Voilà des années que je souhaitais lire ce roman de Xavier de Maistre qui conte comment l'on peut voyager tout en ne quittant pas sa chambre. Attention, découverte d'un petit bijou très XVIIIe ! Retenu en prison pendant 40 jours suite à un duel, notre jeune homme ne s'ennuie pas un instant. Il réfléchit, il s'amuse avec son chien, il embête son valet. Mais surtout, il parodie le récit de voyage, passant de l'univers de son lit à celui de son bureau ou de sa bibliothèque. En chaque endroit, il y a des surprises, des découvertes que nous partage l'auteur. Au cœur du propos, le jeu qui se poursuit sans cesse entre l’âme et la bête :"J’ai fait je ne sais combien d’expériences sur l’union de ces deux créatures hétérogènes. Par exemple, j’ai reconnu clairement que l’âme peut se faire obéir par la bête, et que, par un fâcheux retour, celle-ci oblige très souvent l’âme d’agir contre son gré. Dans les règles, l’une a le pouvoir législatif et l’autre le pouvoir exécutif ; mais ces deux pouvoirs se contrarient souvent. — Le grand art d’un homme de génie est de savoir bien élever sa bête, afin qu’elle puisse aller seule, tandis que l’âme, délivrée de cette pénible accointance, peut s’élever jusqu’au ciel."
"Lorsque vous lisez un livre, monsieur, et qu’une idée plus agréable entre tout à coup dans votre imagination, votre âme s’y attache tout de suite et oublie le livre, tandis que vos yeux suivent machinalement les mots et les lignes ; vous achevez la page sans la comprendre et sans vous souvenir de ce que vous avez lu. — Cela vient de ce que votre âme, ayant ordonné à sa compagne de lui faire la lecture, ne l’a point avertie de la petite absence qu’elle allait faire ; en sorte que l’autre continuait la lecture que votre âme n’écoutait plus."
Sympathique séparation, n'est-ce pas ? Parmi les autres moments forts intéressants, un chapitre sur l'usage du miroir...
"Or, puisque les miroirs communs annoncent en vain la vérité, et que chacun est content de sa figure ; puisqu’ils ne peuvent faire connaître aux hommes leurs imperfections physiques, à quoi servirait un miroir moral ? Peu de monde y jetterait les yeux, et personne ne s’y reconnaîtrait, excepté les philosophes. — J’en doute même un peu.
En prenant le miroir pour ce qu’il est, j’espère que personne ne me blâmera de l’avoir placé au-dessus de tous les tableaux de l’école d’Italie. Les dames, dont le goût ne saurait être faux, et dont la décision doit tout régler, jettent ordinairement leur premier coup d’œil sur ce tableau lorsqu’elles entrent dans un appartement."
Délicieux également, qu'en pensez-vous ? Court, sympathique, enlevé, c'est le genre de classique à mettre entre toutes les mains.
Une lecture qui a su attendre son heure.
RépondreSupprimerTout à fait !
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