Encore un livre qui sort de la PAL, youpi ! Et de 752 pages - pour le Pavé de l'été. Par contre, niveau plaisir de lecture, c'était assez inégal. Ce roman de Salman Rushdie est dense, passe souvent du coq à l'âne - enfin, d'un personnage à l'autre -, bourré de références que je n'avais pas forcément et surtout très long.
Tout commence par le crash d'un avion au-dessus de la Manche. Deux hommes, d'origine indienne, en réchappent après une interminable chute : Saladin Chamcha et Gibreel Farishta. Le premier est doubleur voix, le second est acteur. On découvre dans le roman, comment ils en sont arrivés là, depuis leur enfance indienne, jusqu'à leur carrière anglaise pour Chamcha, Bollywood pour Gibreel, leurs familles, leurs amours - compliquées pour l'un et l'autre avec tromperies et poursuites jusque dans les airs pour Gibreel.Mais surtout, l'un et l'autre vont rejouer une lutte éternelle entre bien et mal - pas par leurs actions ou existences mais plutôt par ce qu'ils semblent représenter : l'un est transformé en homme à pieds de boucs quand l'autre se voit entouré d'une nuée. Gibreel est d'ailleurs en proie à d'étranges rêves où il pourrait jouer un rôle d'ange annonciateur. On y croise un prophète, Mahound, et d'autres êtres inspirés.
Roman foisonnant, qui part parfois dans tous les sens, baroque, riche de sensations et de vie sous toutes ses formes, il déstabilise le lecteur à ses débuts. Où est-on ? Que se passe-t-il ? Qui sont ces gens ? Et puis, on tient des fils, des personnages, en proie à un monde complexe, à des questions politiques et religieuses, à des questions d'identité surtout. Indiens tous les deux, vivants en Angleterre, ils vivent le questionnement des exilés, entre rejet ou adhésion à sa culture d'origine, à sa famille...
Pas toujours très digeste et lecture assez lente, entrecoupée d'autres ouvrages, j'ai peiné sur les premier tiers du livre. Puis j'ai apprécié !
"Qui est-il? Un exilé. Terme qu'il ne faut pas confondre, pas mélanger, avec tous les autres mots que les gens emploient à tort et à travers: émigré, expatrié, réfugié, immigré, silence, ruse. L'exil est un rêve de retour glorieux. L'exil est une vision de la révolution: Elbe, pas Sainte-Hélène. C'est un paradoxe sans fin : regarder devant soi en regardant toujours derrière soi. L'exilé est une balle jetée très haut en l'air. Elle reste là, gelée dans le temps, transformée en photographie ; négation du mouvement, suspendu de façon impossible au-dessus de sa terre natale, l'exilé attend le moment inévitable où la photo doit se remettre en mouvement, et la terre réclamer son bien. Telles sont les choses qu'imagine l'Imam. Sa maison est un appartement en location. C'est une salle d'attente, une photo, de l'air.
L'épais papier mural, des rayures vert olive sur un fond couleur crème, a légèrement passé au soleil, suffisamment pour faire ressortir les rectangles et les ovales plus vifs qui indiquent les endroits où étaient accrochés des tableaux. L'Imam est l'ennemi des images. Quand il est entré les tableaux ont glissé sans bruit des murs et quitté la pièce furtivement, fuyant d'eux-mêmes la colère de sa muette désapprobation. Quelques images, cependant, ont eu le droit de rester. Sur la cheminée il conserve quelques cartes postales conventionnelles de son pays, qu'il appelle simplement Desh : une montagne qui se découpe au-dessus d'une ville ; une pittoresque scène villageoise sous un grand arbre ; une mosquée. Mais dans sa chambre, sur le mur qui fait face à la couchette dure où il se repose, est accrochée une icône plus puissante, le portrait d'une femme d'une force exceptionnelle, célèbre pour son profil de statue grecque et ses cheveux noirs aussi longs qu'elle est grande. Une femme puissante, son ennemie, son autre : il la garde près de lui. Exactement comme, là-bas dans les palais de son omnipotence elle garde son portrait à lui sous son manteau royal ou dissimulé dans le médaillon qu'elle porte autour du cou. C'est l'Impératrice, et son nom est - quoi d'autre? - Ayesha. Sur cette île, l'Imam exilé, et là-bas à Desh, Elle. Tous deux complotent la mort de l'autre.
Les rideaux, un épais velours doré, restent fermés toute la journée, sinon le mal pourrait se glisser dans l'appartement : l'étrange, l'Extérieur, la nation étrangère. Le fait douloureux qu'il se trouve ici et pas Là-bas, l'endroit qui mobilise toutes ses pensées. Dans les rares occasions où l'Imam sort prendre l'air de Kensington, au centre d'un carré formé par huit jeunes hommes portant des lunettes noires et des costumes où l'on distingue des bosses, il croise les mains devant lui et les fixe des yeux, pour qu'aucun élément, aucune particule de cette ville haïe - cette fosse d'iniquités qui l'humilie en lui offrant un refuge, ce qui l'oblige à un sentiment de reconnaissance malgré sa luxure, son avarice et sa vanité - ne puisse lui tomber, comme une poussière, dans l'œil. Quand il quittera cet exil détesté pour revenir triomphalement dans cette autre ville aux pieds de la montagne de carte postale, il dira avec fierté qu'il est resté dans l'ignorance totale de cette Sodome dans laquelle il a été obligé d'attendre ; ignorant, et par conséquent non souillé, non altéré, pur.Et une autre raison pour laquelle les rideaux restent fermés c'est bien sûr parce que les yeux et les oreilles qui l'entourent ne sont pas tous amicaux. Les immeubles orange ne sont pas neutres. Quelque part de l'autre côté de la rue il y a des téléobjectifs, du matériel vidéo, des micros hypersensibles; et toujours le risque des tireurs d'élite. Au-dessus et en dessous et à côté de l'Imam les appartements sont occupés par ses gardes, qui parcourent les rues de Kensington déguisés en femmes couvertes de voiles avec des becs d'argent ; mais on n'est jamais assez prudent. Pour l'exilé, la paranoïa est une condition préalable de survie.""L'exil est un pays sans âme. En exil les meubles sont laids, chers, tous achetés en même temps dans le même magasin et bien trop vite : des canapés argentés et brillants avec des accoudoirs comme des ailerons de vieilles Buick DeSoto Oldsmobile, des bibliothèques vitrées qui ne contiennent pas de livres mais des dossiers bourrés de coupures de presse. En exil quand quelqu'un tire de l'eau dans la cuisine la douche devient brûlante, aussi quand l'Imam prend son bain les membres de sa suite doivent se souvenir de ne pas remplir une bouilloire ni rincer une assiette sale, et quand l'Imam va aux toilettes ses disciples se sauvent de la douche brûlante. En exil on ne fait pas de cuisine ; les gardes du corps à lunettes noires vont acheter des plats à emporter. En exil toute tentative d'enracinement est vue comme une trahison : c'est un aveu d'échec.""Flottant sur un nuage, Gibreel pensa que le flou moral des Anglais venait de la météorologie. « Quand il ne fait pas plus chaud le jour que la nuit, raisonna-t-il, quand la lumière n'est pas plus claire que l'obscurité, quand la terre n'est pas plus sèche que la mer, alors il est évident que les gens perdent le pouvoir de faire des distinctions, et commencent à tout considérer – partis politiques partenaires sexuels croyances religieuses – comme du pareil-au-même, rien-à-choisir, à-prendre-ou-à-laisser. Quelle folie ! Car la vérité est extrême, elle est ainsi et pas autrement, c'est lui et pas elle ; il faut prendre parti, ne pas rester spectateur. En bref, la vérité est engagée."
Outch ! Je ne suis pas certaine de m'engager dans cette lecture.
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