J'avais prévu de rattraper mon retard sur les expos. Mais il me parait plus urgent aujourd'hui de vous parler de philo. De vous inviter à réfléchir.
L'Apologie de Socrate diffère des dialogues socratiques auxquels ont pu vous habituer vos cours de philo. Ici, Platon rapporte les propos de Socrate lors de son procès en -399. Ceux-ci se divisent en trois moments : la plaidoirie de Socrate, la proposition de sentence et sa péroraison, une fois condamné à mort.
La plaidoirie tend à réfuter les accusions de Mélétos, de Lycon et d'Anytos selon lesquelles il corromprait la jeunesse et ne croirait pas aux dieux de la cité. Ce qui est intéressant, c'est qu'il y explique sa démarche philosophique. Il raconte combien l'oracle de Delphes rendu à son sujet a pu l'étonner : il n'existerait personne de plus sage que lui. Il sillonne alors Athènes pour interroger sophistes, hommes politiques, poètes, artisans. Et constate que beaucoup croient qu'ils savent alors qu'ils ne savent pas tandis que lui, Socrate, sait qu'il ne sait pas. Et ces petits entretiens attirent spontanément beaucoup de monde, dont des jeunes gens. Mais contrairement aux sophistes, Socrate ne se fait pas payer. Et il n'apprend rien à personne. Il se contente de questionner. Il reprend d'ailleurs cette méthode pour montrer l'absurdité des accusations de Mélétos. Revenant sur ses actions, il signale son honnêteté et son dévouement à sa cité. Il est intéressant de noter qu'il imagine son action de 'taon', de réveilleur des consciences en dehors de tout engagement politique : "Il est plutôt forcé que celui qui aspire à combattre réellement pour la justice, mène, si peu de temps qu'il veuille sauvegarder son existence, la vie d'un simple particulier et non celle d'un homme public". Comme s'il devait payer son opposition par la mort ou la compromission. Cette première partie nous permet de mieux comprendre le contexte du procès. Accusé sur des prétextes assez minces (surtout que les parents des jeunes soi-disant corrompus ne témoignent pas dans ce sens),c'est toute l'attitude de Socrate qui est accusée, qui semble nuire à la cité. N'est-il pas désagréable pour elle de s'entendre dire certaines vérités ?
Puis Socrate, une fois jugé, propose sa sentence. Et bien loin de tenter d'attendrir les juges, il leur demande d'être nourri au Prytanée, c'est à dire aux frais de l'état, comme citoyen exemplaire :"Je m'y suis engagé, essayant de persuader chacun de vous, et de n'avoir aucun souci d'aucune de ses propres affaires, avant d'avoir souci, pour lui-même, de devenir le meilleur et le plus sensé possible ; et de ne point avoir souci de l'administration de l'Etat, avant de vous soucier de l'Etat lui-même". N'est-ce pas la quête première et existentielle de tout homme ? Chercher à progresser, à aller vers toujours plus de sagesse. C'est loin d'être un chemin évident. Mais c'est un beau chemin, non ? Socrate ajoute qu'une "vie à laquelle l'examen fait défaut ne mérite pas qu'on la vive".
Enfin, Socrate fait un dernier pied de nez aux juges qui le condamnent. Il annonce la honte qui les poursuivra : oui, ils ont tué un juste. Alors qu'ils auraient pu simplement attendre qu'il meure (après tout, il était âgé de 70 ans). Et par cette mort, ils en font un martyr. Ils donnent du prix à cette pensée pour laquelle il est prêt à mourir. Et ils en font un héros pour ses 'adeptes' :"le nombre augmentera, de ceux qui pratiquent cette mise à l'épreuve envers vous [...] vous vous imaginez qu'en mettant les gens à mort, vous empêcherez qu'on vous reproche de ne pas vivre droitement".
Il en profite pour caler quelques réflexions sur la mort :"Mourir, en effet, c'est l'une ou l'autre de ces deux choses ; car, ou bien la chose est de telle sorte que le mort n'a absolument pas d'existence et qu'il n'a pas non plus aucune conscience de quoi que ce soit, ou bien, comme on le dit, c'est précisément un changement d'existence, et, pour l'âme, une migration de ce lieu-ci vers un autre lieu".
Ce texte, qui est souvent l'un des premiers que l'on étudie en philo, pose bien des interrogations propres à la démarche philosophique : la place du philosophe, son investissement dans la cité, sa démarche. Se faisant éveilleur des consciences, il a un rôle essentiel mais désagréable : il agace, il perturbe, il invite à penser hors des sentiers bien balisés. Et c'est en cela qu'il est potentiellement dangereux et qu'il peut faire vaciller toute la société.
Bref, un texte accessible, qu'il fait bon de relire quand on se remet à la philo. D'ailleurs, la philo, ce n'est pas que pour penser en terminale, ça peut se poursuivre toute la vie !