lundi 31 mai 2021

Le manteau de Proust

Je continue d'explorer ma LAL et d'emprunter des bouquins, notés depuis des années, dans les bibliothèques. J'imagine que c'est lors de ma passion Proust que j'ai noté ce titre de Lorenza Foschini. Il s'agit d'un petit livre qui commence et se termine au musée Carnavalet où est exposée une partie du mobilier de l'écrivain. C'est là aussi qu'on trouve, au chaud dans les réserves, son manteau, sa fameuse pelisse qu'il ne quittait jamais. 

L'auteur nous conte comment ces objets sont arrivés au musée. Cela passe par un collectionneur, un bibliophile qui a du nez, Jacques Guérin. Fils naturel d'une femme d'affaires du début du XXe siècle, dont il prendra la suite dans l'industrie du parfum, il est passionné de Proust mais aussi de création littéraire et artistique de son temps. On croise Genet, Picasso, Violette Leduc, Satie et quelques autres... 

C'est une rencontre avec un brocanteur qui lui permet de lancer une formidable collection autour de l'écrivain. Il s'attache aussi à le connaître à travers ses proches, fouinant dans la famille, ne ratant aucun enterrement, serrant photos, lettres, gribouillis de Marcel. Oui, c'est excessif au possible, c'est bien l'"Histoire d'une obsession littéraire" ! Surtout qu'il finit par vendre à prix d'or cette collection.

Qu'est-ce que les objets nous disent de leurs possesseurs ? Que gardent-ils de l'âme de l'écrivain ? Quelle mémoire dans les objets ? C'est une des questions que pose ce livre, on reste dans le fil de la Recherche. C'est aussi beaucoup de détails de la vie de Proust, sur les relations entre les frères, sur les histoires de famille. Et ça, ça m'intéresse nettement moins.

Une lecture agréable, la découverte d'un collectionneur, le culte d'un écrivain... tout cela reste finalement assez superficiel. 



vendredi 28 mai 2021

Réflexions sur l'exil et autres essais

Ce pavé regroupe des articles d'Edward W. Said, que je découvre avec ce livre. Cet intellectuel palestinien, qui a enseigné la littérature à Columbia, parcourt dans cet ouvrage des champs aussi divers que l'orientalisme, la philo, la littérature, l'exil, la musique, une danseuse orientale... Si j'ai parcouru rapidement certains de ses articles, d'autres ont retenu mon attention, notamment ce qui traite de la colonisation et de la post-colonisation. J'ai aussi été intéressée par les articles sur la littérature arabe, que j'ai envie de découvrir. 

C'est assez étonnant de lire cette diversité de sujets ainsi que l'accessibilité très variée de la cinquante d'articles. Par contre, n'ayant pas pris de notes, je n'en retiens par grand chose si ce n'est cette question de la Palestine face à Israël, qui résonnait de façon très contemporaine.



lundi 24 mai 2021

Survivre à tout prix ?

Sous-titré "Essai sur la résistance, l'honneur et le salut de nos âmes", cet ouvrage de Jean-Michel Chaumont est assez étonnant puisqu'il analyse la question de la survie à travers trois livres : "Survivre à la torture", "Survivre aux camps de concentration et d'extermination" et "Survivre au viol". J'avoue que je n'aurai pas pensé mettre les trois sur le même plan. Pourtant, à travers ce livre, il s'intéresse au dilemme, trahir ou mourir, soulignant que notre temps semble avoir totalement changé de perspective, mettant la survie à tout prix au-dessus de tout honneur, vertu qui semble bien dépassée. Et pourtant, après la Deuxième Guerre mondiale, la question s'est beaucoup posée pour ceux qui avaient survécu à des traitements inhumains. Quels compromis avaient-ils dû faire ? Etaient-ils des héros ou des salauds ? "Est-il coupable celui qui dénonce sous la torture ?" disait Primo Levi. Est-ce que les réactions sociales face au viol ou à la torture ne relèvent-elles pas des mêmes logiques ? C'est à travers ces questions que nous mène l'auteur.

Survivre à la torture
Dans cette première partie, l'auteur s'appuie sur les archives du parti communiste belge concernant les militants envoyés au camp de Breendonk. Parmi eux, il y a les incorruptibles, qui ont tenu sous la torture, ont parfois rusé mais pas trahi ; les pénitents et offensés, qui ont cédé sous la torture mais demandent à être réadmis ou qui ont été considérés coupables et demandent à être réhabilités ; les déshonorés qui ont trahi alors qu'ils avaient des responsabilités ; les dévergondés et impudents qui ont trahi et ont profité d'une connivence avec l'ennemi en jouant un double jeu.

Survivre aux camps de concentration et d'extermination
Dans ce 2e livre, il est question des camps et des comportements de ceux qui ont survécu. N'est-ce pas au prix du sacrifice d'autres ? Ne sont-ils pas aussi coupables que leurs bourreaux ? C'est une des questions que rappelle l'auteur et qui s'est posé à la fin de la guerre. La question de la résistance et de la passivité s'est aussi posée : faut-il, dans les ghettos par exemple, espérer survivre et accepter les privations répétées ou lutter contre celles-ci pour sauver son honneur et risquer la mort ? Il souligne le rôle de l'affaire Treblinka qui marque un tournant dans l'approche de ces questions, défendant une morale de la survie plutôt que de l'honneur. Cela questionne le rôle des Sonderkommandos qui ont participé à la solution finale, relançant la piste du dévergondage évoquée dans la 1e partie : "l’une après l’autre, les limites éthiques sont franchies tandis que croît l’anesthésie morale : nous ne sommes plus sensibles qu’à ce qui sert ou dessert notre intérêt vital immédiat". Et ceci, aux dépens des liens sociaux. La question se pose tout de même de savoir si la morale de l'honneur, qui vise à prévenir le dévergondage et est une conduite attendue, est réellement mise en œuvre. "La volonté individuelle de survivre même au prix de la mort des siens était donnée pour la cause de la survivance miraculeuse du peuple juif à travers les âges"

Survivre au viol
A travers l'exemple de Lucrèce, qui se suicide après avoir été violée, l'auteur analyse le lien entre honneur et viol. Il demande notamment "Pourquoi fallait-il qu'elle meure ?" et propose des pistes : Lucrèce salie par une souillure indélébile et sans échappatoire, vengeresse qui lance une vendetta, héroïque pour prouver son absence de consentement, résignée et précédent le jugement social et sa condamnation à mort, honteuse devant la société, punie parce qu'elle a en partie consenti au viol, blanchie par son acte qui annulerait la violence de l'agression, martyre dont la mort efface le péché originel, traumatisée ou aliénée par la logique de domination patriarcale selon laquelle elle ne vaut plus rien. Là aussi, la question de la survie se pose et le soupçon du dévergondage est présent : est-ce que la victime a lutté ? Mais surtout, il signale que lors du viol, les victimes craignent pour leur vie que pour le viol en soi. La question de l'honneur et de la culpabilité des survivantes est étudiée à travers l'histoire de la prostitution, réservée aux femmes déshonorées ou dévergondées (?) et de la gladiature. Il montre surtout à quel point cette question est un instrument de contrôle des hommes sur les femmes et un exemple de blâme à la victime.

Ouvrage très riche et documenté sur la question de l'honneur, convoquant des sources historiques, de l'antiquité à nos jours et développant une pensée nuancée sur ces questions, il met le lecteur dans une position assez inconfortable. Les bourreaux rendent leurs victimes complices que ce soit par le viol, la privation extrême ou la torture, les culpabilisant d'être encore en vie. La question de la valeur de la vie et de la survie à tout prix interroge sur les loyautés et les causes qui pourraient rivaliser avec la survie, notamment dans des situations extrêmes. Faut-il préférer la survie du groupe à la sienne ? Faut-il imaginer un nouveau code d'honneur pour protéger la société de la la survie à tout prix ? Quel protocole sacrificiel pourrait être pensé collectivement ?

"Sensibles à la souffrance qu'elle a endurée, nous la verrons plutôt comme une victime en droit de recevoir les soins requis par son état : que ses plaies soient pansées, ses traumatismes psychiques traités, ses tourments moraux apaisés. Ce sens commun compatissant ne manque pas de grandeur, même s'il nous faudra comprendre par la suite pourquoi il n'est guère praticable dans le temps de l'action résistante.
Notre répugnance à juger s'alimente aussi de la claire conscience de la difficulté, voire de l'impossibilité, de réaliser concrètement l'enfer par où sont passés les rescapés de la torture. A supposer qu'un jugement des actes contraints fut possible, il convient donc de déterminer "qui" serait éventuellement en droit de juger. La question "qui suis-je pour juger ?" survient alors comme un scrupule insurmontable. Notre intuition spontanée est, au minimum, qu'à moins d'avoir vécu des expériences similaires, l'abstention est préférable.
Une troisième considération plaide en faveur de la suspension du jugement : sa vanité. A quoi bon juger en effet ? Même s'il a finalement "craqué", le rescapé de la torture n'a-t-il pas déjà suffisamment souffert ? Pourquoi donc en rajouter ? [...] il y a lieu de noter que toutes les personnes dont il sera question dans les deux premières parties de ce livre sont décédées. A supposer même que, contre toute attente, des réponses positives puissent être données aux trois questions préliminaires ("oui, il est possible de juger ; oui, n'importe qui est habilité à juger ; oui, il fait sens de juger"), le jugement porté serait pour ainsi dire sans objet dans leur cas. Ce dernier argument seul suffit à mon avis à conclure qu'il est complétement vain d'ouvrir ou de rouvrir le procès des personnes.
Cependant, il se trouve que juger in extremis peut signifier tout autre chose que de nous transformer en procureurs [...]
La conviction de pouvoir être réduit comme victime "aux instincts les plus élémentaires de la conservation : la peur, la lâcheté, la fourberie, le vol, ou la plus basse humilité" fait désormais partie de notre sens commun. En revanche, la manière de prévenir cette funeste réduction ne l'est pas parce que ce souci-là n'a jamais reçu l'attention qu'il mérite. Nous le verrons, le pire de ce que les "instincts les plus élémentaires de la conservation" sont susceptibles de nous faire faire relève d'une corrosion de nos liens les plus précieux"
"Le héros meurt incompris tandis que la victime témoigne devant des foules respectueuses de la mort des autres, ses pairs naufragés. Ce témoignage est devenu sa raison de vivre, raison rétro-projetée dans le temps de l'épreuve et qui est censée rendre compte de la volonté de survivre. Au moins ce portrait-robot de la victime donnait-il une motivation altruiste à cette volonté. L'avènement du survivant la libère de ce fardeau. Tel qu'il nous est présenté en modèle, le survivant est un héros pour l'unique raison qu'il a su trouver au plus profond de lui la force de survivre à l'adversité. Ce faisant, il "sanctifierait" la vie. Nous verrons comment, à sa suite, de pseudo-éthiques de la survie se revendiquent, en la rabotant de ses aspérité moralement les plus problématiques, de l'expérience des rescapés de l'extrême pour promouvoir un genre nouveau : le "manuel de survie en milieu extrême à l'usage des générations futures".
"Les codes d'honneur assument donc leur fonction de protection de collectifs menacés en prescrivant une indéfectible loyauté aux siens"
"J'avais voulu dépasser l'indignation et tenter de comprendre les raisons d'être de ce "blâme à la victime" qui, dans le cas du viol au moins, était une réaction sociale attestée depuis des millénaires. Dans quantité de sociétés humaines, il a été jugé que cette réaction était moralement la plus adéquate. or, quelles qu'aient été sur ce point les convictions des générations précédentes, nous n'avons plus aucune raison de nous croire supérieurs à nos ancêtres d'un point de vue moral. Je suis donc parti de l'hypothèse qu'ils avaient des raisons cohérentes de réagir comme ils le faisaient"
"Le combattant défait survivant est a priori un survivant suspect de lâcheté ou de trahison, passible dès lors des sanctions les plus sévères : la mort physique, l'exécution capitale, ou la mort sociale, le bannissement du groupe pour la défense duquel il n'a pas eu le courage de sacrifier son existence, dès lors qualifié de "misérable"."
"Mourir libre, c'est pouvoir choisir de mourir avec les siens, ce qui suppose d'avoir encore des "siens" avec qui pouvoir choisir de mourir. Or, capituler signifierait la dissolution définitives des liens sans lesquels il n'y a plus ni "mien", ni "tien""
"La seule justification valable de participation à la machine meurtrière eut été de se donner pour but l'interruption radicale du processus [...] personne n'avait jamais soutenu sérieusement qu'interrompre le massacre en cours eut été le but de la révolte"
"En survivant individuellement, non seulement ils garantissaient la survie collective mais ils garantissaient l'immortalité à leurs frères et sœurs assassinés"
"L'injonction fait honte à la victime d'avoir - lâchement - eu plus peur de mourir que d'être violée. L'hypothèse peut être faite que c'est l'intériorisation de ce message qui provoque l'enrageant sentiment de culpabilité. Enrageant, il l'est au moins à deux titres : tout d'abord précisément parce que, le ressentant, la femme lucide découvre qu'elle reste marquée, comme au fer rouge, par cette domination masculine dont elle se voudrait libérée. Ensuite parce qu'il dénature la réalité de l'expérience du viol : contrairement à ce que les hommes se figurent, le pire n'est pas l'intrusion sexuelle mais l'anticipation de la mort [...] Jean Améry, qui rapprochait spontanément la torture du viol, ne disait pas autre chose quand il affirmait que la torture "nous fait vivre notre propre mort""
"Si l'ennemi propose un marché qui vous exempte du sort commun, c'est un signal d'alerte [...] Si je me surprends à envisager l'agression physique d'un compagnon d'infortune, c'est un signal supplémentaire [...] Si je vois poindre à l'horizon le moment où ma survie dépendra de la mise à mort d'un tiers se trouvant fondamentalement dans la même situation que moi, c'est un signal d'alerte"

vendredi 21 mai 2021

Le sens de ma vie

Vous savez combien j'aime l'écriture de Romain Gary, combien j'ai dévoré ses romans. J'ai d'ailleurs souvent envie d'y replonger. Cet ouvrage est un peu différent, il s'agit d'un entretien filmé peu avant sa mort. Il parle de lui à la première personne, revient sur sa vie, ses écrits et surtout ce qui a compté pour lui. C'est bien sûr plein de tendresse pour sa mère, pour sa jeunesse. On retrouve certains de ses livres évoqués ici. 

Si tout ce qui concerne son enfance et la guerre sont bien présents dans ses livres, j'ai découvert les aspects de sa carrière diplomatique et les contradiction qu'elle produisait en lui. De même, son lien avec le cinéma ne m'était pas connu. Enfin, il s'attarde sur ses valeurs, ses combats... Un petit régal !

"Vous me demandez de raconter un peu ma vie, sous prétexte que j’en ai une, je n’en suis pas tellement sûr parce que je crois surtout que c’est la vie qui nous a, qui nous possède. Après on a l’impression d’avoir vécu, on se souvient d’une vie à soi comme si on l’avait choisie. Personnellement, je sais que j’ai eu très peu de choix dans la vie, que c’est l’histoire au sens le plus général et à la fois le plus particulier et quotidien du mot qui m’a dirigé, qui m’a en quelque sorte embobiné."
"Les éléphants étaient aussi pour moi les droits de l'homme : maladroits, gênants, encombrants, dont on ne savait trop que faire, qui interféraient avec le progrès puisqu'il est assimilé à la culture, et qu'ils reversaient les poteaux télégraphiques, qu'ils paraissaient inutiles et qu'il fallait les préserver à tout prix"
"Un auteur met le meilleur de lui-même, de son imagination, dans le livre et garde le reste, "le misérable petit tas de secrets" comme disait Malraux, pour lui-même"
"Je prétends que la première voix féminine du monde, le premier homme à avoir parlé d'une voix féminine, c'était Jésus-Christ. La tendresse, les valeurs de tendresse, de compassion, d'amour, sont des valeurs féminines et, la première fois, elles ont été prononcées par un homme qui était Jésus. Or il y a beaucoup de féministes qui rejettent ces caractéristiques que je considère comme féminines. En réalité, on s'est toujours étonné du fait qu'un agnostique comme moi soit tellement attaché au personnage de Jésus [...] On ne comprendra absolument jamais rien à mon œuvre si l'on ne comprend pas le fait très simple que ce sont d'abord des livres d'amour et presque toujours l'amour de la féminité. Même si j'écris un livre dans lequel la féminité n'apparaît pas, elle y figure comme un manque, comme un trou. Je ne connais pas d'autres valeurs personnelles, en tant que philosophie d'existence, que le couple. Je reconnais que j'ai raté ma vie sur ce point, mais si un homme rate sa vie, cela ne veut rien dire contre la valeur pour laquelle il a essayé de vivre.
Je trouve que c'est ce que j'ai fait de plus valable dans ma vie, c'est d'introduire dans tous mes livres, dans tout ce que j'ai écrit, cette passion de la féminité soit dans son incarnation charnelle et affective de la femme, soit dans son incarnation philosophique de l'éloge et de la défense de la faiblesse, car les droits de l'homme ce n'est pas autre chose que la défense du droit à la faiblesse [...] Et je ne voudrais simplement pas qu'il y ait plus tard, quand on parlera de Romain Gary, une autre valeur que celle de la féminité"

jeudi 20 mai 2021

La rumeur des cortèges

C'est ma lecture de Bobin qui m'a fait découvrir Jean Grosjean. J'ai choisi ce recueil de poésie, un peu par hasard, pour voir. Et j'y trouve deux éléments chers à Bobin : une observation fine de la vie quotidienne, notamment de la nature et des hommes ainsi qu'une approche spirituelle, notamment à travers Abraham revisité, les violettes, ou En bas de l'échelle

Comme souvent, j'ai noté quelques poèmes que je veux garder !

J'ai été là

J'ai été là où reposait ton corps. 
Le vent parlait tout bas dans les buissons.
Les gens étaient partis pour vivre encore,
pour contourner vaillamment ton absence.

Le soleil de l'été s'était lui-même
après toi retiré de nos jardins.
La bruine allait et venait dans la nuit
comme on fait les cent pas jusqu'au matin. 

 

Dans son fourgon

Il fait soleil mais le vent vient du nord. 
La grande herbe a déjà l'odeur du foin. 
La vie qui se dessèche aussi m'embaume 
tant la demeure est cernée par les roses.

Tout est livré aux insectes pillards
mais les instants aussi son butineurs.
Chacun nous prend quelques lambeaux du jour
pour entasser dans son fourgon ses proies.

Leurs pas épars
Je monte obscur à ce grenier d'où voir
descendre le chemin par où partirent
le long des bois, les uns après les autres,
les habitants de nos jours périmés.

Ils ont laissé dormir dans la campagne
leurs pas épars sous l'incendie des soirs
mais sous l'inattendu des clairs de lune
ils ont gardé leur souffle matinal. 

 


En ce village
Tu descendais ton coteau de durée
parmi les frondaisons roussies d'automne.
Dans la source on voyait le fond du ciel
où les oiseaux se mêlaient aux nuages.

J'ai demeuré moi-même en ce village
où se sont déployés tes derniers jours
mais c'est depuis ton départ que tes jours
se sont mis à revivre au fond des miens. 

L'avenue
Fin de l'hiver, sérénité du soir.
Pas de tiédeur mais la froidure a fui.
La lumière en suspens s'estompe à peine.
On voit glisser au fond de l'avenue
des ombres de passants qu'on n'entend guère.
Ce n'est pas l'heure encor des lampadaires
mais tu es là dans ta beauté précaire
et mon partage est d'être aimé de toi. 

Horizons

J'épie les horizons d'où tu viendrais.
Nous seras-tu moins étranger qu'étrange
comme une ondée qui ne sait pas son heure
ou ces orties dont le calme est trompeur ?

Je t'entendais la nuit longer les murs
et pousser devant toi les morts futurs.
Si l'ouragan renverse au bois les hêtres
et l'aigle dans la nue, tends-moi la main. 

Les violettes
"Cette récurrence nous renvoie au pays confronter cette vie d'après sa mort avec notre ancienne vie quotidienne. Le monde est toujours le même et pourtant tout autre. Le Christ ressuscité, dès qu'on y pense c'est presque comme s'il était là, mais la moindre de nos occupations semble l'effacer. Un souci, une honte, une douleur et on est perdu. Ce qu'on sait de lui c'est comme un cénacle où on se réfugie mais sans lui. Et ce qu'on sait aussi c'est qu'il peut soudain être là, qu'il est même plus réel que quand il marchait sur l'eau du lac la nuit de la tempête. Or ce compagnon de nos vies humaines qui les a expérimentées et en porte les marques, il est tout ce que Dieu a à nous dire et son seul resplendissement"

lundi 17 mai 2021

Ivres paradis, bonheurs héroïques

Je crois que je n'avais jamais lu encore Boris Cyrulnik dont j'avais par ailleurs entendu beaucoup de bien. C'est en écoutant récemment une de ses conférences que je me suis décidée à sauter le pas. J'ai lu avec plaisir cet essai mais en le refermant, une question demeure : ai-je lu plusieurs fois le même livre, y-a-t-il beaucoup de répétitions, est-ce une écriture en spirale où l'on revient sur un thème en l'abordant un tout petit peu différemment ? Est-ce parce que l'histoire elle-même se répète ? Bref, j'ai eu des impressions de déjà lu à mesure que je tournais les pages et j'en ressors avec un petit besoin de structurer les choses en notant les idées principales plus que le déroulé. Les citations sur les différents sujets seront donc données par thème plus que par chronologie du livre - ce qui est ma façon plus habituelle de procéder.

Le sujet, c'est celui du héros, du sauveur, de celui admiré de tous... au risque de nous éloigner de notre pensée critique et de nous embrigader ? Et ce héros, il est construit par d'autres que lui-même, par l'écriture ou le récit qui est fait de ses actes héroïques. C'est ce récit, cette interprétation qui va plaire et inviter à suivre ce héros, à le croire, à y croire. Séduisant, il peut être un modèle motivant tant que chacun garde son libre arbitre. Mais quand il devient un sauveur, prêt à se sacrifier pour les autres, ne les met-il pas sous sa coupe ? Le héros sacrificiel ne prend-il pas le pouvoir sur des victimes asservies ? 

"Pour déclencher un tel rapport, il faut que la situation soit tragique et que le candidat héros possède un talent théâtral. Il ne peut gouverner les émotions de la foule, provoquer son indignation, son espoir ou son enthousiasme que s'il est capable de gestes grandiloquents, s'il a une voix de stentor et s'il porte sur lui des objets de héros. Quand la mise en scène est fascinante, les idées passent au second plan, la foule réagit comme un seul homme, synchronisée par l'émotion"

"Aujourd'hui, une épidémie de croyances peut se déclencher en quelques jours grâce aux médias modernes, télévision, radio, journaux, et en quelques heures grâce à Internet. Mais toujours l'épidémie démarre dans une société en crise. La rupture d’équilibre peut être provoquée par la misère, par la guerre, par une désorganisation sociale ou spirituelle, ou même par une modernisation rapide qui provoque un changement brutal de culture. Quand un milieu se désorganise, les représentations culturelles ne sont plus partagées et les individus qui vivent dans ce groupe incohérent ne savent plus à quel saint se vouer. C’est alors que surgit un sauveur qui dit : "Je sais d’où vient le mal, et je vais vous dire ce qu’il faut faire pour que le bien revienne." C’est donc au nom de la morale et pour sauver son groupe qu’un prophète de bonheur apporte le malheur"

Conviant des études variées - psycho, histoire, littérature, neuropsy etc. - l'auteur va déployer sa pensée autour de ce thème, revenant régulièrement à la Résistance, au nazisme, au terrorisme, à ceux qui ont dit non et à ceux qui ont suivi, qui se sont faits machines d'un système, rouages. 

Il commence par nous présenter ses propres héros, ses héros littéraires, de Rémi sans famille à Tarzan : il y retrouve ses aspirations d'enfant. Comme nos héros parlent de nous, les héros d'une société racontent ce qu'elle est.

"Ce héros est notre porte-parole, il donne de nous-même une histoire revalorisée"

"Chaque culture, en fabriquant son type de héros, a révélé, en une seule image, son projet de société. nos héros ne sont plus militaires ni saints, ils sont incarnés par des femmes, enfin victorieuses, et des handicapés qui ne sont plus des hommes amoindris quand ils triomphent de l'adversité"

Il s'intéresse à la construction, "l'étoffe" du héros, à sa temporalité, à l'espérance qu'il suscite. Il y a ceux qui disent "non" et ça, ça m'a beaucoup marqué. Ils ne disent pas "non" à tout évidemment. Mais pour dire "non", ils doivent douter de ce qui est montré, donné et cela a des conséquences, cela provoque une vraie inquiétude émotionnelle. Il pointe la sécurité de la soumission, la paresse de la pensée qui "se soumet à la conviction délirante que la loi est la loi".

"Quand on dit "non", on s'éloigne, on s'isole parfois. Mais quand on dit "oui" pour simplement rester dans le groupe, que devient notre authenticité ? [...] Par malheur, la doxa apporte un grand bonheur [...] Quand les représentations sociales apportent de tels bénéfices tragiques, les adaptations sont claires.
- Si vous voulez être heureux, sans vous poser de questions, chantez avec le chœur, soumettez-vous. 
- Si vous préférez devenir vous-mêmes, rebellez-vous, vous payerez plus tard. 
- Et si un autre groupe éprouve son bonheur en chantant d'autres hymnes et en célébrant d'autres héros, déclarez-lui la guerre car vous êtes les seul à dire la vérité"
"Un enfant qui désobéit se socialise mal, comme on le voit chez les psychopathes ou les enfants hyperactifs qui, de conflits en rejets, de renvois répétés en réactions impulsives, finissent par être chassés de la société. Mais un adulte qui ne fait qu'obéir entrave le développement de sa personnalité. Il se transforme en rouage déshumanisé ou en perroquet culturel. Sans obéissance, l'espèce humaine aurait disparu, mais avec trop d'obéissance, c'est un régime totalitaire que nous laissons s'installer. C'est probablement l'âge du "non", l'opposition de l'adolescence et les conflits des adultes qui permettent l'évolution culturelle" 


Il évoque aussi les mouvements qui agitent les sociétés, les vagues qui emportent les individus dans des contagions collectives. Pensons au suicide et à Werther par exemple. Il montre comment les récits construisent une logique dans les croyances collectives, même si elles peuvent être coupées du réel. Il s'appuie souvent sur des expériences en psychologie et sur les développements de l'enfant pour argumenter son propos.

"Dès qu'il acquiert la possibilité d'entendre un récit, l'enfant voit ce qu'on lui dit de croire. Le fait d'accéder à un monde de représentations verbales l'entraine à accorder plus d'importance aux croyances qu'à ses propres perceptions. C'est pourquoi on peut s'arrêter facilement de penser. Il est plus facile de réciter que de juger, il est plus confortable d'adhérer aux représentations de ceux qu'on aime que de se retrouver seul, privé de liens"

Le héros ne parle pas à tout le monde de la même façon. Il va plus parler à un individu qui cherche à se sécuriser. Et en cela, nous ne sommes pas tous égaux : notre cerveau d'enfant n'aura pas développé les mêmes circuits selon l'environnement de l'enfant, entouré ou isolé, stimulé ou non... Parmi les sentiments intenses et qui naissent tôt, celui de la justice - qui habite l'adolescent justicier ! - et la morale qui est élaborée par les appréciations émotionnelles de l'entourage. Il n'y a pas de morale universelle, mais bien des morales liées aux valeurs et à la culture des proches. 

Le risque ? Nier l'autre en projetant sur lui une idée plutôt que de le connaitre. C'est ainsi que nait la perversion. La représentation de l'autre n'est pas innée, elle se développe chez l'enfant après 4 ans. Et peut ne pas se développer. Et peut s'étioler lors de chocs. 

"On était moral, et soudain on ne l'est plus : on vient d'être perverti ! Un danger, une douleur nous obligent à ignorer l'autre pour consacrer nos forces à notre propre défense"
"La médecine nazie n'était pas une absence de morale, au contraire, elle témoignait d'un engagement dans un idéal de purification de la condition humaine. Ces médecins n'étaient ni sadiques ni tueurs en série. Ils avaient été élevés dans des familles aimantes, qui leur avaient donné accès à une instruction dispensée dans les universités où on leur apprenait une seule morale, une seule vérité, un seul chef qu'il fallait vénérer et suivre avec passion. Le postulat raciste était accepté comme une évidence scientifique. Tout le reste en découlait dans une construction logique mais délirante car coupée du réel. "Logique", parce qu'il est normal d'éliminer les souillures, et "délire" parce que ces souillures ne sont souillures que parce qu'on les nomme ainsi"
"Quand une culture dégradée se défend par un délire logique, elle cherche un héros pour réparer son image. Alors, une guerre d'images s'installe et les récits sociaux gouvernent les pulsions. "Les holocaustes légaux du XXe siècle sont la preuve renouvelée qu'une société entière peut basculer dans une politique du sujet marquée de perversion [...] dès lors que le mythe adéquat, pervers ou psychotique, s'est emparé du lien [...]. L'obscurantisme et le monstre sortent de la même fabrique que la pensée et la civilisation"

Il pointe aussi la responsabilité des artistes, des médias, qui contribuent à raconter et à formaliser ces mythes. Leur puissance tient aussi dans le fonctionnement de notre cerveau : 
"Ce qui reste dans la mémoire, c'est la première impression, celle qui déclenche l'émotion. Tout le reste n'est que travail fastidieux, nuance qui éteint la vertueuse indignation et laisse peu de traces dans la mémoire engourdie"

Il s'attarde aussi sur les nouveaux héros, des héros victimes : 
"Les victimes ne sont pas portées en triomphe, mais elles sont célébrées quand elles prennent la fonction d'un héros qui nous montre comment on peut surmonter un malheur. Leur aventure douloureuse mais conquérante nous sauve de la morosité, en démontrant qu'après la défaite, une victoire est encore possible"
On retrouve ici le thème de la résilience, si cher à notre auteur. Il montre combien cette conception est récente. Les victimes ne parlaient pas, ou peu, notamment suite à la déportation. C'était à la fois un impensé et un impensable pour la société à laquelle il a fallu du temps pour croire. Cette libération de la parole date pour l'auteur des années 1980 et la victime devient héroïque tandis que le vainqueur ou le guerrier est vu comme agresseur. 

Il conclut tout de même sur le sens que les héros donnent à nos vies, nous donnant envie d'aller au delà de notre simple réalité, changeant selon nos âges et intérêts !

jeudi 13 mai 2021

La grâce et le progrès

Cet essai d'Elisabeth de Fontenay s'intitule "Réflexion sur la Révolution française et la Vendée". 

L'auteure, à travers de courts chapitres, revient sur la guerre de Vendée. Peu connue de notre histoire, il s'agit d'une période de guerre civile des débuts de la République, dans le foulée de la Révolution. Instrumentalisée par certains partis, mise au service d'une hostilité à l'idée de nation ou de république, elle a été gommée de l'histoire... mais ne pas l'assumer n'est certainement pas la solution. Cette guerre est au centre du roman Quatrevingt-Treize de Hugo - et cet ouvrage m'a donné envie de relire ce roman. Elisabeth de Fontenay convoque aussi Michelet, qui évoque aussi cet épisode sanglant dans son Histoire de la Révolution française

Ce sont deux approches bien différentes, la première, par le roman, montre des personnages en proie à d'affreux dilemmes, entre affections et convictions. 

"Ils s'affrontent parce que Gauvain n'a pas tout à fait sacrifié la grâce qui ne fait qu'un avec l'honneur et le pardon, alors que Cimourdain a choisi le culte de la justice et de la défense de la patrie en danger"

La seconde, dans l'essai historique, ne nie pas les crimes révolutionnaires mais se refuse à éprouver quoi que ce soit devant les massacres de la guerre civile - alors que d'autres crimes de la Terreur sont convoqués. 

Ce qui l'interpelle dans cette seconde approche, c'est l'universalisme surplombant et destructeur, l'absolu qui impose sa vérité, nie la différence et devient intolérant. A travers cet ouvrage, on s'interroge avec elle sur l'universel et l'absolu bien sûr, mais aussi sur le sens de l'histoire. Peut-on du jour au lendemain changer les lois en vigueur et proposer un nouveau code ? L'auteur dénonce le constructivisme et le volontarisme des révolutions qui créent un homme nouveau à partir de nouvelles lois, en décapitant les modérés ou ceux qui doutent. 

"Les grandes révolutions, la française et la russe, ont sacrifié des individus pour faire naitre des hommes régénérés. Même s'il faut le redire, tout est toujours déjà et toujours encore histoire, cette façon de décider que la politique doit engendrer, quel qu'en soit le prix, des hommes libres, égaux et heureux, révèle une volonté anthropogène qui, par sa radicalité, confisque l'émancipation"

Et aujourd'hui, où en sommes nous ? Comment peut-on continuer à avancer ensemble, sans céder aux sirènes du communautarisme ou de l'universalisme ? 


"La nécessaire contextualisation des réalités passées n'implique aucunement de renoncer à juger, ni de céder en rien sur l'impératif catégorique, énoncé en 1785 par Kant, admirateur un peu plus tard de la Révolution française : "Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen.""

"Les êtres humains sont devenus extrêmement sensibles au sang répandu et à l'humain bafoué au nom de principes qui, ayant en commun d'être plus universalistes qu'universels, ont pouvoir d'anéantir ces différences inassimilables qui persévèrent et éclatent au visage de l'Europe et de la République" 

"Le philosophe Souleymane Bachir Diagne [...] distingue un "universel de surplomb", polarisé, vertical et un "universel latéral", décentré, horizontal. Le premier définit une appréhension de la particularité, à partir d'une position de centralité qui n'est jamais contestée. Le second se conçoit comme aller et retour entre les particuliers, sans point de référence absolu à partir duquel ils sont jaugés. C'est le mot absolu qui importe ici et l'on ne peut que souscrire à ce qui ne tient pas à un relativisme faisant de toute "diversité" un horizon désormais indépassable mais à une exigeante capacité de modifier le focus"

"S'est opéré en ce temps-là un nouage difficile à démêler entre l'universalisme, le centralisme, la République et le progrès, nouage qui tint lieu d'absolu"

"La République ne pouvait produire ce récit des origines, où elle se fondait, sans expulser publiquement ce qui l'avait si évidemment menacée. Walter Benjamin a écrit que le secret de toute œuvre résidait dans l'inhumanité qui avait constitué sa condition de possibilité, que "tout monument de culture est un monument de barbarie"."

"C'est avec le romantisme républicain et la recherche de l'absolu que l'ange de l'histoire nous invite donc à rompre. Mais pas avec le fait de veiller, car chaque instant qui passe est à la fois lourd de mémoire historique et chargé d'attente déraisonnable"

mercredi 12 mai 2021

Cette étrange idée du beau

Cet ouvrage de François Jullien traite du "beau" pour questionner ce terme si banal. Après tout, on cherche souvent à définir ce beau, mais rarement à le questionner, à le confronter à d'autres philosophies. En proposant des regards croisés sur le beau, substantivé, sacralisé, idéalisé comme une idée, dominant l'occident, et une conception chinoise d'un beau qui ne se dit pas beau, qui est avant tout tension, transformation et opposition, le philosophe permet de repenser notre rapport à l'esthétique. 

Loin de voir le beau comme un idéal, une forme plastique reproduisant ou sublimant une réalité, la pensée chinoise s'intéresse à ce qu'il y a de vivant, de mouvant dans l'art. Ce n'est pas l'imitation, la copie mais ce que suscite et permet l'équilibre et l'énergie des formes qui compte. On dira d'une œuvre qu'elle est supérieure, vivante, qu'elle possède un attrait inépuisable. Elle permettra surtout, à mesure qu'on la regarde, d'être toujours plus intéressante. Elle est shen c'est-à-dire qu'elle est spirituelle et / ou miao (achevée). Elle est "paysage en voie de sagesse" car les tensions et l'énergie entre les composants du paysages créent du spirituel. A travers cette comparaison avec le concept chinois, c'est toute la philosophie occidentale du beau, de Platon à Kant et Hegel, qui est sollicitée. On y retrouve notamment la question cruciale du sensible et du spirituel, de l'essence des choses, l'idée qui est manifestée par le beau. "Le beau est seul inscrit au sein du sensible, il fait signe et nous tend vers ce dépassement" ou "Le beau lui-même est ce paraître sensible de l'Idée". Il oppose la forme-idée des grecs à la forme-actualisation d'énergie des chinois. Il s'intéresse également à l'esthétique et au plaisir que suscite le beau en occident qui correspond plutôt en Chine à un déploiement d'énergie, une animation vitale, qui permet d'entrainer l'esprit, de méditer. Enfin, il est également question de comment l'art peut se détacher du beau, exprimer l'étrangeté de ce beau. Une lecture intéressante

"Le beau est la conformité d'un objet à ce qu'il doit être, ou mieux à ce qu'il lui convient d'être, et qui fait sa perfection"

"Peindre, en Chine, ce sera donc faire apparaitre, à travers ce qui s'étale et se réifie, le procès intérieur qui le fait advenir et muter, dégageant ainsi sa dimension d'"esprit" : en rendant sensibles, non plus des qualités, mais des capacités"


 

jeudi 6 mai 2021

Les personnages

Sylvie Germain nous offre dans ce court ouvrage un temps de réflexion sur la littérature ou plutôt sur le processus d'écriture et la naissance des personnages. Elle conte comment ils s'imposent petit à petit à l'auteur, prennent forme, prennent souffle, embarquent l'auteur dans des histoires. Elles sonnent juste ou non, mais elles sonnent à travers eux. Le personnage n'arrive pas seul, il vient avec ses mots, ses visions. Genèse des personnages mise ensuite en esquisses à travers deux nouvelles : Le tremble, sur une auteure qui attend devant la page blanche et Magdiel, ce personnage qui s'impose à l'auteur sans qu'il arrive à en faire quelque chose... jusqu'au jour où il lui trouve une forme.

"Il a la force incantatoire des suppliants de la tragédie grecque dont Maurice Blanchot dit, dans L'entretien infini : "Le suppliant et l'étranger ne font qu'un : tous deux privés de tout, étant privés de ce droit qui fonde tous les autres et que crée seule l'appartenance au foyer. E. Beaujon nous rappelle que le mot grec, traduit par « suppliant », veut dire au sens propre : celui qui vient ; ainsi le suppliant est-il l'homme de la venue, toujours en route parce que sans lieu, à propos duquel il faut donc poser la question mystérieuse entre toutes, celle de l'origine […] Tout arrivant propose une vérité qu'il ne faut pas mettre à la porte ; mais qu'on lui donne accueil, et qui sait jusqu'où elle vous conduira ?"

"Mais tout romancier sait bien que les personnages sont doués d'une étrange autonomie, qu'ils sont des mendiants fantasques, et que leur désobéissance chronique n'est pas un simple caprice mais qu'elle obéit à des "lois" aussi obscures et dynamiques que celles qui régissent toute personnalité. Tout romancier sait qu'il n'est pas "le maitre dans la maison" de son imaginaire"

"S'oublier. S'oublier au cœur même de la vigilante attention porée au texte que l'on est en train d'écrire. Se perdre de vue pour voir autrement, pour se découvrir autre. 

De toute façon, on n'écrit jamais le livre que l'on rêvait d'écrire, faute de savoir au juste ce que l'on voulait écrire. A chaque nouveau livre achevé, on reste insatisfait, dubitatif. On a l'impression de s'être égaré en chemin, d'avoir échoué à dire ce que l'on croyait dire. Par un curieux, brutal mouvement de ressac, toute l'encre du texte patiemment élaboré se soulève en une énorme vague nocturne qui se fracasse contre le point final, et le texte reflue dans un poudroiement noir, laissant les pages vides, jonchées de mots brisés. [...]

Ecrire est dérisoire : une digue de papier contre un océan de silence. 

Le silence - lui seul obtient le dernier mot. Lui seul détient le sens éparpillé à travers la multitude des mots. Et c'est vers lui, au fond, que nous tendons, à lui que nous aspirons, aussi passionnément que secrètement, lorsque nous écrivons. "Garder le silence, c'est ce que à notre insu nous voulons tous, écrivant", dit Maurice Blanchot"

 


lundi 3 mai 2021

Avant que j'oublie

Je ne sais pas où j'ai péché ce titre d'Anne Pauly mais j'en sors un peu déçue, j'ai trouvé l'ouvrage sans grand intérêt. 

La narratrice vient de perdre son père. Elle s'occupe avec son frère de toutes les démarches à remplir lors d'un décès : choix du cercueil et des chants de messe, paperasse à trier et maison à vider. C'est bien sûr l'occasion de rappeler qui était son papa, un homme alcoolique, handicapé, violent envers sa femme mais aussi lecteur de poésie, collectionneur et testeur de piles. Avec les objets, le visage apparait, l'histoire prend un nouveau sens. La relation du père et de la fille continue de grandir, de s'enrichir finalement tandis que le fils reste complétement bloqué, n'ayant pas réussi à aimer son père. Il y a aussi la fameuse lettre de la 4e de couv', qui arrive assez tard dans la narration et apporte un regard doux mais finalement pas si étonnant sur ce père disparu.

C'est authentique, c'est tendre, c'est agréable mais j'en ressors sur ma faim, un peu étonnée des excellents avis lus ici ou là. J'ai trouvé le lecture un peu terne et ennuyeuse.