vendredi 29 août 2014

La Belle de l'étoile

Deuxième lecture de cette rentrée littéraire 2014 chez Albin Michel avec ce livre de Nadia Galy. Un livre à la première personne. Un livre sur une femme dévastée. Un livre sur le deuil. Un livre sur une fuite au bout du monde, à Saint-Pierre-et-Miquelon.

MNHN Banquise


L'héroïne de ce roman a vécu une expérience traumatisante. Elle a trouvé son amant mort sur les bords de Marne. Sorj s'est suicidé. Après une hospitalisation, la narratrice décide de partir pour Saint-Pierre-et-Miquelon pour exercer son métier de contrôleur aérien. En proie à toutes les addictions (anorexie, alcool, cigarette), elle se découvre un goût pour le froid glacial de l'île.

Le seul truc qui la fait tenir, c'est une correspondance. Des lettres dont on ne saura presque rien si ce n'est qu'elles lui ont été envoyées par Sorj pendant leur histoire. Des lettres qu'elle reçoit de Paris et auxquelles elle répond. Une façon de se soigner, de guérir ou de s'enfoncer plus encore dans la souffrance ? Je vous laisse le découvrir. 

Si le sujet du deuil est loin d'être drôle, notre narratrice sait pourtant faire preuve d'autodérision (à moins que ce ne soit l'alcool qui la détende) et l'on s'étonne de sourire sur quelques passages bien troussés. 

J'ai aimé ce personnage maltraité par la vie, à la langue dynamique et rapide, souvent surprenante, mais plus encore j'ai aimé l'île. Ses paysages glacés, sa brume, ses presque tsunamis... et bien sûr, ses habitants chaleureux. J'ai apprécié certaines images de cerfs-volants, de bains glacés et de femme perchée. Par contre, j'ai trouvé l'histoire de Fériel un peu trop belle et le hasard un peu trop sympa. 

Un roman juste, à l'écriture "coup de poing" !

jeudi 28 août 2014

Le Dieu du carnage

Je poursuis ma découverte des pièces de Y. Reza. Après Art, voici ce nouveau titre... 

Deux couples se rencontrent suite à la dispute de leurs enfants. L'un des ado a cassé une dent à l'autre, pour une raison initialement obscure. Annette et Alain viennent s'excuser. Ils sont reçus de façon cordiale par Michel et Véronique. Ambiance bourgeoise et petits mots polis... Mais l'on sent que la tension monte, pour des incompréhensions de part et d'autre. Jusqu'au moment où cela dérape. Véronique passe son temps à chercher la petite bête, Alain à répondre au téléphone. Bref, ça agace, ça explose, ça crie.

Une comédie qui questionne sur la civilisation, sur les mœurs et l'éducation. Nous vivons dans des pays en paix, certes stressants, mais où nous ne mettons pas notre vie en danger à chaque instant. Ici, un petit incident domestique devient le prétexte à une véritable guerre ! Et c'est la bataille rangée. Courbez l'échine car certaines répliques ne pourront que vous toucher !

duel

mercredi 27 août 2014

Le Guépard

GuepardVoilà un roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa qui est présent dans ma PAL depuis des années. Je le gardais comme un futur trésor à découvrir, un de ces livres précieux et marquants. Et pourtant, après sa lecture, je ne suis pas certaine de le ranger dans un top 10.

1860, Don Fabrizio voit le monde qu'il connaissait bouleversé par la révolution garibaldienne. Cet aristocrate aux demeures labyrinthiques est le guépard vieillissant de ses armoiries. Avec son neveu Tancredi, il évolue avec une grâce et une intelligence féline dans ce roman. Jamais réellement surpris par les changements, ces hommes savent s'adapter. Mais n'est-ce pas au prix de la décadence de l’aristocratie sicilienne

Au delà des questions que pose cet opportunisme politique, ce roman déploie une belle palette de personnages et de paysages, écrasés par la chaleur et le soleil. On peut y lire également une histoire d'amour, celle de Tancredi et d'Angélica, dont me restera l'image de l'exploration passionnée de toutes les pièces du domaine. Enfin, je n'ai pas été bluffée par le style, que j'ai trouvé assez pesant.  

Un roman dont je ressors déçue, sans trop savoir si mes attentes étaient trop hautes ou trop différentes de ce que j'ai trouvé.


challenge classique

lundi 25 août 2014

Confiteor

Ce livre de Jaume Cabré m'a été maintes et maintes fois recommandé depuis sa parution chez Actes Sud. Bonne élève, j'ai suivi les conseils et me suis embarquée dans ce gros roman foisonnant. Comment lui rendre désormais justice par un simple billet ?! Avec Noukette, je tente l'exercice.

Tabouret livres
Ce livre est, comme son nom l'indique, une confession. C'est l'histoire qu'Adrià Ardèvol raconte à Sara, son amour perdu. Une histoire qui n'est pas que la sienne mais aussi celle de luthiers, d'inquisiteurs, de séminaristes, d'obersturmführers... Une histoire qui se déroule à Barcelone après la Seconde Guerre mondiale mais qui prend ses racines bien plus loin dans le temps et l'espace, pendant la guerre à Auschwitz, en Italie au XVIIe siècle, voire en Espagne au XVe siècle. Y aura-t-il une absolution après cette riche confession ? Rien n'est moins sûr... A moins que l'oubli ne soit salvateur.

Adrià commence ainsi son récit : enfant unique et mal aimé de parents qui projettent en lui leurs rêves d'excellence, il parle plusieurs langues et joue du violon. Il a pour amis le shérif Cardon et l'arapaho Aigle-Noir. Puis Bernat, violoniste comme lui. Adrià grandit au milieu d'objets anciens voire antiques (manuscrits, mobiliers, instruments de musique) que son père vend. Solitaire et érudit, ce jeune garçon développe un amour fou pour les livres, les langues et la musique.

Cette histoire, Jaume Cabré nous la conte avec virtuosité et sinuosités. Tout sauf linéaire, ce roman est une merveille de narration. Jouant sur les personnages et les lieux, le narrateur passe d'une époque à l'autre dans le même paragraphe, voire dans la même phrase. Il oscille entre un regard autobiographique sur sa vie et un regard plus distant. Est-il personnage ou auteur ? Cela dépendra de la phrase. Et les strates de la mémoire, les associations d'idées, se lisent comme un bouillonnement ininterrompu de moments vécus, imaginés, souhaités. Le labyrinthe de la pensée et de la vie reflété par l'écriture... Borges n'est pas loin !

Par ailleurs, Adrià interroge son lecteur tout au long de sa lecture sur deux thèmes passionnants : le mal et l'art. Le mal fait par l'homme, qui précède la confession. Le mal qui est parfois si atroce qu'il ne peut être pardonné. Le mal des camps d'extermination, le mal des dictatures, le mal des dénonciateurs, des complices, des menteurs... C'est le thème qui habite et imbibe tout le roman, qui se confond avec lui. Ce n'est pas innocent que les mémoires d'Adrià soient écrites au dos des réflexions pour un ouvrage sur le problème du mal.
Il est aussi question de l'art sous toutes ses formes. La littérature dont Confiteor est un magnifique exemple, mais aussi la musique, le dessin et la peinture. Cet art comme une réponse au mal, une forme de salvation, qui ennoblit l'homme.

Un livre dense et puissant, que j'ai déjà envie de relire à peine la dernière page tournée.

Retrouvez ici l'avis de Noukette !

vendredi 22 août 2014

Madame

Merci aux éditions Albin Michel pour cet ouvrage de Jean-Marie Chevrier, un auteur que je n'avais jamais lu. Cela aura été ma première lecture de la rentrée littéraire 2014.

Le plot ? Au fin fond de la Creuse, Madame donne des leçons à Guillaume, qu'elle surnomme Willy. Elle l'aide en mathématiques et en français. Le jeune garçon de 14 ans, docile, se fie à elle. Il est le fils des paysans qui cultivent le domaine de Madame. Et qui ne voient pas d'un bon œil cette relation. Pourtant, cette rencontre permet à Guillaume de découvrir bien plus que ce que le cercle familial peut lui offrir : Jules Verne, Tintin, Hugo... 

Campagne au soleil

Mais à mesure que le lecteur découvre cette relation, de petits détails le gênent. Il y a anguille sous roche. Ce "secret" n'est pas fou. Et ce n'est d'ailleurs pas vraiment pour lui qu'on lit ce livre. C'est plutôt pour la description d'un domaine en décrépitude, d'une aristocrate fin de race un peu fêlée et des occupations de la campagne : tirer sur des ragondins, grimper aux arbres, labourer les champs...

Si ce livre ne m'a pas transportée, notamment par son intrigue, j'en ai apprécié le style et les personnages, malgré leur côté un peu cliché : le paysan violent, son épouse discrète et apeurée, le gamin malin... Mais Madame Antoinette de la Villonière est une protagoniste qui marque : elle n'a pas sa langue dans la poche, sa dégaine est improbable et son histoire, infiniment désolante. Et le parallèle avec son frère est certainement le moment le plus drôle et le plus sympathique du roman : on ne peut imaginer deux êtres plus différents ! 

Ce roman dégage un parfum de tristesse et de nostalgie, c'est tout un monde que l'on regarde sombrer. 

jeudi 21 août 2014

La Danseuse d'Izu

Je renoue avec Kawabata, dont j'avais beaucoup aimé Les Belles endormies. Dans les cinq nouvelles qui composent ce recueil, on retrouve le goût pour les jeunes filles, pour l'amour teinté de mort et de nostalgie. Avec cette écriture ciselée, l'auteur campe de courtes histoires, où la cruauté, la frustration, la violence ne sont pas exprimées mais ressortent en filigrane. Cela donne à ces nouvelles une atmosphère un peu malsaine, étrange et irréelle

La danseuse d'Izu

Van Gogh, Courtisane, Geisha, Japon, 1887
Van Gogh, Courtisane, 1887
Le narrateur voyage avec des artistes. Il est lycéen et brûle pour la petite danseuse du groupe. Une très jeune fille. Une histoire sur le désir et la jalousie. Avec beaucoup de bains. Eh oui, la douche froide n'est pas une invention récente pour calmer les ardeurs !

Élégie

Une femme abandonnée par son amant a appris sa mort. Dotée de double vue, elle n'a pourtant pas su prédire cette perte. Elle revit des moments de leur histoire et de sa jeunesse. Regrets et pleurs sur fond de mythes grecs.

Bestiaire

Un misanthrope n'aime que la compagnie des animaux qu'il élève. Et perd. Triste récit de morts accidentelles... mais très voire trop récurrentes. Avec un amour perdu et une danseuse en contrepoint.

Retrouvailles

Un soldat retrouve une de ses maîtresses sur les ruines fumantes du Japon d'après guerre. Amour, chantage ou manipulation, il peine à savoir ce que cache réellement Fujiko.

La lune dans l'eau

La plus courte mais aussi la plus touchante nouvelle de cet ensemble. Une femme offre à son mari infirme des miroirs. Il peut y lire le reflet d'un monde qui lui est inaccessible. Très belle histoire d'amour et de tendresse qui cache des moments délétères.

Des nouvelles d'une grande sensibilité, faites de rencontres et de pertes, qui s'écrivent dans un paysage japonais du début du XXe siècle. Chacune se termine sans livrer de réponse, laissant une impression d'inachevé

mardi 19 août 2014

Construire l'ennemi et autres récits occasionnels

J'aime Umberto Eco, ses romans érudits quoi que prétentieux, ses essais intelligents, sa plume... Alors je ne peux résister lorsque je vois qu'il publie un nouveau livre. Ce dernier est un recueil de conférences et articles écrits dans les années 2000. Il rassemble des textes sur la littérature, l'histoire, les sciences et l'histoire des sciences, la géographie, etc.

De quoi ça cause exactement ?

Victor Hugo par David d'Angers

Construire l'ennemi 

Qui est ton ennemi ? Un pays peut-il exister sans ennemi ? Est-ce un autre peuple, à l'extérieur ou à l'intérieur d'un état ? Est-ce simplement l'autre ?
C'est le texte d'appel du recueil et certainement le plus ancré dans notre actualité. Il analyse plutôt justement la paranoïa des pays en paix et la violence des conflits récurrents.  

Absolu et relatif 

Êtres contingents, nous avons besoin de penser un absolu. Comment définir ce terme ? Est-ce qu'il existe encore un absolu ? Ou finalement, tout est-il relatif ? Qu'est-ce que le relativisme ? Une introduction au sujet, ancrée elle aussi dans notre temps.

La flamme est belle 

A partir des écrits de Bachelard sur le feu, U. Eco nous parle d'un élément en voie de disparition.

Délices fermentées 

Sur Camporesi, historien et anthropologue intéressé par la cuisine et le corps. Un monsieur qui parle du goût du chocolat !

Les embryons hors du paradis 

La position de Saint Thomas d'Aquin sur l'embryon et notamment la question de savoir à partir de quand l'âme intègre le corps.

"Hugo, hélas !" La poétique de l'excès 

Analyse des écrits d'Hugo et des caractères des personnages, notamment dans 1793 et L'Homme qui rit.

Astronomies imaginaires 

De la connaissance de la terre et des étoiles avec de jolies cartes historiques.

Je suis Edmond Dantès ! 

Ou du roman feuilleton et du procédé de l'agnition.

Il ne manquait plus qu'Ulysse 

De la réception critique de cet ouvrage de Joyce lors de sa publication. Pas très positive voire carrément violente !

Pourquoi l'île n'est jamais trouvée 

Sur la découverte des îles, leur disparition, leur instabilité sur les cartes avant l'ère du satellite. Un très beau voyage ! Peut-être même mon préféré. On parle de navigateurs qui contournent l'Australie sans jamais la voir, d'îles mouvantes, de rivages jamais atteints...

Réflexions sur WikiLeaks 

A quoi sert un diplomate aujourd'hui ? Existe-t-il encore des secrets d'état ? Une courte réflexion qui m'a fait penser à La transparence et la vertu.

Bref, un ensemble très varié de textes qui sont plus ou moins liés à l'actualité. Décidemment, U. Eco a un mot à dire sur tout ce qui l'entoure ! 
Et est-ce intéressant ? Pour moi, ce sont des bases de réflexion plus que des réponses à digérer comme telles. 

lundi 18 août 2014

Chroniques birmanes

Et voici le dernier Guy Delisle lu récemment. Oui, quand j'ai envie de lire un auteur, je n'en reste pas forcément à un seul ouvrage. C'est mon côté boulimique du livre.

Dans cet opus, notre narrateur a quitté le monde de l'animation pour la BD et sa situation familiale a changé. Il est papa d'un petit Louis et marié à Nadège qui travaille pour Médecins sans frontières. Contrairement aux premières BD, celle-ci est découpée en petits chapitres qui se lisent de façon très indépendante. Si cela permet de s'arrêter plus facilement au milieu de la BD, cela lui donne moins de cohérence. On est un peu moins pris par les aventures du jeune père au foyer que celle de l'expat en Corée du Nord, mais peut-être est-ce le pays, moins isolé, qui veut cela ?

Via ses planches, le dessinateur croque la vie en Birmanie : les fêtes comme la fête de l'eau (incroyable ce truc !), les décorations des militaires et leurs décisions absurdes, les journaux censurés, les zones de pauvreté extrême, les moines, internet... Il montre également un peu du travail de MSF et de la vie des expats. 

Encore une fois, cette BD est bourrée d'humour, de situations exotiques, improbables ou absurdes. On ressent la présence de la dictature via quelques anecdotes qui prouvent que ce ne sont pas des rigolos dans le coin. Mais cette immersion d'un an permet à l'auteur un regard plus riche et nuancé que dans ses précédents opus. 
Chroniques birmanes Delisle
DR

samedi 16 août 2014

La Chorale des maîtres bouchers

Ma première rencontre avec Louise Erdrich s'est soldée par un échec, il faut bien le dire. C'est sans doute pour cela que ce titre traînait dans ma PAL depuis des lustres. Il me fallait au moins une LC avec Métaphore pour le sortir de là. Et non sans appréhension !

Et pourtant, quel plaisir de lecture que ce roman ! C'est une saga familiale au début du XXe siècle. Tous les membres en sont attachants, malgré leurs défauts, leurs silences, leurs trahisons. Au cœur de ce roman, Fidelis, un ancien soldat allemand qui s'exile en Amérique pour faire fortune après l'armistice. Pour cela, il débarque avec des saucisses et des couteaux. Et va s'installer comme boucher dans la ville d'Argus. Sa femme, Eva, le rejoint rapidement avec ses enfants. Une nouvelle vie commence pour cette famille dans cette petite bourgade dans laquelle Fidelis lance une chorale.

L'autre figure de ce roman, c'est Delphine. Originaire d'Argus, elle monte un numéro d'équilibriste avec Cyprian, son compagnon. Inquiète pour son père, un alcoolique invétéré, elle finit par regagner Argus pour découvrir des cadavres dans la cave de son père. La voilà donc obligée de rester à Argus comme témoin. Elle s'installe avec Cyprian et devient très amie avec Eva... 

Plat d'amandes et d'olives

L'histoire d'Argus et de ses habitants nous est racontée par L. Erdrich le temps d'une génération. Elle se clôt après la Seconde Guerre mondiale. Ces trente années sont rythmées par des occupations répétitives et simples (bêtises des enfants, préparation des repas, entretien des maisons et des boutiques) mais aussi marquées par des tragédies (maladies, accidents, guerre). 

Ce qui rend ce roman véritablement prenant, ce sont ses personnages nuancés, aux caractères susceptibles d'évoluer, et les relations qui les lient les uns aux autres. Il n'y a rien d'exceptionnel dans leurs histoires, et il n'y a pas beaucoup d'"Histoire" dans leurs vies. Le récit des faits de cette petite communauté américaine pourrait être profondément ennuyeux. Après tout, pas de chercheurs d'or, d'inventeurs ou de grands hommes. C'est la campagne profonde avec ses émigrés, ses WASP et ses indiens. Les hommes et les femmes travaillent, se marient et meurent. Mais la vivacité de la plume de L. Erdrich, sa narration déliée, font de ces histoires anecdotiques des moments forts. Bref, c'était un très bon moment de lecture !

Pour voir le billet de Métaphore, ma partenaire de LC ! 




jeudi 14 août 2014

Le Dossier Platon

Enthousiasmée par le talent de Peter Ackroyd que j'ai découvert avec La chute de Troie, je n'ai pas pu résister à ce titre en bibliothèque.

Nous sommes en 3700 à Londres. Platon est un orateur. Son sujet de prédilection ? L'ère de Godiche (1500-2300). Elle vient après l'ère d'Orphée (de -3500 à -300), époque de nymphes, de dieux et de créatures tricéphales et l'ère des Apôtres (de -300 à 1500), période de martyres et de prière. Lui succède l'ère des Lumières (2300-3400) et l'ère présente.

Villa Hadriana, salle des philosophes

Contrairement à Socrate à qui fait penser ce roman, ne serait-ce que par sa structure (harangues, procès pour corruption de la jeunesse et mensonges, jugement), Platon ne joue pas avec la maïeutique. Cet homme affirme et juge. Enfin, dans un premier temps... Il procède en archéologue et historien : à partir des éléments conservés de l'ère de Godiche, il cherche à comprendre cette époque. Ainsi, il parle De l'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle dont il attribue la paternité à Dickens (!). Le livre comporte en effet sur sa couverture Charles D., c'est donc évidemment Dickens (pour les incultes, c'est Darwin). Et comme il fait de ce livre un roman plutôt qu'un essai, cela devient une parodie de l'ère de Godiche à la manière d'un Don Quichotte. Ou comment à partir de connaissances partielles réécrire l'histoire et y transférer ses propres convictions et des éléments de compréhension déformés par le prisme de sa propre culture. Ainsi, Platon propose un glossaire de l'ère de Godiche. Parmi les définitions, notons celle de la "Course contre la montre : occupation d'une cohorte sans cesse renouvelée d'athlètes qui parcouraient continuellement la terre afin de vérifier le rythme des activités humaines et intervenir en cas de relâchement. Il semble que les Godichiens aient aimé la vitesse pour l'amour de la vitesse et pratiqué l'efficacité pour l'amour de l'efficacité. Ils craignaient perpétuellement que le monde ne perde sa vélocité, voire qu'il ne s'immobilise complètement". 

Comme Socrate, Platon a son daimon, avec lequel il dialogue, son âme. Et d'orateur péremptoire, il devient sceptique. Il met en question ses convictions. En explorant plus spécifiquement l'ère de Godiche, il utilise lui aussi le mythe de la caverne comme élément de compréhension de l'époque et des comportements humains. Mais le doute et la remise en question ne sont pas bien acceptés par la cité...

Roman parodique et conte philosophique, ce récit est un pamphlet bourré d'humour contre notre société. En prennent également pour leur grade les historiens, les archéologues, les linguistes, bref, tous les chercheurs en sciences humaines qui oublient parfois de se questionner et assènent leurs vérités sans prendre de recul. Fourmillant de références, de critiques et de mots d'esprits dans lesquels on s'amuse à retrouver les traits de notre civilisation, reflétés dans un miroir déformant

Efficace et drôle, ce roman est une petite pépite

mercredi 13 août 2014

L'état du ciel

J'ai désormais pris l'habitude de passer régulièrement au Palais de Tokyo, histoire de découvrir des artistes contemporains (j'ai encore peur de me balader en galerie). 

Hiroshi Sugimoto, Aujourd'hui le monde est mort [Lost Human Genetic Archive]Cette fois-ci, c'est l'installation d'Hiroshi Sugimoto, Aujourd'hui le monde est mort [Lost Human Genetic Archive], qui a retenu mon attention. J'ai trouvé cette expo géniale ! Le présupposé de base n'est pas des plus drôles : l'artiste imagine une trentaine de fins du monde possibles. Pour chaque scénario, le visiteur trouve une lettre et quelques objets qui racontent cette fin. Chaque personnage imaginé écrit un récit de la fin du monde qui correspond précisément à son activité. Ainsi un apiculteur nous raconte la fin de l'instinct des abeilles qui ne butinent plus. Les fleurs cessent de se reproduire et le monde devient un grand désert. Ou le théologien nous explique la vague de sectes et de religions qui se développent et se combattent devant l’imminence de la fin du monde. Et en viennent à la provoquer. Ou le géologue voit une météorite plus grosse que les autres annihiler toute forme de vie. Ou l'homme n'arrive plus à éprouver de désir pour les femmes mais uniquement pour des poupées. Ou un autre trouve que la vie n'a d'intérêt que dans les mondes virtuels. Ou le cosmonaute voit la terre et l'univers étouffés par les déchets... 

Les scénarios sont nombreux et aucun ne semble complètement fantaisiste. L'artiste prolonge certains comportements de nos sociétés jusqu'au point de non retour et les généralise. Il ajoute à la lettre manuscrite quelques éléments qui donnent de la matérialité aux scénarios (petites météorites, poupées gonflables, combinaisons d'apiculteur ou de cosmonaute, etc.) et indique à la fin de chaque lettre si l'homme en question veut ou non que ses gènes soient préservés.

Cette exposition pose des questions sur l'avenir de l'humanité et ses comportements. Mais loin d'être déprimante, elle est plutôt poétique et pleine d'espoir. Les collections d'objets touchent à l'absurde. Ils n'ont rien d'artistiques, ce sont des ready-made à la Duchamp. Mais l'écrit vient les transfigurer pour en faire des objets archéologiques. A voir et à revoir.

Hiroshi Sugimoto, Aujourd'hui le monde est mort [Lost Human Genetic Archive]

Dans les autres espaces, il y a la fameuse expo Flamme éternelle de T. Hirschhorn, qui sent le vieux pneu et donne guère envie de pénétrer dans son dédale. Bastards d'Ed Atkins m'a semblé très bizarre et après 15 minutes devant un écran pour voir un personnage boire et fumer, j'ai renoncé. 100 ans plus tard joue sur les rapports entre Orient et Occident mais manque clairement d'accessibilité. 

Par contre, All that falls montre des installations intéressantes, toutes tournées vers la chute. Ce sont des vidéos sur le 11 septembre ou le saut à la liane, des météorites qui semblent suspendues, des objets qui pleuvent, et surtout l'installation de McMillen : Entropic taxi ; The Finale Destination. Le visiteur pénètre dans un monde à part, un monde ancien, qu'il a envie de dater du début du XXe siècle. Une maison construite en plaques de zinc, bourrée de petits objets plus ou moins rouillés. On voyage dans le temps. On observe. On a l'impression que cette maison vit (et ce n'est pas uniquement à cause du gardien qui vient papoter avec vous), c'est étrange, un peu pesant.

Donc, on retient :  ne manquez pas Aujourd'hui le monde est mort [Lost Human Genetic Archive] ! Et allez aussi jeter un oeil à l 'étrange arbre d'Henrique Oliveira, c'est fascinant !

Henrique Oliveira, Baitogogo

mardi 12 août 2014

Anaconda

J'ai découvert Horacio Quiroga avec ses Contes d'amour, de folie et de mort. Je replonge dans son univers sombre et pesant avec ce titre, toujours aux éditions Métailié. Autant l'avouer immédiatement, j'ai préféré ma première rencontre à celle-ci. Les nouvelles de ce recueil ne m'ont pas toutes semblé extraordinaires !

Voici les titres rassemblés dans cet ouvrage :


Anaconda : Des hommes s'installent, le Congrès des Venimeuses se réunit pour éloigner ce danger.
Le Simoun : Une station météorologique perdue avec une ambiance façon Désert des Tartares.
Le marbre inutile : Un sculpteur tente de se convertir au commerce.
Gloire tropicale : Malter part à Fernando Poo, où la terre est fertile et généreuse.
Oiseau de proieLe yaciyatéré : Superstitions autour d'un oiseau d'Argentine.
Les fabricants de charbon : deux hommes et une fillette tentent de faire fortune.
Le Monte Negro : Braccamonte fait fortune.
Dans la nuit : Sur le Parana en crue, une femme héroïque lutte contre le fleuve.
Les raies : Est-ce une folie ou une fièvre qui s'empare d'Aquino et de Figueroa ?
La langue : Un dentiste devient fou pour une rumeur...
Le vampire : Un homme est vu de nuit au cimetière, est-ce un vampire ou un fou ?
La tâche hyptalmique : Étrange histoire d'idées confuses et de migraines.
La crème au chocolat : Qui régale tout les gens du coin !
Les hannetons : Quand les péons délaissent l'agriculture pour la chasse aux insectes.
Le Divin : Un cerf-volant devenu dieu.
Le chant du cygne : Il ne fait pas que chanter, il parle aussi !
Diète d'amour : Ne tombez pas amoureux d'une fille de diététicien, vous y perdrez la santé.
La poulie folle : Quand un fonctionnaire se rebelle et ne répond plus aux notes de ses supérieurs...
Miss Dorothy Philips, ma femme : fantasmes autour des stars de cinéma.

Le point commun de toutes ces nouvelles c'est certainement une ambiance lourde et moite. Celle des tropiques en proie à la chaleur, aux pluies diluviennes et aux fièvres violentes. Hommes et animaux y semblent fragiles ou héroïques, ballottés par une nature toute puissante
Dans ces nouvelles, la folie et le fantastique ne sont jamais loin et l'homme semble bien petit devant eux... 

J'ai retrouvé avec plaisir le style froid et distant de Quiroga mais je conseille plutôt de le découvrir avec les Contes d'amour, de folie et de mort !

lundi 11 août 2014

Pyongyang

Un bonheur n'arrivant jamais seul, j'ai pu lire ce titre en plus de Shenzhen de Guy Delisle. Cela complète un peu la vision que j'avais de son travail dont je ne connaissais auparavant que Le Guide du mauvais père

Bienvenue en Corée du Nord pour cet épisode. Là, Guy Deslile est en permanence escorté par son traducteur et son guide. Sans parler du chauffeur. Eh oui, il existe des pays encore plus fermés que la Chine... Et on le découvre dès la douane où tout le sac de l'auteur est vidé minutieusement.

Ce qui concerne le studio d'animation ressemble beaucoup à ce que l'on a vu en Chine à l'exception des portraits de Kim Jong-Il qui ornent toutes les salles du pays. Et tous les vestons des travailleurs, grâce à un charmant pin's. 

Pyongyang Delisle
DR
Il montre l'absurdité du système par beaucoup de petites touches : pas d'électricité sauf lorsque des représentants de gouvernements étrangers sont présents, des travailleurs "volontaires" pour peindre la moitié d'un pont, balayer ou couper de l'herbe sur une autoroute, etc. On peut même vous faire visiter le musée de l'impérialisme américain pour vous présenter les massacres qu'ils ont commis !

Le plus hallucinant est certainement le culte du leader. La première chose à faire en arrivant est de déposer des fleurs au pied de sa statue. Le seul musée à visiter est celui des 'cadeaux des pays amis' du leader. Le leader a écrit plus de mille ouvrages et réalisé plusieurs films... Et son peuple meurt de faim. Oui, oui, tout va bien !

Tout en relisant 1984, notre auteur peut expérimenter en temps réel les aberrations d'une dictature féroce. 

Une BD étonnante, certainement plus que Shenzhen, avec laquelle elle contraste par l'absence même des coréens (Shenzhen était plutôt du genre blindée). On a l'impression de remonter dans le temps lorsque le narrateur visite le métro qui fait abri anti-aérien ou lorsqu'il se déplace à Pyongyang, encadré par ses gardes, euh pardon, guides !

dimanche 10 août 2014

Martial Raysse, rétrospective 1960-2014

Au Centre Pompidou se tient actuellement une expo très estivale sur Martial Raysse, "peintre de la vie moderne". Pourquoi estivale ? Parce que vous y verrez notamment Raysse Beach, une installation avec des pin-up en maillot et du sable. C'est presque Tiki-pop à Pompidou !

Raysse, Raysse Beach, 1962
Raysse, Raysse Beach, 1962

L'exposition suit un déroulement chronologique, des premières œuvres très inspirées du pop art aux peintures les plus contemporaines, grandes fresques colorées de personnages contemporains. Ce qui est très perturbant et assez agaçant, c'est l'absence totale de panneaux de salle. En gros, vous vous repérez grâce aux dates inscrites sur les cartels. Vous ne connaissez le contexte de création que dans les rares cas de cartels un peu bavards. Bref, j'ai l'impression de me répéter mais un musée doit un minimum donner des infos à son visiteur sinon ça s'appelle une galerie ! Alors, certes, il y a un petit dépliant mais ça ne vous éclaire pas vraiment sur les parties de l'expo. D'ailleurs, peut-être n'y en a-t-il pas ? Car les cimaises ont beau marquer un chemin, elles ne rendent pas spécialement une progression. 

Raysse, Peinture à haute  tension, 1965
Raysse, Peinture à haute
 tension
, 1965
On découvre à l'entrée les premières peintures de l'artiste qui joue sur les couleurs vives posées par grands applats, les néons, les formes simples et féminines. Il s'inspire notamment des grands classiques de l'histoire de l'art comme La grande odalisque d'Ingres. Il propose également des installations comme Oued Laou (étonnant ce palmier sous tente au milieu de l'expo) et créations autour d'objets de consommation. On le voit également s'essayer au cinéma, jouant encore sur des images très pop. 

Puis dans les années 1970, il réalise des petites boites à merveilles faites d'objets de récupération et de petites sculptures. C'est assez fascinant, chacune est un monde à part entière. 

Les années 1980 le voient renouer avec la peinture. Il retourne à des sujets classiques voire académiques comme la mythologie et la religion. Mais le traitement est loin d'être classique, il est plutôt empreint de naïveté et de fraîcheur. Attention, ça ne veut pas dire que c'est léger. La Folie Antoine montre par exemple une danse macabre, Liberté chérie est un mannequin enchaîné... Il n'y a pas que le style qui change, la taille aussi. A l'exception de quelques portraits, les toiles de Raysse sont de plus en plus grandes, accueillant de larges fresques animées. Des sculptures viennent rythmer le parcours, silhouettes humaines entre le kitsch et l'amusant.

Raysse, La folie Antoine, 1999
Raysse, La folie Antoine, 1999

Si cette rétrospective montre un large panorama de la création de Martial Raysse, elle ne ne parle pas ou peu du nouveau réalisme ou même du pop art, elle ne donne aucun élément de contextualisation ou de réflexion. Elle se contente de présenter des œuvres. C'est loin d'être suffisant pour un visiteur un peu curieux !

Raysse, Mais espérons, chers amis, 2000
Raysse, Mais espérons, chers amis, 2000

vendredi 8 août 2014

Contes et légendes inachevés. Le premier âge

Ma lecture du Seigneur des anneaux remonte à des années et je ne ressens pas particulièrement l'envie d'y replonger. Le Silmarillion ne me tente pas dans l'immédiat. Mais j'avais envie de lire un peu de Tolkien. J'ai donc sorti ce livre de ma PAL mais je ne suis pas certaine que cela ait été une bonne idée. Pourquoi ? Parce que ces deux histoires, à savoir De Tuor et de sa venue à Gondolin et La Geste des enfants de Hurin, sont des contes liés au Silmarillion. Cependant, l'absence de contexte ne m'a pas spécialement gênée tant les histoires se suffisent en elles-mêmes

Locmariaquer

Le premier conte est assez court et poétique. Tuor, fils de Huor, grandit parmi les elfes gris auprès desquels sa mère s'est réfugiée. Adulte, il sera chargé de franchir les portes de Gondolin. Sans entrer plus dans les détails, je peux vous assurer que cette aventure est très belle, très onirique.

Turin, fils de Hurin, est un jeune garçon qui n'a pas connu la paix. Il a dû fuir enfant avec sa mère tandis que son père est parti combattre Morgoth. Adulte, il est plein de noblesse et de fierté. C'est cette fierté (et la méchanceté de Glaurung) qui va causer sa perte et celle des siens. Cette histoire, pleine de rebondissements, nous fait croiser des hommes, des elfes, des nains mais aussi des orcs. Comme une épopée, la geste de Turin, est une histoire de combats et d'amour, inspirée de la mythologie. Rien n'est épargné à cette famille, très inspirée des cycles d'Oedipe et de l'Orestie. Ce récit est bien plus consistant que celui de Tuor et du coup plus palpitant pour le lecteur. 

Ces deux récits permettent de renouer avec les peuples de la Terre du Milieu, à une époque lointaine. On ne retrouve pas cependant le style si ciselé de l'auteur, ces textes mis de côté ont certainement été moins travaillés.

Objectif PAL

plan Orsec PAL

jeudi 7 août 2014

Le bonheur de l'imposture

Hubert Nyssen est un auteur que j'affectionne depuis ma lecture de Quand tu seras à Proust, la guerre sera finie. Je le retrouve en proie à ses questions sur la littérature avec pour thème dans cet opus la place de la vie dans les écrits de l'auteur. Un thème qui peut paraître banal mais qui est ici finement traité.

Le narrateur, Archie, vient de perdre sa mère. Il écrit dans cet ouvrage ce qu'il dit (ou pourrait dire) à son psy. Enfant d'une romancière à succès, Éléonore Korab, il a été abandonné enfant à ses grands-parents. Lorsqu'il retrouve sa mère vingt ans après son départ, il tente de la comprendre à travers ses livres, suivant des pistes, s'égarant dans des sous-bois, sans jamais vraiment obtenir la vérité. Notre cartographe, qui s’émerveille que la carte ne soit pas le paysage, part à la chasse aux souvenirs dans le jardin de sa mémoire et de son esprit, souhaitant donner de la matière au "paysagiste de l'âme" qu'est son psy. Mais s'il est un territoire qui l'obsède et se dérobe sans cesse, c'est bien sa mère.

Éléonore est le personnage principal de ce livre. Belle et envoûtante dans sa jeunesse, elle vit de signes, d'anniversaires et d'espérances. Plus âgée, elle gagne en mystère. Qui peut réellement savoir ce qu'elle a vécu en Allemagne ? Qu'est-ce que cette fascination pour l'Albanie ? Qu'y a-t-il de l'auteur dans ses romans ?

Étrange fascination de cet homme pour sa mère, tour à tour amoureux et jaloux, trop possessif pour être honnête. Un pouvoir qu'elle exerce sur les hommes en général mais aussi sur les femmes : Colette, la compagne d'Archie, devient l'amie la plus proche d’Éléonore.

Jardin des tuileries

Un roman que l'on a plaisir à lire calmement, en s'amusant des jeux d’Éléonore, mais sans vraiment vouloir la percer à jour. La métaphore de la carte et du paysage, omniprésente, est bien traitée, sans lourdeur. On pense à Voltaire évidemment, sans que jamais son nom n’apparaisse. Enfin, la langue est agréable et j'ai eu plaisir à cocher quelques passages.

mercredi 6 août 2014

La dormeuse de Naples

Ce court livre d'Adrien Goetz traite d'un sujet passionnant : un tableau disparu. Il s'agit de la Dormeuse de Naples, peint par Ingres en 1814 pour Caroline Murat. Ce tableau semble s'être perdu dans la tourmente de la chute de l'empire.

Ingres, la grande odalisque

Ce roman se divise en trois parties, chacune racontée par un narrateur différent.
On commence à Naples en 1814. Ingres a croisé une jeune fille dans les rues de la ville et lui a proposé de poser pour lui. C'est bien entendu le modèle de la Dormeuse. Mais sous la froideur apparente du peintre, beaucoup de sentiments et d'émotions se réveillent et se bousculent. 

On poursuit à Rome avec Corot en 1825. Ce dernier peint ses fameux paysages, bercés par la lumière italienne. Lors d'une soirée étrange, un genre d'initiation bacchique, il découvre la Dormeuse. Il n'aura cesse alors de la retrouver.

Enfin, on conclut avec un proche de Géricault en 1817, qui nous raconte que lui aussi a vu la toile, dans l'atelier de Géricault. Le jeune homme en profite pour nous parler des chevaux du Corso, de Delacroix et du Radeau de la Méduse

Si le propos de base était intéressant, il ne faut pas lire ce roman pour espérer trouver une hypothèse sur ce qu'est devenu ce tableau. C'est et cela reste une arlésienne. Par contre, pour se plonger dans l'art du XIXe siècle, c'est parfait. Nos trois personnages sont suffisamment différents en termes de personnalité et de conception de l'art pour nous faire toucher la diversité de l'époque. C'est un peu court, cela reste léger, bref, un livre qui se lit entre deux baignades.

Du même auteur, j'avais beaucoup apprécié Intrigue à l'anglaise !

mardi 5 août 2014

Lucio Fontana, rétrospective

Avant d'aller visiter cette exposition du Musée d'art moderne de la ville de Paris, j'imaginais que Fontana n'avait fait que des toiles lacérées, les fameux Tagli. Oui, je ne brille pas forcément en histoire de l'art contemporain. J'ignorais donc totalement une partie de son oeuvre, notamment ce qui touche à la sculpture. 

Fontana, Saint Georges, 1935
Fontana, Saint Georges, 1935
Car c'est bien par la sculpture que s'ouvre l'exposition : des objets de plâtre ou de cire, plus ou moins figuratifs. Rien à voir avec les peintures à la fente si nette. Ici, les sculptures presque torturées répondent aux céramiques colorées et brillantes, limite kitsches. 

Puis dans les années 1950, l'artiste construit sa théorie spatialiste, qui dirige sa création jusqu'à la fin de sa vie, en 1968. Théorie collective élaborée par des artistes et des penseurs, elle est fondée sur les notions de temps et d'espace : il faut capturer le mouvement, la lumière, donner à voir l'espace et la couleur. Oui, les futuristes ne sont pas loin ! Les premières oeuvres spatialistes sont les Buchi : ce sont des toiles peintes et trouées composant des spirales ou des lignes. Viennent ensuite les Tagli, ces grandes fentes sur des toiles monochromes et les Olii, des toiles monochromes aux couleurs vives, trouées avec une violence appliquée, lourdes des couches épaisses de peinture.

Fontana, Concept spatial, Attente, 1959
Fontana, Concept spatial, Attente, 1959

Outre la peinture, Lucio Fontana continue à pratiquer la sculpture. Il crée dans les années 1960 les Natures, ces boules fendues et percées, qu'il assimile à des planètes et à des sexes féminins... Il participe également à des concours d'architecture. 

Fontana, Concept spatial, petit théâtre, 1965, gal Dello Scudo, Vérone
Fontana, Concept spatial,
 petit théâtre
, 1965
Les dernières salles exposent les Venezie, ces peintures qui renouent avec les premiers dessins spatialistes par leurs formes rondes et spiralées ainsi qu'avec la brillance des céramiques : des toiles parsemées d'éclats lumineux. On découvre enfin les amusants Teatrini, ces petits théâtres au cadre découpé encadrant des toiles colorées. On a l'impression d'être devant un décor de conte devant lequel manque le spectacle de marionnettes !

Montrant la diversité des créations de Fontana, cette exposition rassemble beaucoup d’œuvres. Elle peine toutefois à expliquer clairement le spatialisme et les techniques de l'artiste. Heureusement, quelques vidéos de Fontana, permettent de mieux appréhender sa démarche. Par ailleurs, j'ai pu lire que l'aspect politique de certaines œuvres, qui montrent des hommes forts en marche par exemple, n'était pas assez explicité dans l'exposition. Il est vrai que le soutien de l'artiste au fascisme n'est jamais évoqué dans l'expo (mais l'est dans le catalogue). Faut-il ou non le taire ? Je pense qu'en parler peut aider à replacer les œuvres dans leur contexte. Car nous sommes dans un musée après tout, un lieu où l'on peut espérer arriver sans forcément tout connaitre, pour apprendre. Même si la scénographie blanche et simple fait penser à une exposition de galerie plus que de musée...

lundi 4 août 2014

Shenzhen

Cela fait des mois que je guette les BD de Guy Delisle en bibliothèque mais elles sont toujours prises d'assaut. Le bon côté de rester à Paris pendant les vacances, c'est que certaines deviennent plus disponibles.

J'ai donc enfin découvert les premières créations de cet auteur. Travaillant dans un studio d'animation, il est envoyé à Shenzhen où travaille une armada de chinois. Ils dessinent Papyrus, la BD de notre enfance, qui est ensuite diffusée à la télé. J'ignorais totalement cette sous-traitance de la série télévisée à l'autre bout du monde ! 

Shenzhen, c'est d'abord une chambre d'hôtel et un vigile qui teste son anglais. C'est la "maison" de l'auteur pendant ces quelques mois en Chine. 
Et c'est le studio d'animation avec une traductrice pas très fun. Il y a aussi les week-end en expedition à Hong-Kong et Canton. 
Mais l'essentiel se déroule à Shenzhen où notre occidental tente de se faire comprendre. Rien n'est facile lorsqu'on ne parle pas la langue, même commander un repas ! Mais plutôt que de communiquer, l'auteur peut observer. Il note ainsi comment traverser un flot ininterrompu de vélos, comment se faire servir au resto, de combien d'étages grandissent les immeubles en un week-end, etc...

Delisle Shenzhen
DR
Une BD pleine d'humour et d'autodérision, qui rend bien le malaise et l'ennui de l'auteur paumé dans ce pays.

dimanche 3 août 2014

Une journée à la Cité des sciences : robots et jeux vidéo inside

L'Amoureux est, comme vous le savez, un grand gamer. Fan de jeux vidéo et de jeux de plateau, il ne pouvait manquer l'exposition qui se déroule actuellement à la Cité des Sciences, même si celle des Arts et Métiers l'avait un peu déçu. 

Nous avons débuté notre exploration par l'expo Art robotique. Une dizaine d'artistes et ingénieurs présentent leurs robots. 

Le premier, Till Nowak, est complètement fêlé. Il imagine des manèges dingues, qu'il intègre dans des espaces -virtuels- de fêtes foraines. Il propose par exemple une grande roue à zig-zag dans laquelle on peut rester une journée sans avoir fini son tour ou un "tapis volant" qui se dédouble pour plus de vitesse et d'élan. Très sérieusement, il explique ses manèges pendant un petit film hallucinant. 
Nous n'avons par contre pas eu la chance de voir la Totemobile en mouvement, si ce n'est sur une vidéo. C'est assez bizarre ce Transformer. Sans parler des lits d'hôpitaux qui font leur petit ballet ! 

Mais ce n'est jamais aussi fou que les créations des frères Tosa autour des instruments de musique : les clips japonais sont toujours un grand moment d’hilarité ! Par contre, les projets bioniques de Lu Yang font tous très peur. Après, dans le genre précis et rigoureux, le robot de The big picture reproduit une photo en grand format avec son petit crayon. 

Puis on passe à des robots très poétiques comme les Animaris, mes favoris, qui fonctionnent avec le vent. Ces grandes bestioles de PVC qui se baladent sur les plages des Pays-Bas, je trouve cela fascinant ! 
On reste dans la poésie avec les jeux sur l'eau et la lumière ou le cristal et la lumière des Matrices liquides et des Falling light. Là également, c'est assez hypnotique et apaisant.

L'ensemble est bluffant et montre la diversité que peut recouvrir le terme robot. Est-ce vraiment de l'art ? Si j'ai très envie de mettre les poétiques dans cette catégorie, je suis plus circonspecte sur les foufous. Et j'ai maintenant très envie de voir un Animaris dans son élément naturel ! 

Animaris

Après les robots, les jeux vidéo. Cette exposition n'est pas spécialement bien ordonnée et les puristes trouveront que c'est un peu bordélique comme organisation. On commence plus ou moins par l'histoire du jeu et du jeu vidéo, l'histoire des machines pour progressivement découvrir l'industrie et l'économie du jeu. Le tout est agrémenté de témoignages (présentés comme des petits jeux avec des boutons 'play' que les enfants actionnent 25 fois en ce demandant comment ça se joue et, comprenant enfin que c'est un film, partent dépités) qui construisent une sociologie voire une psychologie du jeu. Certains font très peur comme celui d'un homme tombé amoureux d'un avatar et pour qui les souvenirs de WOW sont plus prégnants que ceux de sa vie pro ou perso ! 

expo jeux video


Il y a surtout beaucoup de jeux à tester avec ses amis. Nous avons eu la chance de visiter l'expo alors qu'il y avait assez peu de monde et d'attente mais j'imagine qu'aux heures les plus blindées, il doit être compliqué de pouvoir jouer. Certains jeux permettent de découvrir les différents types de jeux vidéos et leur évolution. Et vous pouvez même créer le vôtre. 
Parmi nos découvertes, un jeu pour les aveugles : vous êtes un monstre, votre adversaire est un homme. Il va vous falloir l'attraper en ne vous guidant qu'à l'oreille (l'homme hurle de terreur). C'est pas évident et plutôt amusant. 

Bref, il y a beaucoup d'infos dans cette expo mais c'est surtout une grande salle de jeux !

Enfin, on ne peut venir à la Villette sans passer par la Géode. L'Amoureux a des règles très précises sur le sujet ! Nous avons vu Grand canyon, fleuve en péril, un film sur la protection du fleuve Colorado. Nous le descendons en compagnie d'un écrivain et de sa fille ainsi que d'une indienne. En rafting.

Très didactique et bien pensant, ce film vise à sensibiliser les spectateurs au problème de la consommation d'eau. Si les images sont belles, le propos s'adresse clairement à un public américain : les "facts" de la fin sur la puissance de la douche, du tuyau pour laver le 4X4 ou la chasse d'eau économique sont plutôt évidents pour les européens. Si on oublie le ton très engagé du documentaire, on retient quand même deux trois petites choses sur l'histoire du fleuve et de ses changements, sur l'insouciance des hommes, sur le kayak, les indiens, etc. 

vendredi 1 août 2014

Golzius and the Pelican Company

Voilà plusieurs mois que j'ai vu ce film de Peter Greenaway mais je n'avais pas encore pris le temps de vous en parler. Ce réalisateur s'attache à montrer le monde de l'art dans ses films. C'était déjà le cas avec La Ronde de nuit, un film sur la peinture par Rembrandt de la milice d'Amsterdam. On suit la création du tableau et surtout sa -mauvaise- réception par les commanditaires. Ceux-ci décident de faire chuter Rembrandt. Le film rendait avec beaucoup de bonheur le jeu sur le clair-obscur qu'aimait le peintre et l'ambiance XVIIe. Mais il jouait beaucoup, et c'est aussi le cas de Goltzius, sur la mise en abyme et la théâtralisation des scènes. Sympathique au début, cela devient lassant à la longue. Par ailleurs, le scénario n'est pas très épais. Tout est dans les interrogations des personnages et la réflexion artistique. Bref, il faut apprécier un peu le sujet pour regarder ce genre de film.

Goltzius & the pelican company

Goltzius nous fait à nouveau voyager dans les contrées nordiques, un siècle avant Rembrandt. L'artiste Hendrik Goltzius vient solliciter l'autorisation d'imprimer ses gravures auprès du Margrave d'Alsace. Il envisage de graver les scènes de la Bible, notamment les scènes érotiques. Mais il ne va pas uniquement les graver, il va les jouer pour le Margrave. Et les scènes fort dénudées s’enchaînent devant nos yeux étonnés : Adam et Ève, la femme de Potifar et Joseph, Samson et Dalila, Saint Jean-Baptiste et Salomé... Bon, c'est clairement à classer X même si la mise en scène hyper esthétisante et kitschouille tempère les scènes chaudes. A cela s'ajoutent des références artistiques innombrables, venant se superposer au jeu des acteurs. 

Si l'idée était amusante et visait à parler d'art, de religion et de la liberté d'expression au XVIe siècle, le traitement est clairement répétitif. Le voyeur se fatigue de cette nudité omniprésente et de cette théâtralisation. Certaines parties sont clairement malsaines et n'apportent pas grand chose au scénario qui se contente de cataloguer les péchés de la chair. Trop de surenchère tue le spectateur !