lundi 30 octobre 2017

Ecoutez nos défaites

Gaudé et moi, c'est une histoire d'amour ! Franchement, j'adore son écriture épique, ses personnages multiples, son goût de l'antique... Avec ce titre, je retrouve tous les ingrédients pour passer un excellent moment de lecture.

Six personnages, différents temps de combats et de guerre, dans des lieux divers. Hannibal, de l'Espagne à l'Italie avant le retour à Carthage. Assem, espion français. Mariam, archéologue des zones de guerre. Le général Grant durant la guerre de Sécession. Le Negus, Haïlé Sélassié, chassé d'Ethiopie. Sullivan, cet américain qui a traqué Ben Laden. Et qu'Assem doit à son tour neutraliser. Mais c'est aussi tous ces guerriers, ceux de la guerre de Troie, évoqués, c'est Antoine, dans l'épigraphe, c'est ceux qui n'ont pas laissé de nom et de traces.

Certains personnages se croisent donc. C'est Assem et Mariam, lors d'une étreinte d'une nuit, furtive mais marquante. C'est Sullivan (dit Job) et Assem, qui se parlent dans un hall d'hôtel. 

Mariam, qui travaille pour l'Unesco et les musées d'Irak. Qui cherche des objets sauvés des pillages. Qui donne des visages et des objets à l'Histoire, pour qu'elle puisse se raconter. Elle lutte, avec ses petites armes, contre la destruction et l'oubli qu'imposent les djihadistes. Elle tente de sauver des hommes, comme le gardien du site de Palmyre. Et peut-être, de se sauver elle-même ?
"Ce qui reste, c'est ce qu'elle cherche, elle. Non plus les vies, les destins singuliers, mais ce que l'homme offre au temps, la part de ce qu'il veut sauver du désastre, la part sur laquelle la défaite n'a pas de prise, les geste d'éternité. Aujourd'hui, c'est cette part que les hommes en noir menacent [...] Ce qui se joue là, dans ces hommes qui éructent, c'est la jouissance de pouvoir effacer l'Histoire"
"J'imagine qu'il a parlé de l'importance de ne pas oublier que nous sommes des pilleurs de tombes. Que les pharaons se sont enfermés dans leur tombeau pour l'éternité et que nos ouverture, nos effractions, même au nom de l'Histoire, restent des intrusions de forbans. Il ne faut pas l'oublier. Nous construisons une science, nous sommes rigoureux, nous étudions dans les bibliothèques, nous parlons de patrimoine, de l'Histoire, de la mémoire des civilisations, mais il ne faut pas taire cette chose-là : le plaisir de l'effraction. Les squelettes, les momies, les objets funéraires, nous les volons au néant. Nous ouvrons des salles qui devraient rester fermées. Hier c'était à la dynamite, aujourd'hui c'est avec une infinie précaution, mais malheur à celui qui oublie que le geste est le même"

Assem est fatigué. Il a mené bien des missions et celle-ci ne l'inspire pas. Il connait bien la guerre mais il sent aussi qu'il se perd.
"Il voulait être dans l'Histoire - pas reconnu par elle (il n'a pas cette ambition) mais la sentir, être dans les endroits du monde où elle se cherche, se convulse, hésite, prend des formes effrayantes, démesurées. Sentir son souffle, voir comment elle modèle des pays, déforme des vies, crée des espaces singuliers"
Sullivan aimait la guerre. Et puis, il a vu des choses qui l'ont déchiré. Qui l'ont fait sortir du rang. Et maintenant, c'est une menace.

Et tous ces généraux, ces rois, ces guerriers, Hannibal, Grant ou le Négus, ce sont des héros, des incontournables de l'histoire. On les suit dans les combats, au milieu de leurs hommes, dans les charniers d'une fin de journée de massacre. On les rejoint dans leurs moments de doute ou de bravoure, de solitude. Et même vainqueurs, ils sentent bien qu'il perdent...
 
"On ne peut partir au combat avec l'espoir de revenir intact. "Souviens-toi de Mycènes..." Au départ, déjà, il y a le sang et le deuil. Au départ, déjà, il faut accepter l'idée d'être amputé de ce qui vous est le plus cher. Au départ, déjà, la certitude qu'il n'y aura aucune victoire pleine et joyeuse"
"La seule chose qui les différencie des confédérés, c'est la cause. Ce n'est pas rien. Il faut s'accrocher à cela. Le reste va être sale. Les hommes vont se tuer à grande échelle et il va falloir tenir. Les soldats, quel que soit leur camp, vont plonger dans le feu et la mêlée et ils découvriront avec stupeur la face immonde du meurtre"
"Certains hommes font la guerre à condition qu'elle ne les touche pas. Ils acceptent de mettre leur vie dans la balance, oui, mais pas celles de leur femme, de leurs enfants, pas les caves pleines d'amphores d'huile et de vin de leur région, pas les belles bâtisses dont ils ont hérité. Flaminius est de ceux-là. Hannibal le sent. Il va mettre à feu et à sang cette région, et le Romain perdra son sang-froid et sa clairvoyance"
"Autour de lui, les hommes commencent à pleurer. Pas à chanter, pas à hurler de joie : à pleurer sur leur propre victoire"
 Un roman dur, pour ses descriptions des combats, pour les douleurs des guerriers, lucides sur leur sort et celui de leurs hommes, défaits par la violence, le sang, les armes. Mangés par la guerre. Mais beau par son écriture, par les portraits en creux de ces héros qui n'en sont pas, mais qui sont vus comme des justes ou des barbares, sans nuance, alors que Gaudé nous détache
de cette vision simpliste, par les réflexions sur l'histoire et son écriture, sur les combats de civilisations, qui font pencher les balances de l'histoire.

lundi 23 octobre 2017

Petit manuel du parfait réfugié politique

J'ai croisé cette BD (ou roman graphique comme on dit maintenant) de Mana Neyestani en bibliothèque. Aussitôt empruntée, aussitôt dévorée.

C'est un livre de l'attente que nous offre le dessinateur iranien. Des queues, des papiers, des salles d'attente françaises. Vive l'administration bureaucratique ! Ce parcours du combattant, avec ses confrontations à la Préfecture de Police, l'OFPRA, la Cour nationale du droit d'asile sans parler des problèmes de logement, d'apprentissage du français, du travail. Bref, tout ce labyrinthe de procédures qui perdrait n'importe quelle personne sensée.

Avec humour et un joli coup de crayon, Neyestani nous conte ses situations ubuesques et désespérantes. Il n'hésite pas à se moquer de lui-même, des français, des cours d'éducation civique, des formulaires et des numéros qui nous déshumanisent ! 


vendredi 20 octobre 2017

Monsieur le curé fait sa crise

C'était une lecture de vacances, prêtée par un copain prêtre. Oui, il ne manque pas d'humour !

Benjamin Bucquoy est un curé à bout. Ses paroissiennes se crêpent le chignon pour un bouquet, son évêque ne l'a toujours pas nommé prof mais vient de désigner son meilleur ami, les tenants du cathé moderne ou tradi se divisent autour de lui. Bref, rien ne va plus. 

Alors, seul et désorienté, Benjamin disparait. Du coup, c'est l'affolement dans la paroisse, puis dans le diocèse. Sans compter que les médias s'en mêlent. Mais Benjamin n'est pas si loin que ça. Il a juste pris de la distance pour renouer avec la prière plutôt qu'avec la gestion et le management. Emmuré dans sa cabane, il devient le confesseur et l'oreille de ceux qui passent.



Jean Mercier signe ici un roman sympathique et drôle mais non sans profondeur. A partir du burn-out d'un prêtre, il rappelle finalement ce qu'est l'essentiel : aimer et pardonner.

lundi 16 octobre 2017

Le mur

Plus jeune, j'ai beaucoup lu Sartre, notamment son théâtre. Je renoue avec ces nouvelles. 

Le mur. Juan, Pablo et Tom sont en prison et condamnés à mort. Pablo ne souhaite pas livrer Ramon, avec qui il défend l'Espagne contre les franquistes. Les trois passent une nuit terrible, une nuit à attendre la mort, à n'être déjà plus vivants. Et puis, Pablo est à nouveau interrogé. 

Le Corbusier, chapelle Ronchamp, 1950

La chambre. Mr Dardébat visite sa fille, Eve. Eve est mariée à Pierre, qui devient fou. Sa famille tente de faire interner Pierre mais Eve souhaite continuer à vivre avec lui, essaye d'entrer dans ses jeux, dans ses peurs de malade.

Erostrate. Paul Hilbert n'aime pas les hommes. Il les regarde du haut de sa chambre en les méprisant. Il décide de faire un coup d'éclat, d'en tuer quelques uns.

Intimité. Lulu doit-elle quitter Henri et partir avec Pierre ? Ou rester ? Questionnements de Lulu et Rirette sur leurs rapports aux hommes.

L'enfance d'un chef. On suit Lucien, de l'enfance au début de la vie adulte, des jupons de sa maman à la méfiance, des amitiés artistiques et homosexuelles aux groupes fascistes. 

Nouvelles de l'intime et de la famille, elles sortent aussi du cadre familier pour s'interroger sur la politique. Chacune d'elle laisse une impression étrange, un peu malsaine. Chacun reste finalement entre des quatre murs, son mariage, sa folie, son idéologie, sa haine... Pas beaucoup de tendresse pour l'humain dans tout ça !

jeudi 12 octobre 2017

L'ensorceleuse

Ce roman d'Elizabeth Hand traîne depuis des années lumières dans ma PAL ! J'avais peur de retrouver un nouveau Possession, et je n'étais pas prête à affronter un tel ennui. Et puis, le titre me faisait peur : Mortal love ou L'ensorceleuse, dans quelque langue que ce soit, ça peut annoncer un truc très très moyen. En fait, rien à voir !
Avec ce roman, c'est la féérie qui entre dans le monde, en prenant son temps.

A travers divers personnages masculins, entre le XIXe siècle et nos jours, nous croisons une femme, les cheveux auburn, l'apparence un peu masculine, les yeux verts irisés, aux senteurs de pomme. Tous en sont toqués. Attachés de près ou de loin aux préraphaélites, ces artistes célèbrent et peignent éternellement cette même femme. 

Parmi les personnages que nous rencontrons, certains prennent plus d'importance que d'autres. Comme Daniel, ce journaliste qui étudie l'histoire de Tristan et Iseult, et rencontre Larkin, une femme qui ressemble furieusement à celle décrite plus haut. Ou Radborne, un dessinateur américain.
Jouant avec les contes de fées, les liens entre les mondes et l'univers de préraphaélites, Hand tisse une histoire d'amour et de désir. Mais reste toujours à la limite du féérique. Il y a des éblouissements, des hallucinations, bref, des éléments qui nous plongent dans un autre monde. Il y a aussi des références à des poèmes, à des contes, à des tableaux. Mais tout reste un peu flou et obscur, à double sens. C'est à la fois agréable et un peu frustrant. Que sait-on finalement, de cette femme et de son monde une fois la dernière page tournée ? Il nous reste des livres, des tableaux... 

Un roman parfois brouillon, qui explore beaucoup de pistes qu'il n'exploite peut-être pas assez, qui compte un peu plus de pages que nécessaire, mais qui entraîne malgré tout son lecteur, qui l'intrigue (et le frustre un peu). Bref, une promenade auprès d'une fée insaisissable, pour les amateurs de contes, d'Angleterre et de XIXe siècle.
 

lundi 9 octobre 2017

Trois vies de saints

Ce titre d'Eduardo Mendoza m'inspirait tout comme sa couverture. Hélas, je suis restée tout à fait insensible à ces trois histoires et à l'écriture de l'artiste. C'est vraiment le genre de livre pour lequel je sens bien que je suis passée à côté. 

La Baleine. Imaginez l'honneur que serait recevoir un évêque sous votre toit durant un congrès eucharistique. Même si celui-ci vient d'Amérique du Sud et n'a rien de remarquable. Pensez maintenant qu'il doive rester chez vous au-delà de la durée annoncée en raison d'un coup d'état dans son pays. Il devient tout de suite un peu gênant. C'est pourquoi il déménage de la maison de la tante, très chic, du narrateur, à la maison de ses parents, plus populaire. Et qu'il n'a bientôt plus grand chose d'un évêque respecté... A travers les yeux d'un jeune garçon puis jeune homme, nous observons les jeux de pouvoir des adultes, les ambitions, les petitesses.

La fin de Dubslav. Un homme vient recevoir un prix pour sa mère qui vient de mourir. Il en profite pour nous raconter sa triste vie et ce n'est pas super passionnant. Et pour faire un discours devant une assemblée bien pensante.

Le Malentendu. Une femme vient donner des cours en prison. Parmi les hommes qui assistent aux cours, un lecteur avide se détache. Il se met aussi à écrire et devient un homme célèbre. Histoire de cette relation étrange, fondée, des deux côtés, sur des malentendus.

A vrai dire, je n'ai trouvé de l'intérêt qu'à la lecture de la première histoire. La seconde m'a paru particulièrement insignifiante. Et la dernière m'a plus plu pour son contexte qu'autre chose. Je n'ai pas réussi à m'intéresser aux personnages, à leurs histoires, à leurs lieux de vie. Et pour ceux qui s'interrogent encore, non, les personnages ne sont pas des saints ! Bref, une lecture qui ne restera pas dans ma mémoire.

lundi 2 octobre 2017

L'arbre du pèlerin

Ce livre de Guilhem Causse sera peut-être ma seule rencontre avec la rentrée littéraire de cette année. Je reste assez à l'écart du phénomène, j'attends de voir ce qui restera. Pas envie d'être dans l'urgence de la chronique et de la lecture utile. Offert par un ami, ce roman traite d'un sujet qui m'est cher, la coopération internationale.

Julien est à Madagascar comme coopérant, il est comptable pour l'évêché de Mananjary. Et bientôt seul en charge du lieu, de toutes les affaires administratives, certes, mais aussi des hommes...

L'histoire qui nous est proposée conte le chemin fait par ce jeune français, un peu fermé, isolé, au contact de prêtres pas si catholiques, d'une population pauvre, d'une météo effrayante et prodigieuse. Quelques figures se détachent comme Magda, une jeune et jolie demoiselle, Krzysztof, le jésuite voisin, Charles et Nirina, les prêtres ennemis, Alfred, le petit estropié... Julien est à la fois agaçant, avec ses préjugés, puis attachant par ses questionnements. Une petite crise de malaria, comme un boulet de canon, peut faire changer un regard. L'ensemble est assez lent, peut-être pour mieux nous faire sentir qu'une transformation n'est pas immédiate, et parfois un peu bavard. Mais ce n'est pas tant les détails, les anecdotes qui restent, que la route parcourue et la paix qui inonde Julien.

Roman initiatique, d'une ouverture plus grande à l'amour, à la liberté personnelle, il offre ouvre peut-être plus de questions qu'il ne montre un chemin.