Découverte de Philippe Jaccottet avec ce recueil de la biblio. De la nature, dite par des images différentes, picturales, dont certaines m'ont beaucoup parlé. Je crois avoir préféré les passages en prose, la présence du poète dans le paysage, ou plutôt son regard et les mots qu'il choisit. Quelques extraits :
Le cerisier
"Je pense quelquefois que si j'écris encore, c'est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d'une joie dont on serait tenté de croire qu'elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous. Qu'un peu de cette poussière s'allume dans un regard, c'est sans doute ce qui nous trouble, nous enchante ou nous égare le plus; mais c'est, tout bien réfléchi, moins étrange que de surprendre son éclat, ou le reflet de cet éclat fragmenté, dans la nature. Du moins ces reflets auront-ils été pour moi l'origine de bien des rêveries, pas toujours absolument infertiles [...] J'avais toujours aimé les feux dans les jardins, dans les champs : c'est à la fois de la lumière et de la chaleur, mais aussi, parce que cela bouge, se démène et mord, une espèce de bête sauvage ; et, plus profondément, et plus inexplicablement, une sorte d'ouverture dans la terre, une trouée dans les barrières de l'espace, une chose difficile à suivre où elle semble vouloir vous mener, comme si la flamme n'était plus tout à fait de ce monde : dérobée, rétive, et par là même source de joie."
Blason vert et blanc
"j'en viens à me demander si la chose "la plus belle", ressentie instinctivement comme telle, n'est pas la chose la plus proche du secret de ce monde, la traduction la plus fidèle du message qu'on croirait parfois lancé dans l'air jusqu'à nous ; ou, si l'on veut, l'ouverture la plus juste sur ce qui ne peut être saisi autrement, sur cette sorte d'espace où l'on ne peut entrer mais qu'elle dévoile un instant. Si ce n'était pas quelque chose comme cela, nous serions bien fous de nous y laisser prendre"
Sur les degrés montants
"On aurait pu imaginer ainsi une cohorte d'anges cherchant à soulever le couvercle énorme de la nuit, au-dessus des hautes herbes fouettées, cinglées par le vent glacé.
La porte s'ouvrirait-elle jamais ? Ce ne serait pas, en tout cas, faute d'avoir crié leur appel au jour. [...]
Qui a jamais crié ainsi pour forcer le jour ? [...]
Comme la montagne dans ce moment de ténèbres et de froid intense, j'attendais d'être illuminé, de me dresser hors du sarcophage de rocher comme Lazare, tandis que le vent tout autour hersait l’herbe.
J'étais mort comme lui et rien ne se passait que les coups de boutoir du vent, les coups de cravache du froid,
s'il n'y avait eu soudain cette troupe d'oiseaux absolument invisibles et réduits au fusées de leurs cris infatigables ;
et comme ils montaient toujours plus haut sur les degrés noirs, on aurait dit qu'ils s'activaient à soulever la dalle noire de la tombe
ou qu'ils frappaient à une porte, tous ensemble,
comme de petits anges effrénés, de petits ouvriers acharnés, sans autres outils que leur voix aigue (jubilante ou désespérée, on n'aurait su le dire),
à soulever cette dalle noire,
à frapper à cette porte qui semblait ne jamais devoir tourner sur ses gonds de pierre.
Qui frapperait avec pareille constance et fureur dans la montagne
ne ferait-il pas lui aussi lever le jour ?"
Apparition des fleurs
"Ce bleu était comme du ciel ; et là, dans la prairie, c'était du ciel épars, qui aurait plu pendant la nuit, une rosée, des morceaux d'air dans l'herbe. (J'aurais pu être tenté d'écrire aussi : des papillons ; ou des regards. Mais non.) C'étaient de presque inapparents morceaux de ciel, disséminés au hasard"
J'adore cet auteur, que lis et relis régulièrement, même si, à la différence de toi, j'ai beaucoup de mal à chroniquer de la poésie. Le choix, comme tu le fais, de citer des extraits est sans doute la meilleure solution.
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