Port-Royal, ça te parle ? Les jansénistes ? Sûre qu'Arsène et les copines voient bien de quoi il s'agit. Pour les autres, on part au XVIIe siècle dans un monastère confié à Angélique et Agnès Arnauld. Un monastère qui attire bientôt des anciens frondeurs, qui entre dans une réforme des mœurs et des règles de l'abbaye, qui s'oppose au Roi Soleil. On y croise Pascal ou Saint-Cyran.
Ce qui intéresse Bobin, c'est surtout la vie spirituelle de ce lieu et de ses pensionnaires, présenté par des petits paragraphes qui viennent s'intercaler avec des visions de paysages, de musiques ou de peintures. Et des réflexions sur la vie, sur la mort. Sur ce qui fait l'essentiel de notre temps.
Je garde parmi une moisson de phrases, celle-ci : "Tout ce qu'on fait en soupirant est taché de néant"
"Angélique Arnauld a l'âge de gronder ses poupées de cire richement vêtues de soie lorsqu'elle devient abbesse de Port-Royal et prend la tête d'une maison de poupée pour les anges"
"Dieu aime parler à travers des bouches édentées, c'est son charme"
"Les pissenlits se multiplient devant la maison comme les notes dans les Variations Goldberg de Bach : d'abord quelques-uns, isolés, timides, et soudain une chaude pluie d'or partout sur l'herbe verte"
"Les livres sont des cloîtres de papier. On peut s’y promener jour et nuit. Le jardin au centre des cloîtres symbolise le paradis. Avec le temps je suis devenu jardinier au paradis, passant chaque matin un râteau d’encre sur une étroite terre de papier blanc. Il importe que tout soit harmonieux : le paradis n’est pas fait pour qu’on y vive mais pour qu’on le contemple et que, d’un seul coup d’oeil sur lui, l’âme soit réconfortée"
"Toute notre vie n'est faite que d'échecs et ces échecs sont des carreaux cassés par où l'air entre"
"Le monde ne devient réel que pour qui le regarde avec l'attention qui sert à extraire d'un poème le soleil qu'il contient"
"Le pain et la beauté sont deux royaumes comparables, deux nourritures indispensables à la vie éternelle de chaque jour"
"A la seconde où la mort claque le livre de la vie, elle pénètre en entier chacune de ses phrases"
"La sainteté c'est juste de ne pas faire vivre le mal qu'on a en soi"
"Les jansénistes et leurs ennemis se disputent autour de l'idée de
grâce, plus férocement que des chiens autour d'un os de lumière. Les
gens de Port-Royal pensent que la grâce est tout, et qu'elle tombe comme
une pluie d'été sur telle ou telle personne, sans lien avec aucun
mérite : nos volontés et nos puissances ne sont rien. Un roi est aussi
misérable que le dernier de ses sujets. Rien n'agit jamais en
nous que Dieu c'est-à-dire cette vague de joie sur laquelle nos vies,
sans savoir comment, parfois se tiennent. Les saints sont ceux que cette
vague engloutit"
"Chacun a sa blessure et son trésor au même endroit"
"Le savant casse les atomes comme un enfant éventre sa poupée pour voir ce qu'il y a dedans. Le poète est un enfant qui peigne sa poupée avec un peigne en or. Il y a la même différence entre la science et la poésie qu'entre un viol et un amour profond"
"La vie a besoin des livres comme les nuages ont besoin des flaques d'eau pour s'y mirer et s'y connaitre"
"Parfois quelqu'un vous donne à manger en une seconde pour votre vie entière"
"Le sens de cette vie c'est de voir s'effondrer les uns après les autres tous les sens qu'on avait cru trouver"
"L'écriture est l'art d'écorcer le langage comme une branche de noisetier pour retrouver la lumière laiteuse du bois tendre par-dessous"
"Tout Port-Royal s'est élevé sur cette carence de l'amour maternel. Les plus purs châteaux son bâtis sur un abîme."
"L'ange de la lecture fait rouler la pierre devant le sépulcre du livre"
"Il y a quelque chose d'inguérissable qui traverse chaque vie de part en part et n'empêche ni la joie, ni l'amour."
"Les fleurs d'or des genêts sont des crachats divins"
"Le clochard fumait un cigare. C'est toujours merveilleux de voir quelqu'un ne pas répondre à l'imaginaire qu'on a de lui. L'inattendu est la signature authentique du divin."
"La poésie est une pensée échappée de l'enclos des raisonnements, une cavale de lumière qui saute par-dessus la barrière du cerveau et file droit vers son maître invisible."
"De celui qui part sans un adieu ou sans payer on dit au dix-septième siècle qu'il "fait un trou dans la nuit"."
"Pablo Casals chaque matin de sa vie joue une suite pour violoncelle de Bach comme on se débarbouille à la fontaine"