Avec l'Amoureux, nous venons de terminer ce court et bel ouvrage d'Adrien Candiard sur la liberté. C'était un régal de pédagogie et d'inspiration ! Car parmi les questions que beaucoup de croyants se posent, il y a celle des interdits, de ce que l'on doit faire ou pas pour être un bon chrétien, un bon musulman, un bon bouddhiste etc. Et chez les chrétiens, cette question est particulièrement malmenée. Qu'est-ce qui est permis ? obligatoire ? On a beau entendre que le commandement c'est d'aimer Dieu et son prochain comme soi-même, c'est parfois un peu court. Alors Candiard propose, à partir d'un très court texte, la lettre à Philémon, d'interroger la liberté, le devoir et l'amour. Il le fait de façon concrète, simple. C'est très pédagogue, bourré d'humour et de tendresse pour le lecteur !
Je crois que le plus fort ici, pour moi, c'était de déconstruire une image de Dieu, tout-puissant, qui te teste avec une pomme et un serpent. Mais je ne vous en dis pas plus, c'est dans les extraits du chapitre 2. J'ai glané des citations bien nombreuses, plus pour m'en souvenir que pour vous noyer dans leur lecture. Piochez-y ce qui vous intéresse !
Dans le chapitre 1 :
« Sa conversion n'a pas consisté à passer d'une doctrine à une autre, encore moins d'un groupe d'appartenance à un autre. Paul n'a pas changé de Dieu : c'est toujours le même, le Dieu D'Abraham, d'Isaac, de Jacob, le Dieu de l'Alliance, le Dieu qui a fait sortir son peuple d'Egypte. Dieu n'a pas tellement changé; mais dans la conversion, Paul, lui, n'est pas resté le même. Il est devenu si différent qu'il est devenu difficile de le comprendre sans revenir à cet évènement initial: si nous voulons comprendre ce qu'il écrit à Philémon, il faut revenir à cette nouvelle naissance, sur le chemin de Damas »
« Lui non plus, les 613 commandements, il n’y arrive pas toujours. Il commence à faire l’expérience amère de sa propre faiblesse, qui l’humilie et le met en colère [...] « Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir : je ne fais pas le bien que je veux, et je commets le mal que je ne veux pas. » […] Le jeune Paul, face à ses échecs, s’est d’abord dit que c’était de sas faute, et il se sentait coupable : il n’avait pas voulu assez fort : La prochaine fois, il suffirait d’être plus vigilant, de vouloir mieux, de vouloir plus. Cela marchait quelques fois : sur tel ou tel point, ses efforts portaient du fruit, il s’améliorait et se rapprochait de son idéal, mais pas toujours. Et parfois, alors qu’il se pensait tiré d’affaire, qu’il croyait que sa bonne volonté avait enfin pris le contrôle de lui-même, patatras : tout était à recommencer. Et il ne renonçait pas, devant ses échecs répétés, à appliquer parfaitement les commandements de Dieu : il savait, ou croyait savoir, que c’était la condition pour mériter l’immense amour de Dieu. […] Il avait la réputation d’être inflexible, exigeant, et pour tout dire un peu pénible. […] Il se doutait bien que cette dureté l’éloignait encore davantage de l’idéal de la Loi qu’il cherchait à atteindre, cette Loi qui lui commandait, « aime ton prochain comme toi-même », alors que bien souvent il n’aimait au fond ni l’un ni l’autre. »
« Pour Paul, qui avait jusque-là passé sa vie à tenter de mériter l’Amour de Dieu, c’est un choc de se découvrir aimé si totalement, et sans la moindre condition ; aimé alors qu’il n’a pas fait ce qu’il faut, mais plutôt tout le contraire et qu’il est devenu le persécuteur de ce dieu qui pourtant ne cesse pas de l’aimer. »
« Un coup de foudre nous transforme plus profondément que la lecture du Code pénal »
Dans le chapitre 2 :
« Notre déception, il est évident qu’elle a aussi traversé l’esprit de Paul. Il sait combien il lui serait facile d’ordonner à Philémon d’affranchir Onésime. Il l’a entendue, cette petite voix qui lui murmure : « allons, c’est pour la bonne cause ! » La souffrance de l’esclave, il la connait, mieux que nous sans doute, et il la sait intolérable. Philémon ne se plaindrait même pas, il l’admire tant. Il est prêt à faire tout ce que Paul lui dira. Lui forcer la main dance cette affaire, ce ne serait pas un grand mal, et il en sortirait un grand bien… Pourtant, à cette voix intérieure qui l’appelle à n’être pas trop regardant sur les moyens quand il s’agit d’arriver à cette fin, Paul ne cède pas. »
« « Si vous mangez de ce fruit, vous mourrez. » Quelle image de Dieu avons-nous donc dans la tête, pour penser aussitôt que ce « vous mourrez » signifie « je vous tuerai » ? Quel Dieu déciderait arbitrairement d’interdire quelque chose de bon, comme cela, pour le plaisir, et punirait de mort la transgression ? Certainement pas le Dieu de Jésus-Christ. Croit-on que, quand des parents expliquent à leurs enfants de ne pas mettre les doigts dans la prise au risque de mourir, c’est parce qu’ils comptent les punir de mort ? […] C’est exactement le Dieu dont parle le serpent à Adam et Ève. Leur péché, précisément, c’est de le croire. De croire que Dieu est malveillant à leur égard, qu’il souhaite les limiter et les mutiler pour son plaisir, qu’il leur interdit de bonnes choses parce qu’il ne les aime pas. De ne pas comprendre que Dieu les a simplement avertis, pour leur bien. Que la vie n’est pas un terrain où ma volonté et la volonté de Dieu s’opposent et l’une ne progresse qu’au détriment de l’autre […] Nous voulons la même chose : le bien, mon bien. Dieu ne m’interdit rien, mais il m’avertit que les moyens que je veux employer, parfois, sont très mal choisis. […] La tentation, c’est de rêver un autre monde, où l’impossible n’existe pas. […] Et le tour de force du tentateur, depuis le serpent d’Adam et Ève, c’est de nous faire croire que rien de cela n’est impossible, mais que c’est tout simplement interdit. […] Il ne s’agit pas d’obéir, mais de comprendre – et en comprenant, je vais sans doute trouver le bien désirable et le mal dangereux. J’agirai alors librement, parce que j’aurai reconnu mon bien et le rechercherai de mon plein gré. Alors je ferai véritablement ce que je veux, et ce que Dieu veut. En effet, l’ennui, si je confonds la vertu avec une soumission pénible (et d’autant plus méritoire, bien sûr, qu’elle est pénible) à une volonté divine incompréhensible, c’est qu’alors je continue à penser, dans un petit coin de ma tête, que ce péché que je m’interdis de regarder, il me ferait pourtant du bien. »
« Nous ne pouvons entrer dans cette amitié sans y entrer avec toute notre personne. Une personne encore imparfaite, sans doute, mais Dieu saura bien nous conduire, pour peu que nous soyons vraiment là, décidés à le suivre. C’est peut-être parce que nous sentons ce que cette morale a d’exigeant, et même d’exorbitant, que nous nous dérobons si souvent, préférant l’autre, celle de l’obéissance aux commandements, finalement tellement plus facile. »
Dans le chapitre 3 :
« L’évangélisation est d’abord une affaire d’amitié. Elle déborde de toutes les lignes. Comme si l’amitié avec le Christ était une affaire contagieuse. Comme si nous n’avions d’autre moyen, pour annoncer à quelqu’un l’amour de Dieu, que de l’aimer à notre tour. »
« La chasteté n’est pas l’absence de relation sexuelle : selon sa définition la plus classique, elle consiste à n’aimer, dans l’autre, rien d’autre que lui-même. C’est l’aimer pour ce qu’il est, et non pas pour ce qu’il m’apporte. »
« Paul n’invite pas à l’assujettissement du désir au désir de l’autre, même de manière réciproque : ce serait une violence terrible, qui n’aurait pas grand-chose à voir avec de l’amour. Il vise en réalité quelque chose de bien plus fondamental : la sexualité authentique n’est pas centrée sur elle-même, obsédée par sa propre jouissance, mais elle est don ; c’est l’autre qui donne sens à mon propre corps. […] Et comme toujours, c’est quand je me donne que je commence à être véritablement moi-même. »
« Etre libre, c’est être capable de faire ce que je veux. Ce que je veux, et non pas ce dont j’ai envie sur le moment, qui bien souvent s’opposent et même s’excluent. Mais bien malin qui peut dire ce qu’il veut vraiment en la matière. »
Dans le chapitre 4 :
« Le chemin de liberté que dieu ouvre à Philémon, qu’il ouvre à chacun de nous, nous rend joyeux quand nous le recevons pour nous, mais parfois un peu plus suspicieux quand nous le voyons s’ouvrir devant les autres. Est-ce qu’ils ne vont pas en abuser, se montrer irresponsables, peu dignes de la confiance que Dieu place en eux ? Cette façon qu’a Dieu de se donner à tous gratuitement, est-ce vraiment bien juste ? […] Il faut peut-être nous y faire et commencer à accepter que l’Evangile, la Bonne nouvelle, l’amour de Dieu, non, ce n’est pas juste. Le compte n’est pas bon, parce qu’il n’est pas question de compte mais de don. La logique de l’Evangile, c’est celle du cadeau, et le cadeau n’est pas une affaire de justice. […] Je n’ai rien contre les comptables, mais la grâce de Dieu (un mot qui signifie « gratuit »), par définition, cela ne rentre pas dans un tableau Excel. […] L’amour gratuit de dieu nous déstabilise et nous préférerions avec avoir avec lui quelque chose de plus sûr : je paie, il livre. […] On fait tout ça pour lui faire plaisir, on se complique la vie pour lui, donc il nous doit bien quelque chose en retour. […] Marthe, Marthe, tu perds ton temps quand tu crois rendre service au Christ parce que tu te compliques la vie, quand tu opposes le bien et ce qui te fait du bien. Marthe, Marthe, tu fais fausse route quand tu penses que la volonté de Dieu c’est le contraire de ta volonté : vous faites alliance. […] Le Royaume de Dieu, que tu recherches, ne te sera pas donné en récompense de tes efforts, il t’est déjà donné en partage. […] Jésus ne reproche pas à Marthe son service – ce qui serait tout de même un comble ! Il ne lui reproche pas d’être active. Il lui reproche d’avoir l’esprit plein de 36 000 choses et du coup de négliger l’essentiel. D’avoir l’esprit rempli par les tasses de thé, les serviettes en papier, le canapé, les pâtisseries, les livraisons, l’évier de la vaisselle, la propreté des toilettes, la température de la pièce – bref tout ce qui va faire que l’invité se sentira bien -, mais de ne pas s’occuper de l’invité. L’invité n’est pas seulement un corps à nourrir et à installer dans un lieu confortable à bonne température : c’est une personne à rencontrer. Tout le reste peut en découler, tout le reste peut y servir, mais passer à côté de la rencontre, c’est avoir tout raté. […] On peut cuisiner pour réussir le plat ou pour faire plaisir aux invités […] Dans un cas, vous préparez de la nourriture, et dans l’autre vous fabriquez de la communion. Ce n’est pas tout à fait la même chose.
Dans le chapitre 5 :
« Ce qui changera le monde ce n’est pas la construction de systèmes plus ou moins complexes et ingénieux, mais bien ma relation avec mes frères. »
« « Remets-nous nos dettes », cela veut dire plutôt : fais-nous sortir, Seigneur, de cette épuisante logique des dettes et des « devoirs » de ce monde impitoyable où sans cesse tour à tour créanciers et débiteurs, sans cesse occupés à réclamer notre dû, ou à négocier des délais, nous n’avons plus le temps d’être des frères. »
« Ce qu’on appelle le salut, c’est d’accepter d’entrer avec Dieu dans cette relation d’amour, non par obéissance ou crainte de l’enfer, pas même par politesse devant la grandeur de son don, mais librement, parce qu’on a pressenti l’incroyable intensité de son amour à lui. […] Rien ne contriste dieu davantage que ce refus de sa grâce : c’est pour lui, qui veut que tous les hommes soient sauvés, le prie échec qu’on puisse imaginer. »
« Bien sûr que personne n’est digne de recevoir en soi le Créateur de l’univers ! Mais ce n’est pas une raison de faire la tête. Il y a de quoi se réjouir, au contraire. Parce que mon indignité qui m’intimide tant, Dieu s’en fiche. Parce que cela ne l’empêche pas de venir jusqu’à moi, au plus intime de moi-même, alors même que je n’ai rien mérité. Parce que je ne suis pas digne. Parce que tout est grâce. »
« Il n’est pire destruction que celle qu’on accomplit au nom du bien de ceux-là mêmes qu’on est en train d’anéantir. »