Roman d'un groupe d'amis séparé par la guerre et le temps, j'ai beaucoup aimé ce titre d'Amin Maalouf. Je n'avais pas lu cet auteur
depuis plus de 10 ans et je crois que c'est dommage.
Adam est appelé par son ancien ami, Mourad, sur son lit de mort. Il ne se sont pas parlés depuis longtemps, brouillés par des incompréhensions et des jugements mutuels. Adam décide de répondre, prend l'avion et se retrouve dans son pays natal où il n'a pas posé le pied depuis des années. Mais il arrive trop tard et Mourad n'est plus quand il vient lui rendre visite. C'est Tania, sa veuve, qui l'accueille et lui demande de rassembler son groupe d'amis pour rendre un dernier hommage à Mourad. Ce groupe d'amis, d'étudiants qui aimaient à refaire le monde sur la terrasse de Mourad, s'est éparpillé, avec l'un au Brésil, l'autre aux USA, un autre au monastère... C'est un défi de tous les contacter et pourtant, Adam, hébergé par Sémiramis, commence à le relever. C'est l'occasion pour lui d'interroger sa mémoire autour de ces amitiés, de se souvenir de sa jeunesse, du parcours de chacun, de la vie d'exilé... Il écrit dans son petit carnet à mesure des jours en même temps que le narrateur nous conte ses démarches et ses rencontres.
C'est un beau roman sur le paradis perdu, cette jeunesse, ce pays, ces hommes qui ont dû faire des compromis ou des choix. C'est un roman d'amitié. D'exilé. Il sent la nostalgie.
"On ne cesse de me répéter que notre Levant est ainsi, qu'il ne changera pas, qu'il y aura toujours des factions, des passe-droits, des dessous-de-table, du népotisme obscène, et que nous n'avons pas d'autre choix que de faire avec. Comme je refuse tout cela, on me taxe d'ogueil et même d'intolérance. Est-ce de l'orgueil que de vouloir que son pays devienne moins archaïque, moins corrompu et moins violent ? Est-ce de l'orgueil ou de l'intolérance que de ne pas vouloir se contenter d'une démocratie approximative et d'une paix civile intermittente ?"
"C'est d'abord en nous ligotant le corps que les tyrannies morales nous ligotent l'esprit. Ce n'est pas leur unique instrument de contrôle et de domination, mais il s'est révélé, tout au long de l'histoire, l'un des plus efficaces"
"Les conflits qui agitaient notre pays étaient-ils simplement des affrontements entre tribus, entre clans, pour ne pas dire entre différentes bandes de voyous, ou bien avaient-ils réellement une dimension plus ample, une teneur morale ? En d'autres termes : valait-il la peine de s'y engager, et de prendre le risque d'y laisser sa peau ?"
"Au commencement de ma vie, je rêvais de construire le monde, et au bout du compte, je n'ai pas construit grand-chose. Je m'étais promis de bâtir des universités, des hôpitaux, des laboratoires de recherche, des usines modernes, des logements décents pour les gens simples, et j'ai passé ma vie à bâtir des palais, des prisons, des bases militaires, des malls pour consommateurs frénétiques, des gratte-ciel inhabitables, et des îles artificielles pour milliardaires fous"
"C'est l'archétype de l'immigré. on lui aurait dit :"Tu es désormais un citoyen romain!", il se serait enveloppé dans une toge, il se serait mis à parler le latin et serait devenu le bras armé de l'Empire. Mais on lui a dit :"Tu n'es qu'un barbare et un infidèle !" et il n'a plus rêvé que de dévaster le pays.
Et c'est ton cas ?
Ça aurait pu être mon cas, et c'est certainement le celui d'un grand nombre d'immigrés. L'Europe est pleine d'Attilas qui rêvent d'être citoyens romains et qui finiront par se muer en envahisseurs barbares. Tu m'ouvres les bras, je suis prêt à mourir pour toi. Tu me refermes ta porte au nez, et ça me donne envie de démolir ta porte et ta maison"
"Les vaincus sont toujours tentés de se présenter comme des victimes innocentes. Mais ça ne correspond pas à la réalité, ils ne sont pas du tout innocents. Ils sont coupables d'avoir été vaincus. Coupables envers leurs peuples, coupables envers leur civilisation"
"Aujourd'hui, vous entendez les gens dire : "Moi, en tant que chrétien, je pense ceci, et moi en tant que musulman je pense cela". J'ai tout le temps envie de leur dire : "Vous devriez avoir honte ! Même si vous pensez en fonction de votre communauté, faites au moins semblant de réfléchir par vous-mêmes !""
"J'ai toujours été frappé par le fait qu'à Rome, le dernier empereur s'appelait Romulus, comme le fondateur de la ville ; et qu'à Constantinople, le dernier empereur s'appelait Constantin - là encore, comme le fondateur. De ce fait, le prénom d'Adam m'a constamment inspiré plus d'inquiétude que de fierté"