lundi 20 avril 2020

Ceci est mon sang

Elise Thiébaut s'intéresse dans ce livre à un sujet tabou, les règles, le sang qui coule chaque mois. Avec humour et pas mal de recherches sur le sujet, elle défriche le tabou et n'hésite pas à y adjoindre sa propre expérience.

Elle explore le sujet sous bien des aspects, d'abord en le décrivant puis en remontant dans le temps pour voir si le tabou en a toujours été un, et comment il se caractérisait - sous la plume des hommes évidemment. Elle s'intéresse aussi à tout l'imaginaire, la mythologie et la symbolique, qu'il s'agisse des expressions pour désigner les règles - "les anglais débarquent" je ne connaissais pas - ou des vertus et malédictions qu'elles apportent. Là, c'est gratiné. Et encore, allez lire Pline !
"Qu'il s'agisse d'aigrir la bière et le vin, de faire tourner le lait, de gâter les conserves de bœufs ou les salaisons de porc, on prêtait à la femme qui saigne un pouvoir quasi alchimique. Mais également des propriétés insecticides, puisqu'on envoyait encore au début du XXe siècle, en Anjou, les femmes menstruées courir dans les champs de choux tuer les chenilles, comme le rapportent Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti. J'aurais beaucoup aimé avoir cette capacité d'exterminer les insectes quand j'allais en vacances dans notre cabanon familial près de Marseille, mais malheureusement les moustiques ne se sont jamais laissés impressionner par le sang qui coulait entre mes jambes. A côté des méfaits supposés du sang menstruel, on lui prêtait donc en même temps le pouvoir de soigner la lèpre, les hémorroïdes, la goutte, l’épilepsie ou les migraines, et il entrait dans la composition de tous les filtres d'amour"

Elle s'attache aussi à l'histoire des protections. Pour en savoir plus là-dessus, cet article. Et s'interroge - à juste titre - sur leur composition aujourd'hui. Ben oui, c'est toujours pas clair alors qu'on utilise ça tous les mois. Et surtout, ça fait flipper même leurs publicitaires que ça puisse recueillir du sang !
"Car de quels dangers les serviettes et les tampons sont-ils supposés nous protéger ? L'adjectif accolé, qu'il soit "périodique" ou "hygiénique", ajoute à l'anxiété : on préférerait largement une protection permanente à une protection périodique, et la notion d'hygiène nous rappelle opportunément que nous sommes sales ces jours-là"
"J'ai mon content d'expériences positives sans avoir besoin de m'acheter des protège-slips parfumés, mais ce souci est touchant quand on songe au nombre de femmes qui oublient de jeter des brassées de fleurs dans le ciel quand elles ont leurs règles"

Sans parler du prix des protections et des taxes qui s'y attachent. Est-ce un produit de première nécessité ? Vous avez peut-être vu des infos sur les policiers, en temps de confinement, qui ne le considéraient pas comme tel... A l'aide ! Ils méritent qu'on leur vide une cup dans la figure, tiens !

"À ceux qui ne considèrent pas la protection hygiénique comme un produit de première nécessité, j'aimerais rappeler que c'est une des premières choses que demandent les femmes qui vient dans la rue, dans des zones de guerre ou de grande pauvreté. Parce qu'elles ne disposent pas de protections, des millions d'écolières dans certains pays d'Afrique ne vont simplement pas à l'école quand elles ont leurs règles, et utilisent, selon un rapport de l'Unesco, des feuilles sèches, de la boue, des peaux d'animaux, des chiffons ou du papier hygiénique pour absorber leur sang menstruel, dans des conditions d'hygiène qui les exposent non seulement à l'inconfort, mais aussi aux infections, à plus forte raison quand elles ont été victimes de mutilations sexuelles"

Enfin, il est aussi question des douleurs liées aux règles, de méthodes de contraception, de l'endométriose et plus globalement des études scientifiques sur le sujet qui n'intéressaient pas grand monde - alors qu'elles concernent la moitié de l'humanité ! Mais bon, on va d'abord faire un peu plus de viagra d'abord, hein, c'est plus urgent. Et brusquement les règles pourraient devenir intéressantes puisqu'elles contiendraient le Graal : des cellules souches. 

Un livre un peu fourre-tout, avec énormément d'éléments, qui vont de l'astrologie à l'histoire, de la biologie à l'art, mais toujours documenté. J'ai beaucoup apprécié la partie sur les artistes qui jouaient avec ce tabou, qui tentent de le rendre visible, de le détourner. L'auteur manie l'humour et nous en fait profiter, ne rendant jamais cette lecture pesante. Pour vous donner une idée du contenu et du style, voici le sommaire : 

1. Il va y avoir du sang 
2. Sang peur et sang reproche 
3. Sang maudit 
4. Cachez ce sang que je ne saurais voir 
5. Des solutions sang pour sang naturelles 
6. Je compte jusqu'à sang 
7. Mauvais sang 
8. Une histoire sang fin

A mettre entre toutes les mains, féminines ou masculines !

2 commentaires:

  1. J'ai l'impression que mes commentaires ne passent pas !
    J'ai lu ce livre il y a quelques années, et comme tu le dis je l'ai trouvé bien documenté et pourtant très accessible. Les rumeurs, les tabous, le déni sur le sujet sont encore très nombreux, c'est important de changer cela.

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  2. Un sujet passionnant, merci! Je confirme, après expérience, que la mayonnaise ne tourne pas, et non plus quand on change de main. ^_^

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