Voilà des années que ce titre de Pascal Bruckner était dans ma LAL. Cet essai sur le bonheur, moins éclairant que je ne l'imaginais s'attache à l'historique de la notion de bonheur et à sa banalisation.
"Il ne s'agit pas d'être contre le bonheur mais contre la transformation de ce sentiment fragile en véritable stupéfiant collectif auquel chacun devrait s'adonner sous les espèces chimiques, spirituelles, psychologiques, informatiques, religieuses [...] la félicité nous fait l'effet d'une grâce, d'une faveur, non d'un calcul, d'une conduite spécifique"
On débute avec l'espérance du bonheur, toujours reportée, jamais saisissable au moment présent voire impossible en cette vie pour les médiévaux. Le bonheur est suspect, il n'existe que dans l'au-delà. Au XVIIIe siècle, ce regard change. Le bonheur est possible et souhaitable, il n'est jamais atteint complétement et peut se renouveler, dans cette attente d'un progrès toujours à venir. Car sitôt atteint, il s'épuise et ennuie. Vain bonheur.
Et avec sa liberté, l'individu est désormais responsable de son bonheur. Et il peut l'épuiser ou le manquer, toujours en attente d'un exceptionnel qui n'arrive pas parce qu'il ne le laisse pas surgir. Alors entre la jouissance sans entrave, la morne banalité du quotidien, comment faire ? Suivre toutes ces recettes de bonheur des marchands de philo et spiritualité ? Revenir à l'ataraxie des stoïciens ? Ou finalement se moquer de cet impératif de bonheur ?
"Le bonheur est d'aujourd'hui ou de demain, dans la nostalgie ou l'espérance, jamais d'aujourd'hui"
"Le bonheur se heurte à deux obstacles : il se dilue dans la vie ordinaire et croise partout la douleur opiniâtre"
"Nos sociétés versent dans la catégorie du pathologique ce que les autres considèrent comme normal, la prépondérance de la douleur, et versent dans la catégorie du normal voire du nécessaire ce que les autres vivent comme exceptionnel, le sentiment du bonheur"
"Nous vivons dans une aspiration constamment déçue : nul n'est jamais assez aimé, gratifié, récompensé"
"Le quotidien compose un néant agité: il nous épuise par ses contrariétés, nous dégoûte par sa monotonie. Il ne m'arrive rien mais ce rien est encore trop: je m'éparpille en mille tâches inutiles, formalités stériles, vains bavardages qui ne font pas une vie mais suffisent à m'exténuer. C'est cela qu'on baptise le stress, cette corrosion continue à l'intérieur de la léthargie qui nous grignote jour après jour"
"Le secret d'une bonne vie, c'est de se moquer du bonheur : ne jamais le chercher en tant que tel, l'accueillir sans se demander s'il est mérité ou contribue à l'édification du genre humain ; ne pas le retenir, ne pas regretter sa perte ; lui laisser son caractère fantasque qui lui permet de surgir au milieu des jours ordinaires ou de se dérober dans les situations grandioses. Bref, le tenir toujours et partout comme secondaire puisqu'il n'advient jamais qu'à propos d'autre choses"
Se moquer de l'impératif de bonheur, oui. Mais chercher à ne pas perdre son chemin vers le bonheur.
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