Encore un livre prêté par un collègue, c'est chouette de faire circuler les lectures. C'est un essai de Jean-Pierre Lebrun sur le vivre ensemble, sur le rapport à autrui, à la perte ou à la limite.
L'auteur s'interroge sur les mutations de nos sociétés, sur leur complexité et leur confusion. Il pointe notamment une crise de la légitimité dans le domaine de l'éducation, le rapport aux enfants et au "non". Elargissant cette "crise de l'autorité" et du transcendantal à toute la société, il s'interroge sur les causes de celle-ci.
Il analyse d'abord le rapport au langage et à soi, compris comme manque, renonciation à la toute puissante et permettant la subjectivation psychique. Il est question de la négativité du langage, et de la condition humaine, capable d'appréhender la mort, le vide par rapport au plein, autrui par rapport à soi. Cette question, liée au sujet, il l'étend à la société. Les limites, le vide, l'autre ou la transcendance, nos sociétés actuelles tendent à les nier, voire à les effacer. Il montre alors combien cette absence de limites et d'autorité, revient à faire peser sur chacun des responsabilités et des choix personnels, ce qui est parfois plus complexe que de se reposer sur un cadre. C'est d'abord pour lui l'effet du positivisme et du discours sur les sciences qui laissent entendre que toutes les limites sont à repousser ; puis de la démocratie "démocratiste" qu'il définit comme une illusion d'autonomie, une impression de rien devoir au collectif ; et enfin du "néocapitalisme libéral" qui ne souffre pas de régulation. Il interroge la fin du patriarcat, comprise comme la fin de l'autorité et d'un tiers qui vient décoller, séparer mère et enfant. Il souligne l'importance de la complétude - tout le monde doit être d'accord par exemple - pour que quelque chose soit considéré légitime et la difficulté de cela - on ne peut finalement s'accorder que sur un petit dénominateur commun. Il décrit enfin ce qu'il appelle la "grande confusion", à savoir que ce qui fait différence, ce qui fait souffrance, ce qui fait tarder la jouissance est condamné, tout ce qui fait spécificité est mis en avant, mais aux dépens des autres et du collectif. Et pour éviter cette confrontation au manque ou à la perte - à la réalité -, c'est souvent la fuite en avant. Enfin, il conclut sur la possibilité de la psychanalyse avec ces néo-sujets, notamment sur la question du transfert.
Lecture intéressante, parfois complexe et questionnante : si nos sociétés ont effectivement évolué, est-on réellement dans ce "vivre sans autrui" qui brandit l'auteur ? Ce qui est décrit au niveau de l'individu et de la crise des légitimités est-il réellement à penser à un niveau sociétal ? Le référent psychanalytique est-il pertinent ici ? Je reste un peu sceptique par rapport à des rapprochements qui me semblent parfois lointains. Et intéressée si vous avez des lectures sur ces sujets qui peuvent éclairer ma réflexion.
"Reconnaître qu'il peut et doit exister des objectifs situés en tiers, qui transcendent les intérêts de chacun, ne va plus de soi. Il est donc devenu très difficile de pouvoir encore se référer spontanément à de tels objectifs"
"Pour être un sujet, il faut dire deux fois "Oui !" et une fois "Non !". Une première fois oui : en acceptant d'entrer dans le jeu du langage, d'être aliéné dans les mots de ceux qui nous précèdent. Une fois non : en prenant appui sur le manque dans l'Autre et en faisant objection à ce qui vient de l'Autre. Et une seconde fois oui : quand le sujet accepte ce qui lui vient de l'Autre pour le faire sien, et cela de son propre chef, en ayant eu la possibilité de s'en démarquer, et en étant prêt à assumer les conséquences du choix qu'il pose"
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