La figure de Cassandre, princesse troyenne condamnée à annoncer l'avenir malheureux sans jamais être crue, est fascinante. Lucide et incomprise, vierge maudite par un dieu jaloux, elle reste dans l'ombre, dans les mots, quand les hommes qui l'entourent ne sont que dans l'action. Ce livre dirigé par Marie Goudot a été une évidence pour moi : je voulais creuser les mystère de ce personnage. Il s'agit d'un recueil d'articles qui traitent de cette figure antique et de ses réinterprétations modernes.
Cet ouvrage s'organise ainsi :
"Enquête sur une énigme bien gardée" et "Le motif dans le tapis pourpre" par M. Goudot
Tout commence par un retour sur Cassandre, sur sa parole impuissante. Elle est vue comme une figure ambiguë, aussi puissante qu'un dieu car elle connait l'avenir, elle sait voir derrière les mensonges et les choix présents, mais elle est toujours aussi démunie qu'un enfant car sa parole est vaine. C'est un dialogue de sourds entre ses interlocuteurs et elle.
C'est également un personnage qui porte malheur : elle n'annonce que des morts et des défaites... N'est-ce pas sa parole qui les déclenche ? Elle donne au langage sa valeur performative :"Quand la chose est dite, elle existe. A s'obstiner à annoncer les catastrophes, on les provoque".
Enfin, cette femme, considérée comme barbare et folle, est aussi, dans la tragédie grecque, le porte parole d'une réflexion politique.
C'est le théâtre qui donne à Cassandre toute sa dimension. Elle n'est certes pas entendue par ses interlocuteurs, mais le spectateur, interlocuteur secondaire, peut la croire. Son langage s'adresse à une double cible, qui ne peut agir : l'interlocuteur parce qu'il n'est pas persuadé par ses mots, le spectateur parce qu'il est dans un autre espace que la scène. Elle est une incarnation du destin tragique, de la fatalité.
"Le chant interdit de la clairvoyance" de A. Iriarte
Cet article s'attache à montrer Cassandre comme une femme, comme la femme par excellence : mystérieuse, inquiétante, à domestiquer...
Parlons d'abord de ses oracles : la violence des visions et des transes de Cassandre sont autant d'accouchements, fruits de la possession divine. Elle n'est pas du tout dans la sobriété d'un Tirésias, au langage clair, elle est dans la vision fugitive et immédiate traduite par des paroles sibyllines. Ce langage vain, ce n'est pas uniquement celui de la fille de Priam, c'est celui de la femme en général : incapable de propos réfléchis, la femme s'exprime de façon cryptique. Il faudrait un interprète pour la comprendre (oui, l'égalité, c'est pas trop à la mode chez les grecs).
Selon l'auteur, le théâtre reflète l'inquiétude du citoyen devant le mariage et la femme (qui transmet la citoyenneté, ce n'est pas rien), notamment devant la vierge attachée à Agamemnon, devenu polygame. Ni vraiment vierge, ni épouse, ni mère, elle ne se rattache à aucune catégorie féminine connue. N'est-il pas alors logique que de telles noces se signent dans l'Hadès ?
"Le moment de Cassandre chez Eschyle" de A. Green
Un article qui s'attache à mettre en avant le réseau de relations de Cassandre. Je n'en ai pas gardé grand chose.
"Cassandre, figure sonore" de S. Crippa
Cet article s'intéresse aux mots de Cassandre. Des mots articulés mais aussi des sons, des cris incompréhensibles.
"Le Moyen Âge a-t-il eu ses Cassandres ?" par J. Le Goff
Cassandre n'est pas très populaire au Moyen Âge, on ne la voit guère renaître qu'au XIIe siècle dans des romans historiques, notamment le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure. Sa place est souvent très réduite dans les ouvrages qui évoquent Troie. Elle est à la fois figure du malheur, comme l'est sa ville, et figure oraculaire lointaine, condamnable parce qu'elle n'annonce pas le Messie à la différence de prophètes et sibylles antiques. Mais ce qui l'a le plus surement condamnée, c'est son absence de perspective sur le salut, le fait de n'être que malheur et mort...
"Cassandre ou la division : l'évidence invisible" de C. Puech
Pourquoi Cassandre a-t-elle voulu l'omniscience ? Et pourquoi son discours se rapproche-t-il du langage utopique ?
"De Cassandre à Médée" par C. Wolf
Sur la place de la femme dans la société grecque mais aussi de l'humain dans une société. C. Wolf s'attache à la figure de Médée, magicienne diabolisée par Euripide à travers l'infanticide qu'elle commet. Elle signale que cet acte a été ajouté par le tragique pour répondre à une peur du féminin...
L'ensemble de ces articles dresse un portrait passionnant de Cassandre, à travers toutes les facettes de son personnage. Une bibliographie permet également de creuser l'un ou l'autre point. Cependant, je n'ai pas l'impression d'avoir découvert énormément via cet ouvrage. Les interprétations proposées ont rarement suscité mon étonnement. Il faut dire que c'est un sujet sur lequel j'ai beaucoup travaillé en master et que je commence à bien connaître. Bref, j'hésite à réellement le recommander.
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