Merci au Livre de poche pour l'envoi de cet ouvrage de Sorj Chalandon. C'est un livre fort, un livre auquel on se cramponne, dont on tourne les pages sans les compter.
Georges, notre narrateur, est un homme engagé. Il manifeste, il distribue des tracts, il peint des drapeaux. Français, il a l'impression que son engagement le rend frère de tous les opprimés. Il ose frapper, il ose se mettre en danger pour ses idéaux. Et pourtant, il est loin de tous les conflits. Ce pion sans ambition vit dans la France apaisée et prospère des années 80. Parmi ses amis, il compte Samuel, metteur en scène juif et grec, un exilé qui a fui le régime des colonels. Samuel, c'est un artiste qui imagine que le théâtre peut changer le monde et peut faire dialoguer des ennemis.
Il monte un projet fou : faire jouer Antigone d'Anouilh à Beyrouth à des acteurs issus de camps ennemis. Antigone, cette petite jeune fille qui dit toujours non, cette petite résistante qui donne sa vie pour une poignée de terre. La pieuse Antigone de Sophocle est ici oubliée au bénéfice de sa petite sœur, la maigre Antigone d'Anouilh. Samuel espère une trêve de quelques heures pendant lesquelles le théâtre fera taire les fusils. Mais, bloqué dans un lit d’hôpital, il confie cette mission à Georges. Incapable de refuser cette dernière volonté d'un ami, Georges abandonne femme et fille le temps de monter cette pièce. Mais il n'imagine pas ce qu'il va trouver au Liban et les rencontres qui l'attendent. Ne va-t-il pas y croiser son destin, comme dans toute tragédie ?
Passionnant livre sur le théâtre et son pouvoir. Celui de faire changer les choses et les hommes. Un roman qui donne tout son relief au texte d'Anouilh, toujours juste et à propos. Mais ce n'est pas que cela.
Ce livre explore également les relations amicales, la place de l'engagement et la violence des guerres. S. Chalandon ne nous fait grâce de rien à ce sujet : le Liban est déchiré par ses peuples et nous en voyons les exactions.
Comme le héros, nous en perdons nos repères. Car ce livre interroge nos belles certitudes, notre recul d'européens en paix. Facile de juger, de prendre position quand on est si protégé. Au Liban, plus de bons et de mauvais côtés, chacun est un peu responsable, chacun est aussi victime. Et c'est cette lecture multiple, qui refuse un manichéisme facile, qui séduit le lecteur et qui fait toute la richesse de ce texte. Cerise sur le gâteau, l'ensemble est servi par une plume vive et affûtée.
Et ce quatrième mur ? C'est celui que "les acteurs construisent en bord de scène pour renforcer l'illusion. Une muraille qui protège leur personnage. Pour certains, un remède contre le trac. Pour d'autres, la frontière du réel. Une clôture invisible, qu'ils brisent parfois d'une réplique en s'adressant à la salle".
Pour les amateurs de théâtre, dans un tout autre genre, il y a L’œil du prince, cette place qui permet de bénéficier de la meilleure vue sur la scène.
Une lecture qui m'avait déçu. Un style que j'ai trouvé trop journalistique.
RépondreSupprimerJ'ai tellement été happée par l'histoire que ça ne m'a pas gênée.
SupprimerC'est exactement comme tu le dis, il n'y a pas de manichéisme, le lecteur subit de plein fouet une phénoménale perte de repères... et c'est un livre plein de reliefs. Contente de l'avoir lu de mon côté aussi, tu imagines bien.
RépondreSupprimerOui, j'ai senti cela dans ton billet !
Supprimer