Ce n'est pas un roman. Sylvie Germain nous offre ici des articles de spiritualité. Elle y parle de Dieu, du Christ et des actes de présence au monde. Présence exigeante, présence pleine et entière des êtres vivants, dans leur vulnérabilité et leur force. Présence à l'ineffable, à ce qui se dévoile dans le temps, le silence et la disponibilité. Comme souvent dans de tels textes, ce n'est pas tant des démonstrations que des thèmes à penser, ouverts au lecteur, qui y glane des phrases inspirées de Zundel, Weil ou Bataille.
I. Acte de présence
Ici et maintenant
"Béquilles de l'alcool ou de la drogue pour les marginaux, les désespérés et les révoltés, béquilles dorées des convenances et des préjugés pour les fortunés, béquilles du jeu, de la télévision, du divertissement en tous genres pour les passifs ordinaires... La panoplie des cannes et des prothèses est variée, l'art de la fuite est multiple, chacun choisit sa défense selon ses moyens, contre la peur, l'ennui ou le dégoût que la vie lui inspire. Zorn s'arrête sur la réflexion de Sartre déclarant que ce qui importe n'est pas "ce qu'on a fait de l'homme, mais ce qu'il fait de ce qu'on a fait de lui"; une phrase qu'il peut signer, dit-il, tout en avouant son incapacité à faire de lui-même autre chose que ce que sa famille, son milieu ont fait de lui"
"L'enfer aussi est une intimité - "il est en nous, écrit Zundel, quand Dieu n'est plus en nous. [...] L'enfer, c'est l'échec de Dieu en nous." C'est l'échec de toute altérité en nous, par voie d'écrasement ou par voie d'absence."
"L'enfer, c'est quand l'Autre n'est plus en nous, qu'il n'a plus accès à notre conscience, à nos pensées, à notre cœur que sous une forme négative où se mélangent en un poison confus la méfiance, le ressentiment, la hargne, la douleur et le dégoût; c'est quand toute dimension d'altérité est perdue - tant celle du Tout-Autre que celle des autres, mes semblables, mes "prochains" devenus terriblement lointains, étrangers et hostiles. L'enfer, c'est quand il n'y a plus que "moi", mais un "moi" insulaire, abandonné de tous - et de soi-même ; un "moi" hébété de solitude, perclus d'indifférence, harassé de révoltes stériles, sinistré dans son propre vide. Un "moi" en totale déshérence. L'enfer, c'est quand il n'y a plus personne, ni autour de soi, ni au-dessus de soi, ni à l'intérieur de soi. Radicalement personne."
Comme le notait Rabbi Nahman de Bratslav; "L'homme est en grand danger ici-bas". En grand danger de se perdre de vue, de se perdre de vie. Et c'est pourquoi Rabbi Nahman disait aussi qu'"il est interdit d'être vieux", d'être oublieux de la vie, de la dynamique du devenir, et donc qu'"il faut se renouveler chaque jour, à chaque instant, pour amorcer constamment un nouveau départ.""
II. Acte de silence
La passion du silence
"Le silence, pour advenir et se déployer, a besoin d'espace, d'un vaste et calme espace intérieur, il ne supporte aucune pression. "A qui résiste, le monde n'advient pas. Et à qui comprend trop, l'éternel se dérobe.", dit Rilke dans l'un de ses poèmes. [...] "Aussi longtemps que vous avez la volonté d'accomplir la volonté de Dieu et avez le désir de l'éternité de Dieu, aussi longtemps vous n'êtes pas pauvre; celui-là est un homme pauvre qui ne veut rien et ne désire rien.""
Un ange passe
"Ce sont rarement de "bons anges" qui circulent à travers nos paroles. Plus souvent s'y glissent des "démons", ceux de l'orgueil, de la jalousie et de la médisance, du mensonge, de la flatterie ou de la colère, du mépris ou de l'indifférence [...] Si nous nous méfions tant du silence et nous ingénions à le combler par toutes sortes de bruitages, dont le langage alors réduit à du bavardage, aussi raffiné puisse-t-il être en apparence, c'est parce que nous sentons qu'il recèle un pouvoir singulier, inquiétant : celui de nous dévoiler à nous-mêmes et aux autres dans notre fragilité."
"Le souffle : pure expression de vie, signature à la fois si délicate et si pénétrante, infime et bouleversante, de la présence d'un vivant. Comme la lumière, il frémit à la lisière de la matière et de l'immatériel, entre mystère et merveille."
""Toute parole est vaine qui n'est pas redite au-dedans, avec le consentement de l'amour", observe Maurice Zundel"
III. Acte de paradoxe
Fragilité de la foi
"Comme l'a noté Simone Weil : "Le temps, à proprement parler, n'existe pas (sinon le présent comme limite), et pourtant c'est à cela que nous sommes soumis. Telle est notre condition. Nous sommes soumis à ce qui n'existe pas. [...] Mais notre soumission existe. Nous sommes réellement attachés par des chaînes irréelles. Le temps, irréel, voile toute chose et nous-mêmes d'irréalité.""
"Simone Weil, dans son style lapidaire toujours aussi percutant, écrit : "Reniement de Saint Pierre. Dire au Christ : je te resterai fidèle, c'est déjà le renier, car c'était supposer en soi et non dans la grâce, la source de la fidélité. Heureusement, comme il était élu, ce reniement est devenu manifeste pour tous et pour lui. Chez combien d'autres, de telles vantardises s'accomplissent - et ils ne comprennent jamais.""
"Judas est un homme qui ne supporte la faiblesse ni chez les autres - et surtout pas chez son maître, homme rebelle à l'exercice de tout pouvoir temporel -, ni en lui-même lorsqu'il se découvre dépassé, écrasé par ce qu'il vient de commettre. Il ne la supporte pas parce qu'il la conçoit comme un aspect négatif, limitatif, comme un manque de volonté de puissance, une déficience, un ratage. Il ne l'appréhende pas dans toute son amplitude, dans l'étrangeté de son ambivalence, il n'en retient que la face étroite et terne. Que l'aspect d'insignifiance; une pente sans aspérité qui ne peut mener qu'à l'échec. L'autre face, toute en souplesse et d'une grande capacité réfléchissante, il l'ignore. C'est pourtant celle-là que son aître est venu éclairer."
L'angoisse : une chance à saisir
""Nul n'est sauvé, sinon par la grâce, rappelle Kierkegaard. Mais il est un péché qui rend impossible de l'obtenir, et c'est le manque de sincérité." On peut ajouter : le manque de générosité, le manque d'hospitalité, car il en faut pour accueillir une offrande à son juste prix. Un don négligé, repoussé, ne peut pas révéler sa valeur ni sa saveur ni sa grandeur; un héritage refusé tombe en déshérence, un titre galvaudé sonne le creux, tourne au ridicule, ou à l'imposture."
Intéressant, je note.
RépondreSupprimerVous titillez ma curiosité. Merci !
RépondreSupprimerBon week end de Pâques.