un pour m'aimer. Et s'il n'y a personne, il y aura toujours l'air, le sable, l'eau, la lumière. Je ne serai jamais abandonnée"
"Mon père, lui, c'est une maladie incurable, celle de la perfection. Tout doit être fait au mieux et le mieux ce n'est jamais ça, jamais, jamais. C'est un mal éprouvant pour l'entourage"
"Un détail en somme, mais l'amour réside dans les détails, nulle part ailleurs"
"mémé, qu'est-ce qu'il y a de plus important dans la vie ? Je n'ai pas oublié la réponse : une seule chose compte, petite, c'est la gaieté, ne laisse jamais personne te l'enlever. Elle disait : gaieté. Je suppose que les religieux diraient : joie [...] Quand je me suis mariée, la gaieté était dans mon coeur. Si j'ai divorcé, c'est parce qu'elle menaçait d'en partir"
"Moins aimer, c'est ne plus aimer du tout"
"Il me semble parfois que tous nos sentiments, même les plus profonds, ont une part indélébile de comédie. Leur profondeur ne doit souvent rien à l'amour - et tout à l'amour-propre. C'est sur nous-mêmes que nous pleurons et c'est nous seuls que nous aimons"
"L'état d'âme fait oublier l'âme. Moi je le dirais comme ça : l'état d'âme empêche l'âme de venir"
"Je ne sais pas ce qu'est l'âme. Je sais très précisément dans quelle partie du corps elle s'évapore, jusqu'à s'anéantir : un minuscule point sombre dans la prunelle des yeux - le mépris"
"Si je ne disparais plus, c'est que je n'ai plus besoin de disparaitre. Le mariage est encore la meilleure façon pour une femme de devenir invisible"
"Si on disait vraiment, partout et toujours, ce qui nous chante dans la tête, la vie serait plus drôle, plus déchirée peut-être, bien plus vivante"
"Tout ce qu'on vit vraiment est secret, clandestin et volé, marcher sous la pluie fine et se réjouir du bruit des talons sur les pavés, prélever une phrase dans un livre et la poser sur son coeur un instant, manger un fruit en regardant par la fenêtre, ça aussi il faut dire que c'est tromper, puisqu'on y reçoit du dehors une joie brute qui ne doit rien, absolument rien au mari"
"La chanson de ne rien faire pour bien faire, j'y trouve une image de ce que je vis avec lui, une annonce de la fin avant la fin et je n'en suis pas triste, ce que j'apprends avec l'ogre c'est à ne pas jouer du violoncelle pour mieux en jouer plus tard, j'apprends à être aimée pour n'avoir plus besoin de l'être et pour enfin aller au-delà, ailleurs, au-delà du sentiment, ailleurs que dans le sentiment, pour aller dans quoi, dans l'amour peut-être, comme aujourd'hui dans cet hôtel, vivante, seule, aimante d'amour partout donné, partout reçu, sans la maladie du lien à un seul, aimante d'un amour qui ne dépend plus d'un père, d'un mari ou d'un amant, l'amour est une pièce minuscule dans laquelle j'entrerai au bout de ces trois ans, pendant trois ans je me prépare à aimer, pendant trois ans je vis en attendant autre chose et donc je ne vis pas, je brûle seulement et les deux autres brûlent avec moi"
"On ne peut pas grandir avec les autres. On ne peut grandir qu'en échappant à cet amour qu'ils nous portent et qui leur suffit, croient-ils, à nous connaitre. On ne peut grandir qu'en faisant des choses dont on ne leur rendra pas comte, et d'ailleurs si on leur en rendait compte, ils ne les comprendraient pas, parce qu'elles seront faites avec cette part de nous demeurée invisible, insaisissable, non couverte par le manteau d'amour qu'ils jetaient sur nos épaules"
lundi 21 décembre 2020
La déchirure
lundi 14 décembre 2020
La gouvernante suédoise
Ce court roman de Marie Sizun, découvert chez mes parents, je l'ai confondu avec un autre noté dans ma LAL. Qu'à cela ne tienne, ce fut une belle découverte ! C'est une histoire de famille, à la fin du XIXe siècle, dont les secrets déteignent toujours aujourd'hui. Sa particularité, c'est l'atmosphère de mystère qui s'en dégage et la petite voix de la narratrice, qui questionne les faits.
Fin du XIXe siècle, un français dans la force de l'âge séduit une jeune suédoise. Hulda et Léonard se marient. De professeur de français, il devient homme d'affaire et n'est pas très présent. Hulda, bientôt mère, n'arrive pas à tenir sa maison. C'est dans ce cadre que Léonard recrute Livia comme gouvernante. Les deux femmes deviennent amies, les enfants grandissent, mais Léonard impose à sa famille un départ précipité vers la France où Hulda commence à broyer du noir.
Roman intimiste, il garde pas mal de ses secrets, notamment autour de Léonard - sa première épouse, son travail, la raison de sa présence en Suède. Il est toutefois sans équivoque sur les amours ancillaires et la dépression d'Hulda, bloquée dans une vie isolée, loin des siens. Un roman que je risque d'oublier assez vite, mais dont je retiendrai la petite voix mystérieuse.
jeudi 10 décembre 2020
Les braises
Ce roman de Sandor Marai patientait depuis un certain temps sur ma PAL. Comme souvent avec cet écrivain, j'ai passé un très bon moment.
Le général vient de recevoir un pli. Sur le champ, il ordonne que la maison reluise pour accueillir un mystérieux invité. A travers un flash back, on découvre le vieil homme enfant, fils d'une française et d'un officier d'Autriche-Hongrie. On suit Henri dans cette enfance solitaire d'enfant unique, entre des parents si différents, à l'école et à l'armée. Heureusement, il rencontre un ami, Conrad, duquel il est inséparable.
Ce soir, c'est un vieillard qui s'apprête à revoir cet ami après 40 ans de séparation. Ambiance tendue, tout le monde sur son 31, c'est une soirée spéciale qui se prépare. Car l'ami en question a fui un beau matin, est parti vivre sous les tropiques sans dire au revoir, après une soirée en tous points identique à celle que veut lui faire vivre Henri. A l'époque, Christine, son épouse, était toujours vivante et il s'était passé quelque chose entre Christine et Conrad. Ce soir, le général veut connaitre la vérité. Et c'est une longue soirée qui se déroule, une soirée où l'on replonge dans le monde d'avant la Première Guerre mondiale où chacun appartenait à un camp différent. Une soirée d'un luxe que l'on imagine plus. Une soirée polie, sans éclats de voix, mais où la sourde détermination d'Henri ne fait pas de doute : il ira jusqu'au bout de ses questions.
Un huis-clos où la tension grimpe progressivement, ferrant le lecteur qui a autant envie de savoir que le général. Un roman sur l'amitié servi par une plume délicate, attentive aux mouvements de l'âme. Vous avez compris : j'ai beaucoup aimé !
"Etre différent de ce que l'on est... est le désir le plus néfaste qui puisse brûler dans le cœur des hommes. Car la vie n’est supportable qu’à la condition de se résigner à n’être que ce que nous sommes à notre sens et à celui du monde. Nous devons nous contenter d'être tels que nous sommes et nous devons aussi savoir qu'une fois que nous aurons admis cela, la vie ne nous couvrira pas de louanges pour autant. Si, après en avoir pris conscience, nous supportons d'être vaniteux ou égoïstes, d'être chauves ou obèses, on n'épinglera pas de décoration sur notre poitrine. Non, nous devons nous pénétrer de l'idée que nous ne recevrons de la vie ni récompense ni félicitations. Il faut se résigner, voilà tout le grand secret"
lundi 7 décembre 2020
Une spiritualité d'enfant
Avant-propos de Lytta Basset
L'enfance : une pierre d'attente pour le spirituel de Nicole Fabre
La spiritualité de l'enfant trisomique de Michèle Trellu
La presse éducative, une école de spiritualité pour les enfants d'Emmanuelle Rémond-Dalyac
Un esprit caché aux sages et aux intelligents de Serge Molla
Cultiver la spiritualité : le modèle éducatif de la "Haggadah de Pessah" de Tania Zittoun
"l'attention à l'inhabituel, un art de questionner ce qui semble évident, et un souci pour les pratiques concrètes comme lieu de l'ancrage du sens"
Paraboles thérapeutiques à l'écoute des enfants et des personnes handicapées de Madeleine Natanson
Thérèse de Lisieux et l'enfance spirituelle : relire "Le Divin Petit Mendiant de Noël" de Sylvie Barnay
Notes sur l'esprit d'enfance bernanosien d'Yves Bridel
"La relation à Dieu : celui qui vit selon l'esprit d'enfance est vis-à-vis de Dieu comme l'enfant vis-à-vis de son père ; il a avec Lui une relation parentale, il s'abandonne à Lui, il attend tout de Lui. C'est cette relation qui est au centre de la voie de l'enfance spirituelle, et c'est dans cette attitude de confiance et d'insouciance que s’ancrent l'ouverture à l'autre, la modestie, l'humilité. Mais aussi la vitalité, le gout de l'aventure, l'engagement total, l'espérance, la révolte contre tout ce qui peut s’opposer à cet élan vital"
Un renversement bienvenu dans l'histoire de la catéchèse d'Anne-Marie Aitken
lundi 30 novembre 2020
Inès del alma mia
mercredi 25 novembre 2020
La maison sur le rivage
J'ai redécouvert Daphné du Maurier avec ce titre. Cela faisait longtemps longtemps ! Au programme, une histoire de voyage dans le temps... ou presque.
Dick passe quelques jours dans la maison de famille de Magnus, un ami d'enfance. Il attend que sa femme et ses beaux-fils le rejoignent. Dans l'intervalle, il a pour mission de tester une drogue conçue par Magnus. Celle-ci permet de leurrer le cerveau et fait surtout vivre à Dick des moments du XVIe siècle, avec une intensité plus forte que son quotidien. Il retrouve Roger, intendant, et le suit dans ses missions en Cornouailles. Témoin invisible des manœuvres des aristocrates locaux, Dick se passionne pour leurs faits et gestes. Au point qu'il en oublie ou néglige un peu les siens. Lorsque ceux-ci débarquent pour des vacances, Dick n'est pas tout à fait disponible. Son épouse le remarque, s'inquiète, ce qui ne fait qu'irriter Dick. Il faut dire qu'au XIVe siècle vit la belle Isolda qui ne le laisse pas indifférent.
Vous l'avez compris, Dick est addict' à ses sensations de vivre intensément dans le passé. Et il est prêt à beaucoup sacrifier pour y retourner. Un grave accident vient modifier son rapport au passé et au présent.
Si j'ai comme Dick apprécié les voyages dans le passé, je me suis assez peu intéressée au présent, à sa vie familiale un peu pesante. L'auteur nous fait bien ressentir combien Vita l'agace... et nous agace aussi. Après, les épisodes passés ont peu retenu mon attention, c'est vraiment le phénomène psychique qui m'a captivée. La narration et la langue ne m'ont pas transporté. C'est une bonne lecture détente !
lundi 23 novembre 2020
Barrez-vous ! Le guide
mercredi 18 novembre 2020
Quand sort la recluse
Un petit Vargas, rien de tel pour passer un bon moment lecture ! Un petit polar avec Adamsberg aux commandes, devant résoudre pas moins de trois affaires dans ce titre. Pour les amis de Danglard par contre, ce n'est pas le meilleur opus puisqu'il n'est pas très actif cette fois. Mais Retancourt, Voisenet, Veyrenc et Froissy passent sur le devant de la scène.
Rappelé d'Islande pour résoudre une affaire de meurtre - ce qu'il fait en deux temps trois mouvements, Adamsberg s'intéresse à une araignée qui aurait tué des vieux messieurs. La recluse n'est habituellement pas mortelle, a-t-elle muté ? Ou s'agit-il de meurtres ? Tirant des petits fils, Adamsberg et son équipe vont remonter le temps, cherchant des liens entre les hommes morts et découvrir que l'araignée est moins anodine qu'elle n'y parait et plus polysémique. Plongeant dans l'histoire personnelle des membres de la brigade, cette enquête à rebondissements n'est pas de tout repos.
Roman policier ou d'atmosphère, c'est plutôt pour les personnages et leur humour que je lis Vargas. L'affaire en elle-même, intéressante, est surtout un moyen de mieux connaitre le commissaire. Et comme souvent, on en profite pour faire des petits détours par l'histoire, qui sont bien agréables !
lundi 16 novembre 2020
Moi, boy
vendredi 13 novembre 2020
La Tresse
Roman de Laetitia Colombani sur ma PAL depuis sa sortie, j'hésitais à le lire. J'avais peur de le trouver facile, rapide, sans trop de fond. Préjugés !
C'est l'histoire de trois femmes, dans trois lieux différents. Pour le temps, on ne sait pas trop au début, ça pourrait être à 20 ans d'intervalle car les réalités sont bien différentes mais 'est plus ou moins contemporain.
A Badlapur, en Inde, Smita est une Dalit, une Intouchable. Elle vide les toilettes du village. Pour sa fille, elle rêve d'une autre vie, elle parvient à la mettre à l'école. Mais il ne suffit pas d'un arrangement pour échapper aux castes. Lalita, sa fille, revient de la classe traumatisée.
A Palerme, en Sicile, Giulia travaille dans un atelier qui fabrique des perruques. Entreprise familiale, la dernière de l'île, elle peine à trouver des cheveux. Mais c'est avec l'accident de son père, Pietro, qu'elle découvre l'étendu des dégats en même temps qu'un homme, Kamal, attire son attention.
A Montréal, au Canada, Sarah est une avocate brillante. Elle est sur le point d'être nommée associée. Parcours du combattant pour une femme, mère de trois enfants, elle a su consciensieusement séparer vie privée et vie pro. Mais en pleine plaidoirie, elle s'écroule. Le malaise s'avère être un cancer qui grignotte sa vie. Mais le maintenir caché, est-ce réellement possible au milieu des requins ?
Ces trois guerrières, ces trois femmes de caractère, vont prendre des décisions radicales. Elles sont toutes à un tournant et c'est ce moment qu'on suit avec elle. Chaque histoire pourrait se vivre sans les autres. Au fil du texte, un poème, qui tresse les trois brins de vie ensemble. Elles, sans se connaitre, puisent leur force des unes et des autres, des cheveux des Intouchables. Ce petit fil ténu mais solide, qui les lie, elles n'en ont pas conscience, il est un peu artificiel. L'écriture est simple elle aussi, elle va droit au but, seul le poème donne une autre tonalité, plus symbolique, autour du tissage, du tressage.
mercredi 11 novembre 2020
Un royaume de femmes et L'épouse
Les nouvelles d'Anton Tchekhov, c'est aussi une relecture. J'avais un très bon souvenir de ces nouvelles, très fines. J'en ai choisi deux du recueil La dame au petit chien pour redécouvrir l'auteur.
Un royaume de femmes est l'histoire d'Anna, riche héritière d'usines qu'elle peine à gérer. Née dans un milieu populaire, la voilà maîtresse d'une grande maison. Entre actes de bienfaisance, gestion de l'usine, thés entre femmes, elle s'interroge. Est-elle au bon endroit ? Ne devrait-elle pas se marier ? En cette journée de Noël, elle joue avec cette idée !
L'épouse est l'histoire d'un mari trompé. Il cherche à chasser sa femme, qui souhaite garder sa liberté et son confort.
Histoires d'amour, d'adultère, du point de vue des hommes ou des femmes, qui ne manquent pas de finesse et d'humour. Enfin rêveries et considération des situations respectives des héros plus qu'histoires pour ces deux nouvelles. C'est simple, économe d'effets ou de mots...
lundi 9 novembre 2020
Agir et penser comme un chat
jeudi 5 novembre 2020
Histoire de celui qui dépensa tout et ne perdit rien
Connaissez vous l'histoire du fils prodigue, qui quitte la maison paternelle avec son héritage, le dépense et souffre de la famine avant de revenir vers son père... qui lui pardonne ? Eh bien c'est cette parabole que Jacqueline Kelen reprend et raconte. Elle ajoute des détails, des personnages, de la chair à l'histoire qui se déploie comme un conte. Il y a désormais la mère, le père, le serviteur, des anges et les deux fils. Chacun a droit à sa part de monologue, son interprétation de l'histoire. On découvre un fils prodigue qui ose, qui aime, qui se trompe, un fils vivant et beau, qui reconnait son essentiel. On suit toujours le grand frère parfait, un peu jaloux, un peu sec, qui ne semble pas vivre complétement. Et puis les parents, tourbillon d'amour, d'inquiétude, de soutien et de tendresse. C'est plein de sentiments divers qui traversent les acteurs du livre. A la fin, une courte analyse, peut-être de trop (?) qui donne quelques éléments de contexte.
Alors, pour vous y faire gouter, petite sélection de citations :
"Dans les premiers temps je me sentais rassuré par une telle opulence. Puis je ressentis la menace venant de cette prospérité paisible et j'eus envie de connaitre la soif et l'aventure [...] Tiens, le voici, le bon prétexte, le seul mobile de mon départ : aller à la rencontre du vent, m'offrir à tous les souffles, entendre leur chanson"
"Père est doté de cette rare bonté qui aime en l'autre la liberté, l'étrangeté même [...] La bienveillance de mon père me permet de partir, de grandir, même s'il lui en coute"
"Quels que soient son âge et sa capacité, chacun est appelé à faire croitre et à embellir la maison : celle qui est visible, et l'autre aussi, la demeure de Dieu"
"Douloureuse se révèle ma pauvreté. Je suis devenu un mendiant ou plutôt, dès mon arrivée dans la ville voilà des années, je n'ai fait que mendier des plaisirs, des nouveautés, je n'ai fait que quémander pour moi. Je me comportais en jeune seigneur, mais j'étais un esclave revêtu d'atours chatoyants, un pauvre esclave en dépit d'une bourse emplie de pièces d'or"
"Dès que j'apercevrais mon père, je me prosternerai et lui dirai, si les larmes n'étouffent pas les mots, je lui dirai que l'amour est intact, que j'ai tout dépensé mais que je n'ai rien perdu. Me reste l'essentiel, un trésor que n'entameront ni les rats ni les voleurs ni les courtisanes, me reste l'invisible alliance : ta parole donnée, ton amour, la liberté que tu m'as accordée. Père, écoute-moi, j'ai tout dépensé et je n'ai rien perdu"
mercredi 4 novembre 2020
Les brigands
Cette pièce de Friedrich von Schiller était dans ma LAL depuis des années. C'est grâce à Babelio que j'ai enfin franchi le cap.
Terrible histoire de famille, qui nous fait entrer dans la violence du Romantisme allemand. Maximilian von Moor et ses deux fils, Franz et Karl, sont au centre de l'histoire. Franz annonce à son père combien Karl est un débauché, ce qui conduit à son reniement. Franz est un sacré manipulateur, qui cherche à récupérer l'héritage de son frère ainsi que sa fiancée. Très noir, il fait croire à la mort de Karl puis de Maximilian. Quant à Karl, il se fait chef d'une bande de brigands, sorte de Robin des Bois.
Bien entendu, tout cela se termine affreusement mal pour tout le monde. C'est violent, c'est manichéen, c'est sans filtre. Puissant !
lundi 2 novembre 2020
Jésus le Dieu qui riait
"Jésus la dévisage avec amour. Ce n'est pas le premier rire qu'il fait naître, et ce ne sera pas le dernier, mais ce rire de sa mère, un rire émerveillé et confiant, est le plus beau"
"Elle ne peut s'empêcher de penser que Jésus et ces hommes qui le "suivent" ont tout à fait l'air de ces oiseaux captifs qu'on libère par inadvertance. Alors, on les voit quitter leur cage avec une sorte de frénésie qu'on comprend : ils étaient enfermés depuis si longtemps ! On s'imagine qu'ils vont s'élancer vers le ciel, partir très haut, très loin - mais non, pas du tout, ils se contentent de décrire d'interminables cercles au dessus des terrasses, comme désorientés par cette liberté nouvelle"
jeudi 29 octobre 2020
L'envers et l'endroit
"C'est vrai que les pays méditerranéens sont les seuls où je puisse vivre, que j'aime la vie et la lumière ; mais c'est vrai aussi que le tragique de l'existence obsède l'homme et que le plus profond de lui-même y reste attaché. Entre cet envers et cet endroit du monde et de moi-même, je me refuse à choisir. Si vous voyez un sourire sur les lèvres désespérées d'un homme, comment séparer celui-ci de celles-là ?"
"Car ce qui fait le prix du voyage, c’est la peur. Il brise en nous une sorte de décor intérieur. Il n’est plus possible de tricher – de se masquer derrière des heures de bureau et de chantier (ces heures contre lesquelles nous protestons si fort et qui nous défendent si surement contre la souffrance d’être seul) [...] Loin des nôtres, de notre langue, arrachés à tous nos appuis, privés de nos masques (on ne connait pas le tarif des tramways et tout est comme ça), nous sommes tout entiers à la surface de nous-mêmes. Mais aussi, à nous sentir l'âme malade, nous rendons à chaque être, à chaque objet, sa valeur de miracle"
lundi 26 octobre 2020
Nouvel éloge de la folie
"Comme tous mes autres livres, ce livre a pour sujet la lecture, cette activité créatrice éminemment humaine. Je crois que nous sommes, dans l'âme, des animaux lecteurs et que l'art de lire, au sens le plus large, définit notre espèce. Nous venons au monde avides de découvrir un récit en toute chose : paysage, cieux, visages d'autrui et, bien entendu, dans les images et les mots que crée notre espèce. Nous lisons notre propre vie et celle des autres, nous lisons les sociétés dans lesquelles nous vivons et celles qui se trouvent au-delà de nos frontières, nous lisons dessins et immeubles, nous lisons ce qu'abrite la couverture d'un livre. C'est là l'essentiel. Pour moi, des mots sur une page confèrent au monde une cohérence. Lorsque les habitants de Macondo furent frappés un jour, pendant leurs cent ans de solitude, par un mal en forme d'amnésie, ils se rendirent compte que ce qu'ils connaissaient du monde était en train de se volatiliser et qu'ils risquaient d'oublier ce que c'est qu'une vache, ce que c'est qu'un arbre, ce que c’est qu’une maison. L’antidote, découvrirent-ils, se trouvait dans les mots. Afin de se souvenir de ce que leurs mots représentaient pour eux, ils rédigèrent des pancartes qu’ils suspendirent aux bêtes et aux objets : “Ceci est un arbre”, “Ceci est une maison”, “Ceci est une vache, et elle donne du lait qui, mélangé au café, donne le café con leche”. Les mots nous disent ce que nous, en tant que société, nous croyons qu’est le monde [...] Ce qui demeure invariable, c’est le plaisir de lire, de tenir un livre en mains et d’éprouver tout à coup cette sensation particulière d’émerveillement, de reconnaissance, de froid ou de chaleur qu’évoquent parfois, sans raison perceptible, certaines successions de mots. La critique de livres, la traduction de livres, l’édition d’anthologies sont des activités qui m’ont fourni une justification pour ce plaisir coupable (comme si le plaisir avait besoin d’une justification !) et m’ont même parfois permis de gagner ma vie. [...] “Le motif dans le tapis”, c’est la formule inventée par Henry James pour désigner le thème récurrent qui, telle une signature secrète, parcourt l’œuvre d’un auteur. Dans beaucoup des textes que j’ai écrits (critiques, notices ou introductions), je pense pouvoir distinguer ce motif insaisissable. Il a quelque chose à voir avec la relation de cet art que j’aime tant, l’art de lire, avec le monde dans lequel je le pratique, le “beau monde” de Thomas. Je crois qu’il existe une éthique de la lecture, une responsabilité dans notre manière de lire, un engagement à la fois politique et privé dans le fait de tourner les pages et de suivre les lignes. Et je crois que parfois, au-delà des intentions de l’auteur et au-delà des espoirs du lecteur, un livre peut nous rendre meilleurs et plus sages"
"Pendant toutes les années au cours desquelles j’ai lu et relu Alice, j’ai rencontré bien d’autres lectures différentes et intéressantes de ses aventures, mais je ne peux pas dire qu’aucune d’entre elles me soit devenue personnelle en profondeur. Les lectures des autres influencent, bien sûr, ma propre lecture, elles offrent de nouveaux points de vue ou colorent certains passages, mais elles ressemblent pour la plupart au moucheron qui ne cesse d’agacer Alice en lui chuchotant à l’oreille : “Vous pourriez fabriquer un jeu de mots à ce propos.” Je refuse ; je suis un lecteur jaloux et je ne reconnais à personne un jus primae noctis sur les livres que je lis. Le sentiment intime de familiarité établi voici tant d’années avec ma première Alice ne s’est pas affaibli ; chaque fois que je la relis, les liens se resserrent de façon très privée et inattendue".
"Comment la perception de ce que je suis affecte-t-elle ma perception du monde qui m'entoure ?"
"Pour un lecteur, c'est là sans doute la justification essentielle, voire la seule, de la littérature : sa faculté d'empêcher la folie du monde s'emparer totalement de nous, même si elle envahit nos caves (la métaphore est de Machado de Assis) avant de gagner lentement la salle à manger, le salon, la maison entière"
"Toute grande littérature (toute littérature que nous qualifions de grande) survit, plus ou moins péniblement, à travers ses réincarnations, ses traductions, ses lectures et relectures, faisant passer une sorte de connaissance ou de révélation qui, à son tour, se propage et fait jaillir chez beaucoup de ses lecteurs des intuitions et des expériences nouvelles. Ce caractère créateur, à l'instar des lectures shamaniques d'écailles de tortue ou de feuilles de thé, nous permet de comprendre, grâce à la lecture de fiction ou de poésie, quelque chose du mystérieux individu que nous sommes. Un processus qui nécessite non seulement la compréhension d'un vocabulaire partagé mais aussi le discernement, dans une construction littéraire, d'une signification nouvellement créée. En pareils cas, c'est le lecteur (et non l'auteur) qui recompose et déchiffre le texte se tenant en quelque sorte des deux côtés de la page à la fois."
"La bibliothèque idéale (comme toutes les bibliothèques) contient au moins une phrase qui a été écrite exclusivement pour chacun d'entre nous"
"Les livres nous obligent à regarder le monde. Mais que nous errions dans le but de nous perdre ou dans celui de nous trouver, dans les bibliothèques et sur les routes, c'est de notre volonté que cela dépend et non des cités hostiles ou accueillantes qui se trouvent derrière et devant nous"
"Les lecteurs savent qu'il y a des livres à lire après l'amour, et d'autres en attendant dans les salles d'embarquement des aéroports, des livres pour la table du petit déjeuner et d'autres pour la salle de bain, des livres pour les nuits d'insomnie chez soi et d'autres pour les journées sans sommeil à l’hôpital. Personne, même le meilleur des lecteurs, ne peut expliquer pourquoi certains livres conviennent à certaines occasions et d'autres pas. De quelque manière ineffable, les occasions et les livres, tels les êtres humains, s'entendent ou s’opposent entre eux. Pourquoi, à un certain moment de notre vie, choisissons nous la compagnie d'un livre plutôt que celle d'un autre ?"
samedi 24 octobre 2020
Tibhirine, une espérance à perte de vie
mercredi 21 octobre 2020
La Princesse de Babylone
Relecture d'un ouvrage de Voltaire lu en terminale... Oups, ça date ! On n'est pas très loin de Candide.
Le roi de Babylone organise un concours dont le prix est sa fille, la magnifique Formosante. Trois rois et un berger se présentent. C'est le berger, monté sur une licorne, qui remporte toutes les épreuves et disparait après avoir laissé un phénix à la belle Formosante, qui s'amourache de lui. Pour le roi, c'est plus compliqué, aucun des prétendants ne convient et un oracle lui annonce que sa fille doit faire le tour du monde.
Qu'à cela ne tienne, Formosante commence un voyage à destination du pays des Gangarides, pays de cocagne où vit Amazan, le fameux berger. Embrassée par le roi d'Egypte qu'elle voulait leurrer, elle est prise à son propre piège : Amazan entame un tour du monde pour fuir l'infidèle. C'est l'occasion pour elle de faire un tour du monde et de découvrir de curieuses contrées : Chine, Russie, Pays-Bas, Angleterre, France, Espagne... Ce roman d'amour est bien sûr l'occasion de souligner les traits de l'un ou l'autre peuple, avec burlesque ou ironie, mais surtout d'en critiquer le système politique ou religieux.
Sous ses airs exotiques et drôles, c'est un parfait petit conte des Lumières, qui joue avec les codes du roman courtois.
lundi 19 octobre 2020
Ça ira (1) La fin de Louis
Construit par Pommerat avec une équipe de comédiens improvisant sur les thèmes avant de figer le texte, il est tout à fait vivant et lisible. Hâte de le croiser un de ces jours au théâtre !
vendredi 16 octobre 2020
Refuser la misère
"Beaucoup ne comprennent pas le souci que nous avons d’informer, de faire connaître, d’expliquer. Certains pensent que nous devrions nous contenter d’aider, de secourir, de dépanner, d’encourager les familles des bidonvilles. Ceux-là ont raison de nous crier : « Casse-cou, faites attention à ne pas vous réduire à un intellectualisme de la misère qui peut devenir stérile »… Nous les en remercions, car ils nous aident à ne pas nous écarter de ce contact humain fait de présence, d’écoute, de communion, de délicate intervention.
Mais aussi, comment être présent si le genre de vie des bidonvilles nous échappe, écouter sans connaître le sens des mots, communier à l’inconnu, aider sans savoir les besoins ? L’une et l’autre attitude sont complémentaires, ne se condamnent ni ne se rejettent : aimer pour connaître et connaître pour aimer sont les fondements de toute approche fraternelle [...] Cependant, ajoute-t-il, les sociétés sont bâties, non pas par l'amour, mais par l'intelligence, que celle-ci soit ou non animée par l'amour. Le pauvre qui n'aura pas été introduit dans l'intelligence des hommes ne sera pas introduit dans leurs cités. Tant que le pauvre n'est pas écouté, tant que les responsables de l'organisation d'une cité ne s'instruisent pas de lui et de son monde, les mesures prises pour lui ne seront que des gestes par à-coups, répondant à des exigences superficielles et d'opportunité"
" Ce qui nous frappe dans la couche sous-prolétarienne, c'est cette sorte de décalage dans la façon d'y percevoir certaines valeurs, du fait qu'on ne les vit pas de la même manière que le monde extérieur. Le travail fait partie de la dignité de l’homme, dit-on au pauvre, l'enseignement est nécessaire aux enfants, le mariage est honorable. Il y croit sans jamais arriver à saisir entièrement ces valeurs par une expérience vécue. Son expérience personnelle est celle du travail humiliant, de l'enseignement dont ses enfants sont incapables de profiter, de la précarité ou de l'impossibilité du mariage. Ne connaissant pas autre chose, il ne saisit pas lui-même son décalage par rapport au monde extérieur. Il sent qu'il est différent des autres, mais il n'en comprend jamais exactement le pourquoi. Cette situation confuse donne à tout contact entre le pauvre et le non-pauvre une note d'ambiguïté qui fausse la relation et fait qu'elle aboutit le plus souvent à un dialogue de sourds. "
"Trop démunis pour être utiles, notre seul moyen de communication était d'accepter l'aide individuelle offerte de l'extérieur et, en échange, de l'utiliser comme l'entendait celui qui secourait. Ce genre de dialogue nous privait de toute possibilité de promotion. En effet, celle-ci exigeait au départ ce minimum de liberté de pensée et d'action, ce minimum de statut social indépendant de nos dimensions personnelles, nécessaires à la communication authentique avec un milieu dynamique. D'ailleurs, faute de connaissance de la pauvreté, nos interlocuteurs le plus souvent ne soupçonnaient pas que nous puissions penser différemment d'eux ou, s'ils le découvraient, s'en indignaient. Discuter de leurs interventions qui ne correspondaient pas à notre besoin profond d'intégration, les refuser à la rigueur, signifiait compromettre les seules relations qui nous restaient avec une société sans laquelle nous ne pouvions vivre [...] Les démarches matérielles, sociales ou spirituelles individualisées sont infiniment précieuses et même indispensables. Elles correspondent cependant à une sorte de sauvetage d'individus ou de familles et ne mènent pas à l'intégration d'un milieu. Elles tendent à écrémer une couche sociale au lieu de faire éclater le cercle vicieux de la pauvreté. En individualisant le pauvre sans l'introduire dans un groupe à sa mesure, on l'isole et le dépersonnalise. C'est là, nous semble-t-il, une des formes les plus subtiles de la ségrégation."
"Il s'agit de la fonction (et je dirais volontiers du devoir) des chercheurs dans le domaine de la pauvreté, de faire place à la connaissance que les très pauvres eux-mêmes ont de leur condition. De faire place à cette connaissance, de la réhabiliter comme unique et indispensable, autonome et complémentaire à toute autre forme de connaissance, et de l'aider à se développer. Et à cette fonction, vous le devinez, s'en ajoute une autre : celle de faire place, de réhabiliter et d'aider à se consolider la connaissance que peuvent avoir ceux qui vivent et agissent parmi et avec les plus pauvres".
"Le plus grave est l’absence de réciprocité. D’être considéré comme totalement inférieur, même quand il s’agit de connaître, d’analyser leur propre existence, détruit les familles du Quart Monde plus que ne les détruisent la malnutrition ou la maladie"
"La misère est, par définition, cette condition défigurant ses victimes, au point qu’elles deviennent méconnaissables au regard des autres hommes de leur temps. A la différence de la seule pauvreté, imposant une existence austère, faite de discipline et de rigueur, la misère interdit toute mesure, toute austérité. Face à des privations, des oppressions, des humiliations démesurées, l’homme est nécessairement conduit à des réactions démesurées elles aussi. Démesurées au regard de son entourage tout au moins"
"Curieusement, les plus pauvres apparaissent comme n’ayant pas d’histoire par eux-mêmes, surgissant dans l’histoire des autres lorsque leur existence fait violence, appelant des mesures violentes en retour"
"Examiner un certain mode de pensée sur les plus pauvres nous permet de mettre en lumière l’injustice dont souffrent de plus les familles les plus démunies : celle d’être comptées pour ignorantes et incapables d’apprendre"
"Regardons un instant l’Université à travers les yeux des plus pauvres. De quelle manière pourrait-elle se faire leur amie ? Elle pourrait prendre pour étudiants, éventuellement pour enseignants, des hommes, des femmes du Quart Monde. Elle pourrait, par elle-même, bâtir une connaissance significative sur l’extrême pauvreté, sur l’exclusion, sur leurs victimes. Elle pourrait, enfin, veiller à ce que son savoir, ses découvertes profitent aux plus pauvres de son temps. Trois chemins possibles. Les dirigeants des affaires universitaires ont-ils pu les emprunter ?"
"Ni les sous-prolétaires, ni les riches, n’ont nécessairement conscience de la violence qui pèse sur l’univers de la misère. Elle est souvent dissimulée derrière le visage de l’ordre, de la raison, de la justice même.
N’est-ce pas au nom de l’ordre moral que nous nous introduisons dans leurs pauvres amours, les bousculant, parfois les dénigrant, toujours les jugeant, au lieu d’en faire le tremplin de leur promotion familiale ? Pourtant, même s’ils ne sont pas conformes à notre morale ni à nos codes, ils sont sans doute la seule chance qui leur reste d’une confiance et d’un départ vers une vie plus totale.
Le bidonville aurait pu être le lieu de passage d’un peuple de malheureux vers une cité plus juste. Au nom d’un ordre social, nous en avons fait un enfer, rendant leur vie infernale sous prétexte d’empêcher des familles de s’y accrocher et d’y demeurer. Notre hâte d’imposer un ordre nous fait oublier l’homme. Plus sa vie est précaire et moins il possède de biens, plus il s’y accrochera de peur de les perdre. Il ne les échangera pas de bon gré pour ce qu’il ne peut ni connaître, ni comprendre.
N’est-ce pas aussi notre « raison » qui nous dicte d’enlever au sous-prolétaire son autonomie ? Ne savons-nous pas mieux que lui ce qui lui convient ? Pourquoi le mettre devant des choix réels qu’il ne saurait pas faire ? Ainsi, nous allons jusqu’à lui désigner le lieu où il habitera. Puis nous l’accuserons d’être sans initiative, sans ambition et nous dirons : « Il ne veut pas en sortir ». Comment s’en sortira-t-il, n’ayant jamais pu exercer sa propre raison ? Au nom d’une certaine justice, nous usurpons même sa place de père, nous nous substituons à lui devant ses fils ; nous prétendons qu’il n’assume pas ses responsabilités, nous le condamnons. Ainsi, jamais il ne deviendra un vrai père, pleinement responsable des siens et défendant leurs droits.
Ayant rejeté tout ce qu’il fait, dénigré ce qu’il a entrepris, l’ayant privé de la plupart des biens, nous en avons fait un assiégé. Sa plainte ne sera pas conforme à nos lois, il volera, il portera coups et blessures. Alors, au nom de la justice, nous le mènerons en prison. En sortant de là, comment sera-t-il encore capable de respecter notre justice ?
Notre ordre, notre raison, notre justice se tournent contre lui. Ils lui créent un ordre singulier, qui l’introduit dans le désordre, la déraison, l’injustice... "
"Ceux qui ne connaissent pas le monde de la misère penseront peut-être qu'il s'agit de lâcheté, de peur. Il est vrai que face à ceux qui ont le pouvoir et, surtout, les moyens de les opprimer, de les exclure, les plus pauvres tremblent. Ils ont l'expérience qu'il n'y a rien à redire à ces gens-là, qu'il n'y a rien à gagner. Alors, leur esquive, c'est l'esquive pour vivre, ne serait-ce que dans un semblant de paix. Entre eux, à moi, aux Volontaires, ils avoueront : "Quoi que je dise, j'aurai toujours tort, alors je préfère me taire. Moi, je ne veux pas me laisser insulter. Et je veux garder mes enfants ; alors je me tais.""
""Ce qu'il faudrait, c'est que les riches, ils viennent habiter chez nous. Nous, on irait chez eux ; après, on leur rendrait leurs maisons et comme ça, ils sauraient ce que c'est que de vivre comme nous vivons..." Ce n'était pas seulement une parole d'enfant. C'était une parole venant du fond de la pensée, de l'intuition des plus pauvres. De ces pauvres qui n'ont pas participé aux luttes ouvrières, trop pauvres aujourd'hui comme hier pour participer aux luttes ouvrières, pour partager la mémoire, la fierté ouvrières, mais qui ont leur fierté, une autre fierté, une autre mémoire. "
"Cette arme ultime qu'est la misère et qui attire la pitié, c'est la plainte des pauvres. Elle peut susciter l'aumône, peut-être même l'entraide et la solidarité, et ils le savent. Absence de pudeur, diront beaucoup de nantis, absence de sens de leurs droits, absence de fierté ? C'est bien plus profond. Le Quart Monde sait, ses grands parents savaient déjà par expérience, que quand on est trop misérable, les droits ne jouent plus. Il ne reste plus qu'à espérer la pitié. Les plus pauvres savent d'expérience que même les Droits de l'Homme ne valent que pour les hommes que l'on reconnaît comme tels ; qu'ils ne valent pas pour des hommes qui sont suspectés d'être des sous-hommes, des inférieurs, des déchets. Eux savent que le dernier rempart de l'homme, ce ne sont pas des droits inscrits dans des déclarations et des constitutions. Eux savent que le dernier rempart de l'homme est la miséricorde, l'amour, la justice et la paix fondées dans l'amour. "
"Puisque par notre partage de vie dans les zones de misère, nous sommes témoins, peut-être plus que d'autres, que l'exclusion infligée aux plus pauvres est la pire des souffrances. C'est eux-mêmes qui nous le disent tous les jours, et nous obligent à le répéter : ce n'est pas d'avoir faim ou de ne pas savoir lire, ce n'est pas de ne pas avoir de quoi faire vivre et s'épanouir sa famille, ce n'est même pas de ne pas avoir de travail qui est le pire des malheurs de l'homme. Le pire des malheurs est de s'en savoir privé par mépris, tenu à l'écart du partage, littéralement traité comme hors-la-loi, parce qu'on ne reconnaît pas en vous un être humain, sujet de droits, digne de partage et de participations.
L'homme dont les droits et libertés sont bafoués, mais qui peut se dire qu'il est victime d'une injustice, qu'il est un homme malgré tout, est à plaindre, certes, mais il n'a pas touché le fond de la souffrance. L'homme du Quart Monde, lui, touche le fond, car comme le disait une mère de famille d'une cité sous-prolétarienne aux environs de Paris : "Ce n'est pas qu'il ne connaît pas ses droits, il ne sait même pas qu'il a des droits". En parlant d'un de ses voisins, décédé récemment, elle dit encore : "Il avait tellement eu peu de droits dans sa vie, qu'à la fin, il n'en demandait plus aucun. Il ne demandait rien quoi, il n'avait plus rien à demander""
"Mais que contient la promesse de Dieu ? Quelle est-elle ? Pour tous les temps, elle est que tous les hommes seront reconnus comme Ses enfants, qu'ils seront, tous, traités comme tels. En clair, cela veut dire qu'aujourd'hui, l'Eglise a reçu mission comme hier de rappeler aux hommes que les plus pauvres, les plus méprisés ont le droit d'être traités avec dignité, en enfants de Dieu. L'Eglise a mission de rappeler qu'ils doivent être reconnus dans leur dignité inaliénable d'enfants de Dieu. Cela veut dire encore que l'Eglise n'est fidèle que si elle rappelle inlassablement que tous les enfants de Dieu doivent avoir les moyens de vivre et de manifester cette dignité".
"C'est par Jésus, par ce qu'il fait, mais peut-être surtout par ce que les plus pauvres lui font, que nous apprenons les droits essentiels de l'homme :
- le droit à l'identité divine : le droit d'être reconnu Dieu et homme à cause de la résurrection. "Rabbouni", dit Marie Madeleine, la possédée, la prostituée peut-être, l'exclue en tous les cas. "J'ai vu le Seigneur, le Rabbouni crucifié est vivant !"
- le droit à la confiance : ce droit que Dieu exige pour Lui-même ; ce droit qui manque si cruellement aux plus pauvres, eux le donnent à Jésus à pleines mains : "Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier."
- le droit à l'égalité dans l'honneur : c'est une femme qui déverse tout son capital, toute son épargne et sans doute plus, en huile précieuse sur les pieds de cet homme. De cet homme que les grands, les puissants méprisent, harcèlent, pourchassent, surveillent comme, hélas, les plus pauvres sont souvent traités aujourd'hui"
"Une politique de lutte contre la reproduction de la grande pauvreté doit viser essentiellement à mettre en place un plancher de sécurité. Un tel plancher n’est pas un minimum vital culturel ou social garanti, mais comme un niveau au-dessous duquel aucun citoyen ne puisse descendre sans provoquer l’indignation de la conscience nationale. Un niveau aussi qui dépasse celui de la seule subsistance, fournissant au citoyen une base de départ pour un développement social, économique et culturel, les moyens de rétablir toutes ses chances de promotion, dans les domaines de la sécurité économique, de l’accès au savoir, de la prise de parole"