mercredi 26 décembre 2018

La beauté des jours

C'est le genre de romans que je dévore et qui ne me laisse pas beaucoup de souvenirs mais dont j'apprécie, sur le coup, la lecture reposante et douce. Avec ce roman de Claudie Gallay, on accompagne la vie quotidienne d'une postière, qui aime regarder les trains et les renards.

Jeanne mène une vie tranquille, elle vit avec Rémy dans une jolie maison, ils vont refaire la cuisine pendant l'été, leurs filles passeront les week-ends. Mais ce roman débute avec un imprévu, une carte postale qui tombe du mur où elle est accrochée. Une photo de Marina Abramovic, une artiste qui va jusqu'au bout des choses, qui se met en jeu dans son art, qui tente, qui explore. Et elle, Jeanne, qu'est-ce qu'elle explore ? Quand est-ce qu'elle vit ? Quand elle découvre des palindromes, quand elle suit des inconnus, quand elle envoie des mails à un amour de lycée ? C'est une saison avec Jeanne, avec Rémy, avec Suzanne, sa copine, avec sa famille, des gens de la terre.

Gallay nous peint la grâce simple du quotidien, les petits bonheurs simples et invisibles. C'est doux.

lundi 24 décembre 2018

La confiance en soi

Charles Pépin, que j'ai croisé comme prof, a écrit ce joli ouvrage qui se lit comme un roman. Simple, léger, saupoudré de philosophie et de stars, il se veut un anti-manuel de développement personnel mais il y ressemble diablement. Il part néanmoins d'un présupposé différent, à savoir que la confiance en soi ne dépend pas que de soi mais de plusieurs ressorts : la confiance en l'autre, la confiance en ses capacités et la confiance en la vie. L'ouvrage se construit ainsi : 

Cultivez les bons liens

Être de relation, nous ne naissons pas tout armés pour la vie, il nous faut des soins, nous naissons dépendants. Et cette relation à l'autre, elle se poursuit bien après l'enfance. De la nait la confiance en l'autre, qui se cultive par la mise en confiance, par le fait que l'on nous fasse confiance.
"Quelques mots bien sentis d'un maître ou d'un ami. Des mots venants du coeur, qui suffisent alors à donner confiance pour la vie"
"C'est donc un même mouvement qui nous aidera à prendre confiance en nous et à faire confiance aux autres : sortons de chez nous, nouons des relations avec des gens différents et inspirants, choisissons des maîtres ou des amis qui nous grandissent, nous réveillent, nous révèlent. Cherchons les relations qui nous font du bien, qui nous sécurisent et nous libèrent"


Entrainez-vous

En fait, la confiance, ça se travaille. Ou plutôt, c'est le développement d'une compétence, d'un talent, qui aiderait à construire la confiance. Et c'est une compétence qui vous plait, que vous travailler sans trop vous en rendre compte, ou sans que ça vous saoule. Il faut que ça vous fasse plaisir sinon vous risquez d'être un "consciencieux" qui a peur d'être pris en défaut. A vos 10 000 heures de pratique - avec le sourire ! Moi, à part lire, je vois mal où je peux trouver autant d'heures accumulées à faire la même chose :)

"Chez les grands artistes, la confiance provient donc d'abord, ou disons plus exactement surtout, d'une pratique assidue et même obsessionnelle" 

Ecoutez-vous

Et pour cela, distinguez l'urgent de l'important. Et trouvez des lieux ou des temps pour vous écouter, des rituels qui vous font du bien et vous aident à être présents.
 

Émerveillez-vous

"L'expérience esthétique n'est jamais simplement esthétique. En nous rendant davantage présents à nous-mêmes et au monde, elle a pouvoir de réveiller, de provoquer, peut-être même d'entrainer notre confiance en soi"
 

Décidez

"Choisir, c'est se reposer sur des critères rationnels pour armer le bras de son action. Décider, c'est compenser l'insuffisance de ces critères par l'usage de sa liberté. Choisir, c'est savoir avant d'agir. Décider, c'est agir avant de savoir" 

Mettez la main à la pâte

"Le travail manuel, le fait de "mettre la main à la pâte" et d'observer son action modifier le réel, peut être épanouissant, humainement comme intellectuellement" 
"Un bon travail, selon Aristote, doit pouvoir procurer du plaisir à celui ou celle qui s'y adonne, et son excellence doit pouvoir être jugée par les autres de manière directe. Dans une société soucieuse de la "vie bonne", affirmait-il, nous devrions tous avoir un travail, un métier qui corresponde à ces critères"

Passez à l'acte

Tentez, échouez, confrontez-vous au réel, non pour renforcer votre confiance, mais pour vous abandonner à la réalité, et voir ce qui peut en naître !
 

Admirez

"Admirer, ce n'est pas vénérer ; ce n'est pas s'oublier dans la contemplation du talent de l'autre. C'est se nourrir. Prendre exemple sur ceux qui ont osé suivre leur étoile pour entreprendre de chercher la sienne. Que nous dit leur exemple ? Qu'il est possible de devenir soi" 
"Croire que nous ne sommes pas dupes est la meilleure façon d'être complice de ce qui nous diminue"

Restez fidèles à votre désir

"Le seul fait de se comparer nous détourne de la vérité de notre existence : nous sommes tous singuliers. Notre valeur est absolue, non relative à celle des autres" 

"Nous pouvons tous nous inspirer de la sagesse d'Ulysse : il a confiance en lui parce qu'il a confiance en son désir. Il se connait assez pour reconnaitre, au milieu de toutes des étoiles qui sont autant de tentations, celle qui brille plus que les autres, celle qui brille pour lui"

Faites confiance au mystère

Et à la vie, même quand elle n'est pas une fête. 

Je sors confiante de cet ouvrage ! Et j'ai été particulièrement touchée par ce qui relève de la confiance en l'autre. Je le vis et l'éprouve tous les jours dans mon travail mais j'ai du mal à l'appliquer à moi-même. Bref, il y a plein de pistes à explorer et une bibliographie commentée, qui m'a fait ajouter plusieurs titres à ma LAL.

jeudi 20 décembre 2018

Lady Oracle

Margaret Atwood... Au-delà du regain d'intérêt pour cette auteure autour de la série la Servante écarlate (que je n'ai ni vue ni lue), ce sont les billets de Litterama qui m'ont donné envie de poursuivre ma découverte. Je sors de cette lecture un peu déçue, j'ai trouvé tout cela bien bavard alors qu'il y avait de bonnes trouvailles.

Joan vient de s'installer en Italie, après avoir simulé sa mort. A travers des flashbacks de son enfance, de son adolescence, et de sa vie d'épouse, on découvre une jeune fille obèse, constamment critiquée par sa mère, puis une jeune femme mince et séduisante, qui écrit sous un pseudo, qui épouse le premier venu et complexe d'avoir une double vie. On suit les divers épisodes d'une vie qui ne semble jamais choisie. Joan semble passer de la guerre contre sa mère à une guerre contre elle-même, nouant des relations avec des personnes qui la prennent pour une potiche ou l'humilient, revivant perpétuellement les humiliations et rebuffades de l'enfance et celles même qu'elle inflige, adolescente, à sa mère. C'est malgré elle qu'elle devient une femme de lettres en vue avec son ouvrage entre féminisme et occultisme. Toujours prête à se trahir, elle préfère fuir !

C'est un roman intimiste, avec ce regard double d'une femme sur elle-même, qui ne manque pas d'humour ou de situations cocasses pour alléger le désespoir sous-jacent. 

lundi 17 décembre 2018

Les voies de la vengeance

Ce titre de Karen Blixen trainait sur le haut de ma PAL et sa couverture me déplaisait au plus haut point. Heureusement, la couverture ne fait pas le livre et j'ai passé un bon moment de lecture en compagnie de Lucan et Zozine.

Lucan est orpheline, elle gagne sa vie comme préceptrice d'un petit garçon. Quand le père de ce dernier lui confie avoir des vues sur elle, sans même lui proposer le mariage, elle décampe illico. Elle se tourne vers Zozine, une bonne amie de pension. Elle arrive lors d'une fête prestigieuse, à la veille de la faillite du père de Zozine. Bientôt seules au monde, elles gagnent Londres et tentent de trouver du travail à travers un bureau de placement. Un couple âgé, le pasteur Pennhallow et son épouse s'intéressent à elles et les emmènent dans leur propriété du Languedoc. Isolé, le couple vit simplement et partage une morale austère. Les filles s'y sentent un peu mal à l'aise. D'autant plus lorsque l'on vient leur demander des informations sur d'autres jeunes femmes qui auraient vécu là avant elles.

Un roman dont la scène finale chez le pasteur est stupéfiante, après une montée en puissance et en tension progressive. J'ai aimé cette lecture, mais je l'ai trouvée très classique. Les personnages sont caricaturaux (la brune, la blonde, leurs amoureux, la prostitution, etc.), l'écriture manque de caractère, les rebondissements et le deus ex machina arrivent à point nommé...



mercredi 12 décembre 2018

Voici les noms

C'est un drôle de roman que celui de Tommy Wieringa, mêlant migrations et recherche de soi. 

On accompagne au fil des chapitres un groupe de migrants ou le commissaire Pontus Beg. Jusqu'à ce qu'ils se croisent et se rencontrent. Les premiers ont été emmenés par camion, ils sont désormais dans un désert, sans vivres. Leur groupe s'amenuise, leurs forces aussi. D'étranges liens, proches de la haine, se tissent. Oui, c'est tout sauf joyeux cette traversée. 
Du côté de Beg, c'est une vie normale, un peu ennuyeuse de commissaire de police dans un pays corrompu. Il fait payer les insolents, s'ennuie au bureau, lit Tchouang-tseu et baise sa femme de ménage. Lorsqu'il rencontre par hasard un rabbin, il s'imagine des racines juives et s'intéresse alors à cette religion.

Lorsque les deux histoires se rencontrent, la quête spirituelle du commissaire s'éclaire par celle des autres, cette superstition née entre eux, au fil de leur voyage. Un roman porté par un style très froid, très détaché, sans concession. Un roman qui rend signifiants les écarts d'un monde confit dans les richesses et l'ennui face à ceux qui n'ont d'autres options que fuir. A ne pas lire en période de désespoir !

"Il décrivait une réalité faite pour d'autres, et non pour le garçon. Lequel était l'exception - cette chimère des sans nombre, indifférentes aux statistiques et au calcul des probabilités"

dimanche 9 décembre 2018

Un instant

Joli moment de théâtre hier, au théâtre Gérard Philipe avec une création autour de la Recherche. C'est beau d'écouter au théâtre les longues phrases de Proust, avec des temps inusités aujourd'hui, de se laisser porter par une pièce onirique, qui nous questionne sur notre propre rapport au temps et nous habite de ses interrogations et de ses mots. 

Dans un décor de salle bondée de chaises empilées, un bric à brac de souvenirs, ou sur deux bancs, puis plus haut, dans une chambre capitonnée, dialoguent deux personnages. On reconnait Proust et l'on rencontre une dame âgée, qui raconte quelques souvenirs d'enfance, d'exil et d'amour familial. Une histoire de boat people. Petit à petit, la Recherche gagne toute la place, avec un focus sur le fameux temps du coucher du jeune Marcel, sur le décès de sa grand-mère, le tout bercé par les réflexions autour de la mort, du temps et des souvenirs. 

Campés par Hélène Patarot et Camille de la Guillonnière, nos deux personnages échangent, partagent un thé, une promenade, puis se font écho l'un de l'autre, se parlent à travers les mots de Proust, malgré leurs histoires différentes. Et ces échos dialoguent avec les souvenirs des spectateurs, comme dans un rêve, un moment hors du temps, bercé par une douce mélancolie, quelques notes de musique, des rires, quelques larmes. La mort n'est jamais loin mais les souvenirs nous assurent que "la mort est une maladie dont on revient".


lundi 3 décembre 2018

Cinco horas con Mario

C'est une collègue qui m'a prêté ce roman de Miguel Delibes, j'ai mis des mois à le lire et pas seulement parce qu'il est en espagnol. J'ai vraiment eu du mal à accrocher à ce monologue d'épouse frustrée qui choisit la veillée funèbre pour régler ses contes avec son époux décédé.

Carmen et les siens sont sous le choc de la mort de Mario, son époux, mort d'une crise cardiaque. Après les condoléances des uns et des autres, c'est un monologue de Carmen qui occupe tout le roman. Chaque chapitre débute avec un passage de la Bible que Mario avait souligné et les commentaires de Carmen à son sujet. Qu'il s'agisse de l'engagement intellectuel de son époux, à gauche, de ses écrits, de leurs relations ou de leurs amis, ils ne sont visiblement pas sur la même longueur d'onde. Carmen n'est que reproches et récriminations. Et a contrario, ressortent toutes les qualité du mort, qui était engagé, intègre et intelligent mais n'a pas souhaité répondre aux "normes" de la bourgeoisie. Se moquant de l'argent ou des apparences, il poursuit des chimères selon son épouse. Bref, un mariage qui ne fut pas des plus heureux et une héroïne tout sauf aimable.

Esprit fermé et jaloux, Carmen risque de vous agacer aussi. Et de vous paraitre bien bête.


lundi 26 novembre 2018

L'Art de perdre

Ce roman d'Alice Zeniter, lu il y a quelques mois, ne m'a pas laissé de souvenirs inoubliables sinon ceux d'un harki prêt à tout pour protéger les siens et ses biens. Et en m'y replongeant, ce n'est pas tout à fait ça.

C'est un roman en trois temps, trois générations. Celle d'Ali, le grand-père, qui s'est enrichi avec l'huile d'olive, a combattu aux côtés des français pendant la Seconde Guerre mondiale et s'est retrouvé entre deux eaux pendant la guerre d'Algérie. Contraint de fuir et d'abandonner sa fortune et les siens, il débarque dans une France hostile, qui parque les hommes dans des camps.

La deuxième génération, c'est Hamid, celui qui lit, écrit et tourne le dos à son père, à l'Algérie. L'amoureux de Paris et de Clarisse. Le taiseux aussi.

Puis vient Naïma, qui travaille en galerie d'art et va devoir voyager en Algérie pour rencontrer un artiste. L'occasion peut-être de redécouvrir une famille oubliée.

Un roman épais, qui se lit plutôt vite et bien mais qui ne laisse pas grand chose. Peu d'émotions, peu de personnages vraiment attachants. Peu de vie parfois. Quelques scènes marquantes cependant, comme le camp en forêt, la nuit où Clarisse croise un rat, les drôles de retrouvailles de Naïma. J'ai l'impression d'être passée un peu à côté.

"- Ce qu'on ne transmet pas, ça se perd. Tu viens d'ici mais ce n'est pas chez toi"

lundi 19 novembre 2018

Le livre de Perle

Ce titre de Timothée de Fombelle patientait également sur ma LAL. Livre jeunesse aux allures de conte de fées, il est enchanteur.

Tout commence avec une fée qui a renoncé à ses pouvoirs pour rejoindre celui qu'elle aime. Et qui arrive trop tard. C'est l'histoire d'un prince devenu cruel suite à la perte de sa mère. Un prince jaloux de son frère ou de sa soeur inconnu. C'est l'histoire d'un jeune homme, arrivé sans nom chez les Perle, fabricants de guimauves et qui prend la place de leur fils, Joshua. C'est l'histoire d'un jeune homme amoureux, hébergé par un vieil homme aux mille malles. Ce sont des histoires qui se croisent entre deux mondes, celui de la féérie et celui des hommes. Deux mondes finalement bien liés puisqu'on y rencontre des bottes de sept lieux et autres objets magiques.

Histoire d'amour et de magie, ce roman m'a paru bien mené et très poétique. Il garde une part de mystère dans la narration, joue du temps et des espaces... Un joli moment.

jeudi 15 novembre 2018

Les amours d'Emily Turner

Encore un livre qui ne restera pas inoubliable. Je n'ai pas de bol en ce moment ! 

Ce roman d'Alison Lurie est celui d'une femme mariée, classe moyenne, dans un petit bled des Etats-Unis, qui s'ennuie. Elle est belle, elle n'est pas trop idiote, elle n'a rien à faire de ses journées... Et elle tombe amoureuse. Mais ne sait pas choisir. Ne veut pas choisir entre son époux relou, professeur à l'université du coin (dont son papa est au CA), son enfant agaçant et son amant excitant, collègue de son mari. Car tous donnent un peu de peps à sa vie morose.

Un roman un peu ennuyeux, sur les potins d'une petite ville bourgeoise, sur le milieu fermé des professeurs. Heureusement, on sent que l'auteur s'amuse de la situation mais le lecteur s'ennuie... dommage, l'incipit était sympa.

"Quelle femme superbe pensa-t-il, comme il le faisait souvent. Elle était bien bâtie, grande, le teint colorée, bronzée comme une bohémienne. Elle n'avait pas encore coiffé en chignon ses cheveux drus d'un châtain foncé et lumineux ; une tresse épaisse pendait sur une de ses épaules. Elle avait 27 ans, et avait comme toujours, comme au jour de leur mariage, l'air d'un bel animal élevé et soigné avec attention, maintenu en permanence au sommet de sa forme pour être utilisé dans une occasion importante qui ne s'est pas encore produite et ne se produira peut-être jamais"

lundi 12 novembre 2018

Comment les riches détruisent la planète

Ce livre d'Hervé Kempf, qui a plus de dix ans, m'a été recommandé par une amie. Il est toujours actuel, voire plus qu'à sa publication malheureusement. Il traite de la crise écologique et sociale que nous traversons, de façon différente d'un Laudato si' mais le constat est le même : plus d'inégalités, plus de pollution et de moins en moins d'avenir pour les plus pauvres. 

C'est écrit d'un ton alerte, qui se veut non catastrophiste, mais qui l'est tout de même. Quand il est question des modes de vie des hyper riches, d'où passe leur argent, et comment ils répondent à une envie d'autodestruction, c'est moyen rassurant par exemple. Et comment la classe moyenne rêve de ressembler à ces très riches et participent ainsi de modes de vie délétères. Ou quand il est question de comment la démocratie est de plus en plus muselée, on ne peut s'empêcher de penser aux percées d'autoritarisme en Europe... Et ailleurs. 



Bref, le mythe de la croissance est encore au coeur de nos sociétés et risque bien de nous faire couler comme le disait Marie-Monique Robin. Et comme le rappelle Kempf. Bref, rien de bien nouveau pour moi dans cette lecture, sinon un énième appel à sortir du capitalisme libéral qui est décidément un fléau pour la planète - et pour la majorité de ses êtres vivants (hommes compris).

Mes doutes : les sources sont très journalistiques, ce n'est pas hyper rassurant pour moi car je ne sais pas toujours quelles sont les sources de ces journalistes. Même si certains bouquins ne sont pas pour autant plus fiables, on est d'accord.

Le chiffre qui m'a le plus choquée : 
"1 milliard de citadins (sur 3 milliards dans le monde) vivent dans des bidonvilles"

lundi 5 novembre 2018

Les 5 langages de l'amour

Ce titre de Gary Chapman m'a été recommandé il y a des années et ce n'est qu'aujourd'hui que je prends enfin la peine de le lire et d'en parler. C'est le genre de bouquin qui me fait dire que je savais déjà un peu tout ce qui allait s'y dire et en même temps, j'ai quand même découvert une théorie au dessus des intuitions (et c'est plutôt ça qui est intéressant).

Il existerait 5 langages privilégiés pour dire et ressentir l'amour : les mots doux et valorisants, le quality time, les cadeaux, les services et les papouilles. Chacun aurait un ou deux langages plus privilégiés qui signifient vraiment l'amour pour lui. Mais si l'on ne comprend pas le langage de l'autre, ça peut tourner au dialogue de sourd. 
A partir d'exemples variés, notre auteur rabiboche bien des couples qu'il éclaire sur leurs langages respectifs. Et il propose des petits exercices à faire en couple pour mieux se comprendre.

lundi 29 octobre 2018

Graine de crapule suivi de Les vagabonds efficaces

C'est une amie qui m'a conseillé ce livre de Fernand Deligny pour mieux connaître l'éducation spécialisée et populaire. J'ai donc emprunté cet ouvrage qui rassemble deux de ses textes. 

Graine de Crapule est constitué de courts textes ou aphorismes illustrés, à la fois non-méthode et expériences avec des jeunes délinquants, autistes ou considérés comme malades mentaux. Je vous en partage quelques uns qui m'ont interpellée.


"Il faut savoir ce que tu veux.
Si c'est te faire aimer d'eux, apporte des bonbons. Mais le jour où tu viendras les mains vides, ils te traiteront de grand dégueulasse.
Si tu veux faire ton travail, apporte-leur une corde à tirer, du bois à casser, des sacs à porter.
L'amour viendra ensuite, et là n'est pas ta récompense"

"Sais-tu chanter, improviser une histoire de pirates, marcher sur les mains, imiter les cris d'animaux, dessiner sur les murs avec un morceau de charbon ? 
Alors tu auras de la discipline"

"Dans les plus grands pagailles, tu es la calme souriant. Dans les grands calmes, tu es le vent"

"Arrange-toi pour qu'ils aient toujours cette sensation de choix, hors de laquelle il n'est pas de bonne volonté possible"

"Le plus grand mal que tu puisses leur faire, c'est de promettre et de ne pas tenir.
D'ailleurs, tu le paieras cher et ce sera justice"

"Il ne s'agit pas qu'ils prennent l'habitude d'un adulte, toi, mais l'habitude de vivre comme tout le monde"

"Ne leur apprend pas à scier si tu ne sais pas tenir une scie ; ne leur apprend pas à chanter si chanter t'ennuie ; ne te charge pas de leur apprendre à vivre si tu n'aimes pas la vie"

"Lorsqu'on te parlera de ton dévouement, j'espère que tu seras bien étonné.
Ou alors change de métier"

"Parce qu'ils sont sales et noirs, tu t'imagines peut-être qu'il s'agit de faire une grande lessive dont ils sortiront francs et courageux.
Prépare toujours brosses, savon, eau, vent et soleil.
Et puis, jour après jour, tu leur donneras l'habitude de se laver eux-mêmes."

"Garde les vivants. Si la vie, pour eux, c'est voler, c'est taquiner, c'est démolir, cherche tout simplement à ces verbes des compléments directs ou indirects qui feront insensiblement dériver leur force dans des actes avouables et utiles"

"Mieux vaudrait peut-être avoir auprès des enfants malheureux de vieux bagnards parés du titre d'éducateur que certaines "âmes" de bonne volonté.
Car si les uns peuvent dégouter du vice, les autres dégoutent de la vie honnête"

"Il y a trois fils qu'il faudrait tisser ensemble : l'individuel, le familial, le social.
Mais le familial est un peu pourri, le social est plein de noeuds. 
Alors on tisse l'individuel seulement.
Et l'on s'étonne de n'avoir fait que de l'ouvrage de dame, artificiel et fragile"

"Certains qui font ce métier, le nôtre, croient en Dieu ; d'autres ont foi dans les hommes"

"Quand tu auras passé trente ans de ta vie à mettre au point de subtiles méthodes psycho-pédiatriques, médico-pédagogiquess, psychanalo-pédotechniques, à la veille de la retraite, tu prendras une bonne charge de dynamite et tu iras discrètement faire sauter quelques pâtés de maisons dans un quartier de taudis. 
Et en une seconde, tu auras fait plus de travail qu'en trente ans"

 "Si tu es pour si peu dégouté du métier, ne t'embarque pas sur notre bateau car notre carburant est l'échec quotidien, nos voiles se gonflent aux ricanements et nous travaillons fort à ramener au port de tous petits harengs alors que nous partions pêcher la baleine"

Quant à Les Vagabonds efficaces, il comporte plusieurs temps. Une explication de la grande cordée, un réseau autour des auberges de jeunesses qui accueillait des délinquants. Pavillon 3 qui parle de jeunes internés pour raisons diverses. Et les Vagabonds efficaces qui sont aussi des observations et des histoires vécues dans l'éducation spécialisée avec des "jeunes à problèmes". Ce n'est pas vraiment une méthode, c'est clairement une critique des institutions et des "maisons de correction" voire de la société.

"Il ne s'agit donc pas de méthode, je n'en ai jamais eu. Il s'agit bien, à un moment donné, dans des lieux très réels, dans une conjoncture on ne peut plus concrète, d'une position à tenir. Il ne m'est jamais arrivé de pouvoir la tenir plus de deux ou trois ans. A chaque fois, elle était cernée, investie et je m'en tirais comme je pouvais, sans armes et sans bagages et toujours sans méthode"
Avec cette non-méthode, ces histoires et ces tentatives, se dresse une proposition d'éducation toujours ouverte à la remise en question. Une non-institutionnalisation de l'éducation spécialisée mais une ouverture à la réalité et à l'histoire de chacun.

lundi 22 octobre 2018

Une vie

Il est des personnages publics inspirants qui écrivent leur autobiographie. C'est le cas de Simone Veil et mon envie de la lire, plus ou moins présente depuis un bout de temps, a grandi avec l'entrée au Panthéon.

Elle se raconte dans cet ouvrage dans sa vie personnelle et politique successivement. On découvre une enfance heureuse et choyée à Nice avant sa déportation à 16 ans à Auschwitz, puis l'horreur des camps où elle perd une majorité des siens. Puis elle décrit son parcours de magistrate, dans l'administration pénitentiaire, puis son parcours politique : à la Santé et au Conseil Européen et au Conseil Constitutionnel. Enfin, son rôle auprès du Mémorial de la Shoah.

On y rencontre une femme de convictions et de caractère, investie et réfléchie. Elle nous décrit les difficultés de ses postes, notamment autour de l'IVG, y écorche ou y loue quelques hommes politiques, et nous parle peu de sa vie personnelle une fois devenue femme publique. Un témoignage intéressant pour connaitre le personnage de l'intérieur.

"D'une manière générale, tout ce que l'on inscrit habituellement au compte d'une morale "internationale" ne me met pas à l'aise. Je trouve certes louable de vouloir que les peuples se réconcilient, sauf à observer qu'en dépit de leurs intentions généreuses, les mouvements des droits de l'homme y parviennent rarement. Il arrive même qu'ils obtiennent le résultat inverse en radicalisant l'opposition entre ceux qu'ils ont catalogués comme étant les "bons" et les autres, montrés du doigt, les "méchants". Et puis, autre chose me gène dans ces droits de l'homme prétendument universels, c'est que, précisément, ils ne le sont pas. Il y a toujours deux poids et deux mesures. Quand il s'agit de négocier des accords commerciaux avec la Chine, le silence est d'or. Quand on cherche à séduire Poutine, on lui décerne volontiers des brevets de civisme, passant sous silence ses manquements aux sacro-saints droits de l'homme. Au fond, c'est toujours aux faibles que l'on fait la morale, tandis qu'on finit par blanchir les puissants"
"On parle beaucoup ici ou là du droit d'ingérence. Il me parait devoir être manié avec précautions, plutôt que d'être parfois brandi de manière inconsidérée. Quand à la force armée de cette idéologie, je veux dire la justice internationale, elle me semble tout aussi inadaptée aux situations particulières des États. A partir du moment où le Chili est redevenu une démocratie, il eut été préférable de laisser aux chiliens le soin de juger Pinochet plutôt que de rameuter l'opinion mondiale pour, du reste, ne rien obtenir. Il est déjà difficile pour un pays de sortir d'un système dictatorial ; si en plus les détenteurs de la morale internationale s'en mêlent sans même lui laisser le temps de résoudre ses problèmes internes, il semble qu'on ajoute encore au fardeau que les citoyens doivent porter".

mercredi 17 octobre 2018

Le Pape François, un homme de parole

Voici un film de Wim Wenders à côté duquel j'ai failli passer. Il faut dire qu'il n'y a pas eu des masses de pub pour le Pape. Et je sors enchantée de la salle. Rien d'extraordinaire, beaucoup d'images d'archives mais une présentation limpide des grands dossiers de François.

Le film commence en rappelant l'attitude révolutionnaire de Saint François d'Assise et fait le lien avec ce Pape qui s'en inspire. Dommage cependant qu'il ait fallu passer par quelques images kitchs de la vie de saint François pour expliciter tout ça. Mettant Laudato Si' au centre de son pontificat, avec les questions d'écologie et d'économie, François rappelle la pauvreté à laquelle appelle le Christ, le souci des plus pauvres, des plus faibles, des personnes broyées par la machine capitaliste et ses guerres économiques. On voit François parcourir le monde, s'approcher des plus pauvres, prôner plus d'amour et d'humour. On a aussi droit à quelques éléments sur d'autres dossiers qui agitent l'Eglise comme la place de la femme, des homosexuels, la tolérance zéro pour la pédophilie... Bref, pas mal de messages évangéliques remis au goût du jour !


lundi 15 octobre 2018

Le peuple des ombres. Itinéraire d'un enfant migrant

Depuis que le père de Kouame soutient la campagne de Gbagbo, sa mère est tendue. Et si ça tournait mal ? Et quand ça tourne mal, c'est violent. Kouame voit ses parents assassinés et sa soeur violée sous ses yeux. Il fuit. D'abord pas trop loin, ailleurs à Abidjan. Puis, il est à nouveau menacé et doit fuir plus loin. D'abord au Ghana, puis au Niger. Et son chemin se poursuit jusqu'en Libye. Avec des passages par des prisons, des conditions de transport inhumaines, un solitude ancrée au corps... Mais malgré tout, l'envie de vivre. Un peu d'espoir. Il poursuit son chemin jusqu'en France, traversant la Méditerranée en 2013.

L'histoire de ce voyage, de cette lutte et de cette fuite est contée avec des mots simples. Pas de fioritures ou de détails, c'est l'épopée au jour le jour d'un enfant qui fuit pour sauver sa vie. C'est touchant, c'est fort. Et en même temps, j'ai eu une impression de voyeurisme en lisant les horreurs traversées. Pourquoi ce besoin de savoir, de lire, d'observer les moments les plus durs de la vie d'un homme ? 


samedi 13 octobre 2018

Edmond

Après des mois d'attente, on a enfin réussi à aller voir Edmond au théâtre du Palais Royal avant l'été. Cette pièce d'Alexis Michalik nous branchait pas mal, même si, je le disais, Edmond n'a pas écrit que Cyrano !

Comment Rostand a écrit Cyrano ? Comment de versificateur pénible il devient l'idole des jeunes ? C'est un peu ce que conte la pièce. Comme souvent avec Michalik, la rédaction et le montage de la pièce jusqu'aux rappels filent à toute allure, sans laisser au spectateur le temps de dire ouf ou de ne pas être emporté par le flux incessant. On applaudit et c'est déjà fini.

Il faut dire qu'en quelques mots, quelques scènes et personnages, l'époque et les difficultés de Rostand sont esquissées : famille à charge, Feydeau triomphant, début du cinéma... Tout va contre le jeune auteur d'un autre temps, nostalgique du Romantisme. Et pourtant, malgré lui, il trouve un héros, une pièce et des répliques inoubliables. Comme c'est simple d'écrire et de créer !

C'est divertissant, c'est sympathique, pas très historique, mais qu'importe puisqu'on sait encore se divertir au théâtre. 


mercredi 10 octobre 2018

Ovni(s)

Etrange spectacle que celui que propose le collectif Ildi ! Eldi au théâtre Ouvert avec une mise en scène pas tout à fait claire pour moi. Elle rappelle le projet initial du film, transformé en une pièce de théâtre.

D'une pièce d'Ivan Viripaev où il est question de rencontre avec des extraterrestres, le collectif en sélectionne et en présente cinq. Cinq moments de contact avec l'autre et l'ailleurs, cinq moment de présence au monde, d'omniscience, de sérénité parfaite... Bref, un être au monde différent, plus entier, plein. Une connexion. Une expérience intime très forte et transformante pour chacun des cinq personnages, de l'étudiante au concepteur de jeux vidéos. Et en même temps, petit paradis perdu, impossible à retrouver.

Étonnants ces mots et ces attitudes qui décrivent l'expérience, critique d'un monde hyperactif et d'une déconnexion de soi, moment innommable et intransmissible. Mais aussi très décontenançants pour le public qui reçoit ces situations. Au début, on s'étonne, on cherche à comprendre, puis on commence à s'ennuyer...

lundi 8 octobre 2018

L'Aiglon

Je comprends mieux pourquoi l'on ne connait que Cyrano de Rostand. Parce que franchement, ce n'était pas le pied cette lecture. 

Nous sommes à Schonbrunn avec Marie Louise et François Bonaparte, le fils de Napoléon. François, Franz, Duc de Reichstadt, Napoléon II ou comme il vous plaira de l'appeler. Il a une vingtaine d'années et il ne peut connaitre son père qu'en cachette. Car Metternich veille à ce que l'aiglon ne déploie pas ses ailes sur l'Europe. Et il manœuvre durement le petit prince. Sauf que les bonapartistes ne sont pas mort. Et complotent gaiement. 

Tout cela ne va pas réussir à notre jeune duc romantique et sensible...


ça gagne peut être à être vu ou joué mais franchement j'ai trouvé l'écriture pesante, le déroulement aussi. 

jeudi 4 octobre 2018

Les psys se confient pour vous aider à trouver l'équilibre intérieur

J'ai trouvé ce bouquin en biblio et il m'a intriguée. Dirigé par Christophe André, il regroupe le témoignage d'une vingtaine de psychologues et psychiatres. Chacun raconte son parcours, ses doutes et révélations. Chacun y va de son expérience, de son style, avec humour ou non, de façon plus ou moins personnelle.

Bon, le titre survend complétement l'ouvrage car je ne vois pas trop en quoi ces expériences peuvent aider le lecteur. Mais les histoires de chacun sont plutôt chouettes quoi que pas inoubliables !


lundi 1 octobre 2018

Un lieu incertain

Un petit Vargas comme on les aime, avec un Adamsberg et un Danglard en grande forme. 

Tout commence dans la perfide Albion, où des pieds coupés patientent devant le cimetière de Highgate. Un lieu peu recommandable, vous le savez bien. Puis se poursuit en France avec un bonhomme complétement écrabouillé et dispersé en menus morceaux. A ceci s'ajoutent des histoires de vampires et de fils caché. 
On est parti pour une enquête rock n' roll sur les routes de l'Europe.
Et le lecteur marche, suit Adamsberg dans ces drôles de contrées où l'on poursuit des vampires masticants. Crédible ou pas, que nous importe, la plume et le personnage suffisent ! 


lundi 24 septembre 2018

L'homme qui parlait à la nuit

Voici mon dernier pavé de la (fin de) l'été. Un livre de Mira Jacob qui m'a attiré l'oeil par sa jolie couverture et sa 4e qui parle de fantômes et de famille. En fait, c'était beaucoup moins fou que ce que j'attendais et bourré de coquilles (jusque dans les noms des personnages qui passent d'Akhil à Khalil à Akhim ou je ne sais quoi encore).


Amina est photographe. Elle vit à Seattle, loin du Nouveau-Mexique où elle a grandi. D'origine indienne, ses parents ont laissé leur pays pour les USA. Thomas et Kamala élèvent deux enfants, Akhil et Amina. Enfin, c'est plutôt Kam qui s'y colle parce que Thomas est un neurochirurgien très impliqué dans son boulot, qui ne rentre pas très tôt à la maison. Mais tout cela, on le découvre petit à petit, en flash back alors qu'Amina a quitté Seattle pour une urgence : son père passe des nuits entières à parler aux morts, notamment à sa mère. Et quand on découvre sa relation à sa mère et à sa famille indienne, on s'inquiète. Est-ce une folie ? Est-ce un peu de fantastique dans notre réalité ? Ou simplement une maladie ? Je vous laisse découvrir.

Avec ce retour d'Amina chez ses parents, c'est toute l'histoire de cette famille qui nous est contée. La difficulté de vivre dans un autre pays que le sien, la maladie et la mort, la liberté que l'on a ou pas par rapport aux siens...

C'est plutôt agréable, on ne sent pas les pages passer, mais on referme le livre en se disant "Ce n'était que ça ?!". Une rencontre un peu ratée pour moi.

"- Kurt Cobain était un junkie, maman.
- Parce qu'il manquait de soleil !
Amina soupira. Si elle avait su que le numéro de Rolling Stone qu'elle avait laissé dans la salle de bains lors de son dernier séjour allait transformer Kamala en experte autoproclamée de tout ce qui touchait à Seattle ("Le grunge ! Les Starbucks ! Les start-up!"), elle aurait fait plus attention, mais enfin, ce mépris de sa mère pour le lieu de résidence qu'elle s'était choisi n'était pas sans avantage. Ne fut-ce que parce qu'il limitait ses visites"

"Ce merveilleux pays où les enfants suivent les avis d'autres enfants pour savoir avec qui vivre leur vie"


jeudi 20 septembre 2018

Le coeur est un chasseur solitaire

J'attendais beaucoup de ce roman de Carson McCullers que certains ont porté aux nues. Trop d'attentes ? 

Le plot ? Plusieurs personnages, dans le Sud de l'Amérique, dans une petite ville de filatures. Il y a Mick, une ado de 12-14 ans, qui aime la musique et rêve d'écrire des symphonies. Blount, un agitateur communiste qui boit trop, Biff, tenancier du bistrot ouvert toute la nuit, Copeland, un docteur noir qui rêve que la race noire se distingue et qui ne cesse d'être déçu par les siens. Et Mr Singer, un sourd muet qui reçoit les confidences des uns et des autres, les fascine, les apaise, les comprend (peut-être) mais est surtout attaché à son ami Antonapoulos, interné depuis peu.

On suit ces personnages dans leur vie quotidienne, leurs petits ravissements et grands soucis d'argent, de goût, d'ennui, de revanche etc. Des personnages très seuls, dans leur famille, leur milieu, leur couple. Des personnages en lutte, temporairement, avant une défaite, une fuite, la mort... Des bouts de résistance à un destin tracé, médiocre, pauvre et sans issue. Mais est-il vraiment possible d'échapper à son destin dans une Amérique ravagée par la crise et le désespoir ?  

Impossible pour moi de m'attacher aux personnages, à leurs préoccupations, sauf peut-être celles de Copeland, je sors déprimée de cette lecture déprimante. Très peu pour moi les dialogues de sourds !

lundi 10 septembre 2018

La vie mode d'emploi

Je n'avais pas lu Georges Perec depuis la licence, où j'avais étudié (et beaucoup apprécié) W ou le Souvenir d'enfance. C'était un roman à deux voix, mêlant autobiographie et utopie sur une île de sportifs... qui se révèle être une vraie dictature. Avec La Vie mode d'emploi, j'ai redécouvert cet écrivain brillant qui se joue des contraintes qu'il s'impose pour offrir au lecteur un livre foisonnant.


Ce roman sous forme de puzzle retrace la vie d'un immeuble parisien sur 100 ans, de 1875 à 1975. On y rencontre les divers propriétaires et locataires, des concierges aux notables, des caves aux chambres de bonnes. Riche en descriptions, en listes ou en énigmes, ce roman ce veut exhaustif. Aucun meuble ne semble oublié, aucun livre, aucune petite histoire. Cela peut être celle des habitants actuels comme celle des locataires passés, des escrocs aux grandes familles. Mais partout souffle l'aventure, que ce soit chez l'archéologue rêveur, le milliardaire enrichi en Afrique, les peintres ou la cantatrice. 

Composé selon des contraintes mathématiques (il ne faut jamais passer plusieurs fois dans la même pièce de l'immeuble (il y en a 100), chaque pièce a des caractéristiques propres et imposées et des livres et tableaux inspirent les chapitres) savamment dissimulées par l'auteur, ce roman pourrait se lire dans n'importe quel ordre, en suivant les personnages (il y a des index), des temporalités, ou au hasard. Se détache simplement le fil rouge de l'histoire de Bartlebooth, un riche jeune homme qui imagine un projet maîtrisé, esthétique et logique, sans autre but que lui-même à savoir la réalisation d'aquarelles partout dans le monde pendant 10 ans, envoyées à l'artisan Gaspard Winckler qui en fait des puzzles. A son retour, Bartlebooth fait les puzzles, reconstitue l'aquarelle, la renvoie sur les lieux de réalisation pour l'y détruire et récupérer une feuille blanche. 

C'est là le point d'ancrage du roman, l'intrigue qui nous attache. Mais chaque chapitre propose une ouverture sur d'autres intrigues, d'autres aventures, d'autres vies qui entrent en résonance avec l'histoire principale. C'est riche, c'est malin, c'est foisonnant de vie !


lundi 3 septembre 2018

Diotime et les lions

Je continue ma découverte de Henry Bauchau. J'ai comme l'impression que ce sera un des auteurs que j'aurai le plus lu cette année. 

On repart dans l'Antiquité avec ce titre. Cette fois, pas dans la Grèce d'Antigone, mais plutôt dans la Perse voisine. Diotime est une jeune femme singulière, qui aime la chasse au faucon et l'équitation. Nullement impressionnée par Cambyse, son grand-père imposant, elle apprend ces arts de lui. Ce n'est pas vraiment des arts féminins et parfois, sa mère s'en inquiète. Surtout quand Diotime déclare vouloir participer à la chasse au lion. Scènes étonnantes de danses et de buchers... Puis vient l'histoire d'amour, la quête d'Arsès pour être digne de Diotime.

Ce petit ouvrage, une nouvelle, mêle la Grèce, la Perse et l'Inde dans son déroulé et ses personnages. C'est une histoire de découverte et d'apprivoisement de soi, de ses désirs et de ses démons. C'est l'histoire de nouvelles traditions, dans un temps mythique. Agréable mais un peu court.


vendredi 31 août 2018

La Ville des prodiges

C'est l'ami Cléanthe qui m'a donné envie de sortir ce titre de ma PAL. Bon, à 100 pages près, c'est un pavé de l'été ;)

Dans une Barcelone en pleine expansion, à la veille de l'expo universelle de 1888, débarque Onofre Bouvila. Sans un sou en poche, il lui faut rapidement trouver du travail. Mais malin et sans scrupule, la question financière ne le taraude pas longtemps. D'abord comme agitateur politique, puis dans la mafia locale, il se fait un nom qui lui permet d'épouser la jeune femme de ses rêves. En ces années de guerres et d'inventions, il investit dans les armes ou le cinéma comme dans des carottes. Sans s'intéresser véritablement au sujet mais à ce qu'il peut lui rapporter. Ce sont les magouilles, les rêves de grandeur, les manipulations d'Onofre que nous suivons dans ce roman. Personnage qui s'ennuie vite, qui aime la nouveauté, le renouveau, il va sans cesse de l'avant, que ce soit pour monter un cinéma, restaurer une vieille demeure ou séduire une femme. Mais on y lit aussi l'évolution de Barcelone, de son urbanisme. Et les progrès du siècle, entre les diverses expositions universelles, de 1888 à 1929.

Roman foisonnant, écriture dense, rapide, quelques digressions, c'est une jolie lecture que celle-ci malgré un héros détestable.

vendredi 24 août 2018

Oeuvres

Quand tu es fan des ouvrages de Svetlana Alexievitch et que tu découvres qu'Acte Sud a publié un thésaurus de 3 de ceux-ci, tu sautilles de joie ! Plutôt compact pour ses 700 pages, il est parfait pour les vacances. Enfin, en terme de format plus que de contenu, car c'est loin d'être léger léger.
Au programme, trois œuvres : La guerre n'a pas un visage de femme, Derniers témoins et La Supplication. Avec une micro interview en intro qui donne quelques clés sur le travail de l'auteur...
"Quelle vérité voulez-vous atteindre avec votre manière d'écrire, si particulière ?
Je ne cherche pas à produire un document mais à sculpter l'image d'une époque. C'est pourquoi je mets entre sept et dix ans pour rédiger chaque livre. J'enregistre des centaines de personnes. Je reviens voir la même personne plusieurs fois. Il faut d'abord, en effet, la libérer de la banalité qu'elle a en elle. Au début, nous avons tous tendance à répéter ce que nous avons lu dans les journaux ou les livres. Mais, peu à peu, on va vers le fond de soi-même et on prononce des phrases tirées de notre expérience vivante et singulière. Finalement, sur cinquante ou soixante-dix pages, je ne garde souvent qu'une demi-page, cinq au plus. Bien sûr, je nettoie un peu ce qu'on me dit, je supprime les répétitions. Mais je ne stylise pas et je tâche de conserver la langue qu'emploient les gens. Et si l'on a l'impression qu'ils parlent bien, c'est que je guette le moment où ils sont en état de choc, quand ils évoquent la mort ou l'amour.


Quelles questions vous obsèdent ?
Celles qui torturaient déjà Dostoïevski. Pourquoi sommes nous prêts à sacrifier notre liberté ? Comment le désir de faire le bien peut-il déboucher sur le mal le plus absolu ? Comment expliquer la noirceur de l'âme humaine ? Quand j'étais jeune, j'ai lu les journaux intimes des grands acteurs de la révolution russe. J'avais envie de savoir qui étaient ces gens, par exemple, Dzerjinski, le futur chef de la police politique. Eh bien, c'était un jeune homme très lumineux, qui rêvait de la régénération de l'être humain. Par quel mystère ces jeunes gens idéalistes se sont-ils transformés en leaders sanguinaires ? C'était ce que je voulais comprendre. C'est pourquoi j'ai placé cette phrase du philosophe Friedrich Steppuhn en exergue de La fin de l'homme rouge : "En tous cas, nous ne devons pas oublier que ceux qui sont responsables du triomphe du mal dans le monde, ce ne sont pas ses exécutants aveugles, mais les esprits clairvoyants qui servent le bien". C'est mon traumatisme enfantin, et cela reste ma grande question"
Comme toujours avec Svetlana, difficile de résumer des compilations de témoignages, je vais donc vous assommer de citations. Sachez simplement que son objectif est de retrouver la vérité du vécu des personnes. Elle ne souhaite pas écrire un énième livre d'histoire mais un livre d'histoires et de ressentis. De petites histoires qui ne sont pas si anecdotiques.

La guerre n'a pas un visage de femme regroupe des témoignages de femmes russes qui ont participé à la 2nde Guerre mondiale (avec en prime, quelques passages initialement interdits par les censeurs). Beaucoup d'entre elles ont couru au bureau de recrutement, pour être envoyées au front et défendre le pays. Elles étaient jeunes, adolescentes, lors du début de la guerre : lycéennes, étudiantes. Elles ne visaient pas des carrières militaires mais sont devenues, le temps du conflit tireuse d'élite, agente de transmission, chauffeuse de tank, infirmière, mécanicienne, chiffreuse, brancardière, capitaine de corvette, docteure, partisane ou lavandière pour les troupes. Elles disent la guerre, les champs de bataille, le sang, la mort mais aussi les tresses coupées au recrutement, le regard des hommes, incrédules ou protecteurs, l'envie d'être coquette ou l'oubli de toute féminité. Elles disent la victoire, la place à reprendre dans la société et le regard d'autres femmes qui n'ont pas combattu. 

"Les filles se sentaient à égalité avec les garçons. On ne nous traitait pas de manière différente. Nous entendions tout le temps répéter... depuis l'enfance, depuis l'école :"Les filles, au volant des tracteurs ! Les filles, aux commandes des avions !" Nous rêvions de défendre notre grand pays ! Le meilleur au monde ! Notre pays bien-aimé ! Nous étions prêtes à mourir"

"A la fin de l'année 1941, j'ai reçu un faire-part : mon mari était mort aux environs de Moscou. Il était pilote, chef d'escadrille. J'ai emmené ma fille chez mes parents. Et j'ai demandé à être envoyée au front"

"Je me souviens d'une permission qu'on m'avait accordée. Avant d'aller chez ma tante, je suis entrée dans un magasin. Avant la guerre, j'adorais les bonbons. Je dis : "Donnez-moi des bonbons". La vendeuse m'a regardé comme si j'étais une malade mentale. Je ne comprenais pas ce qu'étaient les tickets de rationnement, ce qu'était le blocus. Tous les gens qui patientaient dans la queue se sont tournés vers moi. Mon fusil était plus grand que moi. Lorsqu'on nous avait distribué nos armes, j'avais regardé le mien et je m'étais dit : "Quand atteindrais-je la même taille ?" Et subitement, les gens qui étaient là, toute la file d'attente, sont intervenus :"Donnez-lui des bonbons, prenez nos tickets". Et j'ai eu mes bonbons."

 "Mon bébé était tout petit, il n'avait que trois mois, je l'emmenais en mission. Le commissaire me donnait des ordres et lui-même avait les larmes aux yeux : "ça me déchire le cœur" disait-il. Je rapportais de la ville des médicaments, des bandes, du sérum... Je les plaçais entre les jambes de ma gosse, sous ses aisselles, je la langeais, l'enveloppais dans une couverture et partais avec elle dans les bras. Dans la forêt, des blessés étaient en train de mourir. Il fallait y aller. Personne ne pouvait passer, s'infiltrer, il y avait des postes de contrôles dressés par les Allemands et la police collabo. J'étais la seule à pouvoir les franchir... Avec mon bébé emmailloté... Aujourd'hui, ça m'est difficile à avouer... oh ! Très difficile ! Pour que ma mouflette ait de la fièvre et qu'elle pleure, je la frottais avec du sel. Elle devenait toute rouge, ça la démangeait, elle braillait comme une forcenée. Je m'approchais du poste : "C'est la typhoïde, monsieur... La typhoïde..." Ils me chassaient pour que je m'éloigne au plus vite"

"Vous imaginez ? Une femme enceinte qui trimballe une mine sur elle... Elle attendait tout de même un gosse... Elle aimait, elle voulait vivre. Et bien sûr, elle avait peur. Et pourtant, elle allait en avant..."

"Nous revenions d'un exercice de tir. J'ai cueilli des violettes. Un petit bouquet, pas plus gros que ça. J'ai cueilli ce bouquet et l'ai attaché à ma baïonnette. Et en avant, marche !"

"Je voyais mon premier tué : j'étais là, plantée debout, et je pleurais. Je le pleurais. Mais à ce moment, un blessé m'appelle : "Bande-moi la jambe !" sa jambe n'étais plus retenue que par son pantalon. Je coupe le pantalon : "Pose ma jambe, à côté de moi !" J'ai obéi. Aucun blessé, s'il était conscient, n'acceptait d'abandonner sur place son bras ou sa jambe. Il l'emportait avec lui..."

"Les Allemands ont battu en retraite, et un lieutenant blessé, l'artilleur Kostia Khoudov, est resté étendu dans le no man's land. Deux chiens bergers spécialement dressés pour secourir les blessés y sont allés (c'était la première fois que j'en voyais), mais ils sont abattus également. J'ai alors ôté ma chapka, je me suis redressée de toute ma taille et me suis mis à chanter, d'abord doucement, puis à pleine voix, notre chanson préférée d'avant-guerre : Je t'ai accompagné sur la route de l'exploit. Les tirs se sont tus des deux côté - du nôtre et du côté allemand. Je me suis approchée de Kostia, penchée sur lui, je l'ai placé sur le petit traineau dont je m'étais munie, et je l'ai ramené vers nos lignes. J'avançais et je pensais : "Pourvu qu'ils ne me tirent pas dans le dos, je préférerais encore qu'ils visent la tête." Mais il n'y a pas eu un seul coup de feu pendant mon trajet"

"Combien j'ai vu de bras et de jambes coupées... J'avais du mal à croire qu'il restait quelque part des hommes entiers. J'avais l'impression qu'ils étaient tous ou bien blessés, ou bien morts"

"Nous sommes une espèce en voie de disparition. Des mammouths ! Nous appartenons à une génération qui croyait qu'il y avait quelque chose de plus grand que la vie humaine. La Patrie. L'Idéologie. Et bien sûr, Staline"

"Dans la salle où j'officiais, il y avait deux blessés : un Allemand et un tankiste à nous, gravement brûlé. Je passe les visiter :
"Comment allez-vous ?
- Moi, ça va, répond le tankiste, mais celui-là n'est pas fameux.
- C'est un nazi...
- Non, moi ça va, mais lui est dans un sale état."
Ce n'était plus des ennemis, mais simplement deux hommes blessés allongés l'un à côté de l'autre. Entre eux se nouait quelque chose d'humain. J'ai plus d'une fois observé comme ce phénomène survenait rapidement"

"Quant aux mines, il y en avait à chaque pas. Des quantités. Une fois, on pénètre dans une maison et quelqu'un y remarque de magnifiques bottes en box-calf. Il tend déjà la main pour s'en emparer quand je lui crie : "N'y touche pas !" Je me suis approchée pour les examiner de plus près, et il s'est révélé qu'effectivement, elles étaient piégées. Nous avons vu des fauteuils, des commodes, des crédences, des poupées, des lustres piégés... Les habitants nous demandaient de déminer leurs rangs de tomates, de pomme de terre, de choux [...] Des paysans armés de pelles arrachaient des pommes de terre, tandis que, dans le champ voisin, nous étions, nous, occupés à déterrer des mines"

"Non, vraiment, il n'y a que la femme russe pour avoir l'idée d'emporter son livret militaire au moment de partir en vacances, avec dans l'esprit de foncer au bureau de recrutement s'il arrive quoi que ce soit !"

"Moi, je ne voulais pas que la guerre se termine... C'est terrible d'avouer ça... Je ne voulais pas... Je suis folle. Je savais bien que notre amour prendrait fin en même temps que la guerre [...] La guerre, c'est la meilleure période de ma vie, parce que c'est le temps où j'aimais. Où j'étais heureuse"

"J'aimais la Patrie plus que tout au monde. Je l'aimais... A qui puis-je raconter ça aujourd'hui ? A ma fille... Je lui raconte des souvenirs de guerre, et elle pense que ce sont des contes. Des contes pour enfants. D'affreux contes pour enfants..."

"Il y avait aussi parmi nous une femme nommée Zajarskaïa. Elle avait une fille, Valéria, âgée de sept ans. Nous avions pour mission de faire sauter le réfectoire où mangeaient les Boches. Nous avons décidé de placer une bombe dans le poêle, mais il fallait réussir à la faire passer. Alors, la mère a déclaré que ce serait sa fille qui s'en chargerait. Elle a posé la bombe dans une corbeille et mis par dessus deux robes d'enfant, une peluche, deux douzaines d’œufs et du beurre. Et c'est ainsi que sa fille a transporté la bombe au réfectoire. On dit : l'instinct maternel est plus fort que tout. Mais non, l'idéal est plus fort. Et la foi est plus forte. Nous avons gagné parce que nous avons la foi. La patrie et nous, c'était la même chose"

"Elle rentrait à la maison en courant et demandait : "Est-ce que je peux me promener à la maison plutôt ? Autrement, si jamais papa arrive et que je suis dans la rue, avec les autres enfants, il ne me reconnaitra pas, puisqu'il ne m'a jamais vue". Je n'arrivais pas à la faire sortir de la maison pour qu'elle aille rejoindre les autres gosses dans la rue. Elle passait des journées entières enfermée. Elle attendait papa. Mais son papa n'est jamais revenu"

"J'ai vu une gare bombardée. Un convoi transportant des enfants était à quai. On s'est mis à sortir des gosses par les fenêtres : des petits enfants, âgées de trois, quatre ans. Il y avait un bois tout près, et les voilà qui courent s'y réfugier. A cet instant, des chars allemands ont surgi, ils ont foncé droit sur eux. Il n'est rien resté de ces mioches"

"Après cette expédition, j'ai commencé à protéger mes jambes et mon visage durant les combats. J'avais de belles jambes, j'avais très peur qu'on me les abime. Ainsi que d'être défigurée... C'était juste un détail... Après la guerre, j'ai mis plusieurs années à me débarrasser de l'odeur du sang. Elle me poursuivait partout. Je lavais le linge, je sentais cette odeur, je préparais le repas, elle était encore là... Quelqu'un m'avait offert un chemisier rouge, c'était une rareté à l'époque où le tissu manquait. Mais je n'ai pu le porter à cause de sa couleur qui me flanquait des nausées. Je ne pouvais plus aller dans les magasins faire les courses. Au rayon boucherie. Surtout l'été... Et voir la viande de volaille... Tu comprends... Elle ressemble beaucoup... Elle est aussi blanche que la chair humaine"

Derniers témoins est différent même s'il traite aussi de la 2nde Guerre mondiale. Les narrateurs y sont des personnes qui étaient enfants lorsque la guerre a éclaté. Ils nous content les atrocités auxquelles ils ont pu assister, la faim, l'absence de famille... Il est plus épuré que le précédent, avec moins d'interventions de Svetlana et des informations sommaires sur le témoin : son prénom, son âge en 41 et son travail actuel.

"Puis j'ai vu les premiers nazis ou, plutôt, je les ai entendus : ils portaient tous des bottes ferrées qui résonnaient très fort. Elles claquaient sur le pavé de nos rues. Et moi, il me semblait que, lorsque ces hommes marchaient, la terre elle-même avait mal"

"La petite de la voisine : trois ans et deux mois... ça je m'en souviens... devant son cercueil, sa mère n'arrêtait pas de répéter : "Trois ans et deux mois... Trois ans et deux mois..." Elle avait trouvé une grenade... et s'était mise à la bercer comme une poupée. Elle l'avait enveloppée dans des chiffons et la berçait. Elle était petite comme un jouet, cette grenade, mais lourde. La mère est arrivée trop tard..."

"A quatre ans... Je n'avais jamais vraiment pensé à la guerre...
Mais je me la représentais comme ça : une grande forêt sombre et, dedans, un truc qui s'appelle la guerre. Pourquoi la forêt ? Parce que dans les contes, les choses les plus terribles se passent toujours dans la forêt"

"A Leningrad, il ne restait pas le moindre chat... Un chat bien vivant, on en rêvait ! C'était à manger pour un mois"

"La première à disparaître a été notre merveilleuse maman. Papa a suivi. On a tout de suite compris, senti qu'on était les dernières. Qu'on était à la limite, au bout de la chaîne... Les derniers témoins. Notre époque s'achève. Nous devons parler. On s'est dit qu'on serait les dernières à raconter ces choses-là"

La Supplication nous sort du monde de la 2nde Guerre mondiale pour entrer dans l'époque de la guerre atomique. Avec ces mots des survivants de Tchernobyl, ce sont des témoignages de mort, de maladie mais aussi d'amour. Et toujours en arrière-plan, ce héros soviétique qui fait tout pour sa patrie, sans questionner, au risque de sa vie.

"Vous ne devez pas oublier que ce n'est plus votre mari, l'homme aimé, qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n'êtes pas suicidaire. Prenez-vous en main !"

"Nous sommes retournés chez nous. J'ai enlevé tous les vêtements que je portais et les ai jetés dans le vide-ordure. Mais j'ai donné mon calot à mon fils. Il me l'a tellement demandé. Il le portait continuellement. Deux ans plus tard, on a établi qu'il souffrait d'une tumeur au cerveau..."

"Ma fillette... Elle n'est pas comme tout le monde [...] A la naissance, ce n'était pas un bébé, mais un sac fermé de tous les côtés, sans aucune fente. Les yeux seuls étaient ouverts"

"Dans les premiers jours qui ont suivi la catastrophe, les livres sur les radiations, sur Hiroshima et Nagasaki et même sur la découverte de Röntgen ont disparu des bibliothèques [...] Il n'y avait aucune recommandation médicale, aucune information. Ceux qui le pouvaient achetaient des comprimés d'iodure de potassium [...] Et puis on a trouvé un signe auquel tout le monde prêtait attention : tant qu'il y avait des moineaux et des pigeons, la ville pouvait être habitée aussi par l'homme"

"Je vais vous raconter une histoire drôle. Un prisonnier évadé se cache dans la zone de trente kilomètres autour de Tchernobyl. On finit par l'attraper. On le fait passer au dosimètre. Il "brille" à un point tel qu'il est impossible de le mettre en prison ou à l’hôpital. Mais on ne peut pas le laisser en liberté, non plus"

"Vous êtes écrivain, mais jusqu'ici aucun livre ne m'a aidée, ne m'a permis de comprendre. Pas plus que le théâtre ou le cinéma. Alors, je cherche toute seule. Moi-même. Nous vivons tout cela, mais nous ne savons qu'en faire. Je ne peux pas le comprendre avec mon esprit. Ma mère est particulièrement désemparée. Elle enseigne la langue et la littérature russe et m'a toujours appris à vivre d'après les livres. Et soudain, il n'y a plus de livres utilisables"

"La radioactivité atteignait mille huit cents röntgens par heure. Les pilotes avaient des malaises en plein vol. Pour balancer leurs sacs de sable dans l'orifice brulant de la centrale, ils sortaient la tête de la carlingue et faisaient une estimation visuelle. Il n'y avait pas d'autre moyen... Aux réunions de la commission gouvernementale, on rapportait les choses d'une manière très simple : "Pour cela, il faut mettre une vie. Et pour ceci, deux ou trois vies..." Une manière très simple [...] Là gisent des milliers de tonnes de métal et d'acier, des tuyaux, des vêtements de travail, des constructions en béton. Il m'a montré une vue aérienne publiée par un magazine anglais... Des milliers de voitures, de tracteurs, d'hélicoptères... Des véhicules de pompiers, des ambulances... C'était le plus important sépulcre, près du réacteur. Il voulait le photographier dix ans après la catastrophe. On lui avait promis une bonne rémunération. Mais nous avons tourné en rond, d'un responsable à l'autre et tous refusaient de nous aider : tantôt il n'y avait pas de carte, tantôt il manquait une autorisation. Et puis, j'ai fini par comprendre que le sépulcre n'existait plus que dans les rapports. En réalité, tout a été pillé, vendu dans les marchés, utilisé comme pièces détachées par des kolkhozes et des particuliers"

"Dans quelques villages, nous avons pris des mesures de la thyroïde des habitants : entre cent mille et mille fois supérieures à la normale. Une femme faisait partie du groupe. Elle était radiologue. Elle a eu une crise d'hystérie quand elle a vu des enfants jouer dans le sable. Nous avons également contrôlé le lait maternel : il était radioactif... Les magasins étaient ouverts et, comme il est de règle dans les villages, les vêtements et les denrées alimentaires étaient disposés les uns à côté des autres : des costumes, des robes, du saucisson, de la margarine. Les aliments n'étaient même pas couverts de plastique. Nous mesurions le saucisson, des oeufs : c'étaient des déchets radioactifs..."

"Soudain, nous avons éprouvé un sentiment nouveau, inhabituel : chacun de nous avait une vie propre. Jusque-là, nous n'en avions pas besoin. Chacun à commencé à s'interroger à chaque instant sur ce qu'il mangeait, ce qu'il donnait à manger aux enfants, ce qui était dangereux pour la santé et ce qui ne l'était pas... Et il devait prendre ses décisions personnellement. Nous n'étions pas habitués à vivre ainsi, mais avec tout le village, toute la communauté, toute l'usine, tout le kolkhoze"

"On racontait des blagues sans arrêt. En voilà une : on envoie un robot américain sur le toit. Il fonctionne cinq minutes. On envoie un robot japonais. Il fonctionne cinq minutes.On envoie un robot russe. Il fonctionne pendant deux heures. Il avait reçu un ordre par radio : "Soldat Ivanov, dans deux heures, vous pourrez descendre fumer une cigarette !""

"Les habitants sont partis, mais leurs photos, chez eux, sont restées vivre à leur place. Comme leurs âmes [...] La maison biélorusse ! Pour nous, citadins, l'appartement est une machine pour la vie, mais pour eux, la maison représente un monde tout entier. Un cosmos"

"La génération de la guerre... On fait des comparaisons. La génération de la guerre ? Mais elle était heureuse ! Ces gens avaient la victoire. Ils ont vaincu ! Cela leur a donné une formidable énergie vitale ou, pour utiliser le vocabulaire d'aujourd'hui, une orientation très forte vers la survie. Ils n'avaient peur de rien. Ils voulaient vivre, étudier, faire des enfants... Et nous ? Nous avons peur de tout [...] La dépression règne sans partage. Chacun éprouve le sentiment d'être condamné. Tchernobyl est une métaphore, un symbole..."

"Un physicien quelconque osait donner des leçons au Comité central. Non, ce n'était pas des criminels, mais des ignorants. Un complot de l'ignorance et du corporatisme"

Et un petit mot de Svetlana pour finir...
"Parfois, je rentre chez moi après une série d'entretiens avec l'idée que la souffrance, c'est la solitude. L'isolement absolu. D'autres fois, il me semble que la souffrance est une forme particulière de connaissance. Une sorte d'information essentielle. Mais pour nous, il y a dans la souffrance quelque chose de religieux, de presque artistique. Nous sommes une civilisation à part"  

lundi 20 août 2018

Utopies réalistes

Cet ouvrage de Rutger Bregman, dont la couverture dit "En finir avec la pauvreté", "Un monde sans frontières" et "La semaine de travail de 15 heures" a attiré mon attention. Et l'a détournée de ma PAL, oui, oui.

L'ouvrage s'ouvre sur cette chouette citation d'Oscar Wilde : "Une carte du monde qui ne comprendrait pas l'Utopie ne serait même pas digne d'être regardée car elle laisserait de côté le seul pays où l'humanité vient toujours accoster. Et après y avoir accosté, elle regarde autour d'elle, et, ayant aperçu un pays meilleur, reprend la mer"

Et la suite est assez étonnante car elle mêle un ton très dynamique et enlevé avec des graphiques et des sources multiples. Il part du principe que nous avons réalisé le pays de cocagne médiéval et que nous avons besoin de nouvelles utopies pour nous projeter. Quelles utopies ? Celle de journées de travail plus courtes, de frontières ouvertes, de donner directement de l'argent aux pauvres plutôt que d'investir dans le développement durable, de revenu de base universel etc.

Parmi les causes qui me touchent, celle de la réduction des inégalités, de l'accueil, de la remise en question du PIB et de la croissance comme uniques critères. Parmi les sujets sur lesquels j'avais du mal à me positionner, le revenu de base, les bullshit jobs. Argumenté et bien construit, l'ouvrage est séduisant. Mais ne peut-on pas écrire son contraire ? Comment s'assurer de toutes ces sources et de la façon de les analyser ? Comme souvent avec ce genre d'essais, j'ai toujours des petits doutes. Il reste néanmoins que cet ouvrage est tout à fait stimulant et propose une offensive contre le déclinisme et le néolibéralisme.

"Ce n'est pas une utopie accomplie que nous devons désirer mais un monde où l'imagination et l'espoir sont vivants et actifs" B. Russell

"Les dons en argent de GiveDirectly entrainent une augmentation durable du revenu et boostent l'acquisition de logements et de bétail, tout en réduisant de 42% le nombre de jours où les enfants ont faim. En outre, 93% des dons vont directement aux destinataires"

"Maladie mentale, obésité, pollution, crime - en termes de PIB, plus il y en a, mieux c'est. C'est aussi la raison pour laquelle le pays qui a le plus gros PIB, les Etats-Unis, est aussi celui qui a le plus de problèmes sociaux. "Si on suit le critère du PIB, écrit l'auteur Jonathan Rowe, les pires familles en Amérique sont celles qui sont fonctionnelles - qui préparent leurs repas, qui se promènent après diner, qui discutent ensemble plutôt que de confier leurs enfants à la culture commerciale""