mardi 31 décembre 2019

13 ans de blog

C'est un blog adolescent maintenant, dont j'ai zappé l'anniversaire le 20 novembre dernier ! Avec des kilos de lectures, plus ou moins aimées, pas mal d'expo (mais moins qu'avant), quelques commentaires... C'est surtout une mémoire, avec ses oublis (les brouillons qui traînent depuis 2015), ses inoubliables comme La plus que vive ou ses oubliés comme Cinq amoureuses
Un blog qui continuera en 2020, à ce petit rythme tranquille, sans se perdre sur d'autres supports. L'occasion aussi de souhaiter à tous les lecteur.rices qui passent par ici une magnifique année 2020. Bonne promenade dans les livres cette année encore !

lundi 30 décembre 2019

Louise Amour

Histoire d’amour, évidemment  !

Louise est parfumeuse, riche, légère. Elle est présente au monde et aux autres, elle éclaire le monde. Et notre narrateur écrit. Il aime les écrits des saints et des mystiques. La rencontre des deux fait des étincelles et c’est le début d’une histoire. Une histoire de passion et de mort, comme toutes les histoires d’amour. Une histoire d’amour et de jalousie, de possession. Une histoire qui vient fendiller la carapace de cristal du narrateur. 

Lieux : cimetières, églises, champs de fleurs et roseraie. Alternance de lumière et de sombre, entre les lieux de Louise et ceux du narrateur, en pleine lumière.

Encore une belle incursion dans l'imaginaire de Christian Bobin et dans sa langue si douce à mes yeux : « Arrive la mort – ou la grâce d’une épreuve sans issue imaginable – et l’épouvantail brûle en une seconde et du feu surgit un vivant absolu, une personne non encombrée d'elle-même ni infestée par le monde, un tout petit éclat bleuté du grand vitrail de Dieu – une âme »


« Les livres sont de vieux serviteurs sur le dos desquels nous disposons, afin qu'ils les portent à notre place, nos craintes et nos espérances. Le temps passé à lire qui est du temps changé en lumière, l’espérance attrapée comme un rhume en rêvant, la puissance secrètement demandée aux livres savants, tout de nous pèse sur les épaules, la nuque, le dos de nos esclaves de papier. Il suffit ensuite de les regarder pour connaitre leur maître. La bibliothèque de Louise Amour ne révélait-elle pas une âme éprise de ce Dieu exténué d’être seul, à qui les roses proposent l’asile de leur douceur ? »
« Le visage de la jeune femme derrière Santal avait la sourde luminosité de celle qui, penchée au-dessus d’une flamme invisible, ne songeait qu’à l’entretenir et s’oubliait elle-même. Elle semblait avoir l’autorité abrupte de ceux qui se donnent à l’essentiel, sans aucun souci de plaire. Le Christ avait aimé de telles voisines fidèles et sans prestige »
« Certains êtres sont comme le lilas qui sature de son parfum, jour et nuit, l'air dans lequel il trempe, condamnant ceux qui entrent dans son cercle embaumé à éprouver aussitôt une ivresse intime qui fait s'entrechoquer, comme des verres de cristal de Bohême, les atomes de leurs âmes. Dans les entours de telles créatures, comme dans ceux du lilas, plus moyen de garder une conscience claire. La pensée est un soleil d’hiver. Elle a besoin du froid et du sec pour s’élever. L’ivresse, même quand elle n’est que mentale, l’humidifie, l’alourdit et finalement l’empêche de s’envoler »
« Le luxe donnait l’impression que la vie était délivrée de la mort, de la douleur, du temps – et au bout du compte de la vie même »
« A la fin de chaque jour d’absence de Louise Amour je prenais le carnet au-dessus de la pile, je le remplissais de mots jusque tard dans la nuit, et c’était comme verser un vin précieux dans un verre sans fond. Louise Amour, quand je ne pouvais la voir, devenait plus haute qu’une cathédrale. Son absence jetait de l’ombre sur tout, comme si une géante avait recouvert de ses jupons la terre entière – villages, routes et projets […] Je la remerciais au contraire silencieusement de m’avoir abandonné, de m’avoir laissé dans une épreuve que finalement, avec de l’encre et du papier (comme font les enfants après le départ soudain de leur mère dans la pièce à côté), j’avais changé en grâce. J’offrais mes prières de papier à la déesse de chair. Elle prenait son temps pour les lire. Elle prenait son temps pour tout»
« Chacun de nous est fait pour une seule chose et cette chose, quand il l’accomplira, le contiendra en entier, mieux qu’un cercueil. J’étais fait pour adorer. J’avais été élevé pour ce sacre dont j’inventais la couronne d’encre et de papier »
« Elle portait son cœur sur son visage comme les saints qui tiennent leur cœur dans leurs mains, à l’extérieur d’eux-mêmes »
« Le parfum des parfumeurs, c’est l‘âme volée des fleurs. On devrait l’interdire aux belles dames et l’utiliser uniquement pour laver les clochards et les agonisants »

lundi 23 décembre 2019

Le naufrage des civilisations

Voici un autre essai d'Amin Maalouf, plus récent que les Identités meurtrières, mais qui interroge tout autant notre rapport à l'autre. Parcourant l'histoire de l'Orient au XXe siècle et au début du XXIe, l'auteur s'inquiète. Car un vent violent parcourt le monde, qui semble bien aller à sa perte. 
Entre l'essai et le témoignage autobiographique, Amin Maalouf remonte le temps. Il voit des lignes de fracture : la guerre des 6 jours, qui a écrasé le rêve arabe et fait de l'Orient un perdant ; et 1979, avec la chute du shah d'Iran, le début de la guerre en Afghanistan, la prise d'otage à la Mecque... Et le discrédit du communisme, la faiblesse des USA et de l'Europe pour inspirer d'autres. Bref, c'est plutôt  l'histoire des rendez-vous ratés et chacun dans son coin que tous ensemble ! C'est cela que déplore l'auteur. Il met aussi en garde : comment rester en démocratie alors que les ténèbres s’amassent ? Et comment ne pas tomber dans le piège de la sécurité, du confort et du bonheur qui nous ferait abdiquer notre liberté ?

"Tout au long de l'histoire, les expulsions massives, qu'elles paraissent justifiées, légitimes ou pas, ont généralement nui à ceux qui sont restés bien plus qu'à ceux qui ont été chassés"

" Dans une société où les minoritaires subissent la discrimination et la persécution, tout se corrompt et se pervertit. Les concepts se vident de leur sens. Parler encore d'élections, de débats, de libertés académiques ou d'Etat de droit devient abusif et trompeur"

"Ce qui caractérise l'humanité d'aujourd'hui, ce n'est pas une tendance à se regrouper au sein de très vastes ensembles, mais une propension au morcellement, au fractionnement, souvent dans la violence et l'acrimonie [...] Ce qui aggrave encore cette tendance, c'est que le monde est aujourd'hui rempli de "faux ciments" qui, telle l'appartenance religieuse, prétendent réunir les hommes alors qu'ils jouent, dans la réalité, le rôle inverse"

"Je suis même tenté de redire ici ce que j'ai dit à propos de Mandela et de sa manière de remédier aux tensions raciales dans son propre pays : il arrive que la générosité soit la moins mauvaise solution ; et il arrive qu'une bonne action soit aussi une bonne affaire"

"Ce que je regrette, c'est la disparition d'un certain état d'esprit qui a existé du temps des empires, et qui considérait comme normal et légitime que les peuples vivent au sein d'une même entité politique sans avoir forcément le même religion, la même langue, ni la même trajectoire historique"

"Nous progressons dans de nombreux domaines, nous vivons mieux, et plus longtemps. Mais quelque chose se perd en route. La liberté d'aller et de venir, de parler et d'écrire, sans être constamment surveillés"

mercredi 18 décembre 2019

Celles qui savaient

Sont au nombre de 5 pour Claude Pujade-Renaud : Cassandre, fille de Priam et d'Hécube ; Oenonè, amante de Paris ; Okyrrhoè, fille de Chiron, changée en jument ; Jocaste, mère et amante d'Oedipe ; Ismène, fille d'Oedipe et Jocaste, soeur d'Antigon, Polynice et Eteocle. 

Elles ont en commun un don de prophétie ou de prescience. Elles savent. Cassandre, on le sait bien, connait le sort de Troie et le sien sans être crue. Elle est ici amoureuse d'Hélénos, son frère. 
Oenoné, c'est plutôt une fille des bois, une sauvage très tendre avec Paris, qui voit bien les dangers à regagner Troie, à se confronter à son abandon, à ses frères.
Okyrrhoé, je ne la connaissais pas. Née près d'un torrent, elle connait aussi l'avenir et le révèle à Asclépios pour être aussitôt transformée - avec quelle économie de moyen de l'auteur !
Jocaste et Ismène parlent des Labdacides et de leur lignée maudite.

Sous une forme poétique, très courte, et bien différente des autres textes lus de cette auteur, j'ai découvert ces cinq destinées de femmes, maudites par leur savoir. Une lecture belle et simple. 

lundi 16 décembre 2019

La grâce de solitude


Marie de Solemne dialogue dans ce petit ouvrage avec Christian Bobin, Théodore Monod et Jean-Michel Besnier. Leur thème ? La solitude. La solitude choisie, qui permet de préserver un certain bien-être. Une solitude qui ne se confond pas avec un isolement, non consenti. Une solitude qui n’est pas une malédiction ou quelque chose à fuir mais une grâce qui permet de se révéler.

Comme souvent, j'ai été attentive aux phrases de Bobin que je glane pour moi, pour vous : 
« Pour vivre, il faut avoir été regardé au moins une fois, avoir été aimé au moins une fois, avoir été porté au moins une fois. Et après, quand cette chose-là a été donnée, vous pouvez être seul. La solitude n’est plus jamais mauvaise. Même si on ne vous porte plus, même si on ne vous aime plus, même si on ne vous regarde plus, ce qui a été donné, vraiment donné, une fois, l’a été pour toujours. A ce moment-là, vous pouvez aller vers la solitude comme une hirondelle peut aller vers le plein ciel »
« L’amour, la solitude, l’écriture, le chant, le jeu, j’aime par exemple à les faire tourner comme des toupies sur la page, parce que je les éprouve dans ma vie même comme tournant l’une sur l’autre, l’une dans l’autre »
« Il y a un creux qui est en vous, que vous ne supportez plus, et que vous allez remplir avec des nourritures plus ou moins digestes. Souvent, on remplit très vite ce creux, ce vide, cette attente naissante, alors qu’elle demanderait un peu de temps encore pour nous dire ce qu’elle a à nous dire. Mais, nous, on essaie de la combler tout de suite. C’est comme une question qui se pose et qu’on essaie d’arrêter. On n’y répond pas… on essaie de la tuer »
« Ce que j’attends, c’est l’inattendu. Ce que j’attends, c’est ce que, par définition, je ne peux même pas imaginer attendre. Parfois ça prend précisément la forme de quelque chose qui va être tellement imprévisible que dans un premier temps ça va me blesser, ça va me contredire. C’est par là que je sais la vie – que je la reconnais en tous cas -, que je sais qu’elle est fidèle »
« Dans l’autre, c’est mon propre cœur que j’entends battre. Toujours en reconnaissant parfaitement l’altérité de l’autre, ce qui en lui m’échappe »
« Si on veut transmettre quelque chose dans cette vie, c’est par la présence bien plus que par la langue et par la parole. La parole doit venir à certains moments, mais ce qui instruit et ce qui donne, c’est la présence. C’est elle qui est silencieusement agissante »
« Sans « ailleurs », ça ne tient pas. En fait, si on aime uniquement avec notre propre volonté, un jour ou l’autre… on craque. Tôt ou tard, on craque… et c’est effroyable »
« Dans la solitude on rejoint Quelqu’un d’autre que soi »

Et comme il n'y avait pas que Bobin, j'ai aussi récolté d'autres phrases : 
Besnier « Je ne pense pas que le solitaire ait renoncé à séduire l’autre, seulement il veut séduire avec d’autres armes, en offrant l’image de son autonomie, de son indépendance, de sa force. Il y a chez le solitaire une dénégation de la sociabilité »
Monod « Voilà un enseignement du désert : on n’est jamais pressé ! On peut toujours remettre au lendemain, ou à la semaine d’après, ce qu’on a à faire. Rien ne presse… »

mercredi 11 décembre 2019

Sorties ciné de décembre

Frozen II
Evidemment, j'avais tant aimé Frozen que je ne pouvais pas passer à côté du 2e volet. 
On retrouve Elsa et Anna, en grande forme, avec Olaf, Sven et Kristoff. La vie semble belle et simple au royaume si ce n'est qu'Elsa entend des voix. Et décide de les suivre. Super idée, non ? 
Forêt enchantée, malédiction, éléments en colère... Les princesses sont prêtes à tout affronter ensemble. Une quête qui leur apprendra la vérité sur les pouvoirs d'Elsa, sur leurs parents, sur la malédiction. 
Evidemment, pas le même effet wahou qu'au premier opus : pas de chanson inoubliable et qui fait frissonner - même si la chanson Lost in the wood est incroyable, fans des années 90 enjoy. L'histoire est moins dingue et les personnages ne nous révèlent pas beaucoup de surprises. 
Par contre, beaucoup d'humour avec un Olaf en super forme (restez jusqu'à la fin du générique pour le dernier fou rire), des paysages et des textures toujours aussi travaillés et splendides ! On passe un bon moment.


Hors Normes
Autre style avec ce film sur le travail d'éducateurs auprès d'ado et adultes autistes. Bruno et Malik ont deux associations complémentaires pour accompagner ces jeunes et former des éducateurs. Lorsque l'association de Bruno est auditée, c'est la réalité des manques des autres structures qui surgit : jeunes refusés par toutes les structures, attachés ou drogués parce que trop incontrôlables. Alors certes, c'est un peu le bazar chez Bruno, mais les jeunes sont traités avec dignité et amitié. Et ça marche plutôt bien puisqu'ils progressent !
Un petit pas vers plus d'humanité ? Et de meilleurs soins ?

lundi 9 décembre 2019

Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées

Je viens de terminer la biographie de Carl Gustav Jung, le psy. C'était long, parfois bizarre, souvent passionnant. 
Carl Jung revient sur les différentes étapes de la vie, sa relation aux parents, à l'école où il ne brille pas. Il raconte ses premiers jeux, rêves et rites d'enfant, qu'il redécouvre bien plus tard. Il raconte son chemin vers la médecine et la psychiatrie, un peu par hasard. C'est chronologique mais c'est truffé de signes, de symboles et de rêves qui nous perdent parfois. Il est peu question de patients, d'exemples, surtout de lui, de ses propres rêves et interprétations. Il est intéressant de le voir élaborer des théories sur sa personnalité, avec sa part d'ombre et de lumière. 
On lit aussi son lien avec Sigmund Freud puis leur séparation. On le suit dans ses voyages, toujours fruits d'apprentissage et de nouvelles inspirations. Mais parfois, pas même besoin de partir, son exploration de l'alchimie, des religions, des cultures, des images et des symboles suffit. 
C'est dense, mais ça se lit bien. Par contre, pas mal d'éléments m'ont échappé concernant ses autres livres et ses théories comme psychiatre. 


"J'ai souvent vu que les hommes deviennent névrosés quand ils se contentent de réponses insuffisantes ou fausses aux questions de la vie. Ils cherchent situation, mariage, réputation, réussite extérieure et argent; mais ils restent névrosés et malheureux, même quand ils ont atteint ce qu'ils cherchaient. Ces hommes le plus souvent souffrent d'une trop grande étroitesse d'esprit. Leur vie n'a point de contenu suffisant, point de sens. Quand ils peuvent se développer en une personnalité plus vaste, la névrose d'ordinaire cesse."
"Tout ce qui m'irrite chez les autres peut servir ma connaissance de moi-même"

samedi 7 décembre 2019

En attendant Bojangles


J'ai beaucoup vu ce livre d'Olivier Bourdeaut sur les blogs. J'ai fini par l'extraire de la PAL familiale et - même si j'ai plutôt passé un bon moment dans cette drôle de famille - j'en sors moyennement enchantée.

C'est un livre à deux voix, celle du père et celle du fils, tous deux fascinés par leur épouse et mère. Ils vivent une vie de fête, de cocktails, de danse, de châteaux en Espagne. Leur animal domestique est une grue. A travers les mots de l'enfant, on devine d'autres réalités : le rapport à l'école, à l'autorité, au monde n'est pas comme les autres. Mais tout est entouré de rires et d'alcool avant le dérapage, qu'on voit bien venir. Car cette fête perpétuelle, cette soif de changement, cette femme qui est appelée d'un prénom différent chaque jour cache une fragilité. Dans une seconde partie plus triste mais toujours voilée de paillettes et de jeux, feu d'artifice final et fin tragique. Les histoires d'amour fou finissent aussi mal que les autres.

Un roman qui se lit vite, dont l'ambiance toujours survoltée et artificielle amuse mais ne permet pas réellement de s'attacher aux personnages. Et rien de dingo dans l'écriture. Un petit livre d'une soirée, qui ne laissera pas beaucoup de traces dans ma bibliothèque. 



lundi 2 décembre 2019

L’épuisement


Ce n’est pas la lecture la plus évidente de Christian Bobin. C’est un peu échevelé, brut, passant du coq à l’âne. Alors, évidemment, sans Ariane, je me suis un peu perdue dans le labyrinthe des pensées de l’auteur. Cela ne les rend pas moins belles. Cela me les rend plus difficiles à relier. Car j’aime le petit fil fragile qui dessine des routes dans les livres, ce petit caillou qui lui permet de ne pas se perdre dans les pages. Mais la couleur est annoncée dès le début : on ne sait pas ce que sera ce livre.

« Les écrivains qui savent d’avance ce que sera leur livre ne sont pas des écrivains mais des créatures de Dieu atteintes par la folie du raisonnable, du sérieux, du devoir à rendre. Je n’ai pas de devoir à rendre. J’ai un livre à faire pour la lumière qu’il me donnera »
Et c’est ainsi que je m’aventure dans le livre, plein de moments ordinaires, mais dont les mots font danser la lumière. Il y est question d’écrivains, d’artistes, de films qui nourrissent l’auteur et de moments de sa vie : les premiers jours d’école, le boulevard d’une petite ville industrielle, un amour… Je l’ai refermé en me disant que je n’y avais rien compris et je l’ai rouvert pour relire toutes les pages griffonnées, les paragraphes soulignés… J’avais une récolte incomparable de mots qui me touchent. Et si finalement, c’était ça qui me nourrissait, plus qu’une histoire bien linéaire ? Car, comme Bobin l’écrit, « Et c’est quoi, la fin d’un livre. C’est quand vous avez trouvé la nourriture qu’il vous fallait, à ce jour, à cette heure, à cette page »

Alors dans la récolte abondante, arbitraire, je choisis cette petite phrase évocatrice : « J’aime les miroirs, les icônes et les livres. J’aime ce qui retient sur soi de la lumière avant de nous la rendre, augmentée d’une secrète beauté » et celle-ci qui me parle : « L’intelligence ce n’est rien d’autre : une manière personnelle de se tenir devant soi et devant le monde, une manière propre à la personne de se laisser altérer par ce qui vient et de chercher son bien à elle, rien qu’à elle, dans ce qui la traverse et parfois la tue. Lire par exemple c’est une des manifestations les plus simples de l’intelligence, cela n’a rien à voir, absolument rien à voir avec la culture. Lire c’est faire l’épreuve de soi dans la parole d’un autre, faire venir de l’encre par voie de sang jusqu’au fond de l’âme et que cette âme en soit imprégnée, manger ce qu’on lit, le transformer en soi et se transformer en lui. Toute lecture qui ne bouleverse pas la vie n’est rien, n’a pas lieu, n’est pas même du temps perdu, est moins que rien. Toute vie qui n’est pas bouleversée par la vie et qui ne va pas, seule, sans le réconfort d’aucune leçon, trouver son bien dans ce bouleversement, est morte. Ce qui est le bien d’une personne c’est à la personne seule d’en décider, en ne s’appuyant que sur la lumière suffisante de sa propre solitude, au plus loin des convenances de pensée ou de morale »
« Un événement dans la vie, c’est une maison avec trois portes séparées – mourir, aimer, naître. On ne peut y entrer qu’en franchissant les trois portes simultanément, dans le même temps. C’est impossible et cela arrive »
« Le mort en nous c’est le maître, celui qui sait. Le vif en nous, c’est l’enfant, celui qui aime, qui joue à aimer »
« C’est le premier apprentissage du mensonge collectif : faire semblant d’être là où nous ne sommes pas »
« L’amour c’est quand quelqu’un vous ramène à la maison, quand l’âme revient au corps, épuisée par des années d’absence »
« Aucune vraie rencontre ne peut se faire sans aussitôt nous défaire. Aucune rencontre hors de l’amour, aucun amour qui ne commence par nous tuer »
« Je n’ai jamais vécu en couple, par gout profond de la solitude. Ce qui fait le désespoir de tant de couples c’est un irrespect de la solitude native de l’autre »
« L’enfance avait choisi ce qu’elle choisit toujours : la vie, quand bien même la mort jouirait des services du meilleur attaché commercial qui soit. Je crois que l’enfance est pour beaucoup dans ces refus dont nous ressentons la nécessité sans savoir les justifier. Je crois qu’il n’y a qu’elle à écouter »
« La solitude est une maladie dont on ne guérit qu’à condition de la laisser prendre ses aises et de ne surtout pas en chercher le remède, nulle part. J'ai toujours craint ceux qui ne supportent pas d'être seuls et demandent au couple, au travail, à l'amitié voire, même au diable ce que ni le couple, ni le travail, ni l'amitié ni le diable ne peuvent donner : une protection contre soi-même, une assurance de ne jamais avoir affaire à la vérité solitaire de sa propre vie. Ces gens-là sont infréquentables. Leur incapacité d'être seuls fait d'eux les personnes les plus seules au monde »
« Je crois que c'est ça, un artiste. Je crois que c'est quelqu'un qui a son corps ici et son âme là-bas, et qui cherche à remplir l'espace entre les deux en y jetant de la peinture, de l'encre ou même du silence. Dans ce sens, artistes nous le sommes tous, exerçant le même art de vivre avec plus ou moins de talent, je précise : avec plus ou moins d’amour »
« La maison de mon oncle, une incroyable bâtisse tout en fenêtres et en escaliers, on se sent bien rien qu'à la voir. De sa cuisine, il peut entendre chaque jour le chant d'un oiseau en cage chez le voisin du dessous. Et un jour, plus de chant. Il se penche à la fenêtre, regarde, comprend : l'oiseau chantait quand il était pris dans un rayon de lumière, et ce rayon lui arrivait du soleil en ricochant sur la fenêtre de la cuisine. Alors il pousse doucement la fenêtre, il la remet à sa bonne place, jusqu'à entendre le chant ressuscité. C'est une scène du film. Elle dure, quoi, cinq secondes. Vous n'avez jamais trouvé, nulle part dans aucun livre, une plus juste description de la lecture, de sa magie intime : les livres sont comme la maison de mon oncle. Les phrases y sont autant de fenêtres. Suivant leur inclination, leur ouverture, elles attrapent la lumière et la renvoient sur le cœur en cage, jusqu'à le faire chanter. C'est une opération délicate. Il y faut beaucoup de doigté et d'attention »
« Proust a écrit des milliers de pages pour apprivoiser un sommeil qui se refusait à lui enfant, lorsque sa mère n’entrait pas dans sa chambre pour l’embrasser. Sur un plateau de la balance, un seul baiser manquant. Sur l’autre plateau, des nuits blanchies à l’encre, tous les écrits du monde. Il est évident que le premier plateau est plus lourd que le second. La littérature insomniaque ne consolera jamais de l’absence d’un amour donnant à notre visage lumière de repos »
« Les mots qu’il écrit ne sont là que pour donner le temps à d’autres mots de se faire entendre. Il y a toujours deux livres dans un vrai livre. Le premier seulement est écrit. C’est le second qui est lu, c’est dans le livre du dessous que le lecteur reconnait ce qui, de l’auteur et de lui, témoigne de l’appartenance à une même communauté silencieuse »
« Les beaux nuages qui vont là-bas au ciel. Je n’ai pas d’autre amour que celui-là, pas les nuages mais la liberté d’aller qu’ils montrent et disent, la liberté de se métamorphoser sans cesse, d’être infidèle à soi-même pour mieux rester fidèle à la vie dans notre vie »
« Dans la logique du monde, on ne peut faire sa place sans aussitôt prendre la place d’un autre. Mais on ne fait pas plus sa place qu’on ne fait sa vie : on trouve l’une et l’autre, et le sentiment de cette trouvaille inespérée c’est la joie même »
« On dit des anorexiques qu’il refusent de se nourrir alors qu’ils refusent simplement, sainement, d’avaler de mauvaises nourritures. On les dit malades quand ils ne font que rejeter l’amour avarié qu’on les invite à goûter »
« Ceux que j’aime, je ne leur demande rien. Ceux que j’aime, je ne leur demande que d’être libres de moi et ne jamais me rendre compte de ce qu’ils font ou de ce qu’ils ne font pas, et, bien sûr, de ne jamais exiger une telle chose de moi. L’amour ne va qu’avec la liberté. La liberté ne va qu’avec l’amour »


jeudi 28 novembre 2019

Imparfaits, libres et heureux

Ce livre de Christophe André, on me l'a beaucoup conseillé. J'ai des amis qui en sont fans et en ont fait leur livre de chevet, d'autres qui ont trouvé la lecture intéressante et en ont tiré quelques idées. Pour moi, ce fut une lecture fastidieuse et longue.

Le plan de l'ouvrage :
1. L'estime de soi, c'est tout ça...
2. Prendre soin de soi
3. Vivre avec les autres
4. Agir, ça change tout !
5. L'oubli de soi

Alors, de quoi parle-t-on ? On parle de "ce que je pense de moi, de comment je me sens avec ces pensées et de ce que je fais de ma vie avec tout ça". Le premier chapitre nous fait une liste, parfois répétitive pour nous faire comprendre ce que l'estime de soi permet :
"Dire ce que je pense
Faire ce que je veux
Insister quand je me heurte à une difficulté
Ne pas avoir honte de renoncer
Ne pas me faire avoir par la pub ou les modes, qui veulent me faire croire qu'on n'est quelqu'un de bien que si on porte telle marque ou si on pense de telle façon
Rire de bon cœur quand on me chambre gentiment
Savoir que je peux survivre à mes échecs
Oser dire "non" ou "stop"
Oser dire "je ne sais pas"
Suivre mon chemin même si j'y suis seul(e)
Me donner le droit d'être heureux(se)
Me sentir digne d'être aimé(e)
Supporter de ne plus être aimé(e), même si ça me rend malheureux(se) sur le moment
Me sentir tranquille avec moi-même
Dire "j'ai peur" ou "je suis malheureux(se)" sans me sentir rabaissé(e)
Aimer les autres sans les surveiller ou les étouffer
Faire de mon mieux pour réussir ce que je veux réussir, mais sans me mettre la pression
Me donner le droit de décevoir ou de rater
Demander de l'aide sans me sentir pour autant inférieur(e)
Ne pas me rabaisser ni me faire du mal lorsque je ne suis pas content(e) de moi
Ne pas me sentir envieux(se) de la réussite ou du bonheur des autres
Savoir que je peux survivre à mes malheurs
Me donner le droit de changer d'avis après réflexion
Faire preuve d'humour sur soi-même
Dire ce que j'ai à dire, même si j'ai le trac
Tirer les leçons de mes erreurs
Me mettre en maillot de bain même si mon corps n'est pas parfait
Me sentir en règle avec les blessures de mon passé
Ne pas avoir peur de l'avenir
Trouver que je suis quelqu'un de bien, avec ses qualités et ses défauts
Sentir que je progresse, que je tire des leçons de la vie
M'accepter tel(le) que je suis aujourd'hui sans renoncer pour autant à changer demain
Et enfin, arriver à penser à autre chose qu'à moi..."

Beau programme, non ? On part ensuite dans deux directions : mieux vivre avec soi-même et moins se soucier du regard des autres. Cela passe par l'examen des symptômes d'une bonne ou mauvaise estime de soi, dans la façon de s'exercer à garder une bonne estime de soi... qui passe d'abord par l'acceptation de qui on est, avec ses vulnérabilités, fragilités et défauts. Il y a là toute une série de conseils, de petites attentions à avoir lorsqu'on commence à se juger ou à juger l'autre, à interpréter voire surinterpréter. Il y a aussi des idées et des exercices pour mieux s'affirmer. Mais si tout cela reste dans la tête, ça ne marche pas. C'est à mettre en oeuvre et à expérimenter dans l'action et dans l'échec ! Car c'est aussi dans la tolérance à l'échec que l'estime de soi se construit.
Enfin, la dernière phase est certainement la plus importante : la bonne estime de soi est silencieuse et c'est quand on n'y prête pas trop attention que c'est plutôt bon signe. L'auteur invite aussi à prendre du recul et à donner du sens au moment présent, à bien le vivre, à lui donner du sens et donne quelques idées pour éloigner la question de la mort. 

Un ouvrage pas très éloigné finalement de Trois amis en quête de sagesse, et qui me laisse le même goût de "pas assez". 

lundi 25 novembre 2019

Tout dort paisiblement sauf l'amour

C'est d'abord le titre du roman de Pujade-Renaud qui m'a plu. Et puis, j'avais cet excellent souvenir du Jardin forteresse. Alors sans réfléchir, je l'ai emprunté avec son voisin d'étagère !

Bienvenue dans un triangle amoureux historique, celui de Soren Kierkegaard, Régine Olsen et Frederik Schegel. Une histoire racontée, pour ce qui arrive avant le début du roman, dans le Journal d'un séducteur. Enfin, romancé à la sauce Kierkegaard, énervé que son ex-fiancée, Régine, se marie. 

Au début de notre roman, on rencontre la belle Régine, la trentaine, aux Antilles avec son mari Frederik, gouverneur. Elle y apprend la mort de Kierkegaard. Entre ce moment et sa propre mort, elle revient régulièrement sur son passé et ses fiançailles avec le philosophe, que ce soit par la lecture de ses œuvres où elle se découvre et redécouvre muse ou par l'intervention de la famille de Kierkegaard. Henriette et Henrik évoquent inlassablement leur oncle avec elle. L'occasion de dresser un portrait tout en ombres de l'inclassable ironiste, du taon de Copenhague, du fiancé masochiste, de l'écrivain au secret de famille, du fils survivant au châtiment paternel. 
C'est aussi un portrait de Régine, toujours attirée malgré elle par son premier amour, et de Frederik, l'homme paternel, patient et amoureux, travailleur et brillant, qui sort du rôle de précepteur pour endosser celui d'époux. 
A travers leurs voix, sur cinquante ans, c'est aussi l'image de Kierkegaard qui évolue, l'empêcheur de penser en rond devient homme illustre, son oeuvre et sa vie sont interprétées et décortiquées. Régine devient aussi un personnage mythique que lui alors qu'elle vit toujours, accomplissant ainsi la prophétie de Kierkegaard de la rendre immortelle.

Au fil de ma lecture, que j'ai dans l'ensemble beaucoup appréciée, j'ai ressenti parfois un certain ennui à voir répétés les mêmes scènes, les mêmes commentaires. Cette façon de replonger dans les livres pour y tenter de comprendre une rupture, de tourner toujours autour de sa blessure lasse un peu. Mais l'ensemble est beau, bien écrit, psychologiquement fin...


lundi 18 novembre 2019

La mer à l'envers

Marie Darrieussecq est dans la bibliothèque familiale mais je ne crois pas l'avoir déjà lue. C'est plutôt le thème de son dernier roman qui m'a fait sauter le pas. 

Rose est en croisière avec ses enfants. Elle se pose des questions sur son mariage, sur son travail. Et puis, c'est le choc quand, en une nuit comme les autres, l'énorme bateau en croise un tout petit. Les migrants sont accueillis temporairement avant d'être laissés à un port. Il ne s'est rien passé, personne n'a rien vu, ou presque. Rose, un médecin et quelques autres ont croisé des regards, serré des mains. Et la vie continue, sauf que Rose suit Younès, de loin en loin, après lui avoir donné le portable de son fils. Elle déménage, s'installe comme psychologue mais finit guérisseuse, ne répond pas aux appels de Younès sauf lorsqu'ils se font trop pressants. 

C'est l'histoire d'une rencontre, de deux mondes qui se croisent rapidement, qui s'effleurent. C'est surtout celle d'une femme, pas héroïque très longtemps, mais humaine à plein temps, qui ne laisse pas ternir son regard, qui ne joue pas l'indifférence, qui tente quelque chose, fait confiance parfois. Ce n'est pas tout le temps, c'est de temps à autres, ce n'est pas dans sa vie de famille par exemple, qui coule toute douce, c'est un peu dans sa vie pro, c'est ailleurs. Une belle façon de se laisser toucher par un sujet essentiel, réduit dans nos médias à une masse informe "les migrants", alors que des histoires et des traumas habitent ces humains qui fuient l'indicible. 


jeudi 14 novembre 2019

Autoportrait au radiateur


Cet ouvrage de Christian Bobin se présente comme un journal d’avril 1996 à mars 1997. Journal des fleurs et des herbes. Journal des enfants de son amour. J'y ai fait une moisson riche et belle de mots et de phrases ! 
Deux de mes favorites : « Ce qu’on appelle le « charme » d’une personne, c’est la liberté dont elle use vis-à-vis d’elle-même, quelque chose qui, dans sa vie, est plus libre que sa vie » et « Pour trois jours, analphabète : rien de tel qu’un souci pour rendre le monde illisible. Le souci est une manière de porter à soi une attention si bruyante que l’on finit très vite par ne plus rien entendre – ni soi ni les autres. Une mort à même la vie »
« La gaieté, ce que j’appelle ainsi, c’est du minuscule et de l’imprévisible. Un petit marteau de lumière heurtant le bronze du réel. La note qui en sort se propage dans l’air, de proche en proche jusqu’au lointain »
« Personne n’est exactement à sa place et cela vaut mieux, une stricte adéquation serait insupportable »
« C’est clair : tout ce que j’ai, on me l’a donné. Tout ce que je peux avoir de vivant, de simple et de calme, je l’ai reçu. Je n’ai pas la folie de croire que cela m’était dû, ou que j’en étais digne. Non, non. Tout m’est depuis toujours donné, à chaque instant, par chacun de ceux que je rencontre. Tout ? Oui. Depuis toujours ? Oui. A chaque instant ? Oui. Par chacun de ceux que je rencontre, sans exception ? Oui. Alors pourquoi, parfois, une ombre, une lourdeur, une mélancolie ? Eh bien c’est qu’il me manque parfois le don de recevoir. C’est un vrai don, un don absolu. Quelquefois je prétends trier, choisir, je me dis que l’herbe est plus verte de l’autre côté du pont, des bêtises comme ça, rien de grave puisque l’on continue de tout me donner, sans arrêt, pour rien »
« La vie, je la trouve dans ce qui m’interrompt, me coupe, me blesse, me contredit. La vie, c’est celle qui parle quand on lui a défendu de parler, bousculant prévisions et pensées, délivrant de la morne accoutumance de soi à soi »
« « Infiniment plus que tout » : c’est le nom enfantin de l’amour, son petit nom, son nom secret »
« Il y a un instant où notre vie, sous la pression d’une joie ou d’une douleur, rassemble ce qui, en elle, était auparavant dispersé – comme une ville dont les habitants abandonneraient leurs occupations pour se réunir tous sur la grand place »
 « Dans la racine du mot « négligence », il y a le mot « lire ». Faire preuve vis-à-vis d’autrui de négligence, c’est être devant lui comme devant un livre que l’on n’ouvrira pas, le laissant à lui-même obscur, privé de sens »
« L’angoisse suscite la beauté – comme la question réveille sa réponse. A la source d’un grand poème, d’une belle musique ou d’une architecture sacrée, il y a une angoisse que l’on apaise en lui donnant forme, rythme, mesure »
« La hache plus que la dentelle. L’art roman plus que l’art gothique. Ce qui tranche, simplifie et rudoie, plus que ce qui dilue, complique et diffère »
« La lourdeur et l’ennui sont la marque des conseillers qui orientent ma vie, les seuls que j’écoute. Peu bavards, ils m’indiquent uniquement là où je dois m’abstenir. Pour le reste, ils se taisent »
« Faire sans cesse l’effort de penser à qui est devant toi, lui porter une attention réelle, soutenue, ne pas oublier une seconde que celui ou celle avec qui tu parles vient d’ailleurs, que ses goûts, ses pensées et ses gestes ont été façonnés par une longue histoire, peuplée de beaucoup de choses et d’autres gens que tu ne connaîtras jamais. Te rappeler sans arrêt que celui ou celle que tu regardes ne te doit rien, n’est pas une partie de ton monde, il n’y a personne dans ton monde,  pas même toi. Cet exercice mental – qui mobilise la pensée et aussi l’imagination – est un peu austère, mais il te conduit à la plus grande jouissance qui soit : aimer celui ou celle qui est devant toi, l’aimer d’être ce qu’il est, une énigme – et non pas d’être ce que tu crois, ce que tu crains, ce que tu espères, ce que tu attends, ce que tu cherches, ce que tu veux »
« Je connais des écrivains pauvres, je n’en connais aucun qui soit au chômage : privé d’écrire – et donc de joie, car il ne faut pas se raconter d’histoire : c’est une joie pure que celle d’écrire, et tout autre discours là-dessus est répugnant »
« Les techniques modernes pour relier les individus les uns aux autres visent toutes à une seule chose : réduire à l’extrême le délai entre un désir et sa réalisation. C’est une manière angélique de nier l’épaisseur et la lourdeur du temps. Mais l’amour qui est cet envol a besoin de cette épaisseur et de cette lourdeur. Il prend son essor en s’appuyant sur eux. C’est pour préserver ce temps que je laisse le téléphone sonner et le répondeur réciter ses poèmes »
« Ce matin j’ai pris un cours de danse avec une araignée et cet après-midi je m’en porte mieux »
« « Reste près de moi », dit le mauvais amour. « Va, dit le bon amour, va, va, va : c’est par fidélité à la source que le ruisseau s’en éloigne et passe en rivière, en fleuve, en océan, en sel, en bleu, en chant » »
« Car il en va des sociétés comme des individus : le réel est toujours du côté du réfractaire, du fugitif, du résistant, de tout ce qu’on cherche à calmer, ordonner, faire taire et qui revient quand même, qui revient encore, et qui revient sans cesse – incorrigible. L’écriture est de ce côté-là. Tout ce qui s’entête à vivre est de ce côté-là. »
« Le bien, s’il y en a, quand il y en a, arrive dans les rares instants où, m’abstenant de faire quoi que ce soit, je lui ouvre un espace. Le mal, c’est ce à quoi je prends part. Le bien, c’est ce que je laisse venir. »
« Vouloir plaire, c’est mettre sa vie dans la dépendance de ceux à qui l’on veut plaire, et de cette part en eux, infantile, qui veut sans fin être comblée. Ceux qui recueillent les faveurs de la foule sont comme des esclaves qui auraient des millions de maîtres. »
« Devant la phrase poudreuse et calme : «  Il neige », on ne songe pas à poser la question : « Qui est-ce qui neige ? » « Il neige » désigne un fait pur, un évènement sans auteur : « il y a de la neige, là maintenant. » Dire « je t’aime » ne dit rien d’autre. « Aimer » est un verbe de la même famille que « neiger ». Qui est-ce qui neige ? La neige. Qui est-ce qui aime ? L’amour. « Je t’aime » – donc « il y a de l’amour, là, maintenant. Il n’y a que de l’amour et moi je n’y suis pas. Je suis seulement celui qui formule ce qu’il y a là où, momentanément, je ne suis plus. » »
« Choses qui viennent par défaut à la place d’une autre : l’ambition. L’argent. Laver les vitres, classer des photos. La colère. Les voyages. Choses qui remplissent toute leur place et ont en elle-même leur propre suffisance : Nouer les lacets d’un petit enfant. Lire un livre d’une traite avec la nuit alentour. Changer l’eau des fleurs. L’empreinte d’un moineau sur la neige fraîche. L’amour. »
« L’écriture est la sœur cadette de la parole. L’écriture est la sœur tardive de la parole ou un individu, voyageant de sa solitude à la solitude de l’autre, peuple l’espace entre les deux solitudes d’une Voie lactée de mots. Ce qui nous parle, c’est ce qui nous aime. Une parole privée d’amour est une chose sourde, sans conséquence « Je ne sais pas te parler, donc je te tue » : l’amour est un effort pour sortir de ce meurtre naturel de chacun par chacun. L’amour est cette bienveillance élémentaire à partir de laquelle une solitude peut parler à une autre solitude et, au besoin, l’accompagner jusque dans le noir. »


lundi 11 novembre 2019

Les identités meurtrières

Autant j'ai déjà lu Maalouf romancier, autant c'est une découverte de le lire essayiste. Pourtant, ce titre est en bonne place sur ma LAL !

Dans cet ouvrage, Amin Maalouf décortique et analyse ce qu'est l'identité, ses multiples composantes, les appartenances, les héritages. 

"Moitié français, donc, et moitié libanais ? Pas du tout ! L'identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées. Je n'ai pas plusieurs identités, j'en ai une seule, faite de tous les éléments qui l'ont façonnée, selon un "dosage" particulier qui n'est jamais le même d'une personne à l'autre"
"Mon identité, c'est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne"
"S'il existe, à tout moment, parmi les éléments qui constituent l'identité de chacun, une certaine hiérarchie, celle-ci n'est pas immuable, elle change avec le temps et modifie en profondeur les comportements"
"Grâce à chacune de mes appartenances, prise séparément, j'ai une certaine parenté avec un grand nombre de mes semblables ; grâce aux mêmes critères, pris tous ensemble, j'ai mon identité propre, qui ne se confond avec aucune autre"
"C'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer"
"L'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence"
"Tant il est vrai que ce qui détermine l'appartenance d'une personne à un groupe donné, c'est essentiellement l'influence d'autrui ; l'influence des proches - parents, compatriotes, coreligionnaires - qui cherchent à se l'approprier, et l'influence de ceux d'en face, qui s'emploient à l'exclure. Chacun d’entre nous doit se frayer un chemin entre les voies où on le pousse, et celles qu’on lui interdit ou qu’on sème d’embûches sous ses pieds ; il n’est pas d’emblée lui-même, il ne se contente pas de "prendre conscience" de ce qu’il est, il devient ce qu’il est ; il ne se contente pas de "prendre conscience" de son identité, il l’acquiert pas à pas."

Et ces multiples appartenances coexistent, à différents niveaux. C'est souvent celle qui est attaquée ou questionnée, qui fait vibrer ou réagir la personne.

Alors, il s'interroge sur la façon dont ces identités multiples, s'expriment par rapport à une mondialisation qui lisse les différences, propose un modèle dominant, écrasant. Et exacerbant les comportements identitaires, meurtriers parce qu'ils se posent "contre" une inégalité, une domination. Il analyse le cas des pays arabes et de pays colonisés, enjoints à une modernisation ou une occidentalisation forcée, et montre comment des réactions nationalistes ou communautaristes en naissent. 
"Il y a constamment, dans l’approche qui est la mienne une exigence de réciprocité – qui est à la fois souci d’équité et souci d’efficacité. C’est dans cet esprit que j’aurais envie de dire, "aux uns" d’abord : "plus vous vous imprégnerez de la culture du pays d’accueil, plus vous pourrez l’imprégner de la vôtre" ; puis "aux autres" : "Plus un immigré sentira sa culture d’origine respectée, plus il s’ouvrira à la culture du pays d’accueil [...] si j’adhère à mon pays d’adoption, si je le considère mien, si j’estime qu’il fait désormais partie de moi et que je fais partie de lui, et si j’agis en conséquence, alors je suis en droit de critiquer chacun de ses aspects ; parallèlement, si ce pays me respecte, s’il reconnait mon apport, s’il me considère, avec mes particularités, comme faisant désormais partie de lui, alors il est en droit de refuser certains aspects de ma culture qui pourraient être incompatible avec son mode de vie ou avec l’esprit de ses institutions."
"Il ne sert à rien, me semble-t-il, de s'interroger sur "ce que dit vraiment" le christianisme, l'islam ou le marxisme. Si l'on cherche des réponses, pas seulement la confirmation des préjugés, positifs ou négatifs, que l'on porte déjà en soi, ce n'est pas sur l'essence qu'il faut se pencher mais sur les comportements, au cours de l'Histoire, de ceux qui s'en réclament"
"Les sociétés sûres d'elles se reflètent dans une religion confiante, sereine, ouverte ; les sociétés mal assurées se reflètent dans une religion frileuse, bigote, sourcilleuse. Les sociétés dynamiques se reflètent en un islam dynamique, innovant, créatif ; les sociétés immobiles se reflètent en un islam immobile, rebelle au moindre changement [...] Ce contre quoi je m'élève, ici, c'est cette habitude que l'on a prise - au Nord comme au Sud, chez les observateurs lointains comme chez les adeptes zélateurs - de classer chaque événement se déroulant dans chaque pays musulman sous la rubrique "islam", alors que bien d'autres facteurs entrent en jeu qui expliquent bien mieux ce qui arrive. Vous pourriez lire dix gros volumes sur l'histoire de l'islam depuis les origines, vous ne comprendriez rien à ce qui se passe en Algérie. Lisez trente pages sur la colonisation et la décolonisation, vous comprendrez beaucoup mieux"
Il questionne également les quotas, le communautarisme, les discriminations positives à l'égard des minorités ? Sont-elles réellement des solutions ? 

Amin Maalouf prône un humanisme universel, qui reconnaisse à chaque homme son humanité, une réciprocité dans les relations, l'apprentissage de plusieurs langues et la découverte d'autres cultures. Bref, c'est un appel à vivre plus ouvert à l'autre et à ses identités. Car c'est aussi quelque chose qui pourrait se diffuser dans notre monde globalisé !

lundi 4 novembre 2019

Circe

Ce livre de Madeline Miller était depuis sa publication sur ma LAL. Le croiser en bibliothèque m'a fait sauter le pas de la lecture. 
Bienvenue dans la vie de Circé, la sorcière qui transforme les hommes en porcs. Sauf Ulysse, protégé par Hermès. Comment ça c'est un peu maigre ? Evidemment, le roman de Madeline Miller est plus vaste que cela. Ecrit à la première personne, c'est la voix de Circé qui s'élève, de sa naissance à ... son dernier acte de magie ? 

Circé, fille d'Hélios et de Perséis, c'est une déesse ratée : pas très jolie, pas très douée, elle observe et se cache toute son enfance. Moquée et abandonnée par ses frères et sœurs, elle s'occupe à regarder les humains. Puis s'amourache de Glaucos, l'un d'eux, qu'elle va rendre immortel. Et elle va changer une nymphe en monstre, Scylla. Evidemment, ça ne plait pas aux dieux, voire ça leur fait très peur, et ils l'exilent sur une île hostile : Aiaia. Elle y développe ses dons de magicienne, à l'écart du monde. Pourtant, des hommes accostent sur ses rives, comme le savant Dédale, ainsi que sa nièce Médée, ou le bel Ulysse, ou le fringuant Hermès (ah non, c'est un dieu). Comment la déesse s'en accommode-t-elle ? Comment passe-t-on d'exil en rebondissement et intrigues ? Eh bien, je vous invite à lire ce roman pour le découvrir.

Au-delà de l'aventure mythologique (dont j'aime toujours autant les réécritures), c'est le portrait de femme qui est intéressant ici. Bon, elle prend plusieurs millénaire pour évoluer mais c'est sa nature de déesse ;) Ok, les premiers chapitres sont un peu longuets. Mais dès qu'elle découvre ses dons, ça devient plus sympa. Et l'écriture est plutôt belle, notamment lorsque Circé cueille ses plantes, avec ses lions et ses loups !

lundi 28 octobre 2019

Le Concert


Le bouquin d’Ismail Kadaré commence bien avec cette livraison d’un citronnier chez Silva un soir de repas de famille. Autour de la table, Silva, sans sa sœur Ana, récemment décédée, Arian, son frère et des membres de la famille de Gjergj, son époux. Nous sommes en Albanie, alors que les relations avec la Chine se tendent. Silva et Gjergj sont un peu des ci-devant, des bourgeois communistes. Oui, c’est bizarre. Mais ils ont des bons postes, lisent, fréquentent des écrivains. Et s’inquiètent des relations avec la Chine alors que Mao expire. Ce n’est pas tout à fait les mêmes préoccupations pour les chinois sous Mao, qui vivent dans la méfiance et dans la destruction de tout ce qui peut s’approcher de la culture. Les pages sur les écrivains « rééduqués » sont terribles.

Au fur et à mesure de ce gros roman, les relations entre Chine et Albanie sont contées, à travers quelques personnages. C’est assez long et indigeste, surtout quand il est question de la mort de Lin Biao et de ses causes. Ou quand Shakespeare et Macbeth s’invitent. Ce n’est pas non plus un mauvais roman mais il est extrêmement classique et rien ne vient réellement réveiller le lecteur.


jeudi 24 octobre 2019

Une longue impatience

Avril 1950, Anne est inquiète : Louis, son fils aîné, a disparu. Enfin, il n'est pas rentré. Et il ne rentrera pas pendant des jours, des mois, des années... C'est avec Anne, sa mère, que l'on vit cette attente insupportable. Alors, pour patienter, elle coud. Elle imagine sur une nappe le festin qu'elle donnera lors du retour du fils prodigue. En creux, c'est la vie d'Anne, son mariage avec Etienne, qui n'est pas du même monde, ses autres enfants. C'est Louis petit puis ado. Louis qui prend tant de place pour un absent.

Ce roman de Gaëlle Josse est superbe ! Poignant, touchant, à faire pleurer. Le portrait d'Anne est fin, subtil, discret et l'écriture tisse un visage de femme inoubliable, d'une patiente Pénélope de Bretagne.

lundi 21 octobre 2019

Marins d'audace !

Voilà un joli roman graphique au service d'une association pas comme les autres : Jolokia ! L'idée du fondateur, Pierre Meisel, c'est de former un équipage aux profils divers et de les faire gagner des courses en mer. Et montrer par là combien la diversité, au service d'un but commun, est une force.

Guillaume de Bats, l'auteur de cet ouvrage, s'embarque avec l'équipage. Et il croque avec humour et simplicité les équipiers, le bateau, les courses, les entraînements. Un joli moment de lecture et une belle cause à découvrir :)

lundi 14 octobre 2019

Pedro Paramo

J’ai lu il y a quelques temps des nouvelles de Juan Rulfo. Je poursuis ma découverte avec ce roman, que j’ai beaucoup plus apprécié que mes premières lectures. J’ai eu l’impression de ne pas toujours en saisir toutes les subtilités (c’était en VO) mais j’ai été bluffée par l’ambiance et le brouillage des pistes.

Juan, notre narrateur part à la recherche de son père, Pedro Paramo, pour réclamer son bien. Il se rend à Comala après la mort de sa mère Dolorès et rencontre en chemin un autre fils dudit Pedro qui l’accompagne jusqu’à la ville. Et lui annonce la mort de Pedro. La ville parait complètement abandonnée. Et pourtant, Juan s’aventure dans la ville et cherche Ña Eduviges pour se loger. Et c’est là qu’on perd pied pour se laisser entraîner dans une sarabande où les morts de la ville nous informent sur leur passé, surtout celui de Pedro Paramo. Petite frappe devenu propriétaire terrien, tyran local à qui rien ni personne ne résiste, on le découvre par fragments, sans chronologie, par ouï-dire. Terres isolées, brûlées par la chaleur, la loi du plus fort et les passions violentes abritent cette histoire brillante et étonnante. La tension monte autour de Juan et des souvenirs de son père Pedro jusqu’au moment de bascule. De même, la situation de Pedro évolue avec l’amour de Susana et sa disparition…

Je comprends mieux pourquoi ce roman est un précurseur du réalisme magique et a inspiré Garcia Marquez. Il nous plonge dans un Comala fantastique, où vivants et morts se mélangent, où la mort est omniprésente, banale, mêlée à la vie - renforçant l’image d’Epinal que j’ai du Mexique et des liens entre morts et vivants. Ça me fait aussi penser aux transis de pierre de la Renaissance, où le vivant est déjà rongé par la mort. Je suis complètement sous le charme.

mercredi 9 octobre 2019

Sorties des six derniers mois... oups, ça date !

Pour Sama
Documentaire filmé caméra au poing, essentiellement dans un hôpital, durant le siège d'Alep, c'est un film très dur. Waad et Hamza de 2011, dans l'enthousiasme du printemps arabe, à 2016, à la fin du siège d'Alep, c'est l'itinéraire de deux résistants et deux rescapés. Elle est journaliste, il est médecin. Et elle nous livre des images crues, dures, d'enfants morts sous les bombes, de familles en deuil, coincées dans une ville fantôme. Un documentaire qui laisse sans voix.

Nous les arbres
A la fondation Cartier, une étrange expo sur les arbres, à travers des artistes et des scientifiques. Expo dans l'air du temps, qui réunit des œuvres contemporaines variées, provenant notamment de communautés indigènes du Paraguay et du Brésil (youpi). Représentations des arbres et liens entre la nature et les créations humaines sont au centre de la visite. Le parcours n'est pas forcément très clair mais c'est une belle promenade entre les dessins de Francis Hallé, les films de Depardon et les artistes du Chaco !

Les hirondelles de Kaboul
Magnifique film d'animation, aux images aquarellées et douces, qui contrastent fortement avec le fond de l'histoire : la vie d'une jeune femme à Kaboul, sous les talibans. Mohsen et Zunaira, deux intellectuels, vivent ensemble, ils s'aiment. Zunaira, cloîtrée chez elle, dessine à longueur de temps. Mohsen erre dans les ruines de l'université et participe à une lapidation. De ce geste et des humiliations des soldats, une dispute s'ensuit à l'issue de laquelle Mohsen meurt. Zunaira est emprisonnée mais Atiq, le gardien de prison, ne reste pas insensible à ses charmes. Un film très esthétique !

Amazonie : Le chamane et la pensée de la forêt
C'est une expo toujours visible au château des ducs, à Nantes. Expo de plumasserie exceptionnelle : les parures sont dingues ! L'objet de l'expo, ce sont les peuples indigènes d'Amazonie, qui luttent pour conserver leurs terres et leur droit à vivre dans la forêt. Ce sont leurs chefs qui en parlent, à travers plusieurs vidéos qui parcourent l'expo. Pensée par peuple, dont je n'ai malheureusement pas retenu tous les noms, on découvre à la fois les armes, des ornements et quelques éléments sur la vie quotidienne de chacun. Plus intéressant esthétiquement qu’anthropologiquement.

Rock ! Une histoire nantaise
Toujours au château des ducs de Nantes, c'est une histoire du rock à Nantes depuis les années 60 à nos jours. Ce sont des groupes, des lieux, des chansons, offertes chronologiquement. Avec un système d'ampli assez amusant pendant la visite et plein de noms que j'ignorais totalement !

Paris Romantique
Au Petit-Palais et au musée de la vie romantique, on parcourt les courtes mais foisonnantes années de 1815 à 1848, en s'arrêtant dans les divers quartiers de Paris. C'est passionnant - mais on n'avait pas prévu assez de temps, du coup fin du parcours en 4e vitesse. On part des Tuileries, du Louvre et du Palais Royal, les lieux du pouvoir politique et économique pour aller vers le Paris des Révolutions et des plus pauvres. Les nouveaux lieux intellectuels et artistiques comme la nouvelle Athènes sont évoqués, plus spécialement au musée de la vie romantique avec les salons. Une expo passionnante entre art et histoire !


Muse
Concert au Stade de France avec foule d'effets spéciaux. C'est un peu too much, non ? Même si ça fait toujours plaisir de retrouver ces artistes.

Parasite
Il est rare que je me sente mal au ciné, mais ce film - et la chaleur de la salle - m'ont épuisée. Cette histoire de famille pauvre qui s'incruste chez les riches fait passer par bien des émotions. Est-ce juste ou injuste ? Est-ce drôle ou pitoyable ? Est-ce gore ? Est-ce moral ou non ? Et finalement, à quoi ça sert la morale ? Un film esthétiquement très réussi, dont on sort avec des questions !

A gospel Feast par Diony'sVoice
Concert de Gospel hyper chouette par un jeune groupe.

Mes souliers sont rouges
Très belle soirée de concert au café de la danse avec le groupe reconstitué, des nouvelles chansons, toujours des souliers rouges et de la podorythmie. Et un petit plus avec l'accompagnement en langue des signes. De quoi danser la gigue toute la nuit !

Et pendant ce temps Simone Veille
Et si on rembobinait l'histoire du féminisme ? Des années 50 à nos jours par exemple. On suit trois femmes, et leur progéniture, dans la difficile libération féminine. Drôle, sans complexe, c'est un joli voyage que nous offre cette pièce.

Green Book
La tournée d'un musicien noir, Don Shirley, dans le sud de l'Amérique dans les années 60, n'est pas de tout repos. Tony Lip, engagé comme chauffeur et garde du corps, va découvrir les violences du racisme. Une belle histoire d'amitié et des moments édifiants.

Fernand Khnopff
Un de mes peintres chouchous depuis une expo au musée de Bruxelles... il y a des siècles ! J'ai eu beaucoup de joie à le redécouvrir à Paris au Petit Palais, même si j'avais oublié à quel point symbolisme et onirisme peuvent côtoyer mysticisme chelou. La scéno est superbe, dans un décor fin de siècle, et le parcours thématique permet d'observer les portraits, paysages, sculptures et peintures du rêve, d'Hypnos etc. chers à l'artiste. Belle rétrospective d'un peintre méconnu, dont j'aime l'onirisme et la touche ouateuse. 

A la bonheur
Au théo théâtre, voyage farfelu d'un clown qui nous vend du bonheur. Pas emballée.

Fendre l'air
Sur l'art du bambou au Japon, voici une exposition du quai Branly qui m'a laissée de marbre. A croire que la vannerie et l'art de la tresse ne sont pas mes tasses de thé. De panier décoratif à sculpture, la place de ces œuvres de bambou évolue, au point que certains soient aujourd'hui trésors nationaux.

Heptameron, récits de la chambre obscure
J'avais beaucoup aimé les récits de Marguerite de Navarre. Imaginez-les repris ici par des comédiens, des musiciens et des chanteurs de pièces baroques. Décor dépouillé, histoires d'amour et de mort, voix pures, préparez-vous à vivre un rêve éveillé. Magnifique !

Seule(s) en scène
Cinq comédiennes sur scène, dans les années 60. Elles répètent une pièce où il est question de meurtre. Mais très souvent, elles dérapent dans leur propre réalité. Drôle et bien mené, avec des actrices attachantes.

Peintures des lointains
Au musée du Quai Branly, on découvre des peintures qui retracent les liens entre colonisateurs et colonisés, orient et occident, du XVIIe au XXe siècle. De l'émerveillement -que c'est exotique !- au racisme, il y a un peu de tout dans cette expo. Rien de bien nouveau du point de vue historique, mais des peintures étonnantes, peu vues - pas toujours géniales esthétiquement !

lundi 7 octobre 2019

Tout le monde est occupé


C’est peut-être la première fois que je lis un Bobin si proche du roman. C’était étonnant et agréable de suivre une histoire plus que des évocations. Que voulez-vous, j’aime aussi l’ordre et les chronologies, s’ils sont légers. On pourrait dire que c’est l’histoire d’Ariane et de ses trois amours, ou d’Ariane et ses trois enfants. Ariane pleine de joie et de vie. Ariane qui vole et qui ronfle en dormant. Ariane qui a un canari et un chat. Qui aime les plantes et les revues. Puis à travers elle, c’est Manège, Tambour et Crevette que l’on découvre. Trois enfants étonnants et sensibles, comme Ariane. Et quelques personnes autour d’eux : les pères, plus ou moins présents, les employeurs d’Ariane, qui ont tous une petite lourdeur – tristesse, orgueil et jalousie -, la vierge Marie de plâtre de l’église qui aime voyager et voilà. Ça suffit pour faire un petit monde aux allures de conte.


La phrase qui fait boum : 
« Les livres, pour les effacer, il suffit de ne jamais les ouvrir. Les gens, c'est pareil : pour les effacer, il suffit de ne jamais leur parler »
Et plein d'autres morceaux choisis !
« Elle aimait et elle voulait. Le reste n’importait pas. Vivre est si bref. Donne-moi ce que j’aime. Je n’aime que la vérité. Donne-moi ce que tu es, laisse tomber ce que t’ont appris tes maîtres, oublie ce qu’il est convenable de faire »
« Il n’y a que du naturel dans ce monde. Ou si vous voulez, et c’est pareil – il n’y a que des miracles dans ce monde »
« Tout le monde est occupé. Tout le monde, partout, tout le temps, est occupé, et par une seule chose à la fois. Monsieur Lucien est envahi par sa femme. Monsieur Gomez est obsédé par sa mère. Madame Carl ne pense qu’à sa carrière. On ne peut pas faire deux choses à la fois. C’est dommage mais c’est comme ça. Dans la cervelle la plus folle comme dans la plus sage, si on prend le temps de les déplier, on trouvera dans le fond, bien caché, comme un noyau irradiant tout le reste, un seul souci, un seul prénom, une seule pensée. Dans le cerveau de Manège, dans sa tête, dans son cœur et sous ses paupières qui ne se ferment jamais, il y a désormais un pêcheur à la ligne. Elle le cherche dans la beauté du monde. Elle dessine cette beauté pour y trouver les traits de son père. L’histoire des petites filles avec leur père est une histoire insistante. Quant à l’histoire des petits garçons avec leur mère, c’est encore plus compliqué. C’est dommage, c’est navrant, c’est un peu étroit, c’est tout ce qu’on voudra mais c’est comme ça. Tout le monde, partout, tout le temps, est occupé, et par une seule chose à la fois »
« Ariane est à nouveau amoureuse. Il n’y a pas d’occupation plus radicale. L’amour prend la pensée et la prend toute. L’amour est pour la pensée la fin des vacances. Tout ce qu’Ariane pense se rapporte à son nouvel amour »
« Dieu, mon petit bonhomme, c’est aussi simple que le soleil. Le soleil ne nous demande pas de l’adorer. Il nous demande seulement de ne pas lui faire obstacle et de le laisser passer, laisser faire. Un peu comme Ariane dans la cuisine, quand elle demande aux enfants d’aller jouer un peu plus loin, afin de préparer cette nourriture qu’elle n’invente au fond que pour eux. Dieu, c’est pareil mon petit bonhomme. Il aime nous voir rire et jouer. Le reste, il s’en occupe »

lundi 30 septembre 2019

10 jours dans un asile

Nellie Bly, c'est celle qui a battu Phileas Fogg ! Elle a fait le tour du monde en 72 jours. Et à part ça ? Elle s'est illustrée dans le journalisme d'investigation en s'y mettant à 200%. Notamment en se faisant passer pour folle pour enquêter sur les conditions de vie en asile psychiatrique. C'est ce reportage qui est au cœur de ce petit ouvrage. Avec humour, Nellie conte comment elle se fait passer pour folle - et à quel point ça marche bien. Elle est ensuite internée avec d'autres femmes, dont certaines sont effectivement folles mais d'autres pas... Elles parlent simplement une langue étrangère, ou ont été internées par leur famille sans le savoir. Ce qui est dommage, c'est qu'il n'y a pas moyen de faire comprendre aux médecins qu'elles ne sont pas folles. Commence une vie de privation, de tortures quotidiennes par des infirmières sadiques (bains sales et glacés, vol de nourriture, violences physiques et verbales...) et d'indifférence du reste du monde pour ces conditions de vie. Enfin, jusqu'à la publication du reportage. 

Deux autres enquêtes suivent : l'un sur les embauches des bonnes, l'autre sur le travail en usine. Plus courts, moins fouillés, ils donnent simplement un aperçu de la condition ouvrière à New York à la fin du XIXe siècle. 

Effrayant mais inspirant sur les mots et les femmes de tête qui font changer les mentalités !


dimanche 29 septembre 2019

Le soleil se lève aussi

Voilà un Hemingway qui profite du mois américain pour sortir de ma PAL. C'est un roman qui se passe essentiellement en France et en Espagne de l'entre deux guerres, où l'on suit un groupe d'américains.

Jake Barnes, le héros de ce roman, est un vétéran alcoolique - comme la majorité des personnages de ce livre. Journaliste, on le voit passer de bars en bars, de restaurants en bars à Paris, du côté de Montmartre ou Montparnasse. On y croise Brett, une américaine qui passe de liaison en liaison. Et Bill, Mike et Robert qui lui tournent autour. Paris n'est pas la partie la plus passionnante du roman. Puis on suit la bande aux fêtes de Pampelune où Jake initie ses amis à la corrida. Et tous continuent de picoler. Il y a un peu plus d'action dans le groupe et de belles scènes de campagne et de pêche. 

Le vide et la superficialité de la vie après guerre est très bien rendue. Le souci, c'est qu'on s'ennuie presque autant que les personnages. Et que tous se ressemblent terriblement. Bref, ce n'est pas mon roman favori. Ni mon auteur favori.