Sous-titré "Quand l'individualisme crée du lien", est un bouquin de socio de François de Singly. Il s'intéresse à la crise du lien dans nos sociétés et étudie comment l'individualisme défait une certaine forme de communautarisme propre aux sociétés holistes mais permet de créer d'autres relations. Il montre notamment que les liens, peut être moins stables ou solides, sont néanmoins plus divers. C'est une lecture qui m'a beaucoup fait penser à La fatigue d'être soi.
L'auteur s'interroge sur quatre points principaux :
Comment lier des individus émancipés ?
Comment lier des individus à l'identité fluide ?
Comment lier des individus peu obéissants ?
Comment lier des individus qui veulent préserver leur intérêt et leur affect ?
Il s'intéresse d'abord à l'individu dans la transmission, à la notion d'héritage choisi. Tout n'est plus accepté dans l'héritage familial, culturel, social mais chacun pioche ce qui l'intéresse. L'individu se construit par des appartenances choisies librement - enfin, c'est ce qu'il croit, un psy pourra dire autre chose. Les relations s'inscrivent donc dans des choix affectifs et/ou contractuels libres. Et qui peuvent évoluer selon les choix des individus qui valorisent et revendiquent telle ou telle appartenance selon les moments de la vie, les groupes sociaux etc. La sociologie voit donc disparaitre la notion de rôle, avec des individus aux identités plus complexes. L'individu se veut multidimensionnel. Néanmoins, tout n'est pas légitime dans l'identité d'une personne qui vit en société : racisme, violence, discrimination sont punis.
Dans les sociétés, dans les familles, une tension apparait : égalité de traitement et personnalisation, comment être juste ? Jusqu'où négocier et tout est-il négociable ? Est-ce qu'il faut dépersonnaliser les traitements ? Quel que soit le choix, cela crée du mécontentement - et n'aide pas à faire société - même quand il est question d'égalité des chances ! C'est enfin cette question de l'intérêt pour les enjeux politiques ou collectifs qui est abordée. Comment permettre à chacun de s'engager dans un faire société ensemble si seul l'intérêt personnel compte ?
Dans la dernière partie, il rappelle la différence entre communauté et société, souvent liées au cœur et à la raison, à l'élection ou à l'obligation. Il propose une société plus fraternelle, conviviale et respectueuse, qui ne peut exister selon lui que si l'Etat garantit une certaine égalité et sécurité à tous. Il montre aussi l'importance de nommer les différentes normes en jeu dans les relations, qui peuvent créer des conflits. Un société qui reste à construire !
"D'autres formes de "nous" sont possibles à la condition qu'ils respectent l'identité des "je" qui sont également autres. D'autres formes de lien sont possibles à la condition qu'ils ne soient pas perçus comme des cordes au cou, qu'ils traduisent un attachement significatif"
"La revendication d'un lien traditionnel, de type communautaire, reflète avant tout la marque d'un manque, l'impossibilité de voyager dans l'espace social"
"L'individu est placé devant la contradiction de la modernité qu'il doit résoudre : pour parvenir à son indépendance, à son autonomie, à une liberté de choix, il desserre certains liens, certaines appartenances ; mais en même temps à la recherche de son "expressivité", il croit que celle-ci est cachée au fond de lui [...] Une inversion se produit alors : les "racines" qui emprisonnent, qui limitent le mouvement dans la revendication d'un soi libre, peuvent devenir positives lorsqu'il s'agit de comprendre sa propre nature"
"Devant une telle crise du lien social qui se traduit par un désintérêt pour les affaires collectives, trois attitudes sont possibles :
- La première est le laisser-faire, en laissant le marché prendre toute la place, y compris en organisant en permanence des "élections" sur tout, par exemple sur le programme du film de la soirée ou sur l'individu qui doit sortir du Loft ou de Star Academy. L'individu est isolé, écartelé entre son monde et le monde général, sans relais.
- Selon la deuxième position, la crise dérive d'un manque de socialisation. La famille et l'école ne font plus leur travail. Le rétablissement de l'instruction civique devrait doter les jeunes d'une conscience civique. Ce sont les individus qui doivent changer, et non l'Etat. Ce dernier est organisé pour défendre le bien commun et l'intérêt général. Seule une "position de surplomb peut transcender les particularismes"
- La troisième plaide pour la réhabilitation de la société civile, pour une démocratie participative, pour une régulation qui parte du plus bas (bottom up) que du plus haut (top down), et en conséquence pour une transformation de tous les niveaux. [...] Ce modèle d'empowerment n'a de sens que si et seulement si les autorités politiques et les experts considèrent les individus ordinaires comme doués d'une capacité réflexive. ils doivent penser que le peuple est intelligent, même s'il défend ses intérêts personnels. Cela demande donc de rompre avec "la construction sociale de l'incompétence de l'usager""