Voilà un joli pavé lu en quelques jours seulement - quelques jours de vacances. Retrouvailles heureuses avec Paul Auster, beaucoup lu ado. Retrouvailles autour d'un jeu enfantin et très humain : "que se passerait-il si ?". Jeu décliné quatre fois avec les quatre vies d'Archie Ferguson, héros de ce roman.
Premier chapitre, tout va bien. La famille d'Archie arrive aux USA en 1900, et la seconde génération y demeure, les parents d'Archie se rencontrent - Rose et Stanley. Ensuite, c'est plus Archie que ses parents que l'on suit. Archie qui, au fil des chapitres, va vivre quatre vies différentes. Différences et choix qui semblent mineurs au départ, mais qui très vite entrainent des vies assez éloignées. Et à travers la vie d'Archie, une bonne page de la vie de l'Amérique s'écrit : guerre du Vietnam, assassinat de JFK, chasse aux sorcières du communisme, racisme, révoltes étudiantes. C'est aussi l'histoire culturelle et sportive à travers les films (de Laurel et Hardy mais aussi une quantité astronomique d'autres) et les matchs de base-ball ou de basket. Bref, c'est un livre planté dans son temps.
Mais ce n'est pas ce qui m'a le plus intéressée. J'ai plutôt chassé les différences et les similitudes de la comédie humaine, les personnages qui jouaient dans les vies d'Archie, à commencer par l'immanquable Amy, l'amie, la soeur, l'amour. Mais aussi Rose, la mère, Gil, beau-père ou ami de la famille… Et les personnages secondaires.
J'ai aimé aussi l'apprentissage de l'écriture, journalistique ou littéraire. On retrouve là aussi des clins d'oeil à des oeuvres antérieures, des petites musiques ou anecdotes qui résonnent.
"Comme ton cher ami Edgar Poe l’a conseillé un jour à un écrivain en herbe : Soyez audacieux - lisez beaucoup - écrivez beaucoup - publiez peu - tenez-vous à l’écart des petits esprits - et n’ayez peur de rien."
Jeu littéraire qui me fait penser à Perec ou à Balzac - la langue en moins, jeu semi autobiographique certainement - relation à la France, écriture, base ball, yiddish, etc., jeu pour le lecteur qui se laisse entrainer dans ce drôle de puzzle (à moins qu'il ne choisisse de prendre des notes pour s'y retrouver, ce qui perdrait du charme de la lecture), jeu mené d'une main de maître par Auster qui nous livre la clé de son oeuvre avant de la clore :
"Il suivait toujours les deux routes qu’il avait imaginées quand il avait quatorze ans, il marchait sur les trois chemins en compagnie de Lazlo Flute et tout du long depuis le commencement de sa vie consciente il avait le sentiment persistant que les embranchements et les routes parallèles que l’on a pris ou pas étaient tous empruntés par les mêmes personnes au même moment, les gens visibles et invisibles et que le monde réel ne pouvait jamais être davantage qu’un simple fragment du monde car le réel se composait aussi de ce qui aurait pu arriver mais ne s’était pas produit, qu’une route n’était ni pire ni meilleure mais le tourment de vivre dans un corps singulier faisait qu’à tout moment on ne pouvait se trouver que sur une seule route même si on aurait aussi bien pu se trouver sur une autre, en train de se diriger vers un but complètement différent"