Sous-titré "Questions posées aux fins d'une histoire de l'art", cet essai de Georges Didi-Huberman est une lecture exigeante. Il y est question de la compréhension de l'image et de l'histoire de l'art. Quand tu vas au musée, tu peux admirer une peinture comme celle-ci (Van Gogh, Amandier en fleurs, 1890, Amsterdam). Tu as peut-être lu et appris des choses à son sujet. Et puis, le cartel et le discours de l'audioguide (tape 21) vont t'informer. Pas de doute, tu pourras passer au tableau suivant. Et si tu n'avais pas tout appris ? Et si le conservateur qui croit si bien connaître sa collection ne savait pas tout ? Didi-Huberman apprend le doute aux historiens de l'art dans cet ouvrage...
En voici les différentes parties :
Question posée
L'auteur décrit l'histoire de l'art comme un domaine toujours plus large et complet. C'est une discipline qui nourrit un savoir, qui crée des spectacles (expositions) et fait de l'argent en cautionnant le marché de l'art. Or, l'histoire de l'art est-elle vraiment la science qu'elle croit être ? Ne se prendrait-elle pas un peu trop au sérieux ?
L'histoire de l'art dans les limites de sa simple pratique
Cette première partie commence par l'observation d'une fresque de Fra Angelico. Voilà qui me réjouit ! Et là, l'auteur nous explique qu'il existe trois entrées dans l'oeuvre : le visible (ce qui peut être décrit), le lisible (ce qui peut être traduit) et l'invisible (ce qui fait l'objet d'une métaphysique). En réalité, l'oeuvre est un agrégat de savoirs et de non-savoirs : l’attitude de l'observateur serait de se laisser saisir par l'image. Ainsi, le blanc de l'oeuvre de Fra Angelico est à la fois simple et complexe. N'est-ce pas l'incarnation du mystère chez ce peintre ?
Didi-Huberman signale que l'historien de l'art se fait piéger par deux écueils : le fait de vouloir la mort de son sujet pour être sûr de dire la vérité à son propos et le fait de se croire sûr de son savoir. Or, "l'histoire de l'art échouera à comprendre l'efficacité visuelle des images tant qu'elle restera livrée à la tyrannie du visible". N'est-ce pas une curieuse invitation à explorer l'invisible ?
L'art comme renaissance et l'immortalité de l'homme idéal
Après Fra Angélico, Vasari, le fondateur de l'histoire de l'art et des artistes. Celui qui leur donne une légitimité et qui les empêche de sombrer dans l'oubli. L'occasion de faire un point sur le "disegno", ce dessin et dessein qui fonde la discipline comme un savoir.
L'histoire de l'art dans les limites de sa simple raison
On entre ensuite directement dans la philosophie avec la figure de Kant qui "disloquait la conjonction humaniste de la mimesis et de l'idea esthétique, distinguant la faculté de connaitre la nature et celle de juger l'art, distinguant l'universalité objective de la raison pure et l'universalité subjective du génie". Et l'on croise Panofsky qui propose une grammaire et une symbolique des œuvres, systématisant leur lecture. Mais cette connaissance logique et rationnelle ne satisfait pas l'auteur.
L'image comme déchirure et la mort du dieu incarné
On a parlé de ce qui se voyait et faisait sens immédiatement, on a parlé des symboles qui nourrissent ce savoir mais sont moins perceptibles. Mais il y a aussi ce que l'objet ne montre pas (Merci Freud), qui se manifeste par des symptômes. Et c'est cela qui doit nourrir le doute quant au savoir en histoire de l'art. En gros, "plus je regarde, moins je sais". "Nous sommes devant l'image comme devant un trésor de simplicité, une couleur par exemple, et nous sommes là-devant -selon la belle formule d'Henri Michaux- comme face à ce qui se dérobe".
Appendice : question de détail, question de pan
Pour conclure, l'auteur examine la question du détail et du pan. Ce que par définition nous voyons mais ne percevons pas forcément. Ce qui est visible mais qui nous reste dissimulé. Ainsi, le tableau ne nous montre pas la même chose de loin ou de près. C'est un mélange de description et d'expérience, de couleur et de matière. Il y a des détails qui sont visibles et compréhensibles en tant que tels et des pans qui détonnent et dépassent dans le tableau à la façon du pan de mur jaune de Vermeer que décrit Proust (en réalité, un toit). Ce sont des objets qui sautent aux yeux mais ne sont pas nommables. Ils sont des intrusions accidentelles, liées à un trouble, qui sont aussi l'essence du tableau même s'ils ne sont pas compréhensibles.
Cet essai érudit et complexe propose un regard humble et neuf sur l'histoire de l'art et sur les œuvres. Il se nourrit de références esthétiques, philosophiques et psychanalytiques dans cette réflexion et propose des exemples parlants qui permettent au lecteur (parfois un peu démuni) de bien percevoir ce que conceptualise l'auteur. Je retiendrai de cet essai une grande liberté face à l'image : celle-ci ne se situe pas uniquement dans le domaine de la connaissance mais aussi dans un domaine plus métaphysique et inconnaissable. Et cette liberté donne une richesse beaucoup plus vaste aux œuvres ! Le genre de lecture qui me donne envie de retenter l'aventure avec Kant, que j'ai abandonné plusieurs fois ou avec d'autres philosophes comme Heidegger qui m'ont traumatisée plus jeune.
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