jeudi 28 novembre 2019

Imparfaits, libres et heureux

Ce livre de Christophe André, on me l'a beaucoup conseillé. J'ai des amis qui en sont fans et en ont fait leur livre de chevet, d'autres qui ont trouvé la lecture intéressante et en ont tiré quelques idées. Pour moi, ce fut une lecture fastidieuse et longue.

Le plan de l'ouvrage :
1. L'estime de soi, c'est tout ça...
2. Prendre soin de soi
3. Vivre avec les autres
4. Agir, ça change tout !
5. L'oubli de soi

Alors, de quoi parle-t-on ? On parle de "ce que je pense de moi, de comment je me sens avec ces pensées et de ce que je fais de ma vie avec tout ça". Le premier chapitre nous fait une liste, parfois répétitive pour nous faire comprendre ce que l'estime de soi permet :
"Dire ce que je pense
Faire ce que je veux
Insister quand je me heurte à une difficulté
Ne pas avoir honte de renoncer
Ne pas me faire avoir par la pub ou les modes, qui veulent me faire croire qu'on n'est quelqu'un de bien que si on porte telle marque ou si on pense de telle façon
Rire de bon cœur quand on me chambre gentiment
Savoir que je peux survivre à mes échecs
Oser dire "non" ou "stop"
Oser dire "je ne sais pas"
Suivre mon chemin même si j'y suis seul(e)
Me donner le droit d'être heureux(se)
Me sentir digne d'être aimé(e)
Supporter de ne plus être aimé(e), même si ça me rend malheureux(se) sur le moment
Me sentir tranquille avec moi-même
Dire "j'ai peur" ou "je suis malheureux(se)" sans me sentir rabaissé(e)
Aimer les autres sans les surveiller ou les étouffer
Faire de mon mieux pour réussir ce que je veux réussir, mais sans me mettre la pression
Me donner le droit de décevoir ou de rater
Demander de l'aide sans me sentir pour autant inférieur(e)
Ne pas me rabaisser ni me faire du mal lorsque je ne suis pas content(e) de moi
Ne pas me sentir envieux(se) de la réussite ou du bonheur des autres
Savoir que je peux survivre à mes malheurs
Me donner le droit de changer d'avis après réflexion
Faire preuve d'humour sur soi-même
Dire ce que j'ai à dire, même si j'ai le trac
Tirer les leçons de mes erreurs
Me mettre en maillot de bain même si mon corps n'est pas parfait
Me sentir en règle avec les blessures de mon passé
Ne pas avoir peur de l'avenir
Trouver que je suis quelqu'un de bien, avec ses qualités et ses défauts
Sentir que je progresse, que je tire des leçons de la vie
M'accepter tel(le) que je suis aujourd'hui sans renoncer pour autant à changer demain
Et enfin, arriver à penser à autre chose qu'à moi..."

Beau programme, non ? On part ensuite dans deux directions : mieux vivre avec soi-même et moins se soucier du regard des autres. Cela passe par l'examen des symptômes d'une bonne ou mauvaise estime de soi, dans la façon de s'exercer à garder une bonne estime de soi... qui passe d'abord par l'acceptation de qui on est, avec ses vulnérabilités, fragilités et défauts. Il y a là toute une série de conseils, de petites attentions à avoir lorsqu'on commence à se juger ou à juger l'autre, à interpréter voire surinterpréter. Il y a aussi des idées et des exercices pour mieux s'affirmer. Mais si tout cela reste dans la tête, ça ne marche pas. C'est à mettre en oeuvre et à expérimenter dans l'action et dans l'échec ! Car c'est aussi dans la tolérance à l'échec que l'estime de soi se construit.
Enfin, la dernière phase est certainement la plus importante : la bonne estime de soi est silencieuse et c'est quand on n'y prête pas trop attention que c'est plutôt bon signe. L'auteur invite aussi à prendre du recul et à donner du sens au moment présent, à bien le vivre, à lui donner du sens et donne quelques idées pour éloigner la question de la mort. 

Un ouvrage pas très éloigné finalement de Trois amis en quête de sagesse, et qui me laisse le même goût de "pas assez". 

lundi 25 novembre 2019

Tout dort paisiblement sauf l'amour

C'est d'abord le titre du roman de Pujade-Renaud qui m'a plu. Et puis, j'avais cet excellent souvenir du Jardin forteresse. Alors sans réfléchir, je l'ai emprunté avec son voisin d'étagère !

Bienvenue dans un triangle amoureux historique, celui de Soren Kierkegaard, Régine Olsen et Frederik Schegel. Une histoire racontée, pour ce qui arrive avant le début du roman, dans le Journal d'un séducteur. Enfin, romancé à la sauce Kierkegaard, énervé que son ex-fiancée, Régine, se marie. 

Au début de notre roman, on rencontre la belle Régine, la trentaine, aux Antilles avec son mari Frederik, gouverneur. Elle y apprend la mort de Kierkegaard. Entre ce moment et sa propre mort, elle revient régulièrement sur son passé et ses fiançailles avec le philosophe, que ce soit par la lecture de ses œuvres où elle se découvre et redécouvre muse ou par l'intervention de la famille de Kierkegaard. Henriette et Henrik évoquent inlassablement leur oncle avec elle. L'occasion de dresser un portrait tout en ombres de l'inclassable ironiste, du taon de Copenhague, du fiancé masochiste, de l'écrivain au secret de famille, du fils survivant au châtiment paternel. 
C'est aussi un portrait de Régine, toujours attirée malgré elle par son premier amour, et de Frederik, l'homme paternel, patient et amoureux, travailleur et brillant, qui sort du rôle de précepteur pour endosser celui d'époux. 
A travers leurs voix, sur cinquante ans, c'est aussi l'image de Kierkegaard qui évolue, l'empêcheur de penser en rond devient homme illustre, son oeuvre et sa vie sont interprétées et décortiquées. Régine devient aussi un personnage mythique que lui alors qu'elle vit toujours, accomplissant ainsi la prophétie de Kierkegaard de la rendre immortelle.

Au fil de ma lecture, que j'ai dans l'ensemble beaucoup appréciée, j'ai ressenti parfois un certain ennui à voir répétés les mêmes scènes, les mêmes commentaires. Cette façon de replonger dans les livres pour y tenter de comprendre une rupture, de tourner toujours autour de sa blessure lasse un peu. Mais l'ensemble est beau, bien écrit, psychologiquement fin...


lundi 18 novembre 2019

La mer à l'envers

Marie Darrieussecq est dans la bibliothèque familiale mais je ne crois pas l'avoir déjà lue. C'est plutôt le thème de son dernier roman qui m'a fait sauter le pas. 

Rose est en croisière avec ses enfants. Elle se pose des questions sur son mariage, sur son travail. Et puis, c'est le choc quand, en une nuit comme les autres, l'énorme bateau en croise un tout petit. Les migrants sont accueillis temporairement avant d'être laissés à un port. Il ne s'est rien passé, personne n'a rien vu, ou presque. Rose, un médecin et quelques autres ont croisé des regards, serré des mains. Et la vie continue, sauf que Rose suit Younès, de loin en loin, après lui avoir donné le portable de son fils. Elle déménage, s'installe comme psychologue mais finit guérisseuse, ne répond pas aux appels de Younès sauf lorsqu'ils se font trop pressants. 

C'est l'histoire d'une rencontre, de deux mondes qui se croisent rapidement, qui s'effleurent. C'est surtout celle d'une femme, pas héroïque très longtemps, mais humaine à plein temps, qui ne laisse pas ternir son regard, qui ne joue pas l'indifférence, qui tente quelque chose, fait confiance parfois. Ce n'est pas tout le temps, c'est de temps à autres, ce n'est pas dans sa vie de famille par exemple, qui coule toute douce, c'est un peu dans sa vie pro, c'est ailleurs. Une belle façon de se laisser toucher par un sujet essentiel, réduit dans nos médias à une masse informe "les migrants", alors que des histoires et des traumas habitent ces humains qui fuient l'indicible. 


jeudi 14 novembre 2019

Autoportrait au radiateur


Cet ouvrage de Christian Bobin se présente comme un journal d’avril 1996 à mars 1997. Journal des fleurs et des herbes. Journal des enfants de son amour. J'y ai fait une moisson riche et belle de mots et de phrases ! 
Deux de mes favorites : « Ce qu’on appelle le « charme » d’une personne, c’est la liberté dont elle use vis-à-vis d’elle-même, quelque chose qui, dans sa vie, est plus libre que sa vie » et « Pour trois jours, analphabète : rien de tel qu’un souci pour rendre le monde illisible. Le souci est une manière de porter à soi une attention si bruyante que l’on finit très vite par ne plus rien entendre – ni soi ni les autres. Une mort à même la vie »
« La gaieté, ce que j’appelle ainsi, c’est du minuscule et de l’imprévisible. Un petit marteau de lumière heurtant le bronze du réel. La note qui en sort se propage dans l’air, de proche en proche jusqu’au lointain »
« Personne n’est exactement à sa place et cela vaut mieux, une stricte adéquation serait insupportable »
« C’est clair : tout ce que j’ai, on me l’a donné. Tout ce que je peux avoir de vivant, de simple et de calme, je l’ai reçu. Je n’ai pas la folie de croire que cela m’était dû, ou que j’en étais digne. Non, non. Tout m’est depuis toujours donné, à chaque instant, par chacun de ceux que je rencontre. Tout ? Oui. Depuis toujours ? Oui. A chaque instant ? Oui. Par chacun de ceux que je rencontre, sans exception ? Oui. Alors pourquoi, parfois, une ombre, une lourdeur, une mélancolie ? Eh bien c’est qu’il me manque parfois le don de recevoir. C’est un vrai don, un don absolu. Quelquefois je prétends trier, choisir, je me dis que l’herbe est plus verte de l’autre côté du pont, des bêtises comme ça, rien de grave puisque l’on continue de tout me donner, sans arrêt, pour rien »
« La vie, je la trouve dans ce qui m’interrompt, me coupe, me blesse, me contredit. La vie, c’est celle qui parle quand on lui a défendu de parler, bousculant prévisions et pensées, délivrant de la morne accoutumance de soi à soi »
« « Infiniment plus que tout » : c’est le nom enfantin de l’amour, son petit nom, son nom secret »
« Il y a un instant où notre vie, sous la pression d’une joie ou d’une douleur, rassemble ce qui, en elle, était auparavant dispersé – comme une ville dont les habitants abandonneraient leurs occupations pour se réunir tous sur la grand place »
 « Dans la racine du mot « négligence », il y a le mot « lire ». Faire preuve vis-à-vis d’autrui de négligence, c’est être devant lui comme devant un livre que l’on n’ouvrira pas, le laissant à lui-même obscur, privé de sens »
« L’angoisse suscite la beauté – comme la question réveille sa réponse. A la source d’un grand poème, d’une belle musique ou d’une architecture sacrée, il y a une angoisse que l’on apaise en lui donnant forme, rythme, mesure »
« La hache plus que la dentelle. L’art roman plus que l’art gothique. Ce qui tranche, simplifie et rudoie, plus que ce qui dilue, complique et diffère »
« La lourdeur et l’ennui sont la marque des conseillers qui orientent ma vie, les seuls que j’écoute. Peu bavards, ils m’indiquent uniquement là où je dois m’abstenir. Pour le reste, ils se taisent »
« Faire sans cesse l’effort de penser à qui est devant toi, lui porter une attention réelle, soutenue, ne pas oublier une seconde que celui ou celle avec qui tu parles vient d’ailleurs, que ses goûts, ses pensées et ses gestes ont été façonnés par une longue histoire, peuplée de beaucoup de choses et d’autres gens que tu ne connaîtras jamais. Te rappeler sans arrêt que celui ou celle que tu regardes ne te doit rien, n’est pas une partie de ton monde, il n’y a personne dans ton monde,  pas même toi. Cet exercice mental – qui mobilise la pensée et aussi l’imagination – est un peu austère, mais il te conduit à la plus grande jouissance qui soit : aimer celui ou celle qui est devant toi, l’aimer d’être ce qu’il est, une énigme – et non pas d’être ce que tu crois, ce que tu crains, ce que tu espères, ce que tu attends, ce que tu cherches, ce que tu veux »
« Je connais des écrivains pauvres, je n’en connais aucun qui soit au chômage : privé d’écrire – et donc de joie, car il ne faut pas se raconter d’histoire : c’est une joie pure que celle d’écrire, et tout autre discours là-dessus est répugnant »
« Les techniques modernes pour relier les individus les uns aux autres visent toutes à une seule chose : réduire à l’extrême le délai entre un désir et sa réalisation. C’est une manière angélique de nier l’épaisseur et la lourdeur du temps. Mais l’amour qui est cet envol a besoin de cette épaisseur et de cette lourdeur. Il prend son essor en s’appuyant sur eux. C’est pour préserver ce temps que je laisse le téléphone sonner et le répondeur réciter ses poèmes »
« Ce matin j’ai pris un cours de danse avec une araignée et cet après-midi je m’en porte mieux »
« « Reste près de moi », dit le mauvais amour. « Va, dit le bon amour, va, va, va : c’est par fidélité à la source que le ruisseau s’en éloigne et passe en rivière, en fleuve, en océan, en sel, en bleu, en chant » »
« Car il en va des sociétés comme des individus : le réel est toujours du côté du réfractaire, du fugitif, du résistant, de tout ce qu’on cherche à calmer, ordonner, faire taire et qui revient quand même, qui revient encore, et qui revient sans cesse – incorrigible. L’écriture est de ce côté-là. Tout ce qui s’entête à vivre est de ce côté-là. »
« Le bien, s’il y en a, quand il y en a, arrive dans les rares instants où, m’abstenant de faire quoi que ce soit, je lui ouvre un espace. Le mal, c’est ce à quoi je prends part. Le bien, c’est ce que je laisse venir. »
« Vouloir plaire, c’est mettre sa vie dans la dépendance de ceux à qui l’on veut plaire, et de cette part en eux, infantile, qui veut sans fin être comblée. Ceux qui recueillent les faveurs de la foule sont comme des esclaves qui auraient des millions de maîtres. »
« Devant la phrase poudreuse et calme : «  Il neige », on ne songe pas à poser la question : « Qui est-ce qui neige ? » « Il neige » désigne un fait pur, un évènement sans auteur : « il y a de la neige, là maintenant. » Dire « je t’aime » ne dit rien d’autre. « Aimer » est un verbe de la même famille que « neiger ». Qui est-ce qui neige ? La neige. Qui est-ce qui aime ? L’amour. « Je t’aime » – donc « il y a de l’amour, là, maintenant. Il n’y a que de l’amour et moi je n’y suis pas. Je suis seulement celui qui formule ce qu’il y a là où, momentanément, je ne suis plus. » »
« Choses qui viennent par défaut à la place d’une autre : l’ambition. L’argent. Laver les vitres, classer des photos. La colère. Les voyages. Choses qui remplissent toute leur place et ont en elle-même leur propre suffisance : Nouer les lacets d’un petit enfant. Lire un livre d’une traite avec la nuit alentour. Changer l’eau des fleurs. L’empreinte d’un moineau sur la neige fraîche. L’amour. »
« L’écriture est la sœur cadette de la parole. L’écriture est la sœur tardive de la parole ou un individu, voyageant de sa solitude à la solitude de l’autre, peuple l’espace entre les deux solitudes d’une Voie lactée de mots. Ce qui nous parle, c’est ce qui nous aime. Une parole privée d’amour est une chose sourde, sans conséquence « Je ne sais pas te parler, donc je te tue » : l’amour est un effort pour sortir de ce meurtre naturel de chacun par chacun. L’amour est cette bienveillance élémentaire à partir de laquelle une solitude peut parler à une autre solitude et, au besoin, l’accompagner jusque dans le noir. »


lundi 11 novembre 2019

Les identités meurtrières

Autant j'ai déjà lu Maalouf romancier, autant c'est une découverte de le lire essayiste. Pourtant, ce titre est en bonne place sur ma LAL !

Dans cet ouvrage, Amin Maalouf décortique et analyse ce qu'est l'identité, ses multiples composantes, les appartenances, les héritages. 

"Moitié français, donc, et moitié libanais ? Pas du tout ! L'identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées. Je n'ai pas plusieurs identités, j'en ai une seule, faite de tous les éléments qui l'ont façonnée, selon un "dosage" particulier qui n'est jamais le même d'une personne à l'autre"
"Mon identité, c'est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne"
"S'il existe, à tout moment, parmi les éléments qui constituent l'identité de chacun, une certaine hiérarchie, celle-ci n'est pas immuable, elle change avec le temps et modifie en profondeur les comportements"
"Grâce à chacune de mes appartenances, prise séparément, j'ai une certaine parenté avec un grand nombre de mes semblables ; grâce aux mêmes critères, pris tous ensemble, j'ai mon identité propre, qui ne se confond avec aucune autre"
"C'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer"
"L'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence"
"Tant il est vrai que ce qui détermine l'appartenance d'une personne à un groupe donné, c'est essentiellement l'influence d'autrui ; l'influence des proches - parents, compatriotes, coreligionnaires - qui cherchent à se l'approprier, et l'influence de ceux d'en face, qui s'emploient à l'exclure. Chacun d’entre nous doit se frayer un chemin entre les voies où on le pousse, et celles qu’on lui interdit ou qu’on sème d’embûches sous ses pieds ; il n’est pas d’emblée lui-même, il ne se contente pas de "prendre conscience" de ce qu’il est, il devient ce qu’il est ; il ne se contente pas de "prendre conscience" de son identité, il l’acquiert pas à pas."

Et ces multiples appartenances coexistent, à différents niveaux. C'est souvent celle qui est attaquée ou questionnée, qui fait vibrer ou réagir la personne.

Alors, il s'interroge sur la façon dont ces identités multiples, s'expriment par rapport à une mondialisation qui lisse les différences, propose un modèle dominant, écrasant. Et exacerbant les comportements identitaires, meurtriers parce qu'ils se posent "contre" une inégalité, une domination. Il analyse le cas des pays arabes et de pays colonisés, enjoints à une modernisation ou une occidentalisation forcée, et montre comment des réactions nationalistes ou communautaristes en naissent. 
"Il y a constamment, dans l’approche qui est la mienne une exigence de réciprocité – qui est à la fois souci d’équité et souci d’efficacité. C’est dans cet esprit que j’aurais envie de dire, "aux uns" d’abord : "plus vous vous imprégnerez de la culture du pays d’accueil, plus vous pourrez l’imprégner de la vôtre" ; puis "aux autres" : "Plus un immigré sentira sa culture d’origine respectée, plus il s’ouvrira à la culture du pays d’accueil [...] si j’adhère à mon pays d’adoption, si je le considère mien, si j’estime qu’il fait désormais partie de moi et que je fais partie de lui, et si j’agis en conséquence, alors je suis en droit de critiquer chacun de ses aspects ; parallèlement, si ce pays me respecte, s’il reconnait mon apport, s’il me considère, avec mes particularités, comme faisant désormais partie de lui, alors il est en droit de refuser certains aspects de ma culture qui pourraient être incompatible avec son mode de vie ou avec l’esprit de ses institutions."
"Il ne sert à rien, me semble-t-il, de s'interroger sur "ce que dit vraiment" le christianisme, l'islam ou le marxisme. Si l'on cherche des réponses, pas seulement la confirmation des préjugés, positifs ou négatifs, que l'on porte déjà en soi, ce n'est pas sur l'essence qu'il faut se pencher mais sur les comportements, au cours de l'Histoire, de ceux qui s'en réclament"
"Les sociétés sûres d'elles se reflètent dans une religion confiante, sereine, ouverte ; les sociétés mal assurées se reflètent dans une religion frileuse, bigote, sourcilleuse. Les sociétés dynamiques se reflètent en un islam dynamique, innovant, créatif ; les sociétés immobiles se reflètent en un islam immobile, rebelle au moindre changement [...] Ce contre quoi je m'élève, ici, c'est cette habitude que l'on a prise - au Nord comme au Sud, chez les observateurs lointains comme chez les adeptes zélateurs - de classer chaque événement se déroulant dans chaque pays musulman sous la rubrique "islam", alors que bien d'autres facteurs entrent en jeu qui expliquent bien mieux ce qui arrive. Vous pourriez lire dix gros volumes sur l'histoire de l'islam depuis les origines, vous ne comprendriez rien à ce qui se passe en Algérie. Lisez trente pages sur la colonisation et la décolonisation, vous comprendrez beaucoup mieux"
Il questionne également les quotas, le communautarisme, les discriminations positives à l'égard des minorités ? Sont-elles réellement des solutions ? 

Amin Maalouf prône un humanisme universel, qui reconnaisse à chaque homme son humanité, une réciprocité dans les relations, l'apprentissage de plusieurs langues et la découverte d'autres cultures. Bref, c'est un appel à vivre plus ouvert à l'autre et à ses identités. Car c'est aussi quelque chose qui pourrait se diffuser dans notre monde globalisé !

lundi 4 novembre 2019

Circe

Ce livre de Madeline Miller était depuis sa publication sur ma LAL. Le croiser en bibliothèque m'a fait sauter le pas de la lecture. 
Bienvenue dans la vie de Circé, la sorcière qui transforme les hommes en porcs. Sauf Ulysse, protégé par Hermès. Comment ça c'est un peu maigre ? Evidemment, le roman de Madeline Miller est plus vaste que cela. Ecrit à la première personne, c'est la voix de Circé qui s'élève, de sa naissance à ... son dernier acte de magie ? 

Circé, fille d'Hélios et de Perséis, c'est une déesse ratée : pas très jolie, pas très douée, elle observe et se cache toute son enfance. Moquée et abandonnée par ses frères et sœurs, elle s'occupe à regarder les humains. Puis s'amourache de Glaucos, l'un d'eux, qu'elle va rendre immortel. Et elle va changer une nymphe en monstre, Scylla. Evidemment, ça ne plait pas aux dieux, voire ça leur fait très peur, et ils l'exilent sur une île hostile : Aiaia. Elle y développe ses dons de magicienne, à l'écart du monde. Pourtant, des hommes accostent sur ses rives, comme le savant Dédale, ainsi que sa nièce Médée, ou le bel Ulysse, ou le fringuant Hermès (ah non, c'est un dieu). Comment la déesse s'en accommode-t-elle ? Comment passe-t-on d'exil en rebondissement et intrigues ? Eh bien, je vous invite à lire ce roman pour le découvrir.

Au-delà de l'aventure mythologique (dont j'aime toujours autant les réécritures), c'est le portrait de femme qui est intéressant ici. Bon, elle prend plusieurs millénaire pour évoluer mais c'est sa nature de déesse ;) Ok, les premiers chapitres sont un peu longuets. Mais dès qu'elle découvre ses dons, ça devient plus sympa. Et l'écriture est plutôt belle, notamment lorsque Circé cueille ses plantes, avec ses lions et ses loups !