Deux Arpents, 1913. Daphné lit
Tennyson sur son hamac. Elle guette en réalité son frère Georges qui est parti
chercher son ami Cecil à la gare. Cecil, aristocrate et étudiant à Cambridge, a
publié quelques poèmes. Son arrivée chez les Sawle bouleverse la petite
famille : Daphné s’imagine amoureuse, Georges pratique des jeux érotiques
avec lui. Mais surtout, Cecil laisse un poème avant de partir. Un poème à
l’étonnante postérité.
Corley Court, entre deux guerres.
Daphné prépare ses deux enfants, Corinna et Wilfrid. Elle vit désormais dans le
fief de Cecil Valance, dont elle a épousé le frère, Dudley. La famille est
rassemblée autour de Sebastian Strokes qui souhaite éditer les poèmes de Cecil,
décédé à la guerre.
Années 60-70. Paul Bryant est
employé de banque chez Mr Keeping, le gendre de Daphné, et Peter Rowe enseigne
à Corley Court. Les deux jeunes gens se rencontrent, se plaisent et partagent
un intérêt commun pour Cecil.
Années 80. Paul écrit une
biographie de Cecil. Il cherche à rencontrer avec plus ou moins de succès ses
proches.
De nos jours. Lors d’une cérémonie
en l’honneur de Peter Rowe, Rob, libraire, et Jennyfer, petite fille de Daphné
échangent sur Cécil.
Cet épais roman de Hollinghurst s’intéresse à la
construction de la mémoire d’un poète. C’est amusant de suivre, décennie après
décennie le regard que posent ses lecteurs et ses proches sur un jeune artiste
disparu dans la fleur de l’âge. Devenu, un peu malgré lui un symbole, celui du
poète visionnaire et patriote, Cecil apparaît de son vivant comme un épicurien
un peu hautain. Et « Deux Arpents », le poème culte, comme une simple
dédicace sur le cahier d’une jeune fille.
L’autre thème récurrent du roman
est l’homosexualité : latente ou assumée, tous les personnages y sont
confrontés. On lit aussi l’évolution des mentalités vis-à-vis des gays.
Enfin, le style de ce roman est
délicieusement teinté d’une féroce ironie. C’est ce qui fait tout son
charme ! Les personnages se moquent les uns des autres, se méprisent, se
font tourner bourrique. Le tout de façon extrêmement policée, très british.
En reposant ce roman, j’ai pensé à
Possession de Byatt. On retrouve
cette même soif d’inédits et de scoops littéraires et biographiques sur un
poète décédé. Mais ici, tout est dans le rapport social plus que dans la
véritable érudition.
Un roman foisonnant lu pour
l’opération « on vous lit tout » de Libfly, avec des personnages auxquels on s’attache
malgré eux et qu’on regarde grandir, vieillir et se transformer.