Ce livre d'Elisabeth Badinter est depuis plusieurs années sur ma LAL. J'ai souvenir qu'il avait fait polémique lors de sa sortie. Le sujet m'intéresse et me concerne. Il nous concerne toutes. Et peut-être tous. C'est la maternité qui est au cœur de cet ouvrage et son évolution entre les années 1980 et les années 2010.
Dans une société de plus en plus individualiste et hédoniste, faire un enfant est un choix. Un choix complexe car il apporte des contraintes à sa mère (mais aussi beaucoup de bonheur parait-il). Dans les années 1970, on pouvait avoir des enfants et un boulot. C'était le boom des petits pots et du lait en poudre. Aujourd'hui, on ne jure que par les purées maison, les couches jetables et l'allaitement. Cela devient complexe de travailler à plein temps et d'élever un enfant. La maternité redevient une valeur refuge, une valeur de réconfort : quand la société va mal, que le chômage augmente, être mère, n'est-ce pas une bonne idée ? En cette période de crise, alors que le travail se révèle souvent décevant, les femmes cherchent à donner du sens à leur existence. Pourquoi pas à travers l'éducation d'un enfant ?
Voici comment s'organise l'essai d'Elisabeth Badinter :
I. Etat des lieux
1. Les ambivalences de ma maternité
Dans cette partie, l'auteur s'interroge. S'agit-il troquer la maternité contre sa liberté ? On ne parle bien évidemment que des aspects positifs de la maternité. Une illusion du bonheur se crée autour de cette notion. Et pourtant, bien des parents ont quelques mauvaises surprises lorsque l'enfant arrive puis grandit.
Et l'arrivée de l'enfant amplifie bien souvent les inégalités entre l'homme et la femme : cette dernière passera statistiquement plus de temps à s'occuper de l'enfant et l'homme plus de temps au travail.
De nouveaux modèles se forment : des couples sans enfants, des femmes qui travaillent plus, qui ont des enfants plus tard ou pas du tout. Bref, la famille n'est plus une valeur porteuse. Si les vocations entre travailler et tenir sa maison coexistent, la seconde semble souffrir de désaffection.
II. L'offensive naturaliste
2. La sainte alliance des "réactionnaires"
Dans la partie suivante, E. Badinter signale que les mouvements écologistes, en militant contre la consommation, vont aussi contre tout ce qui est artificiel dont la pilule, la péridurale et prônent l'accouchement chez soi et l'allaitement.
Certaines recherches tendent à démontrer scientifiquement l'existence de l'instinct maternel. C'est ainsi le cas de la théorie du lien entre mère et enfant. Dans celle-ci, la mère est vue comme indispensable à l'enfant alors que le père ne serait là que pour veiller aux besoins de la famille. Mais en aucun cas il ne devrait participer à l'éducation de l'enfant. Avec de telles théories, on favorise le modèle patriarcal et l'on justifie l'absence des pères. N'est-ce pas un retour en arrière ? Moi, c'est le genre de théorie qui me fait bondir !
3. Mères, vous leur devez tout !
Dans ce chapitre, l'auteur signale que la grossesse devient un ascétisme : vous n'avez plus le droit de rien faire. Boire, fumer est évidemment proscrit. Et vous êtes ultra-encadrée. Pas de bêtises possible ! Aujourd'hui, l'enfant est mis au centre, il est conçu comme l'être le plus précieux et le plus nécessaire à sa mère. C'est votre enfant qui désormais (et pour longtemps) devra primer sur vos désirs. D'ailleurs, saviez-vous qu'en l'allaitant jusqu'à trois ans, vous favorisiez le développement de ses anticorps ? Vous prendriez bien trois ans de servitude, non ? Badinter présente ici les commandements de la Leche League, qui propose une religion du bébé et stigmatise l'allaitement artificiel. Née aux Etats-Unis, cette association essaime dans le monde occidental et connait de très bons résultats notamment en Norvège.
4. L'imperium du bébé
On continue sur le lien entre mère et enfant. L'épanouissement du bébé est compris de plus en plus à travers l'allaitement et le temps passé ensemble. Il n'est pas question d'un temps de qualité mais uniquement d'une quantité de temps. La priorité de la mère doit être son enfant. Il passe avant le couple (d'ailleurs, ne faut-il pas qu'il partage le lit parental ?!) et avant elle. Bref, ce chapitre est celui du sacrifice maternel.
III. A trop charger la barque...
5. La diversité des aspirations féminines
Devant ce modèle maternel de plus en plus exigeant, les femmes se questionnent. Vont-elles ou non choisir d'avoir un enfant ? Si la vocation maternelle existe toujours, beaucoup laissent passer l'occasion d'être mère, par refus ou par report perpétuel.
6. La grève des ventres
Un mouvement de baisse de la fécondité se fait jour en occident. Au Japon et en Europe du Sud, les couples sans enfants, les "childfree", ont doublé en vingt ans (statistique hallucinante, non ?). Cette résistance s'explique notamment par le modèle maternel trop contraignant dans une société qui privilégie le plaisir et la liberté et l'absence de politique familiale qui soutienne les femmes. Dans ces pays, il est souvent très mal vu de confier son enfant à la crèche (et celles-ci sont d'ailleurs très rares).
L'image de la vieille fille n'existe plus. Une femme sans enfant peut être parfaitement épanouie, malgré une désapprobation sociale encore très ancrée. Ainsi, on vous demandera de vous justifier de n'être pas mère mais rarement de l'être. Même une mauvaise mère sera moins montrée du doigt qu'une femme qui refuse d'être mère. Mais est-elle réellement plus légitime ?
Mais l'idée d'un accomplissement dans la maternité a de moins en moins cours pour les jeunes générations : la maternité apparaît comme déféminisante, désexualisante et l'instinct maternel ne semble pas exister.
7. Le cas des françaises
En France, on note une fécondité importante des femmes. E. Badinter l'explique par l'histoire. En effet, il existe en France une réputation ancienne de la séparation de la mère et de l'enfant. Ces derniers allaient chez les nourrices. Les mères se voulaient femmes avant mères. Ce qui choquait déjà l'Europe des Lumières.
Mais en allégeant la responsabilité des mères, il semble que l'on favorise leur envie de le devenir tandis que le sacrifice les en décourage. Ainsi, le naturalisme est un véritable danger pour l'émancipation des femmes. Il utilise la culpabilité des mères pour les faire rester à la maison.
En terminant cette lecture, j'ai trouvé qu'il s'agissait d'une très bonne analyse de notre société. Les courants naturalistes sont à mes yeux limitants pour la liberté féminine. Ils favorisent une crise de l'égalité entre homme et femme, en termes de répartition du travail pro et perso. Je pense aussi que la maternité n'est pas la condition sine qua non de l'épanouissement et que beaucoup de parents devraient se poser un peu plus de questions avant d'avoir des enfants. Car nombreux sont les déçus, les amers, qui regrettent finalement une vie sans enfant.
Se pose aussi la question de l'identité. Une femme sans enfant est-elle une femme à part entière ? En quoi se distingue-t-elle de l'homme si elle refuse la maternité ? Cette réversibilité des rôles interroge bien entendu les stéréotypes du genre.
Bref, si E. Badinter est très souvent extrême, à la fois dans les exemples qu'elle prend, les statistiques qu'elle choisit et les analyse qu'elle propose, on ne peut nier un développement des lobbies naturalistes qui met en danger, à terme, l'émancipation des femmes.