jeudi 20 mai 2021

La rumeur des cortèges

C'est ma lecture de Bobin qui m'a fait découvrir Jean Grosjean. J'ai choisi ce recueil de poésie, un peu par hasard, pour voir. Et j'y trouve deux éléments chers à Bobin : une observation fine de la vie quotidienne, notamment de la nature et des hommes ainsi qu'une approche spirituelle, notamment à travers Abraham revisité, les violettes, ou En bas de l'échelle

Comme souvent, j'ai noté quelques poèmes que je veux garder !

J'ai été là

J'ai été là où reposait ton corps. 
Le vent parlait tout bas dans les buissons.
Les gens étaient partis pour vivre encore,
pour contourner vaillamment ton absence.

Le soleil de l'été s'était lui-même
après toi retiré de nos jardins.
La bruine allait et venait dans la nuit
comme on fait les cent pas jusqu'au matin. 

 

Dans son fourgon

Il fait soleil mais le vent vient du nord. 
La grande herbe a déjà l'odeur du foin. 
La vie qui se dessèche aussi m'embaume 
tant la demeure est cernée par les roses.

Tout est livré aux insectes pillards
mais les instants aussi son butineurs.
Chacun nous prend quelques lambeaux du jour
pour entasser dans son fourgon ses proies.

Leurs pas épars
Je monte obscur à ce grenier d'où voir
descendre le chemin par où partirent
le long des bois, les uns après les autres,
les habitants de nos jours périmés.

Ils ont laissé dormir dans la campagne
leurs pas épars sous l'incendie des soirs
mais sous l'inattendu des clairs de lune
ils ont gardé leur souffle matinal. 

 


En ce village
Tu descendais ton coteau de durée
parmi les frondaisons roussies d'automne.
Dans la source on voyait le fond du ciel
où les oiseaux se mêlaient aux nuages.

J'ai demeuré moi-même en ce village
où se sont déployés tes derniers jours
mais c'est depuis ton départ que tes jours
se sont mis à revivre au fond des miens. 

L'avenue
Fin de l'hiver, sérénité du soir.
Pas de tiédeur mais la froidure a fui.
La lumière en suspens s'estompe à peine.
On voit glisser au fond de l'avenue
des ombres de passants qu'on n'entend guère.
Ce n'est pas l'heure encor des lampadaires
mais tu es là dans ta beauté précaire
et mon partage est d'être aimé de toi. 

Horizons

J'épie les horizons d'où tu viendrais.
Nous seras-tu moins étranger qu'étrange
comme une ondée qui ne sait pas son heure
ou ces orties dont le calme est trompeur ?

Je t'entendais la nuit longer les murs
et pousser devant toi les morts futurs.
Si l'ouragan renverse au bois les hêtres
et l'aigle dans la nue, tends-moi la main. 

Les violettes
"Cette récurrence nous renvoie au pays confronter cette vie d'après sa mort avec notre ancienne vie quotidienne. Le monde est toujours le même et pourtant tout autre. Le Christ ressuscité, dès qu'on y pense c'est presque comme s'il était là, mais la moindre de nos occupations semble l'effacer. Un souci, une honte, une douleur et on est perdu. Ce qu'on sait de lui c'est comme un cénacle où on se réfugie mais sans lui. Et ce qu'on sait aussi c'est qu'il peut soudain être là, qu'il est même plus réel que quand il marchait sur l'eau du lac la nuit de la tempête. Or ce compagnon de nos vies humaines qui les a expérimentées et en porte les marques, il est tout ce que Dieu a à nous dire et son seul resplendissement"

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