samedi 30 mai 2020

A Philémon

Avec l'Amoureux, nous venons de terminer ce court et bel ouvrage d'Adrien Candiard sur la liberté. C'était un régal de pédagogie et d'inspiration ! Car parmi les questions que beaucoup de croyants se posent, il y a celle des interdits, de ce que l'on doit faire ou pas pour être un bon chrétien, un bon musulman, un bon bouddhiste etc. Et chez les chrétiens, cette question est particulièrement malmenée. Qu'est-ce qui est permis ? obligatoire ? On a beau entendre que le commandement c'est d'aimer Dieu et son prochain comme soi-même, c'est parfois un peu court. Alors Candiard propose, à partir d'un très court texte, la lettre à Philémon, d'interroger la liberté, le devoir et l'amour. Il le fait de façon concrète, simple. C'est très pédagogue, bourré d'humour et de tendresse pour le lecteur !
Je crois que le plus fort ici, pour moi, c'était de déconstruire une image de Dieu, tout-puissant, qui te teste avec une pomme et un serpent. Mais je ne vous en dis pas plus, c'est dans les extraits du chapitre 2. J'ai glané des citations bien nombreuses, plus pour m'en souvenir que pour vous noyer dans leur lecture. Piochez-y ce qui vous intéresse !

Dans le chapitre 1 :
« Sa conversion n'a pas consisté à passer d'une doctrine à une autre, encore moins d'un groupe d'appartenance à un autre. Paul n'a pas changé de Dieu : c'est toujours le même, le Dieu D'Abraham, d'Isaac, de Jacob, le Dieu de l'Alliance, le Dieu qui a fait sortir son peuple d'Egypte. Dieu n'a pas tellement changé; mais dans la conversion, Paul, lui, n'est pas resté le même. Il est devenu si différent qu'il est devenu difficile de le comprendre sans revenir à cet évènement initial: si nous voulons comprendre ce qu'il écrit à Philémon, il faut revenir à cette nouvelle naissance, sur le chemin de Damas »
« Lui non plus, les 613 commandements, il n’y arrive pas toujours. Il commence à faire l’expérience amère de sa propre faiblesse, qui l’humilie et le met en colère [...] « Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir : je ne fais pas le bien que je veux, et je commets le mal que je ne veux pas. » […] Le jeune Paul, face à ses échecs, s’est d’abord dit que c’était de sas faute, et il se sentait coupable : il n’avait pas voulu assez fort : La prochaine fois, il suffirait d’être plus vigilant, de vouloir mieux, de vouloir plus. Cela marchait quelques fois : sur tel ou tel point, ses efforts portaient du fruit, il s’améliorait et se rapprochait de son idéal, mais pas toujours. Et parfois, alors qu’il se pensait tiré d’affaire, qu’il croyait que sa bonne volonté avait enfin pris le contrôle de lui-même, patatras : tout était à recommencer.  Et il ne renonçait pas, devant ses échecs répétés, à appliquer parfaitement les commandements de Dieu : il savait, ou croyait savoir, que c’était la condition pour mériter l’immense amour de Dieu. […] Il avait la réputation d’être inflexible, exigeant, et pour tout dire un peu pénible. […] Il se doutait bien que cette dureté l’éloignait encore davantage de l’idéal de la Loi qu’il cherchait à atteindre, cette Loi qui lui commandait, « aime ton prochain comme toi-même », alors que bien souvent il n’aimait au fond ni l’un ni l’autre. »
« Pour Paul, qui avait jusque-là passé sa vie à tenter de mériter l’Amour de Dieu, c’est un choc de se découvrir aimé si totalement, et sans la moindre condition ; aimé alors qu’il n’a pas fait ce qu’il faut, mais plutôt tout le contraire et qu’il est devenu le persécuteur de ce dieu qui pourtant ne cesse pas de l’aimer. »
« Un coup de foudre nous transforme plus profondément que la lecture du Code pénal »

Dans le chapitre 2 :                 

« Notre déception, il est évident qu’elle a aussi traversé l’esprit de Paul. Il sait combien il lui serait facile d’ordonner à Philémon d’affranchir Onésime. Il l’a entendue, cette petite voix qui lui murmure : « allons, c’est pour la bonne cause ! » La souffrance de l’esclave, il la connait, mieux que nous sans doute, et il la sait intolérable. Philémon ne se plaindrait même pas, il l’admire tant. Il est prêt à faire tout ce que Paul lui dira. Lui forcer la main dance cette affaire, ce ne serait pas un grand mal, et il en sortirait un grand bien… Pourtant, à cette voix intérieure qui l’appelle à n’être pas trop regardant sur les moyens quand il s’agit d’arriver à cette fin, Paul ne cède pas. »
« « Si vous mangez de ce fruit, vous mourrez. » Quelle image de Dieu avons-nous donc dans la tête, pour penser aussitôt que ce « vous mourrez » signifie «  je vous tuerai » ? Quel Dieu déciderait arbitrairement d’interdire quelque chose de bon, comme cela, pour le plaisir, et punirait de mort la transgression ? Certainement pas le Dieu de Jésus-Christ. Croit-on que, quand des parents expliquent à leurs enfants de ne pas mettre les doigts dans la prise au risque de mourir, c’est parce qu’ils comptent les punir de mort ? […] C’est exactement le Dieu dont parle le serpent à Adam et Ève. Leur péché, précisément, c’est de le croire. De croire que Dieu est malveillant à leur égard, qu’il souhaite les limiter et les mutiler pour son plaisir, qu’il leur interdit de bonnes choses parce qu’il ne les aime pas. De ne pas comprendre que Dieu les a simplement avertis, pour leur bien. Que la vie n’est pas un terrain où ma volonté et la volonté de Dieu s’opposent et l’une ne progresse qu’au détriment de l’autre […] Nous voulons la même chose : le bien, mon bien. Dieu ne m’interdit rien, mais il m’avertit que les moyens que je veux employer, parfois, sont très mal choisis. […] La tentation, c’est de rêver un autre monde, où l’impossible n’existe pas. […] Et le tour de force du tentateur, depuis le serpent d’Adam et Ève, c’est de nous faire croire que rien de cela n’est impossible, mais que c’est tout simplement interdit. […] Il ne s’agit pas d’obéir, mais de comprendre – et en comprenant, je vais sans doute trouver le bien désirable et le mal dangereux. J’agirai alors librement, parce que j’aurai reconnu mon bien et le rechercherai de mon plein gré. Alors je ferai véritablement ce que je veux, et ce que Dieu veut. En effet, l’ennui, si je confonds la vertu avec une soumission pénible (et d’autant plus méritoire, bien sûr, qu’elle est pénible) à une volonté divine incompréhensible, c’est qu’alors je continue à penser, dans un petit coin de ma tête, que ce péché que je m’interdis de regarder, il me ferait pourtant du bien. »
« Nous ne pouvons entrer dans cette amitié sans y entrer avec toute notre personne. Une personne encore imparfaite, sans doute, mais Dieu saura bien nous conduire, pour peu que nous soyons vraiment là, décidés à le suivre. C’est peut-être parce que nous sentons ce que cette morale a d’exigeant, et même d’exorbitant, que nous nous dérobons si souvent, préférant l’autre, celle de l’obéissance aux commandements, finalement tellement plus facile. »

Dans le chapitre 3 :
« L’évangélisation est d’abord une affaire d’amitié. Elle déborde de toutes les lignes. Comme si l’amitié avec le Christ était une affaire contagieuse. Comme si nous n’avions d’autre moyen, pour annoncer à quelqu’un l’amour de Dieu, que de l’aimer à notre tour. »
« La chasteté n’est pas l’absence de relation sexuelle : selon sa définition la plus classique, elle consiste à n’aimer, dans l’autre, rien d’autre que lui-même. C’est l’aimer pour ce qu’il est, et non pas pour ce qu’il m’apporte. »
« Paul n’invite pas à l’assujettissement du désir au désir de l’autre, même de manière réciproque : ce serait une violence terrible, qui n’aurait pas grand-chose à voir avec de l’amour. Il vise en réalité quelque chose de bien plus fondamental : la sexualité authentique n’est pas centrée sur elle-même, obsédée par sa propre jouissance, mais elle est don ; c’est l’autre qui donne sens à mon propre corps. […] Et comme toujours, c’est quand je me donne que je commence à être véritablement moi-même. »
« Etre libre, c’est être capable de faire ce que je veux. Ce que je veux, et non pas ce dont j’ai envie sur le moment, qui bien souvent s’opposent et même s’excluent. Mais bien malin qui peut dire ce qu’il veut vraiment en la matière. »

Dans le chapitre 4 :
« Le chemin de liberté que dieu ouvre à Philémon, qu’il ouvre à chacun de nous, nous rend joyeux quand nous le recevons pour nous, mais parfois un peu plus suspicieux quand nous le voyons s’ouvrir devant les autres. Est-ce qu’ils ne vont pas en abuser, se montrer irresponsables, peu dignes de la confiance que Dieu place en eux ? Cette façon qu’a Dieu de se donner à tous gratuitement, est-ce vraiment bien juste ? […] Il faut peut-être nous y faire et commencer à accepter que l’Evangile, la Bonne nouvelle, l’amour de Dieu, non, ce n’est pas juste. Le compte n’est pas bon, parce qu’il n’est pas question de compte mais de don. La logique de l’Evangile, c’est celle du cadeau, et le cadeau n’est pas une affaire de justice. […] Je n’ai rien contre les comptables, mais la grâce de Dieu (un mot qui signifie « gratuit »), par définition, cela ne rentre pas dans un tableau Excel. […] L’amour gratuit de dieu nous déstabilise et nous préférerions avec avoir avec lui quelque chose de plus sûr : je paie, il livre. […] On fait tout ça pour lui faire plaisir, on se complique la vie pour lui, donc il nous doit bien quelque chose en retour. […] Marthe, Marthe, tu perds ton temps quand tu crois rendre service au Christ parce que tu te compliques la vie, quand tu opposes le bien et ce qui te fait du bien. Marthe, Marthe, tu fais fausse route quand tu penses que la volonté de Dieu c’est le contraire de ta volonté : vous faites alliance. […] Le Royaume de Dieu, que tu recherches, ne te sera pas donné en récompense de tes efforts, il t’est déjà donné en partage. […] Jésus ne reproche pas à Marthe son service – ce qui serait tout de même un comble ! Il ne lui reproche pas d’être active. Il lui reproche d’avoir l’esprit plein de 36 000 choses et du coup de négliger l’essentiel. D’avoir l’esprit rempli par les tasses de thé, les serviettes en papier, le canapé, les pâtisseries, les livraisons, l’évier de la vaisselle, la propreté des toilettes, la température de la pièce – bref tout ce qui va faire que l’invité se sentira bien -, mais de ne pas s’occuper de l’invité. L’invité n’est pas seulement un corps à nourrir et à installer dans un lieu confortable à bonne température : c’est une personne à rencontrer. Tout le reste peut en découler, tout le reste peut y servir, mais passer à côté de la rencontre, c’est avoir tout raté. […] On peut cuisiner pour réussir le plat ou pour faire plaisir aux invités […] Dans un cas, vous préparez de la nourriture, et dans l’autre vous fabriquez de la communion. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

Dans le chapitre 5 :
« Ce qui changera le monde ce n’est pas la construction de systèmes plus ou moins complexes et ingénieux, mais bien ma relation avec mes frères. »
« « Remets-nous nos dettes », cela veut dire plutôt : fais-nous sortir, Seigneur, de cette épuisante logique des dettes et des « devoirs » de ce monde impitoyable où sans cesse tour à tour créanciers et débiteurs, sans cesse occupés à réclamer notre dû, ou à négocier des délais, nous n’avons plus le temps d’être des frères. »
« Ce qu’on appelle le salut, c’est d’accepter d’entrer avec Dieu dans cette relation d’amour, non par obéissance ou crainte de l’enfer, pas même par politesse devant la grandeur de son don, mais librement, parce qu’on a pressenti l’incroyable intensité de son amour à lui. […] Rien ne contriste dieu davantage que ce refus de sa grâce : c’est pour lui, qui veut que tous les hommes soient sauvés, le prie échec qu’on puisse imaginer. »
« Bien sûr que personne n’est digne de recevoir en soi le Créateur de l’univers ! Mais ce n’est pas une raison de faire la tête. Il y a de quoi se réjouir, au contraire. Parce que mon indignité qui m’intimide tant, Dieu s’en fiche. Parce que cela ne l’empêche pas de venir jusqu’à moi, au plus intime de moi-même, alors même que je n’ai rien mérité. Parce que je ne suis pas digne. Parce que tout est grâce. »
« Il n’est pire destruction que celle qu’on accomplit au nom du bien de ceux-là mêmes qu’on est en train d’anéantir. »

mercredi 27 mai 2020

Contes et légendes inachevées. Le second âge

Sortie de PAL pour ce petit volume de Tolkien qui ne vaut pas le Seigneur des anneaux mais raconte des temps antérieurs avec des personnages entre l'humain et l'elfe. 

On y découvre l'ile de Numenor, une île en forme d'étoile, donnée aux hommes. Cette île prospère, riche en forêts, accueille un peuple de cavaliers et de marins. C'est l'histoire d'un des rois marins que nous découvrons dans Aldarion et Erendis, l'histoire la plus longue du recueil. Aldarion aime la mer et il aime Erendis mais toujours l'une bataille avec l'autre. On découvre ensuite la généalogie des rois d'Elros, le premier roi de Numénor, jusqu'à la submersion de l'île. Chaque roi ou reine vit moins longuement que son prédécesseur, leurs passions les poussent vers plus de pouvoir et de richesses, jusqu'à leur ruine. 

On retrouve aussi des éléments sur Galadriel et Celeborn, sur leurs rencontres - il y a plusieurs versions. Et surtout, il est question des elfes, de leur parenté, des conflits, des déplacements qu'ils doivent faire mais aussi de Celebrimor, l'artisan qui forge les anneaux de pouvoir. 
Les appendices décrivent quelques lieux, éléments de langage ou noms des personnages. 

Comme l'indique le titre, ces récits sont composés des notes de Tolkien, relues par son fils, qui dénonce des incohérences ou comble les trous. A moins de très bien connaître le reste de son oeuvre, on est un peu perdu par les dates, les personnages, les lieux. Mais cela n'enlève nullement leur saveur aux récits proposés !

mardi 26 mai 2020

Il viccolo di Madama Lucrezia

C'est une nouvelle de Prosper Mérimée qui se déroule à Rome. Une petite pointe de fantastique aiguise notre attention... et retombe.

Notre narrateur, fraîchement arrivé à Rome, se fait un ami, un jeune homme destiné à la prêtrise qui trompe bien son monde. Un soir, après avoir évoqué de curieux phénomènes, il est témoin d'une étrange apparition, dans un lieu obscur et abandonné. Dans cette bicoque, qu'il se fait ouvrir dès le lendemain, il apprend que vivait Lucrèce Borgia qui y tuait ses amants. Jouant avec sa peur, le narrateur s'aventure à nouveau dans la ruelle...

Courte et peu élaborée par rapport à la Vénus d'Ille dont j'ai d'excellents souvenirs, une nouvelle qui ne vaut pas le détour !

lundi 25 mai 2020

Un bruit de balançoire


Des lettres de Bobin, avec l’inspiration de Ryokan qui souffle au-dedans. Lettres à des objets ou à des personnes, sans distinction : une inconnue, un nuage, Marina, un forestier, sa mère, un coucou, un ami, les jeunes gens de Lodz, Ryokan, Nadedja, un escalier, un bol cassé, Hélène, une femme et une demoiselle, son âme, un messager, un fantôme, un penseur, et Lydie.

« L’écriture doit venir nous chercher où nous sommes, nous sortir de la tombe de nos vies, faire revenir dans nos veines le sang vieil or de l’amour »
« J’ai interrogé les livres et je leur ai demandé quel était le sens de la vie, mais ils n’ont pas répondu. J’ai frappé aux portes du silence, de la musique et même de la mort, mais personne n’a ouvert. Alors j’ai cessé de demander. J’ai aimé les livres pour ce qu’ils étaient, des blocs de paix, des respirations si lentes qu’on les entend à peine »
« Ma réponse ne serait pas complète si je n’ajoutais qu’on peut parfois être si présent à ce qu’on vit qu’il n’y a plus besoin de paradis – aucun mot ne suffisant pour dire la vie et la mort dépassées »
« La lecture est un billet d’absence, une sortie du monde »

samedi 23 mai 2020

Contes à Ninon

Je préfère Zola dans les Rougon-Macquart ! Ces contes, quoi que sympathiques, ne m'ont pas emballée plus que ça. L'auteur se cherche entre réalisme et fantastique, entre histoires d'amour, de guerre et de pauvreté. 

Simplice : un jeune prince délaisse ce qui intéresse les rois : à la gloire et au combat, il préfère la forêt. C'est là qu'il apprend le langage des animaux et des arbres jusqu'à croiser une nymphe.
Le Carnet de Danse. L'objet est coquet, qui permet aux jeunes gens d'inviter une jeune femme. C'est aussi source de souvenirs ou de projections !
Celle qui m’aime : Dans une fête foraine, chacun et chacune peut payer quelques sous pour découvrir "celle qui m'aime" - et peut-être se trouver un peu moins seul.
La Fée Amoureuse : une jeune femme vit enfermée dans un château avec son oncle. Un jour, Lois s'y arrête et Odette tombe amoureuse grâce à une petite fée. 
Le Sang : A la nuit tombante, des soldats s'endorment près du champ de bataille où ils ont dispersé l'ennemi. Leur nuit est peuplée de cauchemars. 
Les Voleurs et l’Âne : Léon se moque des femmes, c'est un misogyne patenté. Et pourtant, lors d'une promenade, il croise Antoinette... le fera-t-elle changer d'avis ? 
Sœur-des-Pauvres : Elle est généreuse et reçoit un cadeau : une pièce qui en donne d'autres. Elle les distribue sans fin dans la contrée.
Aventures du grand Sidoine et du petit Médéric : Il est géant mais un peu bête, il est minuscule mais intelligent et beau parleur. A eux deux, ils sont un être parfait. Quand Médéric propose de se mettre en quête du pays des heureux, c'est le début d'un tour du monde ! - Une nouvelle un peu plus longue et beaucoup trop bavarde à mon goût.

Voilà qui ne donne pas très envie de découvrir les autres contes de Zola, je crois que je préfère largement ses romans. Il fait partie des auteurs que je relirai bien un jour, juste pour voir si je l'aime autant qu'adolescente. 

jeudi 21 mai 2020

Andromaque

Aurais-je relu Racine sans le challenge de Babelio, pas sûre ! Je crois que je préfère le voir joué. Et pourtant, il n'était pas désagréable du tout de replonger dans cette tragédie. Je l'ai étudiée en 4e, rapidement, relue en prépa, et cette année encore. J'apprécie beaucoup la langue du XVIIe siècle, les alexandrins, les personnages antiques, le jeu des passions... bref, c'était un plaisir que de replonger dans cette pièce.

L'intrigue en est simple. Troie est tombée. Andromaque a vu mourir Hector, qu'elle aime toujours, et a sauvé Astyanax. Elle est captive de Pyrrhus qui l'aime mais doit épouser Hermione, laquelle l'aime mais est aimée d'Oreste.
Oreste, envoyé par les grecs pour écarter et tuer Astyanax et pour encourager le mariage d'Hermione et Pyrrhus, aura un peu de mal à remplir sa mission, pris dans un dilemme entre amour et politique. Qui est partagé par les différents personnages de la pièce. Et les oscillations de la passion habitent les personnages tout au long des cinq actes. Evidemment, tout cela finit très mal.

Ce que j'aime particulièrement, ce sont les hésitations d'Andromaque dans l'acte IV et ses échanges avec Céphise. Je vous partage quelques extraits que j'apprécie !

"Phoenix. Vous aimez : c’est assez.
Pyrrhus. Moi l’aimer ? une ingrate
Qui me hait d’autant plus que mon amour la flatte ?
Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi,
Je puis perdre son fils ; peut-être je le doi.
Étrangère… que dis-je ? esclave dans l’Épire,
Je lui donne son fils, mon âme, mon empire ;
Et je ne puis gagner dans son perfide cœur
D'autre rang que celui de son persécuteur ?"
"Pyrrhus. Pour la dernière fois, sauvez-le, sauvez-vous.
Je sais de quels serments je romps pour vous les chaînes,
Combien je vais sur moi faire éclater de haines.
Je renvoie Hermione, et je mets sur son front,
Au lieu de ma couronne, un éternel affront.
Je vous conduis au temple où son hymen s’apprête ;
Je vous ceins du bandeau préparé pour sa tête.
Mais ce n’est plus, Madame, une offre à dédaigner :
Je vous le dis, il faut ou périr ou régner."
"Andromaque. Dois-je les oublier, s’il ne s’en souvient plus ?
Dois-je oublier Hector privé de funérailles,
Et traîné sans honneur autour de nos murailles ?
Dois-je oublier son père à mes pieds renversé,
Ensanglantant l’autel qu’il tenoit embrassé ?
Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.
Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants,
Entrant à la lueur de nos palais brûlants,
Sur tous mes frères morts se faisant un passage,
Et de sang tout couvert échauffant le carnage.
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants.
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue :
Voilà comme Pyrrhus vint s’offrir à ma vue ;
Voilà par quels exploits il sut se couronner ;
Enfin voilà l’époux que tu me veux donner."
"Hermione. Quoi ? sans que ni serment ni devoir vous retienne,
Rechercher une Grecque, amant d’une Troyenne ?
Me quitter, me reprendre, et retourner encor
De la fille d’Hélène à la veuve d’Hector ?
Couronner tour à tour l’esclave et la princesse ;
Immoler Troie aux Grecs, au fils d’Hector la Grèce ?
Tout cela part d’un cœur toujours maître de soi,
D’un héros qui n’est point esclave de sa foi."

lundi 18 mai 2020

L'enfant océan

Voilà un bout de temps qu'on n'avait pas vu Mourlevat sur ces pages. Et pourtant, ce titre est sur ma LAL depuis des années. Oui, je vide petit à petit des parties de cette LAL, mon carnet explose ! 

C'est un livre jeunesse en deux parties, composé de courts chapitres qui sont autant de témoignages d'une fugue. Ils sont sept frères chez les Doutreleau, tous par paire de jumeaux sauf le petit dernier, Yann. C'est lui qui mène l'expédition vers l'océan suite à une dispute de ses parents. Il a convaincu ses frères qu'ils devaient fuir. Et voilà sept jeunes ado sur les routes, aidés par un routier, une boulangère, repérés par une jeune fille et une vieille dame. Les six frères disent aussi leur fatigue, leurs exploits, pour aller jusqu'à la mer. Seul Yann, étrange petit bonhomme, reste muet.

Inspiré du Petit Poucet, ce conte n'utilise ni miettes ni cailloux pour marquer le trajet mais plutôt des personnes, des témoins. Joli conte !

vendredi 15 mai 2020

La gouvernante et Le jeu dangereux

J'ai ouvert les œuvres de Zweig pour y chercher des titres que je n'aurais pas encore lus. Et ce n'est pas si simple, j'ai bien picoré dans les trois tomes de la pochothèque, qui trônent sur ma Pal mais que je ne souhaite pas achever tout de suite. 

Ces deux nouvelles ont pour thème l'enfance qui bascule dans l'adolescence ou l'âge adulte. C'est assez violent pour chacune des héroïnes, les trois jeunes filles de ces nouvelles. 

La gouvernante : deux sœurs, de 12 et 13 ans, ont observé que le comportement de leur gouvernante avait changé. Elles la trouvent triste et ne comprennent pas pourquoi. Elles commencent à espionner, à observer, abandonnant toute légèreté et naïveté. Elles découvrent que leur gouvernante est amoureuse et enceinte, même si elles ne le comprennent pas. Ce passage est d'ailleurs assez drôle et étonnant, quand elles s'interrogent sur l'enfant de leur gouvernante. Guettant, mentant, jouant les ingénues, elles trompent leur monde jusqu'au jour où éclate le changement d'âge, avec violence. 

Le jeu dangereux se déroule en été, dans un hôtel sur les bords d'un lac. Le narrateur est un jeune homme qui devient proche d'un vieil homme. Au cours d'une promenade, le vieil homme raconte une aventure de l'été dernier, dans ce même lieu. Il y avait une jeune fille très effacée, à laquelle il décida d'envoyer des lettres d'amour. Il observe leur réception sur sa jeune victime et demeure émerveillé des émotions qu'il fait naître. Mais attention, à ce jeu dangereux, d'autres peuvent se brûler ! 

Comme toujours, je me plais dans cette écriture belle et simple, dans ces caractères fouillés et justes, Zweig excelle dans les nouvelles dont le rythme est admirablement dosé : de belles retrouvailles.

mercredi 13 mai 2020

La panthère des neiges

L'Amoureux a pris des risques en m'offrant ce roman de Sylvain Tesson. En effet, ma rencontre avec Dans les forêts de Sibérie n'augurait pas d'une future lecture. J'ai donc ouvert le livre avec un peu de réticence, motivée simplement par la possibilité de rencontrer la panthère du titre, un de mes animaux favoris. J'adore leur démarche, leur longue queue balancier, leur solitude et leur beauté.

Embarqué avec Munier, Marie et Léo dans la recherche de la panthère, notre narrateur part au Tibet, en plein hiver, pour tenter de la voir. Et de la prendre en photo. C'est un récit de voyage un peu différent. Pas d'hommes ou peu. Des animaux. Des étendues glacées. Des jours d'attente et de patience. Cela semble ennuyeux mais c'est passionnant. C'est la redécouverte de la nature, d'un monde en mouvement, auquel nous ne prêtons même plus attention, pris par un mouvement incessant, une frénésie sans but. 
C'est aussi une quête, celle d'un animal presque disparu, discret, secret. On l'attend, la star du roman. Et joyeusement, elle se montre aux plus patients. 
C'est le froid - et c'est certainement ce que j'ai le moins aimé. Comment ont-ils fait pour rester ainsi immobiles dans des températures polaires ? Un froid qui ralentit, qui anesthésie, qui rend plus humble quelque part. Ode à la patience aurait pu être le titre de l'ouvrage, ou au temps retrouvé. Un temps de contemplation d'une nature pleinement vivante, loin des hommes qui la mutilent. Car si nos panthères sont si rares, c'est bien parce que leurs peaux sont mises à prix. 

"J'avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre le transformer. Elle invitait à s'asseoir devant la scène, à jouir du spectacle, fût-il un frémissement de feuille. La patience était la révérence de l'homme à ce qui était donné"

Ouvrage porté par une langue élégante, il me réconcilie avec Tesson, dont je lirai peut-être d'autres romans ! Ne serait-ce que pour continuer à réfléchir mon rapport au monde, à sa destruction par l'homme et aux moyens de ne pas le faire. 


J'ai glané pas mal de phrases inspirantes : 
""J'ai beaucoup circulé, j'ai été regardé et je n'en savais rien" : c'était mon nouveau psaume et je le marmonnais à la mode tibétaine, en bourdonnant. Il résumait ma vie. Désormais je saurais que nous déambulions parmi des yeux ouverts dans des visages invisibles. Je m’acquittais de mon ancienne indifférence par le double exercice de l'attention et de la patience. Appelons ça l'amour [...] "Là, en face, sur le talus, un renard, à cent mètres !" me disait Munier comme nous traversions la rivière sur la glace. Et je mettais longtemps à voir ce que je regardais. J'ignorais que mon œil avait déjà capté ce que mon esprit refusait de concevoir. Soudain se composait la silhouette de la bête comme si pigment par pigment, détail par détail elle se précisait dans les rochers, se révélant à moi"
"Les génies de l'humanité étaient des hommes qui avaient choisi une voie unique, sans dévier. Hector Berlioz voyait dans l'"idée fixe" la condition du génie. Il soumettait la qualité d'une oeuvre à l'unité du motif. Si l'on voulait passer à la postérité mieux valait ne pas butiner"
"A la fenêtre de sa chambre, sur la terrasse d'un restaurant, dans une forêt ou sur le bord de l'eau, en société ou seul sur un banc, il suffisait d'écarquiller les yeux et d'attendre que quelque chose surgisse. On ne l'aurait jamais noté si l'on ne s'était pas maintenu aux aguets. Et si rien n'arrivait, la qualité du temps passé s'était trouvée accrue par l'attention portée. L'affût était un mode opératoire. Il fallait en faire un style de vie.
Savoir disparaître relevait de l'art. Munier s'y était entraîné pendant trente ans, mêlant l'annulation de soi à l'oubli du reste. Il avait demandé au temps de lui apporter ce que le voyageur supplie au déplacement de lui fournir : une raison d'être"
"Que choisir ? Vivre maigre sous les voies lactées ou ruminer au chaud dans la moiteur de ses semblables ?"
"Je croyais depuis longtemps que les paysages déterminent les croyances. Les déserts appellent un Dieu sévère, les îles grecques font pétiller les présences, les villes poussent au seul amour de soi, les jungles abritent les esprits. Que des Pères blancs aient réussi à conserver leur foi en un Dieu révélé au milieu des forêts où criaient les perroquets me paraissait un exploit. Au Tibet, les vallons glacés annulent tout désir et déclenchent l'idée du grand cycle. Plus haut, les plateaux harassés de tempêtes confirmaient que le monde était une onde et la vie un passage"

lundi 11 mai 2020

Mémémoires

C'est le roman d'une copine, Emilie Courtemanche, qui attend sur ma pile à chroniquer depuis 2017. Oui, ça date ! 

Pénélope, trentenaire qui s'ennuie dans sa vie, découvre le monde étonnant des maisons de retraite grâce à sa mémé. Des personnages hauts en couleurs l'y attendent, entre les commères rigolotes et le vieux beau. Pénélope se rend compte également qu'elle ne connait pas tout de son histoire familiale, à travers des lettres et des liens avec les amis de mémé. Autour de Pénélope, deux copines Léo et Morgane, l'incitent à changer de vie. 

Un roman sympathique, avec des jolis traits d'humour, qui se lit vite. Il n'est pas hyper marquant mais traite d'un thème intéressant : la transmission et intergénérationnel. 


jeudi 7 mai 2020

Imaginer la pluie

Ce roman de Santiago Pajares ne m'aurait pas été offert, j'aurais pu craquer pour sa jolie couverture et son titre poétique !

Ionah - ce qui veut dire colombe - a grandi dans le désert avec sa mère. Chaque journée a un déroulement bien précis pour que la vie reste vivable dans ce lieu. A la mort de sa mère, il reste seul. Enfin, jusqu'à ce qu'il accueille un inconnu, Shui, perdu dans le désert. Cet homme vient bouleverser le cours de sa vie, lui donnant des éléments sur le passé, les changements du monde et surtout, l'obligeant à quitter le désert. 


Histoire dans un monde post-apocalyptique d'un jeune homme innocent, c'est un roman initiatique poétique que nous offre Pajares. Ecriture simple, chapitres courts, il se lit rapidement mais se termine un peu en queue de poisson. N'empêche, on aura passé un bon moment avec lui et glané quelques réflexions sympathiques.


mercredi 6 mai 2020

Ship of magic

Après l'Assassin royal, j'avais cette trilogie des Aventuriers de la mer qui me faisait du gringue. J'ai donc entamé ce roman de Robin Hobb avec pas mal d'attentes et finalement, j'ai eu du mal à rentrer dans ce monde, je ne sais pas bien pourquoi. J'ai trouvé que ça traînait. Pourtant, on est dans un monde de marins et d'aventuriers, de bois magique et d'êtres mystérieux.


A Bingtown, les familles sont opulentes, elles commercent par les mers grâce à des bateaux très particuliers, faits de bois enchanté. On s'attache plus spécialement à la famille Vestrit, qui est au bord de la ruine, à travers Althéa, une jeune femme qui devrait hériter de la Vivacia de son père Ephron. Sauf qu'il la lègue à Kyle, un homme qui n'a pas tout à fait les mêmes valeurs que sa belle famille et ne comprend pas bien les enjeux d'avoir un bateau vivant. On rencontre aussi le reste de la famille, notamment Ronica, la mère d'Althéa et Kefria, ou Malta, une garce insupportable, mais aussi d'autres personnages comme Kennit, un pirate qui rêve de pouvoir, Brashen, le second d'Ephron Vestrit ou encore Parangon, un bateau vivant devenu fou. On sent qu'il y a un petit enjeu autour de l'avenir de la famille Vestrit avec des conflits valeurs - argent : doit-on vendre des esclaves pour éviter la ruine ? Peut-on commercer avec les gens des Rain Wilds ? 
Pour Althéa, l'essentiel est de récupérer la Vivacia, et elle veut faire ses preuves pour cela. Pour Kyle, c'est de gagner de l'argent et du pouvoir. Pour Ronica, c'est de préserver les traditions et le mode de vie des Vestrit...
Et puis, il y a des questions qui les dépassent un peu autour des serpents de mer et de la piraterie. 


Un gros tome qui peine à mettre en place les personnages, qui sont assez peu attachants d'ailleurs. Et des aventures qui ne nous intéressent pas encore. J'ai mis pas mal de temps à le lire, c'est mon roman d'insomnie, d'où la fin de lecture en confinement. J'ai entamé le 2e tome mais je rame. Je le garde aussi sous le coude pour les nuits sans sommeil !

lundi 4 mai 2020

Madame Ex

Au fond de ma PAL, il y a ce roman de Bazin. Un roman que je n'ai pas du tout aimé.

Aline et Louis divorcent. Monsieur part rejoindre sa maîtresse, plus jeune et moins pénible que son épouse. Aline, restée seule avec ses enfants, fait tout pour le discréditer. Un camp des "mamiens" et des "papiens" crée une nouvelle rupture dans la famille, au sein de la fratrie de quatre enfants. Et on tire sur ce fil jusqu'à l'ennui dans le nouveau couple, les arrangements du nouveau mariage, les pétages de plomb réguliers de Mme Ex, qui en devient pitoyable. Notamment pour la société bourgeoise à laquelle elle appartient : ça ne se fait pas de divorcer !

Je crois que outre le thème assez banal, quoi que peut être pas pour l'époque de sa publication, c'est surtout le caractère d'Aline qui a rendu cette lecture pénible. Toujours dans la plainte, dans les petits calculs, les chantages, les menaces, elle ne fait que se rendre plus désagréable encore. J'ai trouvé l'ensemble assez forcé, sans nuance.