mardi 31 décembre 2019

13 ans de blog

C'est un blog adolescent maintenant, dont j'ai zappé l'anniversaire le 20 novembre dernier ! Avec des kilos de lectures, plus ou moins aimées, pas mal d'expo (mais moins qu'avant), quelques commentaires... C'est surtout une mémoire, avec ses oublis (les brouillons qui traînent depuis 2015), ses inoubliables comme La plus que vive ou ses oubliés comme Cinq amoureuses
Un blog qui continuera en 2020, à ce petit rythme tranquille, sans se perdre sur d'autres supports. L'occasion aussi de souhaiter à tous les lecteur.rices qui passent par ici une magnifique année 2020. Bonne promenade dans les livres cette année encore !

lundi 30 décembre 2019

Louise Amour

Histoire d’amour, évidemment  !

Louise est parfumeuse, riche, légère. Elle est présente au monde et aux autres, elle éclaire le monde. Et notre narrateur écrit. Il aime les écrits des saints et des mystiques. La rencontre des deux fait des étincelles et c’est le début d’une histoire. Une histoire de passion et de mort, comme toutes les histoires d’amour. Une histoire d’amour et de jalousie, de possession. Une histoire qui vient fendiller la carapace de cristal du narrateur. 

Lieux : cimetières, églises, champs de fleurs et roseraie. Alternance de lumière et de sombre, entre les lieux de Louise et ceux du narrateur, en pleine lumière.

Encore une belle incursion dans l'imaginaire de Christian Bobin et dans sa langue si douce à mes yeux : « Arrive la mort – ou la grâce d’une épreuve sans issue imaginable – et l’épouvantail brûle en une seconde et du feu surgit un vivant absolu, une personne non encombrée d'elle-même ni infestée par le monde, un tout petit éclat bleuté du grand vitrail de Dieu – une âme »


« Les livres sont de vieux serviteurs sur le dos desquels nous disposons, afin qu'ils les portent à notre place, nos craintes et nos espérances. Le temps passé à lire qui est du temps changé en lumière, l’espérance attrapée comme un rhume en rêvant, la puissance secrètement demandée aux livres savants, tout de nous pèse sur les épaules, la nuque, le dos de nos esclaves de papier. Il suffit ensuite de les regarder pour connaitre leur maître. La bibliothèque de Louise Amour ne révélait-elle pas une âme éprise de ce Dieu exténué d’être seul, à qui les roses proposent l’asile de leur douceur ? »
« Le visage de la jeune femme derrière Santal avait la sourde luminosité de celle qui, penchée au-dessus d’une flamme invisible, ne songeait qu’à l’entretenir et s’oubliait elle-même. Elle semblait avoir l’autorité abrupte de ceux qui se donnent à l’essentiel, sans aucun souci de plaire. Le Christ avait aimé de telles voisines fidèles et sans prestige »
« Certains êtres sont comme le lilas qui sature de son parfum, jour et nuit, l'air dans lequel il trempe, condamnant ceux qui entrent dans son cercle embaumé à éprouver aussitôt une ivresse intime qui fait s'entrechoquer, comme des verres de cristal de Bohême, les atomes de leurs âmes. Dans les entours de telles créatures, comme dans ceux du lilas, plus moyen de garder une conscience claire. La pensée est un soleil d’hiver. Elle a besoin du froid et du sec pour s’élever. L’ivresse, même quand elle n’est que mentale, l’humidifie, l’alourdit et finalement l’empêche de s’envoler »
« Le luxe donnait l’impression que la vie était délivrée de la mort, de la douleur, du temps – et au bout du compte de la vie même »
« A la fin de chaque jour d’absence de Louise Amour je prenais le carnet au-dessus de la pile, je le remplissais de mots jusque tard dans la nuit, et c’était comme verser un vin précieux dans un verre sans fond. Louise Amour, quand je ne pouvais la voir, devenait plus haute qu’une cathédrale. Son absence jetait de l’ombre sur tout, comme si une géante avait recouvert de ses jupons la terre entière – villages, routes et projets […] Je la remerciais au contraire silencieusement de m’avoir abandonné, de m’avoir laissé dans une épreuve que finalement, avec de l’encre et du papier (comme font les enfants après le départ soudain de leur mère dans la pièce à côté), j’avais changé en grâce. J’offrais mes prières de papier à la déesse de chair. Elle prenait son temps pour les lire. Elle prenait son temps pour tout»
« Chacun de nous est fait pour une seule chose et cette chose, quand il l’accomplira, le contiendra en entier, mieux qu’un cercueil. J’étais fait pour adorer. J’avais été élevé pour ce sacre dont j’inventais la couronne d’encre et de papier »
« Elle portait son cœur sur son visage comme les saints qui tiennent leur cœur dans leurs mains, à l’extérieur d’eux-mêmes »
« Le parfum des parfumeurs, c’est l‘âme volée des fleurs. On devrait l’interdire aux belles dames et l’utiliser uniquement pour laver les clochards et les agonisants »

lundi 23 décembre 2019

Le naufrage des civilisations

Voici un autre essai d'Amin Maalouf, plus récent que les Identités meurtrières, mais qui interroge tout autant notre rapport à l'autre. Parcourant l'histoire de l'Orient au XXe siècle et au début du XXIe, l'auteur s'inquiète. Car un vent violent parcourt le monde, qui semble bien aller à sa perte. 
Entre l'essai et le témoignage autobiographique, Amin Maalouf remonte le temps. Il voit des lignes de fracture : la guerre des 6 jours, qui a écrasé le rêve arabe et fait de l'Orient un perdant ; et 1979, avec la chute du shah d'Iran, le début de la guerre en Afghanistan, la prise d'otage à la Mecque... Et le discrédit du communisme, la faiblesse des USA et de l'Europe pour inspirer d'autres. Bref, c'est plutôt  l'histoire des rendez-vous ratés et chacun dans son coin que tous ensemble ! C'est cela que déplore l'auteur. Il met aussi en garde : comment rester en démocratie alors que les ténèbres s’amassent ? Et comment ne pas tomber dans le piège de la sécurité, du confort et du bonheur qui nous ferait abdiquer notre liberté ?

"Tout au long de l'histoire, les expulsions massives, qu'elles paraissent justifiées, légitimes ou pas, ont généralement nui à ceux qui sont restés bien plus qu'à ceux qui ont été chassés"

" Dans une société où les minoritaires subissent la discrimination et la persécution, tout se corrompt et se pervertit. Les concepts se vident de leur sens. Parler encore d'élections, de débats, de libertés académiques ou d'Etat de droit devient abusif et trompeur"

"Ce qui caractérise l'humanité d'aujourd'hui, ce n'est pas une tendance à se regrouper au sein de très vastes ensembles, mais une propension au morcellement, au fractionnement, souvent dans la violence et l'acrimonie [...] Ce qui aggrave encore cette tendance, c'est que le monde est aujourd'hui rempli de "faux ciments" qui, telle l'appartenance religieuse, prétendent réunir les hommes alors qu'ils jouent, dans la réalité, le rôle inverse"

"Je suis même tenté de redire ici ce que j'ai dit à propos de Mandela et de sa manière de remédier aux tensions raciales dans son propre pays : il arrive que la générosité soit la moins mauvaise solution ; et il arrive qu'une bonne action soit aussi une bonne affaire"

"Ce que je regrette, c'est la disparition d'un certain état d'esprit qui a existé du temps des empires, et qui considérait comme normal et légitime que les peuples vivent au sein d'une même entité politique sans avoir forcément le même religion, la même langue, ni la même trajectoire historique"

"Nous progressons dans de nombreux domaines, nous vivons mieux, et plus longtemps. Mais quelque chose se perd en route. La liberté d'aller et de venir, de parler et d'écrire, sans être constamment surveillés"

mercredi 18 décembre 2019

Celles qui savaient

Sont au nombre de 5 pour Claude Pujade-Renaud : Cassandre, fille de Priam et d'Hécube ; Oenonè, amante de Paris ; Okyrrhoè, fille de Chiron, changée en jument ; Jocaste, mère et amante d'Oedipe ; Ismène, fille d'Oedipe et Jocaste, soeur d'Antigon, Polynice et Eteocle. 

Elles ont en commun un don de prophétie ou de prescience. Elles savent. Cassandre, on le sait bien, connait le sort de Troie et le sien sans être crue. Elle est ici amoureuse d'Hélénos, son frère. 
Oenoné, c'est plutôt une fille des bois, une sauvage très tendre avec Paris, qui voit bien les dangers à regagner Troie, à se confronter à son abandon, à ses frères.
Okyrrhoé, je ne la connaissais pas. Née près d'un torrent, elle connait aussi l'avenir et le révèle à Asclépios pour être aussitôt transformée - avec quelle économie de moyen de l'auteur !
Jocaste et Ismène parlent des Labdacides et de leur lignée maudite.

Sous une forme poétique, très courte, et bien différente des autres textes lus de cette auteur, j'ai découvert ces cinq destinées de femmes, maudites par leur savoir. Une lecture belle et simple. 

lundi 16 décembre 2019

La grâce de solitude


Marie de Solemne dialogue dans ce petit ouvrage avec Christian Bobin, Théodore Monod et Jean-Michel Besnier. Leur thème ? La solitude. La solitude choisie, qui permet de préserver un certain bien-être. Une solitude qui ne se confond pas avec un isolement, non consenti. Une solitude qui n’est pas une malédiction ou quelque chose à fuir mais une grâce qui permet de se révéler.

Comme souvent, j'ai été attentive aux phrases de Bobin que je glane pour moi, pour vous : 
« Pour vivre, il faut avoir été regardé au moins une fois, avoir été aimé au moins une fois, avoir été porté au moins une fois. Et après, quand cette chose-là a été donnée, vous pouvez être seul. La solitude n’est plus jamais mauvaise. Même si on ne vous porte plus, même si on ne vous aime plus, même si on ne vous regarde plus, ce qui a été donné, vraiment donné, une fois, l’a été pour toujours. A ce moment-là, vous pouvez aller vers la solitude comme une hirondelle peut aller vers le plein ciel »
« L’amour, la solitude, l’écriture, le chant, le jeu, j’aime par exemple à les faire tourner comme des toupies sur la page, parce que je les éprouve dans ma vie même comme tournant l’une sur l’autre, l’une dans l’autre »
« Il y a un creux qui est en vous, que vous ne supportez plus, et que vous allez remplir avec des nourritures plus ou moins digestes. Souvent, on remplit très vite ce creux, ce vide, cette attente naissante, alors qu’elle demanderait un peu de temps encore pour nous dire ce qu’elle a à nous dire. Mais, nous, on essaie de la combler tout de suite. C’est comme une question qui se pose et qu’on essaie d’arrêter. On n’y répond pas… on essaie de la tuer »
« Ce que j’attends, c’est l’inattendu. Ce que j’attends, c’est ce que, par définition, je ne peux même pas imaginer attendre. Parfois ça prend précisément la forme de quelque chose qui va être tellement imprévisible que dans un premier temps ça va me blesser, ça va me contredire. C’est par là que je sais la vie – que je la reconnais en tous cas -, que je sais qu’elle est fidèle »
« Dans l’autre, c’est mon propre cœur que j’entends battre. Toujours en reconnaissant parfaitement l’altérité de l’autre, ce qui en lui m’échappe »
« Si on veut transmettre quelque chose dans cette vie, c’est par la présence bien plus que par la langue et par la parole. La parole doit venir à certains moments, mais ce qui instruit et ce qui donne, c’est la présence. C’est elle qui est silencieusement agissante »
« Sans « ailleurs », ça ne tient pas. En fait, si on aime uniquement avec notre propre volonté, un jour ou l’autre… on craque. Tôt ou tard, on craque… et c’est effroyable »
« Dans la solitude on rejoint Quelqu’un d’autre que soi »

Et comme il n'y avait pas que Bobin, j'ai aussi récolté d'autres phrases : 
Besnier « Je ne pense pas que le solitaire ait renoncé à séduire l’autre, seulement il veut séduire avec d’autres armes, en offrant l’image de son autonomie, de son indépendance, de sa force. Il y a chez le solitaire une dénégation de la sociabilité »
Monod « Voilà un enseignement du désert : on n’est jamais pressé ! On peut toujours remettre au lendemain, ou à la semaine d’après, ce qu’on a à faire. Rien ne presse… »

mercredi 11 décembre 2019

Sorties ciné de décembre

Frozen II
Evidemment, j'avais tant aimé Frozen que je ne pouvais pas passer à côté du 2e volet. 
On retrouve Elsa et Anna, en grande forme, avec Olaf, Sven et Kristoff. La vie semble belle et simple au royaume si ce n'est qu'Elsa entend des voix. Et décide de les suivre. Super idée, non ? 
Forêt enchantée, malédiction, éléments en colère... Les princesses sont prêtes à tout affronter ensemble. Une quête qui leur apprendra la vérité sur les pouvoirs d'Elsa, sur leurs parents, sur la malédiction. 
Evidemment, pas le même effet wahou qu'au premier opus : pas de chanson inoubliable et qui fait frissonner - même si la chanson Lost in the wood est incroyable, fans des années 90 enjoy. L'histoire est moins dingue et les personnages ne nous révèlent pas beaucoup de surprises. 
Par contre, beaucoup d'humour avec un Olaf en super forme (restez jusqu'à la fin du générique pour le dernier fou rire), des paysages et des textures toujours aussi travaillés et splendides ! On passe un bon moment.


Hors Normes
Autre style avec ce film sur le travail d'éducateurs auprès d'ado et adultes autistes. Bruno et Malik ont deux associations complémentaires pour accompagner ces jeunes et former des éducateurs. Lorsque l'association de Bruno est auditée, c'est la réalité des manques des autres structures qui surgit : jeunes refusés par toutes les structures, attachés ou drogués parce que trop incontrôlables. Alors certes, c'est un peu le bazar chez Bruno, mais les jeunes sont traités avec dignité et amitié. Et ça marche plutôt bien puisqu'ils progressent !
Un petit pas vers plus d'humanité ? Et de meilleurs soins ?

lundi 9 décembre 2019

Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées

Je viens de terminer la biographie de Carl Gustav Jung, le psy. C'était long, parfois bizarre, souvent passionnant. 
Carl Jung revient sur les différentes étapes de la vie, sa relation aux parents, à l'école où il ne brille pas. Il raconte ses premiers jeux, rêves et rites d'enfant, qu'il redécouvre bien plus tard. Il raconte son chemin vers la médecine et la psychiatrie, un peu par hasard. C'est chronologique mais c'est truffé de signes, de symboles et de rêves qui nous perdent parfois. Il est peu question de patients, d'exemples, surtout de lui, de ses propres rêves et interprétations. Il est intéressant de le voir élaborer des théories sur sa personnalité, avec sa part d'ombre et de lumière. 
On lit aussi son lien avec Sigmund Freud puis leur séparation. On le suit dans ses voyages, toujours fruits d'apprentissage et de nouvelles inspirations. Mais parfois, pas même besoin de partir, son exploration de l'alchimie, des religions, des cultures, des images et des symboles suffit. 
C'est dense, mais ça se lit bien. Par contre, pas mal d'éléments m'ont échappé concernant ses autres livres et ses théories comme psychiatre. 


"J'ai souvent vu que les hommes deviennent névrosés quand ils se contentent de réponses insuffisantes ou fausses aux questions de la vie. Ils cherchent situation, mariage, réputation, réussite extérieure et argent; mais ils restent névrosés et malheureux, même quand ils ont atteint ce qu'ils cherchaient. Ces hommes le plus souvent souffrent d'une trop grande étroitesse d'esprit. Leur vie n'a point de contenu suffisant, point de sens. Quand ils peuvent se développer en une personnalité plus vaste, la névrose d'ordinaire cesse."
"Tout ce qui m'irrite chez les autres peut servir ma connaissance de moi-même"

samedi 7 décembre 2019

En attendant Bojangles


J'ai beaucoup vu ce livre d'Olivier Bourdeaut sur les blogs. J'ai fini par l'extraire de la PAL familiale et - même si j'ai plutôt passé un bon moment dans cette drôle de famille - j'en sors moyennement enchantée.

C'est un livre à deux voix, celle du père et celle du fils, tous deux fascinés par leur épouse et mère. Ils vivent une vie de fête, de cocktails, de danse, de châteaux en Espagne. Leur animal domestique est une grue. A travers les mots de l'enfant, on devine d'autres réalités : le rapport à l'école, à l'autorité, au monde n'est pas comme les autres. Mais tout est entouré de rires et d'alcool avant le dérapage, qu'on voit bien venir. Car cette fête perpétuelle, cette soif de changement, cette femme qui est appelée d'un prénom différent chaque jour cache une fragilité. Dans une seconde partie plus triste mais toujours voilée de paillettes et de jeux, feu d'artifice final et fin tragique. Les histoires d'amour fou finissent aussi mal que les autres.

Un roman qui se lit vite, dont l'ambiance toujours survoltée et artificielle amuse mais ne permet pas réellement de s'attacher aux personnages. Et rien de dingo dans l'écriture. Un petit livre d'une soirée, qui ne laissera pas beaucoup de traces dans ma bibliothèque. 



lundi 2 décembre 2019

L’épuisement


Ce n’est pas la lecture la plus évidente de Christian Bobin. C’est un peu échevelé, brut, passant du coq à l’âne. Alors, évidemment, sans Ariane, je me suis un peu perdue dans le labyrinthe des pensées de l’auteur. Cela ne les rend pas moins belles. Cela me les rend plus difficiles à relier. Car j’aime le petit fil fragile qui dessine des routes dans les livres, ce petit caillou qui lui permet de ne pas se perdre dans les pages. Mais la couleur est annoncée dès le début : on ne sait pas ce que sera ce livre.

« Les écrivains qui savent d’avance ce que sera leur livre ne sont pas des écrivains mais des créatures de Dieu atteintes par la folie du raisonnable, du sérieux, du devoir à rendre. Je n’ai pas de devoir à rendre. J’ai un livre à faire pour la lumière qu’il me donnera »
Et c’est ainsi que je m’aventure dans le livre, plein de moments ordinaires, mais dont les mots font danser la lumière. Il y est question d’écrivains, d’artistes, de films qui nourrissent l’auteur et de moments de sa vie : les premiers jours d’école, le boulevard d’une petite ville industrielle, un amour… Je l’ai refermé en me disant que je n’y avais rien compris et je l’ai rouvert pour relire toutes les pages griffonnées, les paragraphes soulignés… J’avais une récolte incomparable de mots qui me touchent. Et si finalement, c’était ça qui me nourrissait, plus qu’une histoire bien linéaire ? Car, comme Bobin l’écrit, « Et c’est quoi, la fin d’un livre. C’est quand vous avez trouvé la nourriture qu’il vous fallait, à ce jour, à cette heure, à cette page »

Alors dans la récolte abondante, arbitraire, je choisis cette petite phrase évocatrice : « J’aime les miroirs, les icônes et les livres. J’aime ce qui retient sur soi de la lumière avant de nous la rendre, augmentée d’une secrète beauté » et celle-ci qui me parle : « L’intelligence ce n’est rien d’autre : une manière personnelle de se tenir devant soi et devant le monde, une manière propre à la personne de se laisser altérer par ce qui vient et de chercher son bien à elle, rien qu’à elle, dans ce qui la traverse et parfois la tue. Lire par exemple c’est une des manifestations les plus simples de l’intelligence, cela n’a rien à voir, absolument rien à voir avec la culture. Lire c’est faire l’épreuve de soi dans la parole d’un autre, faire venir de l’encre par voie de sang jusqu’au fond de l’âme et que cette âme en soit imprégnée, manger ce qu’on lit, le transformer en soi et se transformer en lui. Toute lecture qui ne bouleverse pas la vie n’est rien, n’a pas lieu, n’est pas même du temps perdu, est moins que rien. Toute vie qui n’est pas bouleversée par la vie et qui ne va pas, seule, sans le réconfort d’aucune leçon, trouver son bien dans ce bouleversement, est morte. Ce qui est le bien d’une personne c’est à la personne seule d’en décider, en ne s’appuyant que sur la lumière suffisante de sa propre solitude, au plus loin des convenances de pensée ou de morale »
« Un événement dans la vie, c’est une maison avec trois portes séparées – mourir, aimer, naître. On ne peut y entrer qu’en franchissant les trois portes simultanément, dans le même temps. C’est impossible et cela arrive »
« Le mort en nous c’est le maître, celui qui sait. Le vif en nous, c’est l’enfant, celui qui aime, qui joue à aimer »
« C’est le premier apprentissage du mensonge collectif : faire semblant d’être là où nous ne sommes pas »
« L’amour c’est quand quelqu’un vous ramène à la maison, quand l’âme revient au corps, épuisée par des années d’absence »
« Aucune vraie rencontre ne peut se faire sans aussitôt nous défaire. Aucune rencontre hors de l’amour, aucun amour qui ne commence par nous tuer »
« Je n’ai jamais vécu en couple, par gout profond de la solitude. Ce qui fait le désespoir de tant de couples c’est un irrespect de la solitude native de l’autre »
« L’enfance avait choisi ce qu’elle choisit toujours : la vie, quand bien même la mort jouirait des services du meilleur attaché commercial qui soit. Je crois que l’enfance est pour beaucoup dans ces refus dont nous ressentons la nécessité sans savoir les justifier. Je crois qu’il n’y a qu’elle à écouter »
« La solitude est une maladie dont on ne guérit qu’à condition de la laisser prendre ses aises et de ne surtout pas en chercher le remède, nulle part. J'ai toujours craint ceux qui ne supportent pas d'être seuls et demandent au couple, au travail, à l'amitié voire, même au diable ce que ni le couple, ni le travail, ni l'amitié ni le diable ne peuvent donner : une protection contre soi-même, une assurance de ne jamais avoir affaire à la vérité solitaire de sa propre vie. Ces gens-là sont infréquentables. Leur incapacité d'être seuls fait d'eux les personnes les plus seules au monde »
« Je crois que c'est ça, un artiste. Je crois que c'est quelqu'un qui a son corps ici et son âme là-bas, et qui cherche à remplir l'espace entre les deux en y jetant de la peinture, de l'encre ou même du silence. Dans ce sens, artistes nous le sommes tous, exerçant le même art de vivre avec plus ou moins de talent, je précise : avec plus ou moins d’amour »
« La maison de mon oncle, une incroyable bâtisse tout en fenêtres et en escaliers, on se sent bien rien qu'à la voir. De sa cuisine, il peut entendre chaque jour le chant d'un oiseau en cage chez le voisin du dessous. Et un jour, plus de chant. Il se penche à la fenêtre, regarde, comprend : l'oiseau chantait quand il était pris dans un rayon de lumière, et ce rayon lui arrivait du soleil en ricochant sur la fenêtre de la cuisine. Alors il pousse doucement la fenêtre, il la remet à sa bonne place, jusqu'à entendre le chant ressuscité. C'est une scène du film. Elle dure, quoi, cinq secondes. Vous n'avez jamais trouvé, nulle part dans aucun livre, une plus juste description de la lecture, de sa magie intime : les livres sont comme la maison de mon oncle. Les phrases y sont autant de fenêtres. Suivant leur inclination, leur ouverture, elles attrapent la lumière et la renvoient sur le cœur en cage, jusqu'à le faire chanter. C'est une opération délicate. Il y faut beaucoup de doigté et d'attention »
« Proust a écrit des milliers de pages pour apprivoiser un sommeil qui se refusait à lui enfant, lorsque sa mère n’entrait pas dans sa chambre pour l’embrasser. Sur un plateau de la balance, un seul baiser manquant. Sur l’autre plateau, des nuits blanchies à l’encre, tous les écrits du monde. Il est évident que le premier plateau est plus lourd que le second. La littérature insomniaque ne consolera jamais de l’absence d’un amour donnant à notre visage lumière de repos »
« Les mots qu’il écrit ne sont là que pour donner le temps à d’autres mots de se faire entendre. Il y a toujours deux livres dans un vrai livre. Le premier seulement est écrit. C’est le second qui est lu, c’est dans le livre du dessous que le lecteur reconnait ce qui, de l’auteur et de lui, témoigne de l’appartenance à une même communauté silencieuse »
« Les beaux nuages qui vont là-bas au ciel. Je n’ai pas d’autre amour que celui-là, pas les nuages mais la liberté d’aller qu’ils montrent et disent, la liberté de se métamorphoser sans cesse, d’être infidèle à soi-même pour mieux rester fidèle à la vie dans notre vie »
« Dans la logique du monde, on ne peut faire sa place sans aussitôt prendre la place d’un autre. Mais on ne fait pas plus sa place qu’on ne fait sa vie : on trouve l’une et l’autre, et le sentiment de cette trouvaille inespérée c’est la joie même »
« On dit des anorexiques qu’il refusent de se nourrir alors qu’ils refusent simplement, sainement, d’avaler de mauvaises nourritures. On les dit malades quand ils ne font que rejeter l’amour avarié qu’on les invite à goûter »
« Ceux que j’aime, je ne leur demande rien. Ceux que j’aime, je ne leur demande que d’être libres de moi et ne jamais me rendre compte de ce qu’ils font ou de ce qu’ils ne font pas, et, bien sûr, de ne jamais exiger une telle chose de moi. L’amour ne va qu’avec la liberté. La liberté ne va qu’avec l’amour »