vendredi 10 avril 2020

Soif

En ce vendredi saint confiné, petit billet sur le dernier roman d'Amélie Nothomb qui nous raconte les dernières heures du Christ.
Bon, je vous préviens, c'est un peu plus long que d'aller directement aux sources pour lire la Passion. Mais c'est intéressant de lire un regard décalé sur l'incarnation. Car c'est surtout le corps qui est au centre de ce roman, le corps comme expérience d'humanité.

Avec pas mal d'humour, le roman débute au procès de Jésus, où tous les miraculés viennent lui reprocher quelque chose.
"L'ancien aveugle s'est plaint de la laideur du monde, l'ancien lépreux a déclaré que plus personne ne lui octroyait l'aumône, le syndicat des pêcheurs de Tibériade m'a accusé d'avoir favorisé une équipe à l'exclusion des autres, Lazare a raconté combien il était odieux de vivre avec une odeur de cadavre qui vous collait à la peau.
A l'évidence, il n'a pas fallu les soudoyer, ni même les encourager. Ils sont tous venus témoigner contre moi de leur plein gré. Plus d'un a dit combien cela le soulageait de pouvoir enfin vider son sac en présence du coupable"
Jésus vit cela avec amour - et philosophie - jusque dans sa geôle où il évoque sa vie passée, interroge et critique la folie de son père, Dieu, qui l'a mis dans cette situation qui ne peut qu'empirer. Et il poursuivra ses critiques jusqu'à la croix, pleurant les contresens faits sur sa mort.
"J'ai été homme assez longtemps pour savoir que certains sentiments ne se répriment pas. Il importe de les laisser passer sans chercher à les contrer : c'est ainsi qu'ils ne laissent aucune trace" 
La narration est centrée sur les sensations de Jésus, sur son humanité incarnée. C'est surtout là dessus qu'il revient, qu'il médite, qu'il se réjouit. Ce qui n'est pas neutre après 2000 ans de christianisme qui cherche à nier le corps ! Alors ce corps, il en explore toutes les dimensions. Celle de la souffrance, évidemment, avec la crucifixion, jusqu'à la mort. Mais aussi celle de l'amour avec Madeleine. Et celle de la soif. C'est intéressant la soif, qui donne son titre au roman. C'est le lieu de la transe mystique pour Jésus : la soif fait éprouver lorsque l'on l'étanche un amour immense pour la gorgée d'eau. La mort, l'amour et la soif, "tiercé gagnant [...] enseigne aussi trois manières d'être formidablement présent", se déclinent autour du corps de Jésus et de ses réflexions sur celui-ci. 

A lire ou pas ? A vous de choisir. Même si je ne suis toujours pas dingue de Nothomb ni de ce roman, je trouve l'approche intéressante, comme un jeu, une variation autour du thème.

"Chaque jour et chaque nuit, il faut chercher en soi cet amour. Quand on l’a trouvé, son évidence est si puissante qu’on ne comprend plus pourquoi on a eu du mal à y arriver. Encore faut-il rester dans son courant permanent. L’amour est énergie et donc mouvement, rien ne stagne en lui, il s’agit de se jeter dans son jaillissement sans se demander comment on va tenir, car il n’est pas à l’épreuve de la vraisemblance."

"Oui, même avec un corps mort, tout l'amour du monde ne s'exprime jamais aussi bien que par l’embrassement"
Descente de croix, 1200, Louvre

"Quand on tombe amoureux, on devient présent à un point phénoménal. Par la suite, ce n'est pas l'amour qui se dissipe, c'est la présence. Si vous voulez aimer comme au premier jour, c'est votre présence qu'il faut cultiver"

"C'est exactement cela, qui montre combien la foi et l'état amoureux se ressemblent : on voit un visage et aussitôt tout change. On n'a même pas contemplé ce visage, on l'a entrevu. Cette épiphanie a suffi"

1 commentaire:

  1. Je trouve l'approche intéressante, mais des avis négatifs ne m'ont pas donné envie de le découvrir.

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