samedi 14 mars 2020

La lumière du monde

Paroles de Christian Bobin réveillées et recueillies par Lydia Dattas. Ce n’est pas une interview, car nous n’avons pas de question, et très peu de réponses. Ce sont plutôt des pensées, des bouts de vie de Bobin, mises bout à bout.

Ma phrase préférée : 
« La véritable écriture, c’est quand on est attendri par quelqu’un : le ciel qui est en nous cherche les petits morceaux de ciel qui sont en exil sur cette terre. Cet exil est terrible, c’est pourquoi le ciel qui est en nous ne se trompe jamais dans ses choix »
Et toutes ces autres qui m'ont aussi fait "boum" dans le cœur :
« La plupart des gens rendent très difficile de les rencontrer parce qu’ils ne sont pas vraiment dans leur parole ou parce qu’ils sont sans âme. Je fais toujours à l’autre le crédit de la nouveauté incroyable de son existence, mais ce crédit va s’user si l’autre a gâché cette merveille là pour devenir comme tout le monde. Comment parler avec personne ? C’est impossible. Parfois, le désir de partager est si fort que je vais quand même tenter ma chance, mais c’est souvent en vain : les opinions ne m’intéressent pas. Ce qui me touche, c’est quand l’autre a mis tout le poids de sa vie dans la balance des mots et que sa pensée s’appuie sur ça »
« Soit on est vierge dans cette vie, soit on est brûlé par elle. Soit on est au bord, soit on est au cœur. Le seul risque, c’est d’être un peu mélangé : c’est la société »
« Marcher dans la nature, c’est comme se trouver dans une immense bibliothèque où chaque livre ne contiendrait que des phrases essentielles »
« Il est presque impossible de se faire un manteau de lumière et d’amour dans cette vie, et le manteau impeccable des saints, il est certain qu’ils ont dû le payer horriblement cher, parce qu’il n’y a que l’âme qui puisse les vêtir, et l’âme, c’est hors de prix »
« Si j’ai mis de la lumière dans mes livres, c’est aussi pour ne pas assombrir l’autre, par courtoisie envers celui qui me lit. Il m’a toujours semblé qu’il existait assez d’écrivains qui se font une spécialité d’assombrir et de dénigrer la vie. Les poètes et les artistes se donnent souvent une sorte de droit de grossièreté. Sous prétexte qu’ils ont du talent, ils croient avoir tous les droits. J’ai en horreur ce genre d’attitude. J’ai sans doute parfois trop tiré du côté de la joie, car il ne faut pas escamoter la souffrance, mais je reste persuadé qu’il vaut mieux ça que le contraire […] Certaines œuvres soi-disant rebelles ne font qu’ajouter au chaos du monde et elles n’aident personne »
« Si j’ai fait une erreur, ce n’est donc pas d’avoir trop parlé de l’amour, c’est d’en avoir parlé de façon trop imprécise. Car je crois que l'intelligence cherche toujours quelque chose à aimer, le but étant de devenir à soi-même comme le ciel étoilé. La vie est une fête de sa propre disparition : la neige, c'est comme des milliers de mots d'amour qu'on reçoit et qui vont fondre, les roses sont comme des petites paroles brûlantes qui vont s'éteindre, et celui qui arrive à les déchiffrer doit être d'une précision hallucinante s'il veut être cru, s'il veut parvenir à faire voir à d'autres ce qu'il a vu »
« Cioran est un bienfaiteur, non pas, comme le disent ses faux disciples, parce qu’il désenchante le monde, mais parce qu’il ne laisse aucun faux enchantement. C’est quelqu’un qui nettoie le désert »
« Aimer quelqu’un, c’est le lire. C’est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l’autre, et en lisant le délivrer. C’est déplier son cœur comme un parchemin et le lire à haute voix, comme si chacun était à lui-même un lire écrit dans une langue étrangère […] On lit en quelqu’un comme dans un livre, et ce livre s’éclaire d’être lu et vient nous éclairer en retour, comme ce que fait  pour un lecteur une très belle page d’un livre rare. Quand un livre n’est pas lu, c’est comme s’il n’avait jamais existé. Ce qui peut se passer de plus terrible entre deux personnes qui s’aiment, c’est que l’une des deux pense qu’elle a tout lu de l’autre et s’éloigne, d’autant qu’en lisant on écrit, mais d’une manière très mystérieuse, et que le cœur de l’autre est un livre qui s’écrit au fur et à mesure et dont les phrases peuvent s’enrichir avec le temps.»
« Il a eu une remarque pour me dire que j’en faisais une lecture hallucinée, qui m’a blessé par ce mélange de vouloir construire et mépriser à la fois qui est si fréquent chez les intellectuels : on parle à quelqu’un qui est à un mètre de soi et on est envoyé à des années-lumière. »
« Quand j’aime je suis dans ma propre vie comme dans une histoire à l’intérieur de laquelle j’aurais tout à coup disparu : c’est l’autre qui requiert toute mon attention. »
« Il y a un critère de la vérité, c’est qu’elle vous change : ça bouleverse comme un amour, la vérité. »
« L’esprit, c’est ce qui rend en chacun le monde insupportable, et ce qui nous rend à nous-mêmes insupportables chaque fois que nous concédons quelque chose à ce monde. »


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