C'est Cléanthe qui m'a proposé de sortir de ma PAL ce livre d'Alberto Manguel. L'occasion d'une petite lecture commune !
Voilà une lecture indispensable pour tout amoureux des livres et de la lecture. Et pas uniquement parce que c'est une référence sur le sujet. C'est un ouvrage très riche, qui ouvre des perspectives à chaque chapitre. C'est un livre de passionné qui mêle petites et grandes histoires de la littérature, anecdotes personnelles et citations. C'est un essai qui se dévore comme un roman, prenant, fluide et agitateur de l'imaginaire. Bref, une oeuvre que je recommande, bien évidemment.
Alberto Manguel nous fait entrer dans l'aventure de la lecture à travers deux passages : des faits de lecture et les pouvoirs du lecteur.
Il nous introduit à l'invention de l'écriture et de la lecture, au combat entre oralité et écrit.
Il rappelle que la lecture se fait d'abord à voix haute : la lecture silencieuse paraît étrange aux anciens et leurs bibliothèques devaient être de bruissants lieux de savoir.
Il raconte aussi comment le cerveau et la vue fonctionnent lors de la lecture.
Il s'intéresse à l'apprentissage de la lecture, qui nous semble naturel mais pour lequel un esclave noir pouvait être tué. C'est dire le pouvoir des mots pour celui qui sait les reconnaître.
Il souligne combien la lecture nous aide à nous construire, nous apprend à réfléchir et à imaginer. Combien la lecture peut être subversive aussi : "La dichotomie artificielle entre la vie et la lecture est activement encouragée par ceux qui détiennent le pouvoir. Les régimes populaires exigent de nous l'oubli, et par conséquent ils traitent les livres de luxe superflu ; les régimes totalitaires exigent que nous ne pensions pas, et par conséquent ils bannissent, menacent et censurent ; les uns et les autres, d'une manière générale, ont besoin que nous devenions stupides et que nous acceptions avec docilité notre dégradation, et par conséquent ils encouragent la consommation de bouillie. Dans de telles circonstances, les lecteurs ne peuvent être que subversifs".
Il fait aussi un historique de l'objet, de la tablette au papyrus, du rouleau au codex. Et nous expose des livres improbables, minuscules ou gigantesques, dont la forme reflète le contenu, etc. Et bien sûr les bibliophiles, voire bibliomanes (pour les plus atteints), sont passés sous la loupe d'A. Manguel. Le plus étonnant est certainement le cas de bibliocleptomanie du bien nommé comte Libri !
Il est aussi question de la lecture solitaire, des positions et des lieux dans lesquels on lit. De la lecture au lit, paresseuse et délicieuse. Et de lecteurs ! De la façon dont ils lisent le texte et l'interprètent. Par exemple, qui n'a jamais ouvert un livre et pointé une phrase en imaginant qu'elle pouvait être signe ? Et bien sûr, il est question d'écrivains, eux-mêmes lecteurs assidus voire traducteurs.
Ce livre risque de devenir pour moi un livre de chevet. Je l'ai lu avec passion, dévoré, souligné et annoté. Mais cette lecture féroce et rapide me donne envie de revenir de façon plus réfléchie à ce livre. Certains passages appellent à la relecture, non parce qu'ils ne sont pas compréhensibles lors de la première lecture, mais parce qu'ils contiennent des pistes à explorer.
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Rembrandt, Vieille femme lisant, 1631 |
Plongez-vous sans crainte dans cette lecture, vous qui avez peur des essais. Tout lecteur aimant passionnément lire trouvera dans ce livre de quoi se nourrir, s'enrichir (voire enrichir sa PAL) et réfléchir. Après tout, n'est-ce pas ce que l'on demande à un livre ? Ecoutez plutôt Kafka sur ce sujet : "On ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d'un bon coup de poing sur le crane, à quoi bon le lire ? Pour qu'il nous rende heureux, comme tu l'écris ? Mon dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n'avions pas de livres, et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions, à la rigueur, les écrire nous-mêmes. En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu'un que nous aimerions plus que nous-même, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide - un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. Voilà ce que je crois".