lundi 30 juillet 2018

J'apprends le français

"JE, MOI, unique, irremplaçable, ici et maintenant, ce rituel apprend le verbe être, sans lequel on n'est rien, quels que soient la langue que l'on parle et le pays d'où l'on vient"
C'est presque ainsi que s'ouvre l'ouvrage de Marie-France Etchegoin. 

Bénévole en FLE (français langue étrangère) dans un centre d'hébergement d'urgence du 19e arrondissement, Marie-France donne des cours deux fois par semaine. Son public ? Des soudanais, des érythréens, des afghans... Abdou, Sharokan, Aldon, Suleyman, Ibrahim et bien d'autres qui vivent à Jean-Qarré.
Elle leur apprend des mots et découvre leurs histoires. Et c'est de cela qu'elle témoigne. De ses efforts et de ses limites comme prof de FLE bénévole, ses petites hontes de partir en vacances et ses grandes hontes pour un état qui dit accueillir mais se ferme et se défausse. 
"Quelle perte de temps et quel gâchis ces petits supplices administratifs, ces procédures qui trainent"

"Ces rendez-vous sont tous assortis d'acronymes qui claquent comme des tampons à la police des frontières - HUDA, PADA, GUDA, OFFI, EURODAC, DNA, ADA, CADA, CAO, CHU, CRA, OQTF. La langue française, pour Shakoran et tous les autres, ce n'est pas la beauté des mots que l'on s'offre en partage mais d'abord une série de sigles qui opacifient un peu plus le nouveau monde où ils doivent s'orienter"

Hymne à l'ouverture et à l'accueil, à la simplicité des relations, invitation à oublier les peurs et les égoïsmes, ce livre témoigne de la beauté des rencontres et des amitiés qui se nouent. Il parle aussi d'une France citoyenne et active. Et surtout donne des noms, des visages, des surnoms et des histoires à des hommes dont "votre possibilité d'être a été niée et brisée par des dictatures de fer ou des régimes fondés sur la ségrégation ethnique, par des tyrans paranoïaques ou des islamistes assoiffés de pouvoir et de vengeance. Votre vie a été marchandée par les passeurs et les trafiquants. Ou alors "simplement" entravée par la pauvreté". Les histoires de chacun, et notamment ceux qui passent par la Libye, font froid dans le dos. A côté de ça, la longue incertitude déprimée dans laquelle ils mijotent en France n'est rien. Ou tout justement, car il n'est que question d'attendre sans trop savoir à quelle sauce ils vont être mangés : obtenir le statut de réfugiés, être envoyés dans le premier pays qui possède leurs empreintes (pour les dublinés), ou être déboutés, mis en rétention et renvoyés dans leurs pays.

Mais l'essentiel de l'ouvrage est dans le rapport à la langue, à l'autre plus que dans ces pesantes questions administratives.
"La langue était le première repère et le premier repos pour un être en voyage, ou pour l'être en général"

"Je n'ai jamais eu aucune difficulté - et je pense qu'il en est de même pour tous ceux qui apprennent à connaitre migrants et réfugiés - à établir un rapport vrai et sincère avec lui et les autres résidents de Jean-Quarré à première vue si différents de moi"

"L'accueil de l'étranger n'est pas une charité mais un échange. Il nous ouvre un monde dont nous n'avons pas idée. Il démultiplie nos points de vue, enrichit nos perceptions"
En passant, l'auteur y parle aussi d'Epépée et du fait d'arriver dans un monde codé, où tout est à déchiffrer. Et pour lire ce que peut être un parcours de migration.

samedi 28 juillet 2018

Terremer

C'est le challenge Pavé de l'été qui m'a donné envie de découvrir enfin ce classique d'Ursula Le Guin. 

Terremer est un monde composé d'îles sur lesquelles vivent des hommes, des dragons et des sorciers. Dans ce cycle de trois livres Le sorcier de Terremer, Les tombeaux d'Atuan et L'Ultime rivage, nous suivons Ged ou l’Épervier, un garçon doué pour la magie. Originaire d'une île de chevriers, il va se former sur Roke pour devenir un sorcier. Orgueilleux et intelligent, il a tout pour réussir mais il délivre une étrange puissance un soir de défis. Une ombre qui ne cessera de le suivre et de l'effrayer... Avant qu'il ne la prenne en chasse. On découvre à travers ce roman initiatique une partie des îles de Terremer et leurs habitants très divers. Et le caractère de Ged se forme à mesure que les épreuves s'accumulent.

On retrouve ensuite Ged dans le second livre, de façon plus anecdotique. C'est Arha, prêtresse des Innommables qui est l'héroïne de cette histoire. Prêtresse Éternellement réincarnée, l'Unique Prêtresse des tombeaux d'Atuan, règne sur le petit monde des tombeaux et de son labyrinthe. Enfant puis adolescente, nous la suivons dans son apprentissage des rites et l'exploration de son royaume dans lequel Ged pénètre pour retrouver l'anneau d'Erreth-Akbe.

Enfin, Ged a veilli dans le troisième livre. Il est désormais Archimage et s'inquiète des rumeurs folles de magie disparaissant et de dragons fous. Il part dans une nouvelle quête avec le jeune Arren, une quête qui les mènera jusqu'au rivage de la mort.

Un cycle de fantasy agréable, dont j'ai apprécié le premier livre, avec le décor campé et les îles si diverses. La magie du lieu repose sur les noms, les noms de la création et les noms anciens qui donnent sens au monde. C'est la connaissance de ces noms et quelques sortilèges qui permettent la magie... et le pouvoir. Intéressantes réflexions également sur les enjeux d'équilibre du monde : 
"Lorsque nous désirons acquérir du pouvoir sur la vie - une fortune inépuisable, l'invincibilité, l'immortalité - alors ce désir devient de la cupidité. Et si la connaissance s'allie à cette cupidité, alors survient le mal. Et c'est à ce moment là que la balance du monde penche, et que le malheur pèse lourd dans le plateau"

"Qui suis-je pour juger les actes des dragons ?... Ils sont plus sages que les hommes. Il en est d'eux comme des rêves, Arren. Nous, les hommes, faisons des rêves, de la magie, du bien et du mal. Les dragons ne rêvent pas. Ils sont eux-mêmes des rêves. Ils ne font pas de magie : c'est leur substance même, leur être. Ils ne font pas : ils sont !"

lundi 23 juillet 2018

Les représentations sociales

Cet ouvrage de Christine Bonardi et Nicolas Roussiau s'intéresse aux représentations sociales, comme l'indique le titre. Il s'agit d'abord de définir la notion et son origine, puis de recenser les méthodes pour étudier les représentations sociales et leurs évolutions.


La définition de représentation sociale se caractérise par plusieurs aspects : la communication, car c'est un code, la re-construction du réel en lui donnant un sens et la maîtrise de l'environnement.  Les éléments de représentation sont aussi hierarchisés et structurés entre eux.
Pour comprendre les représentations sociales, on s'adresse d'abord aux sociologues comme Durkheim qui imagine une conscience collective qui régit le groupe social. C'est elle qui cimente la communauté et lui permet de se pérenniser. Elle est bien sûr contraignante puisqu'elle impose des manières d'agir et de penser qui se matérialisent dans les institutions ou les croyances. Cette conscience n'est pas détachée de la vie quotidienne puisqu'elle en valide ou infirme la légitimité. Elle est considérée par la société comme une vérité. Pour Durkheim, les représentations individuelles ne pèsent pas en regard du collectif. Elles ne sont attachées qu'à des personnes vouées à disparaitre. Mais les sociétés changent, les représentations ne sont donc pas figées, notamment dans notre société où le poids des croyances s'amenuise. D'autres visions considèrent que les représentations sociales ne sont pas le propre d'une société mais de groupes sociaux parmi lesquels ils font loi. On parle de tribus.
Chez l'anthropologue, notamment Levi-Strauss, c'est la représentation individuelle qui est intéressante car elle permet les phénomènes sociaux complexes et l'émergence de représentations collectives.
Mais c'est évidemment en psychologie que les études sur les représentations sociales abondent. Avec Moscovici, elles sont en évolution constante et dynamiques. A l'oeuvre dans des petits groupes, elles sont limitées et plus diversifiées que ne le voyait Durkheim donc plus aptes à changer. Chaque individu construit en effet sa représentation du monde à partir des objets qui forment le monde et la personnalise selon les groupes auxquels il appartient. 

S'ensuivent les différentes méthodes d'analyse qui n'interesseront que les étudiants amenés à travailler sur ces notions avec une mise en garde contre la subjectivité des chercheurs dans l'analyse. Il est ensuite question du noyau central, élément qui structure les différentes représentations pour leur donner un point de référence. Toute la question est de le repérer et de voir si les changements dans les représentations passent par une évolution du noyau ou des éléments qu'il fédère. Enfin, la question de la transformation des représentations est posée. Et c'est bien entendu lorsqu'un changement irreversible intervient qu'elles sont plus à même de perdurer et de se stabiliser. Sans cela, l'individu tendra à revenir à d'anciennes pratiques. 

Un essai intéressant pour les références qu'il explore ainsi que pour la méthodo. Peut-être plus pour des étudiants que pour le "grand public".

lundi 16 juillet 2018

La bibliothèque, la nuit

Alberto Manguel... Le nom vous dit peut-être quelque chose.Amoureux des livres et bibliothécaire, il y a eu récemment à la BNF une expo portant le même titre que l'ouvrage que je viens de terminer - et inspirée de celui-ci.
 
Dans cet ouvrage, il est question de bibliothèques. Celle de l'auteur, bien sûr. De ses premiers ouvrages de jeunesse sur une étagère à la grange retapée pour accueillir ses milliers d'ouvrages. Il parle des bibliothèques historiques et mythiques, comme Alexandrie. Un peu de classement et de bibliothéconomie. Un tout petit peu d'Internet et de numérisation (mais rarement en bien). De bibliothèques rêvées ou imaginaires, aux livres eux aussi possiblement imaginaires. Il parle d'amour du livre, de relation au livre, mais aussi de relation au monde, à l'autre.
Plutôt que de décrire, j'ai préféré vous proposer des morceaux choisis de certains chapitres. Sachez que ces titres renvoient à autant d'aspects des bibliothèques, du lieu d'éducation, et d'imagination, au lieu physique et architectural, des lecteurs aux encyclopédistes, des maniaques aux désordonnés...

I. Un mythe
"Il existe un vers d'un poème, une phrase dans une fable, un mot dans un essai par quoi mon existence est justifiée ; qu'on trouve cette ligne, et mon immortalité est assurée"
"Alexandrie et ses lettrés, par contre, ne se sont jamais mépris sur la vraie nature du passé ; ils savaient que le passé était la source d'un présent toujours en mouvement où de nouveaux lecteurs se plongent dans de vieux livres qui deviennent neufs en cours de lecture. Chaque lecteur existe afin d'assurer à un livre donné une modeste immortalité. La lecture est, en ce sens, un rituel de renaissance"
II. Un ordre
"Le système alphabétique est entré dans les bibliothèques de l’Islam grâce aux catalogues de Callimaque [...] Les bibliothèques qui se développèrent à la fin du Moyen Âge étaient cataloguées par ordre alphabétique" 
"Si une bibliothèque est un miroir de l'univers, alors un catalogue est un miroir de ce miroir"
III. Un espace
"Toutes les bibliothèques sont affligées de ce besoin de grandir afin d'apaiser nos fantômes littéraires, "les morts anciens qui surgissent des livres pour nous parler" (ainsi que les décrivait Sénèque au Ier siècle de notre ère), de se déployer et d'enfler jusqu'au jour inconcevable où elles contiendront tous les volumes jamais écrits sur tous les sujets imaginables" 
"Il se rend compte que son projet n'était pas impossible mais seulement redondant. L'encyclopédie mondiale, la bibliothèque universelle existe, et c'est le monde même"
IV. Un pouvoir
V. Une ombre
"Si chaque bibliothèque est en un sens un reflet de ses lecteurs, elle est aussi une image de ce que nous ne sommes pas et ne pouvons pas être"
"Toute bibliothèque, du simple fait de son existence, évoque son double interdit ou oublié, une bibliothèque invisible mais impressionnante, composée des livres qui, pour des raisons conventionnelles de qualité, de sujets ou même de volume, ont été jugés indignes de survivre sous ce toit en particulier"
VI. Une forme
VII. Le hasard
"Il était clair, dans l'esprit des chinois, que l'une des prérogatives du conquérant était non de réduire au silence, mais bien d'adopter les réalisations des cultures vaincues et de s'en enrichir"
VIII. Cabinet de travail
"Les livres que nous gardons à portée de main sont objets de magie. Les histoires qui se déploient dans l'espace du cabinet d'un écrivain, les objets choisis pour monter la garde sur un bureau, les livres sélectionnés rangés sur les étagères, tout cela tisse un réseau d'échos et de reflets, de significations et d'affections qui suscitent chez un visiteur l'illusion que subsiste entre ces murs quelque chose du maître des lieux, même si ce maître n'est plus"
IX. Une intelligence
X. Une île
"Chaque lecteur a trouvé les charmes grâce auxquels on peut prendre possession d'une page qui, par magie, devient comme jamais lue, fraîche et immaculée. Les bibliothèques sont les chambres fortes, les coffres aux trésors qui recèlent ces charmes"
XI. La survie
"Les livres peuvent parfois nous enseigner à poser nos questions, mais ils ne nous rendent pas forcément capables d'en déchiffrer les réponses. Au moyen de voix rapportées et d'histoires imaginées, les livres nous permettent seulement de nous rappeler ce que nous n'avons jamais subi et jamais connu. La souffrance elle-même n'appartient qu'aux victimes. Tout lecteur est donc, en ce sens, l’Étranger"
XII. L'oubli
XIII. L'imagination
"Les collections de livres imaginaires nous enchantent parce qu'elles nous offrent le plaisir de la création sans la peine de rechercher ni d'écrire. Mais elles sont perturbantes aussi, à double titre - d'abord parce qu'on ne peut pas prendre les livres en main, et ensuite parce qu'on ne peut pas les lire. Ces trésors prometteurs doivent rester interdits à tous les lecteurs"
XIV. Une identité
XV. Une demeure
XVI. Une conclusion

jeudi 12 juillet 2018

Passer, quoi qu'il en coûte

Didi-Huberman et la question migratoire, voilà qui éveillait ma curiosité ! C'est un ouvrage un peu fourre tout co-écrit avec Niki Giannari, qui a voulu donner une voix aux personnes qui fuient des guerres et s'entassent dans le camps d'Idomeni à travers un film, Des spectres hantent l'Europe.

Il est bien sûr beaucoup question de ce film dont les images illustrent le livre mais aussi d'hospitalité perdue, de monde figé face à une humanité nomade. 

Il est question de ceux qui ont tout perdu et qui se heurtent encore à l'administration, à l'incompréhension, au rejet mais continuent de sourire, restent optimistes. Car ils ne sont pas morts. Mais : 

"Tu ne peux te poser nulle part
Tu ne peux aller ni vers l'avant 
ni vers l'arrière"

et 

"Personne ici ne sait qui je suis"

Il est question de ces camps-ci, camps qui empêchent de passer, qui contraignent avec en regard d'autres camps, les camps de la mort. De repli sur soi. Et de ce que ces "spectres" nous disent. Ils nous questionnent, ils questionnent notre humanité, ils questionnent le rapport à la loi. Sa dureté. Nos peurs. Mais aussi notre force de survie.

"Tous ces mouvements de migration ont un nom générique : la culture. Non pas la culture des "émissions culturelles" ou des "ministères de la culture", mais la culture au sens anthropologique du terme, à savoir ce qui fait des humains ces êtres capables, non seulement de parler, de travailler et d'inventer des outils, voire des oeuvres d'art, mais encore de vivre en société, de se parler, de s'inventer, de s'imaginer les uns les autres. Lorsqu'une société se met à confondre son voisin avec l'ennemi, ou bien l'étranger avec le danger, lorsqu'elle invente des institutions pour mettre en oeuvre cette confusion paranoïaque, alors on peut dire, en toute logique historique - et non pas selon un simple point de vue éthique -, qu'elle est en train de perdre sa culture, sa propre capacité de civilisation"

lundi 9 juillet 2018

Femmes qui courent avec les loups

C'est un livre dont on m'a parlé. C'est un livre que j'ai vu. C'est un livre que j'avais noté sur ma LAL. C'est un livre de Clarissa Pinkola Estes que j'ai senti urgent de lire, il y a quelques semaines. C'est étrange.

C'est un livre dense. C'est un livre aux origines et influences diverses. Il parle de femmes, surtout. De femmes qui ont perdu la route de leur âme. De femmes louves, qui ont besoin de hurler à la lune, de créer, d'exister. Il s'appuie sur des contes, des rencontres, des analyses. Il plonge dans les mythes grecs, les contes mexicains, les rêves des femmes d'aujourd'hui. Il invite au courage, à la réalisation de soi, au repérage des prisons sociales et intérieures. Je l'ai lu d'une traite, ou presque. Et je pense que j'aurai envie de le relire. Alors certes, certains passages sont répétitifs. Certes, c'est plutôt symbolique et donc ça ne donne pas de solution toutes faites. Mais cela questionne et re-questionne. Qu'est-ce qui fait mon âme ? Que fais-je de mon âme ? Qu'est-ce qui me nourrit ou me pompe de l’énergie ?

Bien entendu, j'ai souligné des tas de citations, que je garde ici en mémoire. Elles ne vous intéresseront peut-être pas. Ou elles vous donneront envie de lire le livre...

Introduction. Chanter au dessus des os


"La vie sauvage et la Femme sauvage sont toutes deux des espèces en danger.

Au fil du temps, nous avons vu la nature instinctive féminine saccagée, repoussée, envahie de constructions. On l'a malmenée, au même titre que la faune, la flore et les terres sauvages. Cela fait des milliers d'années que, sitôt que nous avons le dos tourné, on la relègue aux terres les plus arides de la psyché. Au cours de l'histoire, les terres spirituelles de la Femme Sauvage ont été pillées ou brûlées, ses tanières détruites au bulldozer, ses cycles naturels forcés à suivre des rythmes contraires à la nature pour le bon plaisir des autres.

Ce n'est pas un hasard si les étendues sauvages de notre planète disparaissent en même temps que la compréhension de notre nature sauvage profonde s'amoindrit. On voit aisément pourquoi les vieilles forêts et les vieilles femmes sont tenues pour des ressources négligeables. Et si les loups, les coyotes, les ours et les femmes sauvages ont le même genre de réputation, cela n’a rien d’une coïncidence. Tous correspondent à des archétypes instinctuels proches. C’est pourquoi on les considère à tort, les uns et les autres, comme peu amènes, fondamentalement dangereux et gloutons.

Ma vie et mon travail en tant qu’analyse jungienne, poétesse et cantadora, gardienne des vieilles histoires, m’ont appris que l’on pouvait restaurer la vitalité faiblissante des femmes en se livrant à des fouilles « psycho-archéologiques » des ruines de leur monde souterrain. Ces méthodes nous permettent de retrouver les voies de la psyché instinctive naturelle et, à travers sa personnification dans l’archétype de la Femmes Sauvage, de discerner de quelle manière fonctionne la nature innée de la femme. La femme moderne est un tourbillon d’activité. On lui demande d’être tout, pour tout le monde. Il y a longtemps que la vieille sagesse n’a plus cours.

[...]

On éprouve cette aspiration à la Femme sauvage lorsqu'on croise une personne qui a établi cette relation sauvage, lorsqu'on prend conscience de s’est trop consacrée à la flamme mystique ou à la rêverie, au détriment de sa propre créativité, de l’œuvre de sa vie ou de ses amours vraies"

[...]

Désormais, si elles sont fatiguées à la fin de la journée, c’est suite à des tâches satisfaisantes, non parce qu’elles étaient enfermées dans un travail, un état d’esprit ou une relation amoureuse étriqués. Elles savent instinctivement quand les choses doivent vivre et quand elles doivent mourir. Elles savent partir, elles savent rester.

[...]

Le mot sauvage n’est donc pas utilisé ici en son sens moderne, péjoratif, d’"échapper à tout contrôle", mais en son sens originel de "vivre une vie naturelle", une vie où la criatura, la créature, a une intégrité foncière et des limites saines. Les mots femme et sauvage créent une métaphore qui décrit la force fondatrice de l’espèce féminine"

Les histoires






1. Hurler avec les loups : résurrection de la femme sauvage


2. Traquer l'intrus : un début d'initiation

"Dans Barbe-bleue, nous voyons comment une femme tombée sous le charme du prédateur se secoue et lui échappe - elle sera plus avisée la prochaine fois. Le conte traite de la transformation de quatre introjections qui sont autant de sujets de discorde pour les femmes : manquer de perspicacité, n'avoir ni vision propre, ni voix originale, ni action décisive. Pour bannir le prédateur, il faut ouvrir les choses ou nous-mêmes afin de voir ce qu'elles recèlent, user de notre perspicacité, de nos capacités pour supporter ce que nous découvrons, clamer la vérité à voix haute et nous servir de notre tête pour agir comme il se doit en fonction de ce que nous voyons"

3. Découvrir les faits au flair : le rétablissement de l'intuition en tant qu'initiation

"Tout ce que nous gagnerons à nous montrer simplement gentilles lorsque nous sommes opprimées, c'est d'être encore plus maltraitées. Une femme a beau avoir l'impression qu'elle va s'aliéner les autres si elle est elle-même, cette tension psychique là est nécessaire pour que l'âme se renforce et pour provoquer le changement"

"Toute femme sage fait le ménage de son environnement psychique, en gardant les idées claires et en veillant à la netteté du lieu où elle travaille, et réfléchit à ses projets.

Pour certaines femmes, cette tâche signifie qu'elles devront se réserver chaque jour un peu de temps pour la contemplation et garder propre un espace bien à elle, avec du papier, des crayons, de la peinture, des outils, des conversations, du temps, des libertés uniquement destinés à cet usage. Pour beaucoup, c'est la psychanalyse, la contemplation, la méditation, le choix de la solitude et autre s expériences de descente et de transformation qui vont procurer le temps et l'espace particulier à cette tâche. Chaque femme a ses préférences, sa manière à elle"

"Toutes les femmes qui se réapproprient leur intuition et les pouvoirs de Baba Yaga sont à un moment tentées de les rejeter. À quoi sert, en effet, de voir et de savoir tout cela ? La lumière du crâne ne pardonne rien. Les gens âgés apparaissent comme des vieillards, la beauté devient de la luxuriance, la sottise de l’imbécillité, l’ivresse de l’ivrognerie, l’infidélité de la trahison, les choses incroyables des miracles. La lumière du crâne est celle de l’éternité. Elle brille au front des femmes, comme une présence qui se porterait en tête et reviendrait leur dire ce qu’elle a vu. Elle est perpétuellement en reconnaissance.

Or, voir, sentir de la sorte oblige à agir sur ce que l’on découvre : une bonne intuition, un bon pouvoir, c’est du travail en perspective. […] Je ne vais pas vous mentir, il est plus facile, c’est vrai, de jeter au loin la lumière et d’aller dormir. Avec la lumière devant nous, nous voyons parfaitement tous les aspects de nous-mêmes et des autres, du disgracié au divin en passant par tous les états intermédiaires.

C’est pourtant avec cette lumière que viennent à la conscience les miracles de la profonde beauté du monde et des êtres. Elle permet de dépasser la mauvaise action et de voir le cœur rempli de bonté, de découvrir l’esprit délicat écrasé sous la haine, d’être compréhensive au lieu de ne pas comprendre. Elle peut faire la différence entre diverses couches de personnalité, d’intentions, de motivations chez les autres, entre conscience et inconscience, chez soi-même comme chez les autres. C’est la baguette magique de la connaissance, le miroir où l’on sent et où l’on voit toute chose. C’est la nature sauvage profonde"

4. Le compagnon : l'union avec l'autre


5. La chasse : quand le coeur est un chasseur solitaire

"La larme de compassion apparait lorsqu'on prend conscience de la blessure malodorante, dont l'origine et la forme diffèrent selon les personnes. Chez les unes, il peut s'agir d'une longue et pénible ascension effectuée jour après jour - jusqu'au moment où elles s’aperçoivent qu'elles ont escaladé la mauvaise montagne. Chez les autres, ce sont les abus subis dans l'enfance et laissés sans traitement d'aucune sorte. Ou bien ce peut-être une perte cruelle [...] Dans les contes de fées, les larmes changent les êtres. Elles leur rappellent ce qui est important et sauvent leur âme. Seule la sécheresse du cœur inhibe les larmes et l'union"

6. Découvrir sa vraie bande : les bienfaits de l'appartenance


"Si vous avez tenté, en vain, de vous couler dans un moule, réjouissez-vous plutôt. Vous êtes peut-être une exilée, mais du moins vous avez mis votre âme à l'abri. Lorsqu'on échoue à se conformer à quelque chose, il se produit un étrange phénomène. L'exilée que l'on chasse tombe sur ce qui forme sa véritable appartenance psychique, que ce soit des études, une forme d'art ou un groupe de gens. Rester auprès de ceux avec qui l'on n'a aucune affinité est pire que d'errer pendant quelques temps à la recherche des affinités d'âme et d'esprit dont on a besoin. On n'a jamais tort de chercher ce dont on a besoin, jamais"

"L'ultime tâche de l'exilée qui a retrouvé les siens va donc être non seulement d'accepter son individualité propre, son identité spécifique, mais d'accepter sa beauté... la forme de son âme et que la vie auprès de cette créature sauvage nous transforme, ainsi que tout ce qu'elle touche. Quand nous acceptons notre propre beauté sauvage, nous la mettons en perspective ; nous ne sommes donc plus douloureusement conscientes de son existence, mais nous ne devons pas pour autant la délaisser ou la rejeter"

7. Le corps joyeux : la chair sauvage


8. Instinct de conservation : identifier les pièges, cages et appâts empoisonnés


"Si l'on considère les différents aspects du conte de fées comme autant de composantes de la psyché d'une seule femme, il est visible que la réalisation des souliers rouges par l'enfant est un acte d'une importance cruciale : elle prend vie en passant du statut d'esclave/sans chaussures - marchant sans lever le nez, ni regarder autour d'elle - à une conscience qui va s'arrêter un moment pour créer, une conscience qui remarque la beauté, éprouve de la joie, de la passion, connait l'assouvissement et tout ce qui constitue cette nature intégrale que nous appelons sauvage.

La couleur rouge des chaussures indique que le processus va être celui d'une vie palpitante, où le sacrifice est inclus. Il doit en être ainsi. Ces chaussures sont faites à la main, à partir de bouts de tissus, ce qui signifie que l'enfant, orpheline pour une raison ignorée, est le symbole de l'esprit créateur qui a pu les réaliser en suivant son instinct, sans que personne ne le lui ait appris"

"La joie simple des souliers rouges est submergée par le scénario du carrosse doré. On pourrait bien sûr voir là la quête d'un confort matériel, mais il s'agit le plus souvent de l'expression du désir psychologique de ne plus avoir à lutter autant pour arriver à créer [...] Nous devons veiller à conserver notre lien avec le sens, la passion, la nature profonde, c'est essentiel pour notre psychisme. De nombreux éléments essaient de nous enlever nos souliers rouges, des choses aussi simples que se dire : "Plus tard, je ferai ceci ou cela, je danserai, planterai, embrasserai, trouverai, apprendrai, nettoierai, plus tard..." Ils sont autant de pièges"

"La vieille femme en prenant l'enfant avec elle, permet à l'attitude sénescence de détruire la nouveauté, l'innovation, au lieu de lui donner force [...] cette valeur unique se fonde avant tout sur le respect de l'opinion collective, ce qui va étouffer les besoins de l'âme sauvage individuelle"

"Il est de la plus grande importance de mettre sa vie et son esprit à l'écart de l'uniformisation de la pensée collective et de développer des talents qui lui sont propres, car elle va ainsi éviter que son âme et sa psyché ne glissent vers la servitude [...] Il est important de garder les yeux ouverts et d'évaluer soigneusement toute proposition d'une vie plus facile, libre de tout souci, surtout si on nous demande en échange de laisser notre joie créatrice périr dans les flammes au lieu d'allumer notre propre feu"

9. Rentrer chez soi : retour à soi-même


"Elle croit faire ce qu'elle a décidé, mais entre ses mains le trésor est tombé en poussière. Ce mécontentement est un signal d'alerte, il est l'ouverture secrète sur un changement vers une vie porteuse de sens"

10. L'eau claire : nourrir la vie créatrice


11. La chaleur : retrouver une sexualité sacrée

 

12. Marquer le territoire : les limites de la rage et du pardon


13. Cicatrices de guerre : faire partie du clan des cicatrices


14. La selva subterranea : initiation dans la forêt souterraine


15. Suivre comme une ombre : canto hondo, le chant profond


"Nous quittons cette terre sauvage pour enfiler nos vêtements diurnes, nos vies diurnes, pour nous installer devant nos ordinateurs, nos fourneaux, nos livres, nos professeurs, nos clients. Nous soufflons le Sauvage dans notre profession, nos décisions, notre travail artistique, nos opinions politiques, nos projets, notre commerce, notre vie de famille, notre éducation, nos libertés, nos droits, nos devoirs"

dimanche 8 juillet 2018

Delacroix

Delacroix, mort de Sardanapale, esquisseMagnifique expo au Louvre sur un peintre que j'adore ! Rien que pour le plaisir de voir ses toiles rassemblées, cela vaut le détour. On entre au Salon avec lui, avec ses oeuvres colorées, épiques et puissantes. On redécouvre ses peintures monumentales. On s'attarde un peu moins sur les natures mortes, les scènes religieuses aux christs blafards ou sur les paysages de fantaisie. On flâne dans son Maroc sensuel. On se réjouit de l'exposition de ses dessins et gravures, notamment celles du Faust. Et des esquisses, notamment celle pour la mort de Sardanapale. C'est impressionnant de redécouvrir la diversité de son oeuvre, de lire un peu de ses écrits, de noter combien ses plus grands chef-d’œuvres sont des œuvres de jeunesse ! 

Je me suis plus longtemps attardée sur les débuts, sur les juxtapositions des couleurs, sur leur intensité. J'ai admiré les mouvements, les torsions, les liens entre les différentes parties des peintures. J'ai aimé la sauvagerie des animaux et des hommes, leur passion. Parfois, c'était trop. Trop de morts, trop de violence. Médée à l'état pur. Même sans couleur, dans la gravure, on retrouve cette effervescence. Et puis, on glisse vers autres chose au Maroc, en Orient. C'est plus doux, plus posé mais toujours contrasté, soleil de plomb et ombre des intérieurs. Un voyage !

Delacroix, Faust


Delacroix, Indienne mordue par un tigre

mercredi 4 juillet 2018

Junya Ishigami, Freeing Architecture

Voilà des années que je n'avais pas mis les pieds à la fondation Cartier ! Mais les jolies affiches m'ont convaincue.

Cette expo est consacrée à l'oeuvre de Junya Ishigami, architecte japonais et présente de nombreuses maquettes qui sont autant de petits bijoux. Architecture laissant sa place à la nature, qui dialogue avec elle ou permet de la découvrir tout autre avec les projets de Tochigi, qui déplace une forêt, ou de House of peace, un igloo sur l'eau. Architecture cherchant à se faire oublier comme les villas pour Dali qui jouent sur un étonnant champ de rochers, qui dessinent des murs minéraux ouverts sur la nature et la rivière. Architecture ludique et poétique, jouant avec des lignes douces, notamment dans des projets pour les enfants, de la crèche au jardin. Architecture jouant sur l'ancien et le moderne avec cette maison de retraite où chaque maison ancienne est unique et vient d'un lieu différent des autres, proposant un rapprochement étonnant. On croise aussi un édifice religieux gigantesque à Rizhao, au milieu de la nature, où les hommes sont minuscules.

Chaque maquette, dessin, photo ou vidéo est l'occasion de s'émerveiller de cette nouvelle architecture, qui fait tomber les murs, les toits, les supports pour les repenser plus libres, plus fluides, en accord avec leur environnement.

Junya Ishigami, Forrest Kindergarten, Shandong, Chine

Junya Ishigami, Forrest Kindergarten, Shandong, Chine

Junya Ishigami, Forrest Kindergarten, Shandong, Chine

Junya Ishigami, Tochigi

lundi 2 juillet 2018

De loin j'aperçois mon pays

Écrit à deux mains par Mahmud Nasimi et Anabelle Rihoux, ce récit retrace l'exil de Mahmud. De Kaboul à Bruxelles. On ne connait pas les raisons de cette fuite précipitée mais l'on suit ce jeune afghan dans tout son parcours. Un témoignage de ce qui peut être vécu par bien des migrants.

De Kaboul à Téhéran, c'est la première partie du voyage. Et les premières désillusions. Les passeurs font ce qu'ils veulent et font payer des prix démentiels pour faire voyager des hommes entassés dans des coffres de voiture. Et chacun essaie de se faire un peu plus d'argent sur le dos des fuyards, en oubliant toute humanité, allant jusqu'à torturer des hommes âgés pour quelques centaines d'euros. Heureusement quelques rencontres et histoires de camaraderie viennent éclaircir les tristes conditions de voyage.
Deuxième moment très dur, le passage d'Istanbul à l'Italie, qui se finit en Crète. Ce désespoir total sur le bateau, cette absence de lumière, de vie, d'étincelle qui maintient un petit espoir. Et le camp de détention à Amygdaleza avec ses injustices et ses longues journées, qui se terminent par la folie pour certains.
Puis un troisième temps autour de la poursuite du chemin en Europe avec toutes les tentatives échouées pour passer en Macédoine.

Parcours du combattant que cette immigration d'un homme qui cherche à rejoindre les siens. Et qui mettra deux ans à réaliser son but. Passages de honte, de désespoir et de trahisons mais aussi nouvelles amitiés et surprises providentielles, notre narrateur ne nous cache pas ses états d'âme et ses émotions tout au long du voyage. Il nous rappelle ce qu'il a souffert, comme bien d'autres, pour ne mériter que le mépris et vivre avec cette étiquette "réfugié" sur le front. Il nous rappelle qu'il est bien plus que ça. Un homme de rêves et de sentiments. 

Pas de grands effets de style, quelques fautes, mais un témoignage de plus, pour moins d'indifférence.