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lundi 29 décembre 2014

Inside

Le Palais de Tokyo, c'est un lieu plein de surprises ! On y va toujours avec une petite appréhension (mais que vont-ils encore inventer ?) et l'on ressort avec de belles découvertes, quelques incompréhensions voire détestations et beaucoup de questions.

Numen/for use

Avec Inside, on pénètre dans les entrailles du Palais... et dans les recoins les plus sombres de l'esprit humain. Dans le hall, le cocon de Numen/For use laisse deviner des hommes rampant vers l'entrée. Leurs corps suspendus et flous nous précèdent dans cette étrange traversée que constitue l'exposition. Puis, tout commence avec une forêt, cet espace de passage dans les contes, cet espace effrayant et sombre dans lequel il nous faut pénétrer. Cela me rappelle Into the woods. Nous voilà embarqués, coupés du monde par les bois de carton d'E. Jospin. Nous écoutons quelques temps les mineurs imitant les bruits de la mine avant de franchir un second passage, celui de M. Galan : avec son oeuvre minimaliste et illusionniste, il parvient à perturber le visiteur. Faut-il ou non passer de l'autre côté du miroir ? Que se passe-t-il lorsque l'on dépasse la ligne ? Simple et efficace !

Les bois d'E. Jospin

Des salles suivantes, je retiendrai surtout les cabanes de marbre de R. Gander, à la fois poétiques et énigmatiques, à la limite de l'inquiétant. Puis nous descendons en suivant les dessins de Dran. Ils sont très beaux, enfantins, mais souvent cruels. Et là, si vous n'étiez pas encore immergés dans l'expo, c'est le moment où vous plongez ! Impossible d'échapper à ce dessin sombre et obsédant. 

R. Gander, I is...
Plus loin, c'est la queue devant l'oeuvre de V. Fetisov : les parisiens se pressent pour être enfermés en tête à tête avec une télé. Je trouve le concept très fort et plutôt perturbant (claustro s'abstenir) : c'est au visiteur enfermé de trouver comment sortir de cette pièce. Et ça peut prendre 10 minutes comme trois heures... La sensation d'enfermement et d'angoisse croit avec Exorcise me, ces japonaises maquillées en mortes, puis avec l'oeuvre et le film d'A. Wekua... L'homme qui tousse de Boltanski est insupportable. On avance. On est physiquement mal à l'aise, un peu perturbé. Et notre voyeurisme se poursuit avec The Nameless Spectacle, Berek (The Game of tag) et les courts métrages de Nathalie Djurberg et Hans Berg. J'ai détesté ces corps humains maltraités et obscènes. Heureusement, quelques refuges ont ponctué ma route : celui de S. Thidet, étonnant et poétique, puis Burn à la fois rassurant et terrible (un intérieur dévoré par les flammes, sans que les êtres qui y vivent aient conscience de la catastrophe) et Ao, une installation qui joue sur la répétition. La musique et l'image, toujours semblables, hypnotisent et apaisent. 

Une exposition qui joue à fond sur l'expérimentation par le visiteur d'états très divers, qui progresse sans cesse vers l'intime, le caché. Dans certaines salles, on pourrait rester des heures, tandis que d'autres nous sont insupportables. C'est intéressant d'expérimenter l'art au niveau le plus épidermique, de ne pas intellectualiser tout ce qui est exposé. Bref, c'est un voyage décapant que je vous invite à vivre - si vous l'osez !

Dran, le dessin qui envahit l'escalier


Les autres expositions du Palais ont nettement moins retenu notre attention. Inside China nous a laissé complètement froids. Et les films et dessins de Louise Pressager nous ont amusé.

mercredi 24 décembre 2014

L'Ange de Noël

Voici un recueil de nouvelles de saison ! Très bon réveillon de Noël à tous !

D'Elizabeth Goudge, je ne connais pas grand chose à part Le Pays du dauphin vert. J'y avais déjà senti l'importance du sentiment religieux pour cette auteur. C'est encore plus vrai dans ces nouvelles, quasiment toutes centrées sur Noël ou sur des histoires sacrées

L'Ange de Noël

C'est une histoire qui pourrait encore arriver de nos jours. Un petit garçon, agacé par la répétition du spectacle de Noël, décide de rentrer chez lui... et s'égare dans la ville. Déguisé en petit ange (oui, le homard de Noël, je crois qu'il n'existe que dans Love Actually), il déambule et transforme les passants qui le croisent. Un très joli conte de Noël !

Le cheval d'argent

La famille de Delia doit quitter la maison. Cette jeune orpheline, chargée de frères et sœurs, est contrainte d'aller vivre chez son oncle. Mais sur le chemin, tout peut encore changer. Une nouvelle féerique

Saint Nicolas

En cette veille de Noël, une troupe de comédiens joue l'histoire de la naissance du Christ. Mais ce soir, celui qui interprète Marie n'est pas en état de le faire... Un petit miracle de Noël et un héros martyr. 

G. Honthorst, Adoration de l'enfant Jésus, 1620, Musée des Offices, Florence


Trois hommes

Le père Ambrose est chargé de perpétuer une coutume : celle de célébrer la messe de Noël dans un lieu désert, la chapelle Saint-Gabriel, dressée au sommet d'un rocher. Il n'y va pas de gaieté de cœur car il sait que plus personne ne l'y attend. Et pourtant, là encore, on peut parler de miracle de Noël

Saint Jean

Il n'est pas question de Noël ici mais de Pâques. Quelles sont les pensées et les actes de Jean, le disciple aimé de Jésus, après la mise au tombeau ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire de corps disparu ? Une réécriture sensible de la résurrection.

Les deux grottes

Très courte nouvelle qui met en relation la grotte où le Christ est né avec celle qui a vu sa mort et sa résurrection. 

Giovanni

Une anecdote sur la vie de Saint-François d'Assise. En proie à la tristesse et au manque de confiance, le saint est émerveillé par la beauté de la nature. Un petit miracle de l'Esprit Saint.

Comme vous pouvez le constater, ces nouvelles sont empreintes de religiosité. On sent très fort l'inspiration chrétienne de l'auteur mais aussi une grande dose de croyance en des signes, des petits miracles, qui sont pour elle autant de manifestations de l'Esprit. Cela peut déranger certains lecteurs, je préfère vous mettre en garde. Par contre, on ne peut nier la grande sensibilité de son écriture, son attention à la nature, ses images subtiles et simples. Bref, ces nouvelles sont à la fois belles et fines !




mardi 23 décembre 2014

Frank Gehry

Au Centre Pompidou se tient une très belle rétrospective, riche en maquettes, sur l'oeuvre de Frank Gehry. Le genre d'expo qui ravira autant les amateurs que les connaisseurs. 

Elle est organisée de façon chronologique, selon un découpage chrono-thématique un peu conceptuel « 1965-1980, élémentarisation-segmentation », « 1980-1990, composition-assemblage », « 1990-2000, fusion-interaction », « 1990-2000, tension/conflit », « 2000-2010, continuité-flux », « 2010-2015, singularité-unité ». 

Gehry, Guggenheim Abu Dhabi

Tout commence avec ses travaux californiens, maisons et ateliers d'artistes souvent cubiques et intégrant des matériaux pauvres. Étonnante cette Gunther Residence. Sans parler de la Gehry Residence, cachée sous des tôles et des grillages. On poursuit avec quelques maquettes avant de découvrir le Vitra Museum et le Guggenheim de Bilbao. On oublie le composite pour unifier le bâtiment sous un même matériau. On découvre ensuite une partie méconnue de l'oeuvre de l'architecte, ses recherches et ses maquettes d'urbanisme. Et l'on enchaîne sur des espaces plus complexes comme le Concert Hall de Disney, le DZ Bank Building mais aussi le Guggenheim Abu Dhabi. Ici, on ne sait même plus ce qui est mur ou toit, tout se mélange. Et c'est là qu'il est intéressant de découvrir comment travaille Gehry : il a développé l'utilisation de logiciels très pointus au service de sa pratique architecturale.

Chaque projet est explicité par un petit texte, quelques dessins et une maquette, souvent sculpturale. C'est d'ailleurs le plus étonnant : lorsque l'on sort de cette expo, on a véritablement l'impression d'avoir vu des sculptures contemporaines plus que des architectures. Est-ce parce que l'aspect esthétique est bluffant ? Parce qu'il n'y a pas d’éléments en taille réelle présentés ? Peu d'info sur l'intérieur de ces bâtiments (circulations, espaces) ? Toujours est-il que tout repose sur les œuvres, ces maquettes présentées comme autant d'objets artistiques. Il n'est que peu ou pas question de l'architecte lui-même. Heureusement, le film de S. Polack nous laisse rencontrer l'homme, son fonctionnement, ses idées, sa façon de travailler. Mais des hommes qui utilisent ses architectures et y vivent, nous ne saurons rien. 

Une exposition éblouissante dans sa forme mais dont le parcours questionne : après Bilbao, c'est tellement riche en créations que l'on ne sait pas trop où donner de la tête ! 

lundi 22 décembre 2014

L'amour en minuscules

Juan vient de passer les fêtes chez lui, seul. Il mène une vie tranquille. Il enseigne, écoute de la musique, lit. Rien ne vient troubler sa monotonie. Mais en ce premier janvier, un intrus s'invite chez lui : un petit chat. Il tâche de le mettre dehors puis renonce. Ce petit événement déclenche une série de bouleversement dans sa vie et l'ouvre progressivement à ses voisins, sa famille... Puis à des étrangers complets. 

Ce petit roman de Francesc Miralles n'est pas le roman du siècle. Mais il est plutôt sympathique. Il n'est pas mal écrit même s'il aligne les citations et aphorismes un peu mièvres sur le bonheur. Les personnages sont attachants quoi que tous un peu fêlés. Mais le gros point positif, c'est quand même les dessins de chats qui débutent chaque chapitre. Et l'amour de la littérature, notamment allemande, qui émane de ce livre. 

Bref, ce n'est pas un roman marquant mais il détend et se lit rapidement. Et puis, il donne un peu foi dans l'homme et dans le monde, laissant croire à un bonheur possible. Je crois qu'il pourrait servir de doudou à quelques lectrices un peu déprimées.


vendredi 19 décembre 2014

Le bruit et la fureur

Je poursuis l'attaque de ma PAL à coups de LC avec Ingannmic. Mais il y a de meilleures pioches que d'autres. J'avoue que j'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce roman culte de Faulkner. Catapultée directement dans l'esprit de Benjy, qui s'embrouille sans trop les différencier entre les flash-back et le live, j'ai cru que je n'allais pas passer les premières pages. Et pourtant, la préface m'avait plutôt mis l'eau à la bouche tout en me faisant entrapercevoir la difficulté du texte...

Le plot ? 4 jours dans la tête des membres d'une famille américaine blanche, servie par des noirs. Mais quand je dis dans la tête, c'est dans le flot mouvant de la pensée. Dans ses incohérences, dans ses divertissements, dans ce tourbillon incessant. Les parties narratives sont réduites par rapport au flux du monologue intérieur insensé qui habite l'être humain. Enfin, Mrs Dalloway à côté, c'est limpide.

Magritte, le double secret, 1927

Particularité de cette famille ? Un idiot, Benjy. Des rapports familiaux violents, presque incestueux... Bref, une histoire plutôt mouvementée. Mais que l'on ne vit pas de plein fouet. A vrai dire, les jours concernés par le roman ne nous font pas vivre le cœur du drame, son immédiateté. C'est juste avant. Juste après. Juste à côté. Mais il nous apparaît en creux à travers les souvenirs et les dialogues des personnages. Par exemple, Caddy, qui est le cœur de ce roman, qui relie véritablement tous ces personnages, ne nous est connue que par l'intermédiaire de ses frères. Et cela devient presque amusant de débusquer le réel derrière la pensée. De voir le monde des Compson depuis leurs yeux. Même si le spectacle n'est pas des plus réjouissants...

Mais cela demeure un roman compliqué. Intéressant mais difficile. Je ne vous parle même pas du bazar des noms, entre Benjy qui s'appelle comme son oncle, Quentin qui est mixte, Jason transgénérationnel... Rien n'est épargné au lecteur. Et j'avoue que je n'ai pas pu entrer totalement dans ma lecture, tourmentée que j'étais à l'idée de ne pas la comprendre (c'est là que je ne regrette pas de l'avoir lu en VF, je crois que la VO m'aurait définitivement noyée). Étrange sensation qui me rappelle celles ressenties en lisant Joyce (Ulysse traîne depuis des années, à moitié lu, sur ma table de chevet). Je sors paumée de cette lecture, incapable d'en dire grand chose. Il parait qu'il faut le relire ! Je crois que je vais attendre un peu.


jeudi 18 décembre 2014

Marcel Duchamp. La peinture, même

Je ne vous raconte même pas le nombre de billets "expo" qu'il faut que j'écrive, c'en est déprimant ! Faut-il vous presser d'aller découvrir cette exposition avant sa fermeture ? Est-ce une rétrospective indispensable ? A vrai dire, j'ai l'impression qu'il faut être un peu armé pour l'apprécier. Et ce n'est pas vraiment une rétrospective.

Son objectif ? Nous guider, des premières peintures de Duchamp à son Grand Verre. Avec cohérence. En laissant de côté, volontairement, tout un pan de sa création, du ready-made au happening. C'est donc son rapport à la peinture qui est plus spécifiquement évoqué. Étonnant pour celui que l'on considère souvent comme le fossoyeur de la peinture.

Duchamp, Mariée, 1912

Chaque salle s'attache à remettre Duchamp dans un contexte (historique et artistique) : impressionnisme, fauvisme, cubisme, etc. L'artiste apparaît finalement moins comme un ovni que comme un quasi métaphysicien, perméable aux influences des uns et des autres, mais les conceptualisant et les réutilisant à sa manière. Et un esprit curieux, toujours assoiffé de connaissances scientifiques, littéraires ou artistiques. 
Mais ce qui est parfois génant, c'est cette démonstration presque forcée comme quoi tout ce qui le précède aurait présidé à la création du Grand Verre. Ou presque. 

Bref, le parti pris est intéressant quoi que pas toujours très convaincant pour l'amateur. Et l'expo peine à sortir certaines œuvres de l'hermétisme : le Grand Verre reste un mystère. 

mardi 16 décembre 2014

La fabrique du Romantisme

Au musée de la vie romantique, se tient une petite exposition sur les débuts du Romantisme français

J.J. Laurens, Rochers de Mourèze, 1837

Autour de Nodier, le conteur de l'Arsenal, et de sa fille Marie, se réunissent régulièrement une petite coterie de futurs grands (Vigny, Dumas, Lamartine, Hugo, etc.). Les premières salles sont consacrées à ce Cénacle. On y trouve des portraits, des dessins et des cahiers. 

Les salles suivantes permettent d'entrer dans le vif du sujet : l'édition des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France. Ce gros bouquin en 24 volumes, réalisé entre 1820 et 1878, a pour ambition de décrire les régions de France. Il s'attache à en montrer les monuments et les traditions, par le texte et par l'image. Ces images sont particulièrement intéressantes puisqu'elles inspirent véritablement le paysage romantique : personnages dominées par des paysages puissants, naturels (montagnes, océans), artificiels (abbayes, ruines, châteaux), voire fantastiques...

Cette entreprise titanesque, dirigée par le baron Taylor, aura des répercussions dans le milieu artistique, y imposant les codes et l'iconographie romantique, mais aussi sur un public plus large d'intellectuels, sensibilisés par ces œuvres à la notion de patrimoine et à sa préservation. La dernière salle présente ainsi Pierrefonds dont la restauration sera entamée à la fin des années 1850. 

Une exposition intéressante, notamment du point de vue de la création d'une iconographie. Elle rappelle beaucoup le début de l'expo Rêve de monuments, présentée à la Conciergerie. Cependant, j'ai trouvé l'introduction sur Nodier un peu longue et la partie Voyages... un peu courte, on reste sur sa faim. Et pour qui a un peu étudié le sujet, il y a malheureusement trop peu de nouvelles pistes à explorer !

C.F. Nanteuil, La mort d'un religieux, 1834


Pour découvrir Nodier conteur
Pour faire des Voyages pittoresques en ligne

lundi 15 décembre 2014

Les contes de fées et l'art de la subversion

lectrice de contes
Vous commencez à connaitre mes lectures et centres d'intérêt. Parmi eux, les contes et leur influence en littérature, psycho et sociologie. Avec cet ouvrage de Jack Zipes, déjà ancien, on s'intéresse au rôle social du conte.

Voilà un livre que j'avais noté depuis des années mais que je soupçonnais moins sexy que son titre le laissait imaginer. Le sous-titre n'aidait pas "Etude de la civilisation des mœurs à travers un genre classique : la littérature pour la jeunesse". Erreur fatale ! Cet essai de Jack Zipes est tout à fait passionnant. Il s'interroge sur l'histoire sociale du conte de fées, sur son utilisation comme discours moralisant par les conteurs. Etudiant les contes depuis Perrault jusqu'à Dumas et Moissard, il s'arrête sur quelques contes qu'il décortique, de façon très différente de Bettelheim. Pas de psychologie ici, plutôt de l'histoire littéraire et sociale.

Le propos est construit autour d'une progression chronologique. On part du XVIIe siècle avec Charles Perrault, on suit les frères Grimm, Andersen puis l'on fait un petit détour par les subversifs du XIXe comme Wilde avant de s'intéresser aux années 20-40 en Allemagne et aux contes contemporains.

1. Le discours du conte de fées : vers une histoire sociale du genre

Le conte n'est pas créé au XVIIe siècle, il circule sous forme orale bien avant que Charles Perrault ne les écrive. Mais c'est avec lui et sa production, agréée par la Cour, que nait le conte porteur des codes sociaux de l'époque. Il nait à une époque où l'enfant est considéré comme un être moral, à qui l'on doit donner des codes. Dans cette partie introductive, l'auteur annonce le rôle manipulateur des contes. Ne sont-ils pas nés de la volonté de donner des leçons de morale ?  

2. L'établissement des modèles de civilisation par les contes de fées : Charles Perrault et ses contemporaines

Perrault, c'est un peu le créateur du conte de fées. Partant d'une tradition orale, il en fait un genre littéraire à part entière, lui donnant ses lettres de noblesse. Avec ce passage, c'est la personne à qui est destinée le conte qui évolue. D'un auditoire et de héros adultes, il élargit le cercle des lecteurs au monde enfantin. Pas n'importe lequel, celui des classes aristocratiques, que l'on souhaite ainsi éduquer. A la jeune fille, il est proposé de cultiver réserve, patience et discrétion en attendant que son prince la demande en mariage. Quant au héros, il doit être rusé, courageux et ambitieux. Aux femmes, la beauté et aux hommes, le cerveau. Oui, les contes expriment bien la mentalité classique et sexiste du XVIIIe siècle...
Perrault est l'artisan de la vogue du conte au XVIIIe siècle et alimentera les auteurs du XIXe, de Goethe à Hoffmann. Sans se soucier réellement de la version première (et orale) du conte, il le plie à ses besoins. 

3. Qui a peur des frères Grimm ? Socialisation et politisation dans les contes de fées

Quand on relit les contes de Grimm, il n'est pas rare d'y lire des comportements sexistes également. Au programme : valoriser le modèle bourgeois soit la compétition et la richesse pour les garçons et le dévouement pour les filles. "Ils souhaitaient voir la riche tradition des classes pauvres utilisée et acceptée par la classe moyenne montante". Les contes, issus des classes populaires, s'embourgeoisent (ils justifient la répartition des rôles selon les sexes) et s'étoffent (en longueur, en style, etc.). C'est ce modèle qui est beaucoup repris par les médias, le cinéma etc. avec un processus d'identification facile et efficace.
Bien entendu, ces contes font hurler les psychologues qui y lisent un cadre normatif trop étroit pour l'enfant. Il est amusant de voir que certains contes ont pu être réécrits en valorisant des valeurs de coopération plutôt que d'ascension sociale mais qu'ils n'ont pas bénéficié de la même diffusion que les incontournables Grimm...

4. Hans Christian Andersen et le discours du dominé

Andersen, c'est un peu le pleurnichard et le vaniteux du groupe. Ses valeurs ? Le salut par le dévouement, qui va jusqu'au sacrifice de soi, le respect des règles protestantes pour rejoindre les classes aristocratiques. Il véhicule une haine de la pauvreté et un désir puissant d'ascension sociale. Pour l'auteur, ses contes sont un miroir des frustrations d'Andersen. 

5. Comment renverser ou subvertir le monde par l'espoir : les contes de fées de Georges MacDonald, Oscar Wilde et L. Frank Baum

Au contraire des précédents, les contes de ces trois auteurs visent à critiquer le discours dominant, à questionner la société, ses mœurs et son gouvernement. De modèle à suivre, le conte devient matière à penser, porteurs d'autres styles de vie. 
MacDonald construit des sociétés où les hommes se développent de façon coopérative, sans exploiter l'autre. Ce sont des êtres spirituels, qui cherchent à s'améliorer, sans s'inquiéter des différences de sexe. 
Wilde subvertit les contes classiques et ne propose pas de happy end. Il met le sacrifice au cœur de ses histoires. Pour découvrir Le Prince heureux et quelques autres contes
Baum imagine un monde qui, par l'utopie, fait voler en éclats le rêve américain. Il donne un sens politique à Oz et interroge les idéologies dominantes. 

6. La bataille autour du discours du conte de fées : famille et socialisation en Allemagne, sous la République de Weimar et pendant la période nazie

Le conte de fée a subi quelques modifications au début du siècle. Il n'a pas forcément été réécrit mais réinterprété par les gouvernements au pouvoir. Il peut apparaître comme un repoussoir anachronique qu'une société nouvelle a rendu obsolète. 

7. Le pouvoir libérateur du fantastique dans les contes de fées contemporains pour enfants

Les contes écrits après les années 1960 insistent sur la liberté des héros, leur lutte contre des éléments aliénants. Ancien objet de morale, il devient lieu de l'émancipation. Il n'y a plus de valeur et de modèle uniquement féminin ou masculin. Mais la diffusion plus faible de ces nouveaux contes par rapport à celle des grands classiques que sont Grimm, Perrault ou Andersen limitent leur efficacité sociale. Bref, ce sont les adultes qui lisent les contes qui orientent leurs choix selon leurs propres objectifs. Voilà qui devrait nous rendre plus attentifs aux premières lectures faites aux enfants...

Mon seul regret est que cet ouvrage commence à franchement dater. Il serait intéressant d'étudier si la situation a évolué...

jeudi 11 décembre 2014

Saint Louis

Pour le 800e anniversaire de Louis IX (1214-1270), la Conciergerie organise une exposition sur ce roi et son règne. Un peu frileuse devant ce type de manifestations, j'ai été agréablement surprise par la qualité du discours et des objets présentés. 

Isabelle de France, 1300

Pour rencontrer ce roi et ce saint, l'exposition débute par l'image qu'il a laissé dans l'histoire. C'est le roi qui part en croisade et veut reprendre Jérusalem... sans y parvenir. Et qui meurt à Tunis avant même d'être vraiment parti. C'est celui qui rend la justice sous un chêne. C'est aussi celui qui fait construire la Sainte Chapelle... Bref, chacun a une petite idée de qui était ce roi. Mais qui imagine que l'on conserve encore sa chemise ou ses psautiers ? Du mythe, on passe à la réalité dans tout ce qu'elle a de plus tangible. Et l'on découvre quelques merveilles : quelle joie d'admirer la superbe Isabelle de France ailleurs qu'à Poissy, quels superbes psautiers enluminés, quelle idée de porter un cilice, etc. !

On poursuit avec les éléments du règne de Louis IX, notamment l'achat des reliques de la Passion et la construction de leur écrin, la Sainte Chapelle. Des vitraux et des sculptures originales sont présentées. Mais l'on observe aussi des monnaies, des sceaux, des reliures... qui nous introduisent efficacement à la dernière partie de l'expo, sur les arts au temps de Saint Louis. L'occasion de se plonger dans de magnifiques manuscrits enluminés, d'admirer les très délicats reliefs du jubé de la cathédrale de Chartres ainsi que les ivoires du XIIIe siècle. Pour ce qui est de l’orfèvrerie (et de l'architecture), penchez-vous sur l'étonnante châsse de Saint-Taurin. Et n'oubliez pas de revoir la Sainte Chapelle à deux pas de là ! 

Bible dite de Maciejowski

Une exposition qui comporte de véritables trésors, des cartels et des panneaux détaillés, à ne pas manquer ! Dommage qu'elle ne soit pas plus longue. Heureusement, pour les fans, il existe un bon catalogue. 

mercredi 10 décembre 2014

Faërie

Merci à dame Meli d'avoir partagé cette lecture avec moi. Ce roman de Feist, depuis des années dans ma PAL, avait été recommandé par une blogueuse. Je crois que c'était Fashion, mais sans certitude. 

A vrai dire, dès les premières pages, j'ai eu un peu peur. Cela débutait comme un roman de bit-lit sympa mais pas très fin. Car les petites allusions à l'entente sexuelle de Phil et Gloria, au désir qui submerge Gabbie ou à l'anatomie sensuelle des fées ne sont pas très discrètes et n'apportent pas toujours grand chose... De même, le style n'est pas dingo. Heureusement l'histoire et l'utilisation des contes est plutôt chouette ! 

fees feerie

La famille Hasting vient de s'installer à Pittsville dans une grande maison à l'orée d'une forêt (quelle idée, alors qu'ils étaient si bien en Californie !). Dans ce bois, quelque chose de maléfique semble vivre, caché sous un pont. Les jumeaux sont les premiers à croiser une étrange chose noire. Puis c'est au tour de Gabbie de découvrir des hommes inconnus dans ces bois... On assiste à des scènes féeriques mais dangereuses sur la butte aux fées... Car toutes les créatures qui hantent ces lieux ne sont pas toutes fréquentables et animées de bonnes intentions. 

Inspiré par les personnages féeriques qui peuplent nos contes, et notamment les contes irlandais, Feist campe un univers peuple de fées plus séduisantes et plus dangereuses les unes que les autres. Et d'un maître effrayant et maléfique. 

Ce roman se dévore d'une traite, sans temps mort, ou presque. A vrai dire, le milieu est un peu mou et certains passages n'ont pas grand intérêt. Mais la pression monte très vite autour des personnages. Chaque épisode les conduit de façon plus évidente vers leur perte... Et il ce sont de véritables aventures qu'ils vivent, parfois même des quêtes. C'est d'ailleurs la "quête" de Sean que j'ai préféré...

Si j'ai trouvé l'exploitation du monde féerique sympathique et le scénario entraînant, je n'ai jamais eu réellement peur comme je m'y attendais. Car le lecteur sait presque tout ce qui attend cette famille, voyant les "méchants" et leurs plans. Et puis, niveau psychologie des personnages et intérêt de ces derniers, c'est assez moyen... Entre la riche, belle et intelligente héritière et l'écrivain célèbre, c'est fade.

Bref, cela manquait un peu de psychologie et de mystère à mon goût...

Pour retrouver le billet de Mélisandre

mardi 9 décembre 2014

Quelques expos à Florence

Puro, Semplice e Naturale nell’arte a Firenze tra Cinque e Seicento


En week-end à Florence (ah les pasta !), nous avons parcouru les longs couloirs des Offices. Durant toute une journée. Nous en avons profité pour visiter cette exposition temporaire, plutôt calme par rapport aux collections permanentes (c'est le problème quand un musée aligne tant de chef-d’œuvres, beaucoup de groupes et de visiteurs). Le propos de cette expo ? Nous éclairer sur la peinture à Florence après Raphaël. On oublie le maniérisme exubérant pour retrouver des lignes plus douces et des couleurs moins contrastées. Les tenants de cette renaissance, de ce doux classicisme ? Andrea del Sarto ou Fra Bartolomeo. Pour ce qui est des peintures post Concile de Trente, c'est un peu moins mon trip : le baroque pointe son nez dans des icônes mises en abymes dans d'autres tableaux... Sont exposés beaucoup de peintures religieuses de la Contre-Réforme mais aussi quelques natures mortes qui tendent à démontrer la grande subtilité des peintre des XVI et XVIIe siècles. Les tableaux des différentes façons d’accommoder le pain sont étonnants ! Outres les peintures, on peut admirer quelques sculptures, notamment des bustes plus vrais que nature. Une dizaine de salles qui offre quelques belles surprises.

A. del Sarto, Annonciation, 1528

Falisci il popolo delle colline

Parmi les autres musées que nous avons découverts, il y avait l'immanquable musée archéologique. Oui, c'est toujours mon dada ! D'ailleurs, c'est un lieu très calme qui offre de beaux têtes à têtes avec quelques trésors de l'art étrusque (joaillerie et bronzes notamment) et de l'art grec (le fameux vase François). 
Et qui nous a permis de rencontrer les Falisques, un peuple vivant en Étrurie et de culture proche des Étrusques (on retrouve les mêmes vases en impasto). Les vitrines contiennent essentiellement du matériel funéraire, organisé chronologiquement et par tombe. Cela permet de faire connaitre ce peuple ainsi que les dernières découvertes mais reste assez mystérieux sur sa culture. Enfin, j'ai regretté que les particularités et la singularité de cet art ne soient pas plus mis en relief.

Dans ce même musée, vous pourrez admirer une exposition, certainement temporaire à sa création puis pérennisée, sur les élites étrusques. Un espace où admirer la perfection de l’orfèvrerie étrusque et son travail du bronze (des flabella superbes). 

Sympa la scéno, non ?

lundi 8 décembre 2014

An American in Paris

Pour les fêtes, le théâtre du Châtelet propose un spectacle renversant, inspiré du film éponyme ! C'est deux bonnes heures de chants et de danse qui vous y attendent.

Après la libération de Paris, trois jeunes gens s'épanouissent dans les arts. L'un est compositeur, l'autre danseur et chanteur, et le dernier peintre. Tous trois aiment la jolie Lise. Qui des deux américains et du français parviendra jusqu'à son cœur ? 


Cette comédie musicale pleine de bonne humeur, créée autour des musiques de Gershwin, est portée par la présence folle de Lise, Jerry, Adam et Milo. Cette petite troupe fonctionne délicieusement bien. Pour ce qui est des autres danseurs, je suis plus circonspecte : on observe des décalages, des petites erreurs... Mais ce n'est pas gênant pour le spectacle, malgré les longs moments de ballet, car Lise et Jerry les feraient presque oublier. Mention spéciale enfin aux décors et aux costumes, tous absolument superbes !  

Bref, un spectacle aussi rythmé qu'à Broadway qui peut constituer un joli cadeau à offrir pour Noël !

vendredi 5 décembre 2014

Pars vite et reviens tard

Ce polar de Fred Vargas patiente dans ma PAL depuis des années... Pour l'en faire sortir, quoi de mieux qu'une lecture commune ? Accompagnée de l'Amoureux, d'Enna, de Riz-deux-ZzZ et de Sevanna, j'ai décidé que c'était le bon moment pour le lire.


On retrouve dans cet opus le commissaire Adamsberg et son second, Danglard, à Paris, pour une curieuse enquête. A priori, rien de très dangereux : un type qui dessine des 4 à l'envers sur des portes (un streetartist pénible ?) et des messages étranges et malsains en vieux français ou en latin. Et pourtant, lorsque Decambrais comprend de quoi il est question dans ces extraits, il entrevoit la panique que ces actions, à première vue inoffensives, peuvent déclencher. Et si le fléau se propageait à nouveau ?

Les polars de Vargas, ce ne sont pas que des polars avec des grands méchants et des policiers malins. Ce sont aussi des personnages très particuliers : Adamsberg qui résout les enquêtes en marchant dans la ville, Joss, le breton converti en crieur public, Hervé qui fait de la dentelle et possède la bibliothèque d'un érudit, Marc, médiéviste et femme de ménage. Bref, une galerie attachante, voire amusante. Vargas, c'est du polar prenant, avec des méchants tordus mais aussi beaucoup d'humour et de liens avec l'histoire. Bref, si vous ne la lisez pas encore, il faut s'y mettre !

Le petit mot de l'Amoureux :
Fan tardif de Vargas (depuis Noël dernier pour être précis), j'ai été complètement happé par cet opus ! On découvre petit à petit Adamsberg et les personnages de la brigade (la course poursuite avec Retancourt est tout bonnement hilarante) et les personnages secondaires de l'enquête sont tout aussi hauts en couleur. Vargas nous livre ici un polar très bien ficelé, original, malin, pas trop stressant et surtout diablement accrocheur !

Le billet de Savenna




jeudi 4 décembre 2014

Pralineries a eu 8 ans !

Voilà plus de huit ans que je hante ces lieux et vos blogs. Cet espace approche dangereusement les 2000 billets, dont près de 1500 sont consacrés à des lectures. 
Ça commence à faire beaucoup... 
Et à faire long...
Pourtant, malgré quelques baisses de motivation, malgré les fermetures, la maison reste ouverte. Mais je ne vous promets pas de nouvelles gourmandises à glisser sous la langue tous les jours.
Allez zou, c'est parti pour une nouvelle année !



Bon anniversaire petit blog et merci à tous ceux qui le font vivre par leurs visites et leurs commentaires !

lundi 1 décembre 2014

Le livre de ma mère

Ce mois-ci, le blogoclub est consacré à la figure maternelle. La lecture proposée était La promesse de l'aube de Gary, que j'ai déjà lu. J'ai donc pris le second sur la liste, ce roman d'Albert Cohen dont j'avais adoré Belle du seigneur


Ce roman est un poème empreint de lyrisme, un hymne à l'amour maternel. Le narrateur nous raconte sa mère. Elle n'est pas très jolie, elle parle avec un drôle d'accent. Enfin, elle était. Car elle est morte. Et maintenant qu'enfermée dans son cercueil elle ne peut plus veiller sur son fils, celui-ci prend conscience de son amour insurpassable, de son dévouement à toute épreuve. Et il regrette. Il regrette de n'avoir pas plus profité de cet amour, de ne pas l'avoir plus goûté et de lui avoir préféré des jolies donzelles. C'est la déclaration tardive et excessive d'un fils ingrat à sa mère adorée. C'est le moment où il réalise qu'il est désormais seul au monde, que personne d'autre que sa mère ne pourra jamais l'aimer autant. C'est le moment où il se sent coupable de vivre, de continuer à vivre malgré cette mort. Comment peut-il encore manger, dormir, écrire ? 

C'est à la fois déchirant sur le deuil, superbe sur l'amour et la solitude, drôle sur le jeu social. On y retrouve les thèmes chers à l'auteur et déjà mis en lumière dans Belle du seigneur : la superficialité et la vanité de l'humain, attaché à la jeunesse et à la beauté, les moqueries sur l'identité juive, ainsi que la variété de tons, du tragique au burlesque, etc. Par contre, ce livre ne se lit pas vraiment d'une traite, les lamentations de l'auteur sont un peu répétitives.

J'en garderai des citations comme "Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte" ou "Qui dort, sinon ma mère éternellement, qui dort, sinon ma mère qui est ma douleur ? Ne la réveillez pas, filles de Jérusalem, ma douleur qui est enfouie au cimetière d'une ville dont je ne dois pas prononcer le nom, car ce nom est synonyme de ma mère enfouie dans de la terre" ainsi que des moments de craquages comme ses rimes sur les vaches "Une vache éprise Chante dans l'église D'un air lascif. Une vache andalouse Danse en bonne épouse D'un air chétif..." ou le Roméo au nez coupé. 

Et je sens que les billets des participants vont me donner envie de relire Gary...



samedi 29 novembre 2014

La légende de Manolo

Voilà plusieurs semaines que nous avons vu ce dessin animé et j'avais omis de vous en parler. Certainement parce qu'il n'était absolument pas à la hauteur de nos attentes. Pourtant, la bande annonce laissait entrevoir un joli film, plein de couleurs...

Tout commence devant un musée : une jeune guide emmène des enfants dans une visite un peu spéciale et leur conte l'histoire de Manolo, de Maria et Joaquin. Un mise en abyme qui n'a aucun intérêt : les réactions des enfants qui émaillent les épisodes du film sont plates et le film se termine sur les aventures de Manolo, sans rejoindre cette première histoire. 

Dans un Mexique coloré, où les hommes ont des têtes de crackers, deux garçons se disputent le cœur de la belle Maria. La mort et son comparse, l'un du pays des morts dont on se souvient, l'autre des esprits oubliés, lancent un pari autour de cette rivalité. Un scénario classique, avec des héros sans failles (ou presque) et une héroïne au caractère bien trempé. Voilà qui ne casse pas trois pattes à un canard.

Ce qui rattrape un peu la platitude du scénario, c'est l'originalité du décor : le jour des morts et le pays des morts sont très séduisants, graphiquement parlant. Hélas, ça n'a pas suffi à me séduire. 

© 20th Century Fox

vendredi 28 novembre 2014

Maîtres et serviteurs

En faisant un petit tour dernièrement dans un challenge tombé en désuétude, le Challenge 'Au bon roman', j'ai croisé ce titre de Pierre Michon. Et j'ai découvert qu'il s'agissait de trois textes sur la peinture et les peintres. Il ne m'en fallait pas plus pour l'ouvrir.

Watteau, Pierrot, 1718
Et là, j'ai d'abord rencontré une plume. Une belle langue, des phrases longues, travaillées, d'abord hésitantes avant de trouver le mot juste et précis. Des phrases qui, immédiatement, suscitent des images. Et puis, j'ai suivi des personnages, des peintres, à travers des regards divers, celui d'une pauvre femme, d'un curé, d'un narrateur ironique. Le premier est Goya, ce peintre que l'on voit gravir les échelons de la gloire, jusqu'à un tête à tête avec la peinture de Velasquez. Le second est Watteau que le curé de Nogent, Charles Carreau, nous conte. Modèle pour le Pierrot de Watteau, il a pu observer le peintre et ses désirs pour les femmes, toutes les femmes. Le dernier est Lorentino d'Angelo, disciple de Pierro della Francesca. Un homme qui n'a jamais percé, dont la peinture a été oubliée. Un très pâle reflet de son maître (que l'on ne croise qu'aveugle et décrépit).

A travers ces trois (quatre en comptant della Francesca) portraits de peintres, plus littéraires et imaginaires qu'historiques, Pierre Michon s'interroge sur ce qu'est un peintre et sa création. Il décrit des gestes, des manières de faire, de trouver un sujet ou un modèle. Il montre aussi la vanité de ces hommes et de leurs créations (et à ce titre, "Fie-toi à ce signe" (oui, Constantin ne nous quitte plus) est le plus explicite). Une belle rencontre, qui ne sera certainement pas la dernière avec cet auteur. 

jeudi 27 novembre 2014

Les nuits blanches et Le sous-sol

Ingannmic m'accompagne à nouveau pour une LC, cette fois-ci autour de deux textes de Fédor Dostoïevski. Merci de dépoussiérer ainsi ma PAL ! D'ailleurs, on continue en décembre autour de Faulkner. 

Il ne doit pas y avoir beaucoup de textes de Dostoïevski aussi différents que ces deux-là. L'un est un court roman d'amour, l'autre le journal d'un misanthrope. A se demander si notre joli rêveur ne pourrait pas devenir cet anti-héros inique suite à son aventure...

art russe

Les nuits blanches sont ces quatre nuits pendant lesquels un jeune homme rêveur cause avec Nastenka. En pleurs dans les rues de Saint-Petersbourg, Nastenka manque de se faire importuner par un ivrogne que notre héros éloigne. Les jeunes gens commencent à échanger et Nastenka conte son amour blessé. Chaque nuit, notre étudiant la quitte plus épris. Mais le jour vient effacer ses rêves. Une histoire onirique et romantique, qui ne ressemble à rien de ce que je connaissais de Dostoïevski. Mais dont la fin invite à relire le texte avec un regard plus ironique et moins bienveillant, en intégrant la naïveté de notre héros à la fausseté de l'héroïne à notre lecture. 

Le sous-sol est au contraire un condensé de haine : haine de soi, haine de l'autre. Notre narrateur expose dans un première partie sa philosophie de vie : il se voit comme un observateur du monde, un homme clairvoyant, qui perce à jour la médiocrité humaine faite d'intéressement, de conformisme, de bêtise et de violence. Il se hait pour sa conscience, pour sa volonté mais aussi pour son intelligence. Se croyant supérieur à la race humaine, il ne peut nullement s'y intégrer, s'enfermant dans une misanthropie confinant à la folie
Dans une seconde partie, poétiquement intitulée "A propos de neige fondue", il revient sur quelques épisodes de sa jeunesse dans lesquels il a pu montrer toute sa méchanceté et son mépris de l'autre, cherchant querelle avec les forts et écrasant les petits. Cet anti-héros s'attache à montrer combien il se complaît dans la souffrance et dans le mal, entre sadisme et masochismeMalgré cette haine de tout, notre narrateur vit. Il s'efforce à vivre. Et à penser. A chercher. Après tout, il aurait pu jeter l'éponge. Mais non, il va toujours plus loin dans la haine, il s'y plait même si elle lui fait mal. 
Voilà un texte dérangeant, d'une grande profondeur et puissance psychologique. La première partie pose des questions d'ordre philosophique, qui s'approchent de Nietzsche. La seconde est comme la démonstration de cette pensée en actes. 

Retrouvez l'avis d'Ingannmic



mercredi 26 novembre 2014

Quand notre monde est devenu chrétien (312-391)

Alors que je lisais Le Royaume, j'ai croisé cet essai de Paul Veyne sur le moment où le christianisme bascule d'une religion parmi tant d'autres à LA religion de l'empire romain. Et ce moment, c'est le règne de Constantin et les années qui le suivent. 

Constantin, vous le savez sans doute, a vu en rêve le chrisme (le χ et le ρ grecs, signe du Christ) et a entendu "par ce signe tu vaincras". Le lendemain, il livre bataille contre Maxence en 312 et le vainc. Dans la foulée, il se convertit. Et cela change pas mal de choses : plus de persécutions, plus de paganisme dans les domaines qui touchent au culte de l'empereur. Pour autant, Constantin ne cherche pas à convertir tout l'empire. Le règne de Constantin reste d'ailleurs plus païen que chrétien. C'est certainement cette méthode douce de valorisation progressive des chrétiens plutôt que de conversion violente qui a facilité la christianisation. 

Parmi les questions de l'auteur, certaines s'attachent à l'empereur tandis que d'autres s'intéressent à la nouveauté que constitue le christianisme.

Pourquoi ce choix de Constantin ? Est-ce une conversion personnelle ? Un choix politique ou idéologique ? A une époque où le christianisme est minoritaire, on ne voit pas bien ce que cela peut lui apporter politiquement. Ce pourrait être un caprice, la preuve d'une superstition, la vision à long terme d'un ambitieux ou encore la volonté d'être avant-gardiste : par sa conversion, toute personnelle, il devient l'homme providentiel qui fait triompher la vraie foi et donne sa prospérité à l'empire. Bref, on comprend mal les motivations autres que spirituelles de Constantin. Par contre, on peut juger de ses actes qui favorisent l'Eglise de façon évidente : d'abord en la laissant libre, ensuite en l'enrichissant par des bâtiments, enfin en érigeant sa foi comme modèle auprès de ses proches, l'élite de l'empire. Voilà qui donne un élan à cette religion (pratiquée par environ 1/10e de l'empire sous Constantin).

A une époque où les élites se préoccupent des questions philosophiques afférant à la nature de l'âme, il est évident que le christianisme apportait des éléments au débat. Il se présente comme une doctrine, une philosophie de vie autant qu'une religion et répond aux questions sur notre origine et notre fin. Et la nature de son message, qui touchait à la vie personnelle de chacun et prônait l'amour, était original et propre à séduire ces élites. Quand on y pense quelques secondes, c'est dingue ce dieu qui s'intéresse à chacun. On est loin des dieux des philosophes, indifférents au monde. 

Et ce qui est efficace, c'est que le christianisme n'est pas qu'une religion, c'est aussi une morale, une métaphysique, une spiritualité et une Eglise. Il encadre tous les aspects de la vie. En cela, il est séduisant car il n'entre pas uniquement dans le cadre d'un culte, il participe à la vie sociale et personnelle. C'est aussi une religion prosélyte et exclusive. Constantin n'insiste pas trop sur l'exclusivité mais ses successeurs s'y attachent. C'est ainsi qu'au IVe siècle, le paganisme est interdit dans l'empire romain. 

Pourquoi ce succès du christianisme ? Après Constantin, tout aurait pu rentrer dans l'ordre. Après tout, Julien dit l'apostat a favorisé le paganisme aux dépens du christianisme et cela aurait pu orienter tout autant l'empire. Selon Veyne, c'est la défaite du païen Arbogast devant Théodose qui a tranché la question en 394. Même si le paganisme survit quelques siècles dans certains lieux... Au VIIe siècle, on estime que le christianisme touche la majorité de la population. Cela est dû au maillage d'églises et d’évêques qui exercent une autorité sur les villes. Le vivre ensemble chrétien devient la norme.

Enfin, Veyne s'interroge sur les racines chrétiennes de l'Europe. Et les récuse. Pour lui, le christianisme a préparé le terrain de l'humanitarisme, il est un élément historique parmi tant d'autres mais certainement pas l'origine de l'Europe telle que nous la connaissons. Et dans l'appendice, il est question du judaïsme ancien, examiné selon le prisme du polythéisme ou de la monolâtrie. 

Cet ouvrage d'un historien sur le moment qui a fait basculer l'empire est très intéressant. Il insiste sur l'originalité du christianisme, sa pertinence et son universalisme. Sans nous rendre réellement claires les raisons de la conversion de Constantin, il propose des pistes qui bousculent les idées reçues et les faux sens, notamment sur les monnaies. Il insiste sur la démarche personnelle de l'empereur, à telle point que c'en est troublant, on touche presque à sa psychologie. Et ce qui est complexe à trancher, c'est ce qui se passe dans la population, dans l'intime de chacun, ce que Veyne passe sous silence, certainement faute de sources. Qui sait ce qu'était la louange ou l'oraison de Constantin ou de ses esclaves ? Avec sa plume claire, ses hypothèses et arguments très étayés, Veyne propose au lecteur une lecture de l'histoire très inspirée, qui peut venir contredire d'autres historiens, toujours cités et explicités.

Christ, tombeau constance

mardi 25 novembre 2014

Cassandre

La figure de Cassandre, princesse troyenne condamnée à annoncer l'avenir malheureux sans jamais être crue, est fascinante. Lucide et incomprise, vierge maudite par un dieu jaloux, elle reste dans l'ombre, dans les mots, quand les hommes qui l'entourent ne sont que dans l'action. Ce livre dirigé par Marie Goudot a été une évidence pour moi : je voulais creuser les mystère de ce personnage. Il s'agit d'un recueil d'articles qui traitent de cette figure antique et de ses réinterprétations modernes.

Cet ouvrage s'organise ainsi :

"Enquête sur une énigme bien gardée" et "Le motif dans le tapis pourpre" par M. Goudot

Tout commence par un retour sur Cassandre, sur sa parole impuissante. Elle est vue comme une figure ambiguë, aussi puissante qu'un dieu car elle connait l'avenir, elle sait voir derrière les mensonges et les choix présents, mais elle est toujours aussi démunie qu'un enfant car sa parole est vaine. C'est un dialogue de sourds entre ses interlocuteurs et elle. 
C'est également un personnage qui porte malheur : elle n'annonce que des morts et des défaites... N'est-ce pas sa parole qui les déclenche ? Elle donne au langage sa valeur performative :"Quand la chose est dite, elle existe. A s'obstiner à annoncer les catastrophes, on les provoque". 
Enfin, cette femme, considérée comme barbare et folle, est aussi, dans la tragédie grecque, le porte parole d'une réflexion politique. 

C'est le théâtre qui donne à Cassandre toute sa dimension. Elle n'est certes pas entendue par ses interlocuteurs, mais le spectateur, interlocuteur secondaire, peut la croire. Son langage s'adresse à une double cible, qui ne peut agir : l'interlocuteur parce qu'il n'est pas persuadé par ses mots, le spectateur parce qu'il est dans un autre espace que la scène. Elle est une incarnation du destin tragique, de la fatalité.

"Le chant interdit de la clairvoyance" de A. Iriarte

Cet article s'attache à montrer Cassandre comme une femme, comme la femme par excellence : mystérieuse, inquiétante, à domestiquer... 
Parlons d'abord de ses oracles : la violence des visions et des transes de Cassandre sont autant d'accouchements, fruits de la possession divine. Elle n'est pas du tout dans la sobriété d'un Tirésias, au langage clair, elle est dans la vision fugitive et immédiate traduite par des paroles sibyllines. Ce langage vain, ce n'est pas uniquement celui de la fille de Priam, c'est celui de la femme en général : incapable de propos réfléchis, la femme s'exprime de façon cryptique. Il faudrait un interprète pour la comprendre (oui, l'égalité, c'est pas trop à la mode chez les grecs). 
Selon l'auteur, le théâtre reflète l'inquiétude du citoyen devant le mariage et la femme (qui transmet la citoyenneté, ce n'est pas rien), notamment devant la vierge attachée à Agamemnon, devenu polygame. Ni vraiment vierge, ni épouse, ni mère, elle ne se rattache à aucune catégorie féminine connue. N'est-il pas alors logique que de telles noces se signent dans l'Hadès ? 

"Le moment de Cassandre chez Eschyle" de A. Green

Un article qui s'attache à mettre en avant le réseau de relations de Cassandre. Je n'en ai pas gardé grand chose. 

"Cassandre, figure sonore" de S. Crippa

Cet article s'intéresse aux mots de Cassandre. Des mots articulés mais aussi des sons, des cris incompréhensibles. 

"Le Moyen Âge a-t-il eu ses Cassandres ?" par J. Le Goff

Cassandre n'est pas très populaire au Moyen Âge, on ne la voit guère renaître qu'au XIIe siècle dans des romans historiques, notamment le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure. Sa place est souvent très réduite dans les ouvrages qui évoquent Troie. Elle est à la fois figure du malheur, comme l'est sa ville, et figure oraculaire lointaine, condamnable parce qu'elle n'annonce pas le Messie à la différence de prophètes et sibylles antiques. Mais ce qui l'a le plus surement condamnée, c'est son absence de perspective sur le salut, le fait de n'être que malheur et mort...

"Cassandre ou la division : l'évidence invisible" de C. Puech

Pourquoi Cassandre a-t-elle voulu l'omniscience ? Et pourquoi son discours se rapproche-t-il du langage utopique ? 

"De Cassandre à Médée" par C. Wolf

Sur la place de la femme dans la société grecque mais aussi de l'humain dans une société. C. Wolf s'attache à la figure de Médée, magicienne diabolisée par Euripide à travers l'infanticide qu'elle commet. Elle signale que cet acte a été ajouté par le tragique pour répondre à une peur du féminin...

L'ensemble de ces articles dresse un portrait passionnant de Cassandre, à travers toutes les facettes de son personnage. Une bibliographie permet également de creuser l'un ou l'autre point. Cependant, je n'ai pas l'impression d'avoir découvert énormément via cet ouvrage. Les interprétations proposées ont rarement suscité mon étonnement. Il faut dire que c'est un sujet sur lequel j'ai beaucoup travaillé en master et que je commence à bien connaître. Bref, j'hésite à réellement le recommander. 

Pompei, Rapt de Cassandre, Maison de Ménandre