jeudi 28 mars 2019

Faire surface

J'enchaine sur un autre Margaret Atwood, dont je sors encore plus déçue que du précédent. J'ai trouvé ça long et sans intérêt.

Notre héroïne revient dans la maison familiale, des années après avoir rompu avec sa famille. On l'a appelée car son père a disparu. Elle est accompagné de Joe, son ami, et de David et Anna, un couple. Sa maison, isolée sur un lac, les plonge dans une nature omniprésente, loin de la "civilisation". Et c'est comme si des vacances commençaient pour le groupe, qui semble oublier pourquoi il est là et s'adonne à la pêche, à filmer des bouts de n'importe quoi... Enfin, tous sauf notre héroïne, qui revoit son enfance, son mariage, son frère. L'ambiance est pesante, saturée d'enjeux de pouvoir, notamment de la part de David. C'est glauque, c'est oppressant, on souhaite échapper à cette île... Mais c'est le lieu pour l'héroïne d'un réveil, d'un voyage initiatique et oedipien qui la conduira à plus de liberté. Ou de folie, ce qui peut revenir au même.

Un roman long, lent, trop pour moi en ce moment. Avec des personnages exaspérants.

lundi 25 mars 2019

Impératrice de Chine

Pearl Buck, c'est une des auteures que j'ai dévoré ado. J'aimais ces histoires d'amour exotiques et historiques dans une Chine mystérieuse. En retombant sur un de ses livres, j'ai retenté l'expérience, avec un peu moins de plaisir qu'il y a 20 ans. 

C'est l'histoire de Yehonala, dite aussi Tzu Hsi, concubine puis impératrice de Chine. Vous la connaissez peut-être sous l'orthographe Cixi - non, pas exactement celle de Lanfeust. On est au XIXe siècle, Yehonala est désignée comme concubine de l'empereur. Elle parvient à s'en faire aimer ou du moins à se rendre indispensable, notamment en lui donnant un fils. A la mort de l'empereur, elle continue à tenir les rênes du pays. Stratège et ambitieuse, elle sait s'entourer et décider même si elle est détestée d'une partie de la cour. Et c'est toute sa vie de cour que l'on suit, avec ses alliances et ses trahisons.

Joli portrait de femme, plutôt doux avec Cixi, ce qui est rare car elle m'était antérieurement plutôt parue comme une intrigante que comme une femme blessée par manque d'amour et par la vie de cour. Toujours très proche de l'impératrice, le roman conte tout par son prisme, je me suis donc posé pas mal de questions sur le contexte du pays, tant à l'intérieur (même si on a quelques éléments, notamment lors des révoltes) qu'à l'extérieur (avec tous ces européens qui viennent s'installer). Je n'ai pas cherché à vérifier directement à la lecture tant l'ensemble se lit très agréablement et facilement, presque trop !

jeudi 21 mars 2019

Les désorientés

Roman d'un groupe d'amis séparé par la guerre et le temps, j'ai beaucoup aimé ce titre d'Amin Maalouf. Je n'avais pas lu cet auteur depuis plus de 10 ans et je crois que c'est dommage. 

Adam est appelé par son ancien ami, Mourad, sur son lit de mort. Il ne se sont pas parlés depuis longtemps, brouillés par des incompréhensions et des jugements mutuels. Adam décide de répondre, prend l'avion et se retrouve dans son pays natal où il n'a pas posé le pied depuis des années. Mais il arrive trop tard et Mourad n'est plus quand il vient lui rendre visite. C'est Tania, sa veuve, qui l'accueille et lui demande de rassembler son groupe d'amis pour rendre un dernier hommage à Mourad. Ce groupe d'amis, d'étudiants qui aimaient à refaire le monde sur la terrasse de Mourad, s'est éparpillé, avec l'un au Brésil, l'autre aux USA, un autre au monastère... C'est un défi de tous les contacter et pourtant, Adam, hébergé par Sémiramis, commence à le relever. C'est l'occasion pour lui d'interroger sa mémoire autour de ces amitiés, de se souvenir de sa jeunesse, du parcours de chacun, de la vie d'exilé... Il écrit dans son petit carnet à mesure des jours en même temps que le narrateur nous conte ses démarches et ses rencontres. 

C'est un beau roman sur le paradis perdu, cette jeunesse, ce pays, ces hommes qui ont dû faire des compromis ou des choix. C'est un roman d'amitié. D'exilé. Il sent la nostalgie. 


"On ne cesse de me répéter que notre Levant est ainsi, qu'il ne changera pas, qu'il y aura toujours des factions, des passe-droits, des dessous-de-table, du népotisme obscène, et que nous n'avons pas d'autre choix que de faire avec. Comme je refuse tout cela, on me taxe d'ogueil et même d'intolérance. Est-ce de l'orgueil que de vouloir que son pays devienne moins archaïque, moins corrompu et moins violent ? Est-ce de l'orgueil ou de l'intolérance que de ne pas vouloir se contenter d'une démocratie approximative et d'une paix civile intermittente ?"

"C'est d'abord en nous ligotant le corps que les tyrannies morales nous ligotent l'esprit. Ce n'est pas leur unique instrument de contrôle et de domination, mais il s'est révélé, tout au long de l'histoire, l'un des plus efficaces"

"Les conflits qui agitaient notre pays étaient-ils simplement des affrontements entre tribus, entre clans, pour ne pas dire entre différentes bandes de voyous, ou bien avaient-ils réellement une dimension plus ample, une teneur morale ? En d'autres termes : valait-il la peine de s'y engager, et de prendre le risque d'y laisser sa peau ?"

"Au commencement de ma vie, je rêvais de construire le monde, et au bout du compte, je n'ai pas construit grand-chose. Je m'étais promis de bâtir des universités, des hôpitaux, des laboratoires de recherche, des usines modernes, des logements décents pour les gens simples, et j'ai passé ma vie à bâtir des palais, des prisons, des bases militaires, des malls pour consommateurs frénétiques, des gratte-ciel inhabitables, et des îles artificielles pour milliardaires fous"

"C'est l'archétype de l'immigré. on lui aurait dit :"Tu es désormais un citoyen romain!", il se serait enveloppé dans une toge, il se serait mis à parler le latin et serait devenu le bras armé de l'Empire. Mais on lui a dit :"Tu n'es qu'un barbare et un infidèle !" et il n'a plus rêvé que de dévaster le pays.
Et c'est ton cas ?
Ça aurait pu être mon cas, et c'est certainement le celui d'un grand nombre d'immigrés. L'Europe est pleine d'Attilas qui rêvent d'être citoyens romains et qui finiront par se muer en envahisseurs barbares. Tu m'ouvres les bras, je suis prêt à mourir pour toi. Tu me refermes ta porte au nez, et ça me donne envie de démolir ta porte et ta maison"

"Les vaincus sont toujours tentés de se présenter comme des victimes innocentes. Mais ça ne correspond pas à la réalité, ils ne sont pas du tout innocents. Ils sont coupables d'avoir été vaincus. Coupables envers leurs peuples, coupables envers leur civilisation"

"Aujourd'hui, vous entendez les gens dire : "Moi, en tant que chrétien, je pense ceci, et moi en tant que musulman je pense cela". J'ai tout le temps envie de leur dire : "Vous devriez avoir honte ! Même si vous pensez en fonction de votre communauté, faites au moins semblant de réfléchir par vous-mêmes !""

"J'ai toujours été frappé par le fait qu'à Rome, le dernier empereur s'appelait Romulus, comme le fondateur de la ville ; et qu'à Constantinople, le dernier empereur s'appelait Constantin - là encore, comme le fondateur. De ce fait, le prénom d'Adam m'a constamment inspiré plus d'inquiétude que de fierté"

lundi 18 mars 2019

Là où les tigres sont chez eux

Est un bon gros pavé aux multiples personnages et histoires de Jean-Marie Blas de Roblès. 
Attention, il faut aimer les personnages qui se croisent et se font signe, entre les lieux et les siècles. Et peut-être les biographies. Car notre fil conducteur est une biographie du jésuite Athanase Kircher, un savant du XVIIe siècle qui a cru déchiffrer les hiéroglyphes, inventer mille et une machines, s'intéresser à tout ce qui faisait son siècle, surtout dans le domaine des sciences et des langues. C'est un esprit encyclopédique, qui démontre tout par la Bible : origine des hommes, des langues et même Dieu unique dissimulé dans les polythéismes. Cette biographie est entre les mains de notre héros, Eleazard von Wogau, qui la commente depuis le fond du Brésil, qui lui est plus agréable que la France. Cet Eleazard a une famille, en pleine explosion : sa femme Elaine l'a quitté, sa fille Moéma aussi. Il a heureusement quelques amis, une gouvernante et un affreux perroquet. Et puis, il y a une italienne de passage qui l'occupera un petit temps. Et Elaine, sa femme, est paléontologue, en mission. Avec Mauro, fils de la comtesse Carlotta et de l'homme d'affaire et gouverneur Moreira, que l'on verra aussi avec Eleazard. Quant à Moéma, elle étudie (peu), baise et se drogue (beaucoup). En outre, on rencontre Nelson, handicapé et l'oncle Zé qui vivent dans les favélas. Ils ont croisé et croiseront aussi certains personnages. Et autant vous le dire, dans ce Brésil hostile et corrompu, tout va de mal en pis. 

Ouvrage et histoires aussi baroques que le fourmillement de Kircher et son cabinet de curiosité, ce livre est un plaisir de lecture, avec une belle langue et des aventures picaresques. Il est toutefois fondé sur le faux et l'échec, à l'image de Kircher, ce qui donne une fin frustrante et déprimante : on ne sait pas exactement ce qu'il advient de chacun mais aux dernières nouvelles, c'est pas du tout l'extase. Et jamais je n'ai réellement réussi à m'attacher aux différents personnages.

Bref, si vous aimez les romans à la Umberto Eco, foncez, c'est le même genre !

lundi 11 mars 2019

Underground Railroad

J'ai pas mal hésité avant d'emprunter ce livre de Colson Whitehead. J'avais peur de tomber sur un roman lambda sur l'esclavage. En fait, c'était plutôt chouette comme découverte avec cette matérialisation de chemins de fer clandestins pour favoriser la fuite d'esclaves.

Notre héroïne est une jeune femme de 16 ans, Cora, qui a la réputation de ne pas se laisser faire. Sa mère l'a abandonnée en fuyant et elle s'est élevée toute seule sur son bout de lopin qu'elle défend fièrement - c'est une des rares de sa plantation de coton à avoir un micro-potager. L'initiative de fuir, elle la tient de Caesar, un jeune noir qui a grandi librement. Les voilà donc sur les chemins de la liberté, empruntant de véritables trains souterrains, passant sous des granges-gares. Mais il n'est pas si simple de fuir, surtout lorsque Ridgeway, fameux chasseur d'esclaves, se met à pister les fugitifs. Passant par divers états, Cora découvrira les ravages de l'esclavage et du racisme, la violence des hommes - de même ou différente couleur - entre eux.

Au-delà du roman d'aventure entrainant, notamment autour de ce chemin de fer, le romancier pose des questions sur le racisme ordinaire, la peur et la rapacité des hommes. Cora n'est pas forcément attachante mais elle transforme ceux qu'elle croise, les condamnant ou les éclairant. C'est bien mené, ça va vite, l'héroïne est un peu agaçante mais ça passe, et ça fait cogiter sur des sujets de société tout en restant un roman divertissant - avec des passages bien glauques.

jeudi 7 mars 2019

Amphitryon 38

Vous connaissez l'histoire d'Amphitryon, dont la femme, Alcmène, est si belle que Zeus en tombe amoureux ? Et qui donnera naissance à Hercule, le héros des héros ? Eh bien, voici la version de Giraudoux. 

Le rideau s'ouvre sur Jupiter et Mercure, en voyeurs, devant la fenêtre d'Alcmène, la matant sans vergogne. Jupiter n'a qu'une idée en tête, passer une nuit avec la jeune mortelle. Sauf que celle-ci est désespéramment fidèle à son mari, dont elle est amoureuse. La poisse ! Jupiter n'a d'autre solution que de se faire passer pour Amphitryon et de ruser. Il envoie le mari à la guerre, se présente à sa place... et c'est l’imbroglio quand toute la cité apprend qu'un dieu aime Alcmène. Celle-ci refuse de céder, envoie Léda à sa place... dans les bras de son mari. 
Joli personnage que celui d'Alcmène, simple et fidèle, ferme dans son refus. Et jolis échanges entre les personnages, qu'il s'agisse de Jupiter et Mercure ou Jupiter et Alcmène. C'est finalement Amphitryon, l'éponyme et le cocu, qui est le moins intéressant. 

"Mercure : Et vous n'avez pas un préféré parmi les dieux ?
Alcmène : Forcément, puisque j'ai un préféré parmi les hommes...
Mercure : Lequel ?
Alcmène : Dois-je dire son nom ?
Mercure : Voulez-vous que j'énumère les dieux, selon leur liste officielle, et vous m'arrêterez ?
Alcmène : Je vous arrête. C'est le premier.
Mercure : Jupiter ?
Alcmène : Jupiter.
Mercure : Vous m'étonnez. Son titre de dieu des dieux vous influence à ce point ? Cette espèce d'oisiveté suprême, cette fonction de contremaître sans spécialité du chantier divin ne vous détourne pas de lui, au contraire ?
Alcmène : Il a la spécialité de la divinité. C'est quelque chose"

"Mon mari peut être Jupiter pour moi. Jupiter ne peut être mon mari"

"C'est un garçon, et il naîtra. Tous ces monstres qui désolent encore la terre, tous ces fragments de chaos qui encombrent le travail de la création, c'est Hercule qui doit les détruire et les dissiper. Votre union avec Jupiter est faite de toute éternité"

lundi 4 mars 2019

Premier amour ou Micha et Plissada

Merci à Émilie et aux éditions Borealia qui me font découvrir des textes du bout du monde ! Avec ce court roman de Nikolaï Gabyshev, on part à Yakoutsk.

Plissada écarte un vaurien d'un homme endormi qui la reconnaît comme une camarade de classe. Cela fait plus de 20 ans qu'ils ne se sont pas vus. Plissada invite Micha à venir chez elle et à lui raconter sa vie : pêcheur dans le grand nord, de retour de vacances, il profite dans la toundra du grand air et de la nature, des soirées avec ses amis, tout en travaillant pour une conserverie. Plissada, veuve, travaille la terre. Entre les deux amis, une tension amoureuse et érotique s'installe à mesure que Micha tarde à trouver l'argent pour le retour. Mais à 37 ans, qu'est on prêt à abandonner de sa vie ?

Une histoire simple et belle, dans une maison russe, entre deux façons de vivre, assez stéréotypées : l'un attaché à sa sécurité, l'autre à sa liberté. En quelques jours, Micha et Plissada rechoisissent, à la lumière de leur rencontre, la vie qu'ils veulent mener.


dimanche 3 mars 2019

Eldorado

Avec cet ouvrage, j'ai retrouvé la plume chérie de Laurent Gaudé. Il y est question de migration et de rêves. Destins croisés du capitaine Piracci et de Soleiman, des deux côtés de la muraille méditerranée, de Lampedusa au Soudan. L'un est sur l'Aquarius ou équivalent, il sauve les migrants des eaux noires et tumultueuses, les confie à la police. L'autre quitte son pays, avec son frère, des rêves d'avenir plein la tête. Rêves mis à mal durant le voyage, toujours plus dur. Et Piracci ne peut plus, il n'a plus de rêves maintenant qu'il a rencontré une femme, à qui il a confié une arme. Il redevient sensible au sens des autres, de ce qu'il fait, de ce qu'il cherche. 

"Aucune frontière n'est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans la moindre difficulté, mais il faut s'arracher la peau pour quitter son pays. Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes"

Un roman toujours d'actualité, des vies comme celles-ci, des fantômes sur les routes et des fantômes qui mettent en centre de rétention, un Eldorado toujours plus difficile à atteindre, avec toujours plus de sang sur ses murs.