J'aime beaucoup ce qu'écrit Christiane Singer. Je la trouve souvent d'une grande pertinence. J'aime son regard sur le monde et sur elle. J'étais curieuse de la lire sur le thème de l'âge, à notre époque de jeunisme triomphant (commence l'anti-ride à vingt ans, après il sera trop tard) mais aussi de grande défiance envers la jeunesse (frilosité des entreprises devant la créativité, refus de nommer des gens compétents à des postes intéressants avant qu'ils aient 50 ans).
Cet essai se divise en plusieurs temps :
La gestation, la naissance, le nouveau né
C. Singer rappelle la beauté et la merveille qu'est la gestation. Loin de n'être qu'un fardeau, elle est un don ! Elle rappelle que les réalités économiques et sociales poussent à l'indépendance et font du bébé une entrave. Mais cette indépendance n'est-elle pas creuse et vaine ? Voilà qui me questionne. Sans pour autant me convaincre... Elle signale aussi que la famille n'est pas une prison : "Chacun de nous est à la fois l'enfant de l'homme et la femme qui l'engendrèrent et l'enfant de la création". Aimé ou pas, tu as ta place dans le monde nous dit-elle. Une phrase que je trouve absolument réconfortante !
La petite enfance
Nous abordons l'âge "sauvage" de l'enfance, un âge de totale liberté : pas de barrières sociales ou morales et des mondes imaginaires qui enrichissent le quotidien. C'est le moment où se forme notre propre cosmogonie. "Il est un temps pour toute chose et le temps de l'enfance est celui de l'adhérence au monde, de son investigation par les sens et l'imaginaire. L'intelligence pourra construire plus tard ses édifices les plus hardis, ses subtils systèmes d'abstraction sur ce solide soubassement. S'il vient à manquer, c'est le drame de la dépendance, de l'adhésion fatale aux systèmes préfabriqués".
L'auteur nous met en garde contre une société qui veut domestiquer l'enfance, qui veut faire du petit homme un consommateur de plus : "Substituer à ses facultés différenciées et vivantes, alors en plein essor, tout un attirail de prothèses - de la télévision aux multiples gadgets de l’électronique - est un crime que le code pénal n'a su prévoir".
Et outre ces considérations, ce chapitre est plein de belles histoires, de contes, qui viennent enrichir cette pensée : "Le conte ne dépose jamais ceux qui l'écoutent à l'endroit où il les a pris - mais plus haut et plus loin". Je suis persuadée que le conte est un appareil à rêver et à construire les hommes, que les livres les forment, les questionnent et les font réfléchir. Peut-être manquons-nous de contes dans nos quotidiens ? Je propose une cure de contes pour tout le monde et des conteurs dans nos villes : un conteur dans le métro, ce serait chouette, non ?
Plaidoyer pour l'adolescence
L'adolescence, c'est le moment où l'homme s'ouvre à une vie spirituelle et culturelle sans couper avec le monde naturel. Un moment où les sentiments et la raison sont les plus agiles : "Il évolue avec aisance, dix fois le jour, de l'appel de la sainteté à la fascination de la déchéance, du profane au sacré, du ludique au solennel". Pour C. Singer, c'est le moment de la vie où nous sommes le plus proche de notre perfection.
La jeunesse
Passe le temps, s'écoulent les fleuves, nous voilà rendus à l'âge où l'homme est capable de tous les séismes, de tous les défis. Un âge bourré de vie ! Celui de la soif de savoir et d'aimer, celui du désir qui ne peut être comblé. C'est l'âge où se révèle et se dessine ce que nous souhaitons de notre vie, nous en apercevons les trésors.
L'âge adulte
C'est le temps de l'équilibre et de la plénitude qui débute selon l'auteur : "La jeunesse y déverse ses torrents tumultueux et ses boues, sa vigueur et ses instincts, et la maturité y laisse affleurer ses nappes profondes, sa maîtrise et son savoir". C'est un temps plus long et lent, où l'on ne dévore plus la vie d'une bouchée, où l'on prend le temps de choisir et d'approfondir. Mais gare à celui qui s'éloigne de ce qu'il est : "Comment s'étonner dès lors que ces années soient aussi secouées de crises profondes (parfois minabilisées sous l'appellation de "middle age crisis"), de ruptures, de dépressions, de morts brusques ? Ce sont autant de rébellions de l'âme contre les mutilations subies [...] Contraint dès lors de recourir, pour momentanément survivre, à des substituts multiples, soit matériels (argent, consommation, accumulation d'objets), soit idéels (position sociale, promotion, honneurs), il s'éloigne de plus en plus de son être profond, se cherche avec constance et hargne où il n'est pas".
Voilà son conseil : "Devenir ce que nous sommes n'est pas la formule de la facilité mais le chiffre secret d'une conquête. Car il ne s'agit pas de subir ce que nous sommes ni de nous en accommoder mais de le vouloir avec ferveur".
La vieillesse
Évoquant ici les visions de la vieillesse d'Améry et de Beauvoir, l'auteur ne parle pas ici de son propre vécu mais de celui qu'elle peut observer chez de sages vieillards : ralentissement du temps, connaissance de l'humain... Plutôt que d'en faire un temps de regret, elle y voit un nouveau lieu d'épanouissement.
Sans fixer d'âge précis à ces périodes de la vie, Christiane Singer montre la beauté et l'utilité de chacune dans notre construction personnelle. Elle invite à faire confiance au temps. Mais aussi à se faire confiance pour choisir ce qui est bon pour nous, ce qui nous épanouit, nous rend heureux. Même si je n’acquiesce pas à tout, je trouve ce livre d'une grande vérité et d'une belle harmonie. Il nous invite à nous situer, à relire notre parcours, à nous interroger sur ce qui a du sens pour nous et ce qui ne nous construit pas. Une lecture essentielle !
Quelques autres citations pour ceux qui ne sont pas totalement convaincus :
"En ne faisant rien, celui qui n'a rien fait a déjà fait beaucoup ; et ce qu'il faut à l'homme pour aller au bout de ses rêves et de ses possibilités n'est rien d'autre que ce qu'il a déjà : son corps"
"Seul l'esprit familier des allées et venues entre la pérennité et l'actualité est en mesure d'aborder les problèmes de son temps avec cette responsabilité accrue, cette perspective agrandie sans laquelle l'homme contemporain est un grand semeur de désastres".