vendredi 12 juillet 2019

L'éloignement du monde

J'avais déjà lu ce texte de Bobin dans le recueil de Gallimard, L'enchantement simple. Je le redécouvre dans son unicité et dans sa première édition. Ce sont autant de méditations sur le monde. Quelques phrases, une lettre, un paragraphe qui nous font toucher la beauté de la vie. En comparant mes lectures, dans deux ouvrages différents, je constate que j'ai le crayon plus amoureux de Bobin aujourd'hui. Je souligne plus. Je coche. Je note. Certaines phrases résonnent toujours. D'autres s'ajoutent au bouquet de mots. Je vous les livre. 


"Si nous considérons notre vie dans son rapport au monde, il nous faut résister à ce qu'on prétend faire de nous, refuser tout ce qui se présente - rôles, identités, fonctions - et surtout ne jamais rien céder quant à notre solitude et à notre silence. Si nous considérons notre vie dans son rapport à l'éternel, il nous faut lâcher prise et accueillir ce qui vient, sans rien garder en propre. D'un côté tout rejeter, de l'autre consentir à tout : ce double mouvement ne peut être réalisé que dans l'amour où le monde s'éloigne en même temps que l'éternel s'approche, silencieux et solitaire" 
"Du point de vue de l'esprit, il n'y a aucune différence entre surabondance et pénurie : plus on va dans la solitude et plus on a besoin de solitude. Plus on est dans l'amour et plus on manque d'amour. De la solitude, nous n'en aurons jamais assez et il en va de même pour l'amour - ce versant escarpé de la solitude"
"L'homme du sérieux est un des plus puérils qui soient. Il se penche sur sa vie comme l'écolier sur sa copie. Il s'applique et se scandalise de l'indulgence du maître pour les mauvais élèves qui savent que la vie est parfois grave, souvent légère - jamais sérieuse"
"Nous sommes devant la vie comme devant un messager qui frapperait chaque matin à notre porte. Nous l'invitons à entrer, nous le faisons asseoir et nous commençons à lui confier nos espérances et à lui faire part de nos plaintes, avant de lui proposer de partager notre repas et de nouveau la litanie des plaintes, le bavardage des espérances, à présent c'est le soir, nous le raccompagnons à la porte et nous le saluons sans avoir pensé une seconde à lire cette lettre qu'il agitait tout ce temps sous nos yeux" 
"Ce qui est dit n'est jamais entendu tel que c'est dit : une fois que l'on s'est persuadé de cela, on peut aller en paix dans la parole, sans plus aucun souci d'être bien ou mal entendu, sans plus d'autre souci que de tenir sa parole au plus près de sa vie"
"Nous allons ici et là, à la recherche d'une joie partout en miettes, et le sautillement du moineau est notre seule chance de goûter à Dieu éparpillé sur terre"
"Il nous manque d'aller dans notre vie comme si nous n'y étions plus, avec cette souplesse du chat entre les herbes hautes, ou ce fin sourire de l'amoureuse devant son cœur cambriolé"
"Le monde ne tient que parce que nous nous croyons contraints de le porter sur nos épaules - sans voir que personne ne nous demande une telle chose"
"Nous nous plaignons du monde comme on se plaint de ne pouvoir sortir d'une pièce dont nous aurions fermé la porte à clef et jeté la clef par la fenêtre"
"Thérèse d'Avila, lorsqu'elle faisait à manger pour ses sœurs, veillait à la bonne cuisson d'un plat et concevait dans le même temps des pensées éblouissantes de Dieu. Elle exerçait alors cet art de vivre qui est le plus grand art : jouir de l'éternel en prenant soin de l'éphémère"
Et celle que je retiens en particulier pour aujourd'hui, c'est celle-ci : 
"Il faudrait accomplir toutes choses et même les plus ordinaires, surtout les plus ordinaires - ouvrir une porte, écrire une lettre, tendre une main - avec le plus grand soin et l'attention la plus vive, comme si le sort du monde et le cours des étoiles en dépendaient, et d'ailleurs il est vrai que le sort du monde et le cours des étoiles en dépendent"
 Elle me plait et me questionne. Doit-on être dans cette hyper attention au monde et aux choses ou dans un détachement ? J'ai l'impression qu'on oscille sans cesse avec Bobin dans le rapport au monde. Il y a ce monde au sens mondain qui est à fuir pour pouvoir être, en vérité. Et il y a ce monde au sens de la vie, qui devrait être vécue avec application et légèreté. Comment faire ?


4 commentaires:

  1. Ce nest pas mon préféré de l'auteur mais on retrouve cette plume magique qui fait toute la différence ;)
    Il faut que je publie ma chronique sur le plâtrier siffleur... J'ai commencé La nuit du coeur :)

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    1. Je ne connais pas la nuit du coeur. Le titre me plait beaucoup. J'ai lu les lettres d'or mais je n'ai retenu aucune phrase, rien d'essentiel ou de nourrissant. L'avais-tu lu ?

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  2. Merci pour ces très beaux extraits de Bobin.

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