lundi 30 juin 2014

Du bout des doigts

Pour clôturer le mois anglais, je sors un dernier pavé de ma PAL, ce roman de Sarah Waters. Étonnamment, j'imaginais que ce roman victorien avait été écrit par une contemporaine de Dickens. Ce qui n'est absolument pas le cas. Mais l'ambiance du roman fait largement penser à Oliver Twist

Serre bijoux pour impératrice Eugénie, 1855
Lant Street, quartier des voleurs et des receleurs à Londres à la fin du XIXe siècle. Susan Trinder est une jeune orpheline élevée par Mrs. Sucksby. Elle grandit entourée de voleurs, protégée de cette vie par sa mère adoptive. Mais quand Gentleman, un voyou beau garçon, lui propose de faire un coup, elle n'ose se dérober. Son rôle ? Servir comme femme de chambre pour une demoiselle, paumée au fond de la campagne : Maud. Et faciliter les intrigues de Gentleman qui souhaite à la fois l'épouser et la faire interner dans la foulée... pour toucher son pactole. Mission simple en apparence lorsque l'on n'a pas encore rencontré sa victime. Mais plus complexe lorsque l'on s'attache à sa gentille maîtresse. 
Ce que voit Susan dans la première partie, Maud nous le raconte aussi dans la seconde (quelques répétitions bien sûr) avec son propre biais. Et nous retrouvons Susan pour les derniers chapitres. Bon, les héroïnes sont parfois un peu têtes à claques (surtout quand il y a de l'argot, ou assimilé, dans le texte)... mais je me dis que c'est l'époque qui veut ça.

Dans une Angleterre victorienne où les femmes sont soumises au bon vouloir des hommes, nos deux héroïnes vont être le jouet de machinations multiples et de retournements de situations variés. Certains se laissent entrevoir quelques pages avant, d'autres moins. Mais une fois pris, vous n'aurez qu'une envie, tourner les pages suivantes.

Ce roman est aussi un livre sur l'érotisme au XIXe siècle. La bibliothèque de l'oncle de Maud est d'un genre bien particulier et nous en découvrons plusieurs extraits, qui vont bien entendu influencer la jeune fille dans sa propre sexualité. Je rassure les plus allergiques au genre : c'est plutôt léger, quelques pages de caresses par-ci, par-là. On sent tout de même Sade et Mirbeau pas loin mais en moins explicite. Inspiré des romans-feuilletons, oscillant entre les bas fonds londoniens et la campagne anglaise calme et triste, ce livre pioche ses inspirations dans les romans gothiques, fait quelques clins d’œil aux livres des sœurs Brönte tout en documentant le monde des asiles féminins : ces femmes enfermées sous des prétextes fallacieux, soumises à des traitements inhumains que les médecins voient comme autant d'expériences...

Bref, c'est un roman qui joue avec son lecteur, faisant parfois fi de la crédibilité des situations pour lui préférer un deus ex machina. Ses inspirations sont tellement nombreuses qu'on se dit parfois que c'est trop pour un seul roman. Mais l'on pardonne à l'auteur qui nous fait vivre une bien belle aventure.

Mois anglais S.Waters

dimanche 29 juin 2014

Vie et mœurs des lutins bretons

Ce livre de Françoise Morvan est tout à fait étonnant. Il est destiné à une population spécifique : celle qui aime les contes et légendes de Bretagne, qui guette les korrigans. 

L'auteur propose une classification des lutins, du simple korrigan au biherou en passant par le morgan et le lutik. Elle reprend la tradition des folkloristes, notamment de François Le Men, et s'aventure dans les histoires de lutins. Elle étudie la variété des noms et des qualités de ces lutins mais surtout les histoires récurrentes qui leur sont liées : les enfants échangés, les danses en rondes jusqu'à l'aube, les vols et les interventions invisibles. Ils peuvent se métamorphoser. Ils sont plus ou moins bienveillants... A travers de multiples récits, les faits et la magie des lutins sont racontés avec humour et simplicité.

Alignements de Carnac lutin

Un ouvrage indispensable pour tous les amoureux de la Bretagne et de ses créatures ! 

samedi 28 juin 2014

Eugène Delacroix, le plus légitime des fils de Shakespeare

Un titre sobre et humble comme on les aime ! Pour une vingtaine d’œuvres et trois panneaux. Oui, tout va bien au Musée Delacroix. Comme Joséphine, c'est une expo "anniversaire" : 450 ans ce cher Shakespeare ! L'occasion de sortir quelques lithographies des réserves...

Delacroix, Hamlet fait jouer aux comédiens la scène de l'empoisonnement, 1835

Cette très courte exposition présente essentiellement des lithographies d'Hamlet que Delacroix s'est plu à illustrer. Et les pierres lithographiques qui ont permis l'impression. On nous raconte aussi que Delacroix s'est pas mal baladé en Angleterre (où il a pu dessiner quelques tombes de Westminster). Ah, et Chasseriau l'a suivi en illustrant Othello. Et puis c'est tout ! 

C'est donc une toute petite exposition qui ne dit pas grand chose si ce n'est que Delacroix (comme beaucoup de Romantiques) a été fasciné par Hamlet. Qu'il en a dessiné les épisodes clés avec brio : fantôme vengeur, mise en abyme de la scène des comédiens, folie d'Ophélie, etc. Mais on s'attend à plus ! Parce que nous montrer les litho et les pierres, c'est sympa, mais bon c'est un peu léger. Et nous expliquer la technique, c'est très bien, mais ça fait vraiment remplissage ici. Alors certes, on nous présente des pièces écrites par Delacroix, inspirées certainement du grand dramaturge anglais. Et un tableau de Roméo et Juliette. Mais ça ne suffit pas à convaincre le visiteur de la pertinence du propos. 

Il manque à cette expo quelques œuvres et surtout un propos plus nourri sur la filiation shakespearienne de Delacroix. Parce qu'on sort en se disant que l'expo est tout sauf légitime !

Mois anglais Shakespeare

vendredi 27 juin 2014

Joséphine

J'ai pu aller explorer in extremis cette exposition au Musée du Luxembourg. Plus que trois jours pour aller la voir ! Mais ne te précipite pas cher lecteur... prends tranquillement le temps de lire ce billet avant d'aller claquer des sous.

Je vous avais déjà parlé de l'impératrice suite à une lecture. Cette expo vient la compléter. On passe rapidement sur les événements marquants de la vie de l'impératrice pour explorer son goût : ce ce qui compte réellement dans cette exposition ce sont les passions de Joséphine : la botanique, l'art, la mode, la déco... C'est le côté doux face à la force militaire de Napoléon (et vivent les clichés). Ce n'est pas vraiment une femme politique : Elle tient plutôt le rôle de modèle féminin de l'Empire (elle coud, elle porte des bijoux et des couronnes, elle reçoit...). Une vraie petite bourgeoise !

Chinard, Buste de l'impératrice Joséphine, 1806-1808

A partir de tableaux et d'archives, l'expo s'ouvre rapidement sur la première partie de la vie de Joséphine : sa vie créole, son premier mariage, sa rencontre avec Bonaparte jusqu'au sacre. Là, tu te dis, "c'est rapide quand même... On nous parle pas plus que ça de Beauharnais et de Révolution !"
L'essentiel est plutôt dans la seconde partie : on découvre du mobilier luxueux, deux robes, de la vaisselle, puis les collections artistiques et botaniques de la belle (en mode succinct. Il y avait eu une expo bien plus fournie sur les collections antiques de Joséphine à la Malmaison). 
Et là tu te dis : de qui se moque-t-on ? 
De toi cher visiteur ! Certes, tu verras de jolis objets, dont certains viennent de loin (un Canova de l'Ermitage par exemple), mais l'essentiel provient du Louvre (oh, le joli service égyptien, le grand serre-bijoux et l'indispensable athénienne) ou de la Malmaison. Alors pourquoi cette expo (où tu n'apprendras rien, ou presque) ? Eh bien, tout bêtement pour l'anniversaire de cette chère impératrice. Et peut-être aussi parce que les femmes et les maîtresses d'empereurs et de rois, ça se vend bien, c'est comme les magazines "people" ! 

Il y a plein d'autres expo à aller voir, celle-là, tu peux vraiment l'oublier !

jeudi 26 juin 2014

Les archives du rêve

Cette expo du musée de l'Orangerie est sous-titrée : Dessins du musée d'Orsay, carte blanche à Werner Spies. Il y a donc exclusivement des dessins de présentés. Ne vous attendez pas à d'autres types d’œuvres (je dis ça pour les visiteurs qui ne savent pas lire et qui s'étonnent des contenus de l'expo).

Dans une scénographie simple et efficace, aux étonnants escaliers, sont présentés environ 200 dessins de la deuxième moitié du XIXe siècle. L'accrochage est thématique et permet de montrer la variété des styles de cette période tout comme la diversité des dessins (fusain, mine de plomb, aquarelle, encre, pastel, pierre noire, etc.). 

On commence par les portraits avec quelques autoportraits saisissants, puis l'on passe à de l'architecture (un dessin propose un habillage très étonnant de la Tour Eiffel pour l'exposition de 1900), à des scènes de travail. On découvre aussi des illustrations pour des œuvres littéraires avant de passer à une alcôve sur Redon. Suivent les nus, de Degas essentiellement, puis les œuvres symbolistes et fantastiques, les scènes de barricades et de mort, puis des dessins de Cézanne et de Seurat. Tout se termine par des paysages où l'homme disparaît... Enfin, la dernière salle rapproche des créations contemporaines des dessins sélectionnés.
G. Moreau, Cléopâtre, 1882
Vous l'avez compris, cette exposition est un véritable fourre-tout de dessins. Beaucoup d'entre eux sont magnifiques et d'une qualité folle. C'est ainsi que j'ai enfin pu voir la Cléopâtre de Moreau, par exemple, que je trouve inoubliable. Mais c'est une exposition qui n'a pas beaucoup de sens en soi. Elle présente de beaux objets mais les passages entre les sections paraissent complètement artificiels. Et l'on n'enrichit pas beaucoup ses connaissances à chaque section... Le catalogue est à l'image de l'exposition : joli, original mais n'apprenant rien sur les œuvres. Il met en regard l'ancien et le contemporain. 

Quant à la présentation de certains dessins, elle m'inquiète car j'ai l'impression de les avoir déjà vu exposés récemment (dessins de Redon, de Degas, Méduse de Levy-Dhumer ou La mort et le fossoyeur de Schwabe). Or vous savez que certains dessins sont particulièrement sensibles à la lumière... Bref, j'imagine que les conservateurs savent ce qu'ils font...

Rippl Ronai, Pour la nuit, 1895

Une exposition d'un parti pris plus esthétique que pédagogique !

mercredi 25 juin 2014

Mrs Dalloway

Le mois anglais est pour moi l'occasion de sortir un monument de ma PAL. Un Virginia Woolf. Le truc improbable. Pourquoi ? Parce que quand j'ai su que ce roman s'apparentait à l'Ulysse de Joyce (lecture en cours depuis... six ans ?), notamment dans son exploration d'une vie, pendant une journée, j'ai caché ce roman tout en bas de ma PAL. Et puis, mois anglais aidant, je l'ai fait remonter. Non sans craintes. Et là, je vous spoile direct : j'ai beaucoup aimé ! Merci le mois anglais :)

Une chambre à soi Miroir

Nous suivons effectivement Clarissa Dalloway pendant toute une journée. Ses actions mais surtout ses réflexions. Les pensées qui l'agitent et se construisent par vagues, se précisant, s'éloignant, revenant sur un sujet. Cette journée est plutôt ordinaire. Clarissa donne une soirée chez elle le soir même. Sa journée est consacrée aux préparatifs. Elle sort acheter des fleurs, recoud une robe, reçoit. Bref, la vie normale et futile d'une grande bourgeoise londonienne entre les deux guerres. 
Mais ses pensées ne sont pas exclusivement consacrées à ce qu'elle fait. Elle pense au passé, évoquant (et invoquant presque, d'ailleurs) ses amis et amours d'adolescence. 
Et le roman ne lui est pas entièrement dédié. Ainsi, à mesure que Clarissa croise d'autres individus, le lecteur a accès à leur intériorité. Celle de Peter, rentré récemment des Indes, amoureux éconduit de Clarissa. Celle d'Elizabeth, sa fille. De Richard, son époux. Mais surtout de Septimus, ancien soldat, en pleine dépression depuis son retour du front. Cet homme, qui croise la route de Clarissa et de ses proches toute la journée, est l'image même de la communication impossible, de l'incompréhension des hommes. 

Est-ce le style que j'ai aimé, cette façon de construire les pensées comme des marées montantes ? Est-ce le (ou les) personnage(s) ? Est-ce Londres dans son bourdonnement, avec ses parcs, ses voitures mystérieuses, sa royauté, Big Ben, qui sonne les heures et égraine le temps ? Pourtant, on peut dire qu'il ne se passe rien dans ce roman. Et que Clarissa est une femme froide, calculatrice, intéressée par son confort domestique. Elle ne s'est pas risquée à l'amour. Elle ne s'est pas heurtée aux conventions sociales. Elle ne se soucie pas de politique (Les Arméniens ? Les Albanais ?). Mais elle est finalement lucide sur elle-même et sur ses choix. Ce n'est pas une extrémiste comme Miss Kilman, aigrie et envieuse. Ni une guerrière comme Mrs Bruton. Elle ne part pas en croisade, elle choisit la vie rangée et sage. Et lorsqu'elle fait le bilan, que donne-t-il ? 

Ce roman, c'est finalement bien plus d'une journée, c'est une vie toute entière. C'est la pensée, l'amour, la mort, la politique, la culture, la société... C'est le présent mais surtout le passé (et le futur grâce à Elizabeth). Ce sont les relations entre les hommes, leur éternelle solitude face aux choix. Dur d'assumer sa liberté et sa finitude !

Un véritable coup de cœur pour moi, autant pour le procédé de monologue intérieur, qui permet une grande finesse psychologique, que pour l'écriture (que je n'ai pas trouvé alambiquée) et les personnages. J'ai été littéralement happée par ce roman. C'est un ouvrage d'une grande richesse, un de ces opus qui fait réfléchir le lecteur, qui l'interroge sur ses propres choix, sur sa conception de la littérature aussi... 

Merci à ceux qui m'ont encouragée à lire ce roman avec leurs billets, comme Lilly et Erzie (oui, ça date). 

Mois anglais Woolf

mardi 24 juin 2014

Le Pays du dauphin vert

Et voilà, j'ai enfin découvert ce roman d'Elizabeth Goudge, noté sur ma LAL depuis mes débuts sur la blogo. Je crois même pouvoir accuser Romanza pour la tentation. Et c'est avec Shelbylee que je l'ai lu et apprécié !

Stewart, La Rédemption, 1905

Le plot ? Les sœurs Le Patourel vivent dans les îles anglo-normandes. Marianne est fière, intelligente, distinguée, mais peine à apprécier la vie. Elle connait quelques "moments parfaits" que la réalité vient interrompre. Cela peut-être une escapade avec sa sœur, la contemplation d'un paysage, la lumière qui change  ; un moment éphémère de pure joie. Marguerite est jolie et heureuse. Elle aborde le monde et la vie avec gentillesse et amour. Au milieu de ces caractères très différents, William sème le trouble car chaque sœur imagine secrètement que le jeune homme la préfère. Le jeune voisin, charmant mais indolent, gentil, capable d'empathie et de pitié, rêve d'aventure et de mer. Le lecteur voit les trois enfants s'amuser et apprendre puis se séparer : William devient marin sans avoir déclaré sa flamme à l'une ou l'autre des Le Patourel.
Des années plus tard, alors que tous le croient mort, Marianne et Marguerite voient arriver une lettre de sa main pour demander à l'une des sœurs (je ne dirai pas laquelle) de le rejoindre en Nouvelle-Zélande où il s'est installé comme colon. Une nouvelle vie commence au milieu des Maoris, une vie d'aventure, là où la nature est encore à apprivoiser et les hommes à convertir... 

Ce roman est avant tout une étude de caractères (mais aussi un roman d'aventures, on n'est pas non plus dans un pur roman psychologique). A partir de l'histoire des deux sœurs confrontées à des choix de vie très différents, l'auteur analyse et dresse les évolutions des personnalités
Marianne, c'est la culture. C'est une tête d'homme dans un corps de femme. Elle est déterminée, elle aime apprendre, elle sait prendre des décisions. C'est une femme autoritaire. 
Marguerite est son opposée. Plus douce et charnelle, elle tient de la nature. Elle n'a pas besoin de dresser le monde pour s'y plaire, elle s'y fond. Un peu paresseuse et molle, elle n'en a pas moins une force spirituelle naturelle, de celle qui accorde une âme à tous les éléments qui l'entourent.
J'ai pu voir ici ou là que Marianne agaçait par son intransigeance, sa fierté et son désir de réussite. Pour ma part, elle ne m'a jamais vraiment semblé antipathique. J'admirais cette femme que rien ne brisait, capable de s'inventer un destin. Après, on sent bien où vont les préférences de l'auteur... Car ce roman est aussi un roman religieux. Il tend à montrer le chemin qui mène à l'épanouissement spirituel, au contentement, à ce fameux "Rien de trop" qui fait que chaque moment est une joie. Vous imaginez bien, au regard de son caractère, que les capacités naturelles de Marguerite sont bien plus grandes que celle de Marianne pour atteindre ce but, et ce, malgré toutes les épreuves qu'elle peut vivre.

Qu'y a-t-il d'autre dans ce roman fleuve ? De très belles descriptions, de la vie rurale des îles anglo-normandes comme de la Nouvelle-Zélande. Ce pays nous apparaît comme un nouveau monde à découvrir avec ses jardins d'Eden et ses enfers. Les descriptions de l'auteur en sont certainement irréalistes puisqu'elle avoue avoir une connaissance purement littéraire du lieu, mais elles n'en demeurent pas moins très envoûtantes. Ces images sont accompagnées de toute une mythologie : des contes et des traditions imprègnent les lieux et leur donnent une dimension autre que paysagère. Ils sont autant d'indices sur la suite du roman.
Mais le plus beau pays du livre est certainement le Pays du Dauphin vert : c'est un lieu imaginaire qui tient à la fois de la rue et de l'île de l'enfance des Le Patourel, d'un bateau commercial mené par le capitaine O'Hara et d'un monde qu'imagine William pour sa fille Véronique. Ce qui me fait penser que je n'ai pas parlé de O'Hara et de la mer, ni même de Tai Haruru, encore moins de Samuel, de Véronique ou de Nat. Car outre nos trois protagonistes, toute une belle galerie de personnages se dessine dans ce roman. Je vous laisse le loisir de les découvrir à la lecture.

C'est amusant, ce roman aurait pu être écrit par Daphné du Maurier dont E. Goudge est contemporaine. On y retrouve ce mélange entre psychologie et aventure, ce goût pour le passé. Car ce roman fait très XIXe siècle... et se passe d'ailleurs au XIXe siècle. C'est étonnant cette capacité des anglais du début du XXe siècle à vouloir rester dans le siècle précédent, un peu comme le mouvement esthétique anglais qui reprend les mêmes motifs pendant quarante ans... Nostalgie de l'époque victorienne alors que l'Angleterre se débat dans la Seconde Guerre mondiale ?


Mois anglais lecture

lundi 23 juin 2014

Manners for women

Ce livre de bonnes manières de Charlotte Eliza Humphry est sur ma Pal depuis des années. J'en avais picoré quelques pages par-ci par-là sans jamais le dévorer d'une traite. Il faut dire que ce genre d'ouvrage ne s'y prête pas. Mais le mois anglais me semblait le bon moment pour replonger dans ce livre d'une journaliste victorienne londonienne
Ombrelle manners for women

Au programme, vous avez aussi bien des conseils pour bien vous tenir (révérence, rire, vêtements), pour bien recevoir (courriers, menus, programme d'un séjour à la campagne) et aussi des informations indispensables sur les fiançailles et le mariage, les moments les plus importants de la vie d'une jeune femme. Je précise que cet ouvrage date de la fin du 19ème siècle...

Ce guide est à la fois très sérieux mais aussi bourré de petites touches d'humour et de fraîcheur, notamment dans les exemples à ne pas suivre. Il est aussi plein de propos amusants pour notre regard actuel. Ainsi, figurez-vous que les enfants, filles et garçons, préfèrent les gâteaux couverts de glaçage rose et les meringues roses. Que les veuves font une méchante concurrence aux jeunes femmes dans une période où les hommes sont peu nombreux. Bref, c'est un ouvrage indispensable pour tout savoir sur les couleurs du deuil, le port des gants, le vêtement pour faire de la bicyclette, la couleur des cartes de visite et la décoration des tables de réception... Le genre de livre qui ne pourra que séduire les fans de Downton Abbey !

Pour ceux qui aiment les bonnes manières, Suzette et Barbara sauront vous les apprendre !


samedi 21 juin 2014

Le général dans son labyrinthe

Deuxième relecture de Gabriel Garcia Marquez en quelques semaines ! Merci à Cryssilda qui organise cette LC.

Ce titre raconte les dernières semaines de Simon Bolivar, dit le Libertador. Ce général et homme politique avait pour ambition l'unification de l'Amérique Latine et a participé à sa libération du joug espagnol (ça, c'est une histoire qu'on ne nous apprend jamais !). Vieillissant, écarté du pouvoir, notre héros décide de quitter le continent américain pour rejoindre l'Europe. Il entreprend de descendre la rivière Magdalena, s'arrêtant fréquemment, retenu par des festivités. Mais c'est un voyage voué à l'échec, l'état du Libertador ne cesse d'empirer...

Entre roman historique et biographie, ce livre n'a rien de l'hagiographie : Bolivar nous est montré à bout de forces, malade, capricieux. C'est un homme qui vit désormais dans sa gloire passée, évoquant avec nostalgie les hauts faits de sa jeunesse enfuie avec Palacios, son plus proche serviteur. Si le destin ne cesse de faire des clins d’œil à la mort, ce livre n'est tout de même pas une tragédie. Le ton y est plutôt libre et vif, l'humour et les situations cocasses sont présents. 

Ce roman vous parlera d'une multitude de sujets : amour, politique, Amérique Latine, histoire, grand homme, petits problèmes, etc. Et c'est justement cela qui rend le portrait de Bolivar si percutant. Mais malgré tout cela, ce livre ne restera pas mon favori de Garcia Marquez. Peut-être est-ce simplement parce qu'il est complexe de se repérer dans une histoire qu'on ne connait pas ? Peut-être aussi parce qu'à aucun moment je n'ai éprouvé la moindre empathie pour Bolivar ? J'ai pourtant apprécié la richesse de ce livre (dont témoignent les remerciements : Garcia Marquez a joué les historiens avec cet opus. Ce qui lui a attiré pas mal de foudres d'ailleurs). Bref, je conseillerai plutôt Cent ans de solitude ou De l'amour et autres démons voire L'amour aux temps du choléra pour aborder l'oeuvre de cet auteur : c'est beaucoup plus universel. Ici, c'est un peu comme si on parlait de Garibaldi à des esquimaux...

Les repas de Simon Bolivar ?

vendredi 20 juin 2014

Les Pissenlits

Voilà longtemps que je n'avais pas lu de roman japonais, encore plus que je n'avais pas lu Kawabata. Merci donc au Livre de poche qui me permet de retrouver un auteur que j'apprécie. 

Waterhouse, Le chant du printemps
Waterhouse, Le chant du printemps
Comme souvent avec Kawabata, nous entrons dans un univers étrange. Ici, nos protagonistes, Hisano et la mère d'Inéko, sont à Ikuta, une petite bourgade de bord de mer où ils vont passer le journée. Rien de plus banal a priori. Sauf qu'ils viennent de déposer Inéko, une jeune femme qui souffre de cécité sporadique devant le corps humain, à l’hôpital psychiatrique de la ville. Toute cette journée, ils vont la passer à discuter en se promenant dans la ville. Ils évoquent bien entendu l'absente, que l'on ne rencontre jamais en chair et en os. Leurs rapports avec elle. Ses liens avec son père, décédé lors d'un accident de cheval. Et puis, régulièrement, Hisano demande à faire sortir Inéko de l’hôpital pour l'épouser, pensant ainsi la guérir.

Ce court roman est donc essentiellement un dialogue, qui mêle souvenirs, commentaires sur la vie, sur la mort et sur l'amour. Quelques images fortes viennent marquer le lecteur : la cloche de l'asile qui sonne toutes les trois heures, l'arbre plein de griffures, l'écolier qui ressemble à un elfe, les pissenlits qui se ferment pour la nuit... Et les rapports entre l'amoureux et la mère changent, se teintent d'intimité toujours plus grande, voire d'érotisme, à mesure que s'écoule la journée. Vous l'avez compris, Kawabata promène son lecteur entre atmosphère réaliste et onirisme complet.

Mon plus grand regret ? C'est que ce roman soit resté inachevé ! Alors même qu'on découvrait plus amplement en quoi consistait la cécité devant le corps humain. 

Les Pissenlits vous promet donc une lecture un peu dérangeante, autour de la folie, de l'abandon, de l'amour malheureux. C'est parfois triste et mélancolique, comme lumineux à d'autres. Une véritable palette de sentiments ! Un roman sensible et doux, qui cache des interrogations universelles. 

Mon préféré de l'auteur reste Les Belles endormies. Le Lac était moins chouette mais tout aussi étrange et voyeur...

jeudi 19 juin 2014

The King and I

Avec cette très belle production du théâtre du Châtelet, nous débarquons avec Anna à la cour de Siam. Tout  y est superbe : décors, costumes, danses, chants... Un pays de cocagne. 

Anna, une veuve anglaise, va y apprendre l'anglais (et beaucoup plus) aux enfants du roi et à ses femmes. Là où elle rencontre une résistance, c'est justement auprès du roi qui, quoi que progressiste, ne comprend pas comment une femme peut avoir des exigences et ne pas être d'accord avec lui. Histoire d'amour, d'incompréhension et de tolérance, cette comédie musicale est inoubliable pour ses airs comme "Shall we dance ?" ou "I whistle a happy tune". 

Dans cette représentation, Lambert Wilson campe un étonnant roi de Siam. Il peine au début à rivaliser (vocalement) avec la qualité des chanteuses qui l'entourent comme Christine Buffle, qui incarne une Anna en crinoline épatante, ou Je Ni Kim, une sublime Tuptim à la voix cristalline. Mais le jeu de l'acteur et ses remises en questions le rendent vite attachant et font oublier ce souffle un peu court. 

Ce qui est épatant, ce sont aussi les danses, les histoires des héros qui se répondent et la mise en abyme du théâtre. Un spectacle éblouissant, qui se joue encore 10 jours, à ne pas manquer !

The King and I au théâtre du Châtelet
D.R.

mercredi 18 juin 2014

Un petit goût de noisette

Cette BD de Vanyda a eu de belles critiques sur quelques blogs, notamment chez Noukette. Emballée par ma lecture de Valentine, je n'ai pas hésité longtemps devant cet opus. 

Cette BD, ce sont des histoires d'amour. Plein d'histoires, dont certains personnages se croisent, d'autres non. Toutes sont des histoires de jeunes adultes. Les uns aiment pour la première fois, d'autres font des rencontres alors qu'ils ne sont pas seuls, d'autres encore se ratent. Parce que l'amour, ça ne marche pas toujours du premier coup.

Vanyda Petit goût Noisette

Cet album est très pudique. Il est peu coloré, une touche vive vient illuminer régulièrement un décor en noir et blanc. Peu de paroles. Des visages. Des gestes. J'aime cette retenue. J'aime la fraîcheur des personnages et des dessins. Je ne suis pas certaine qu'il laisse en moi une trace pérenne car il est très léger. Je ne me suis pas questionnée des heures sur ces histoires d'amour, elles ne m'ont pas spécialement touchée même si j'ai aimé le jeu des personnages qui réapparaissent, d'un récit à l'autre, qui donnent un autre éclairage à la première vision du lecteur.

Une lecture sympathique, un peu nostalgique, certainement destinée aux adolescents, qui peut plaire aux plus grands. Graphiquement plaisant. Mais qui manque un peu de profondeur.

Challenge amoureux Irreguliere


mardi 17 juin 2014

Motion Factory, les ficelles du monde animé

A l'occasion de Futur en Seine, nous avons enfin découvert La Gaité lyrique ! Non que le lieu ne nous attirait pas, bien au contraire. Nous avons simplement manqué plein de bonnes occasions de nous y rendre. Après avoir parcouru quelques espaces du salon, nous en avons profité pour visiter cette expo qui nous tentait depuis son ouverture.

Motion factory Gaité LyriqueMotion factory Gaité Lyrique
  
Motion Factory nous propose de découvrir les coulisses des films d'animation. La scénographie est telle que d'une part, on découvre quelques (plus ou moins) courts films, de l'autre, des objets, dessins et making-of dans des simili ateliers. L'idée n'est pas vraiment de faire comprendre comment est réalisé un film d'animation, ce que j'ai d'ailleurs un peu regretté. Cet aspect est un peu traité dans l'espace de tournage. Non, l'idée est ici plutôt de faire découvrir le savoir-faire des créateurs de ces films. Car chacun a des compétences dans la fabrication d'objets en matériaux très divers (papier, bois, pâte à modeler, sable, tissus, etc.). C'est ainsi que Johnny Kelly préfère le bois pour ses films pour la Salvation Army, par exemple. Que Jamie Caliri et Alex Juhasz utilisent le papier pour présenter des univers magiques et féeriques. Certains mondes sont de véritables œuvres d'art, des lieux poétiques, d'autres sont émouvants, les uns ont des couleurs pastel, d'autres nous perdent dans des suites d'images colorées et rythmées... Outre la richesse des imaginaires de ces artistes, le visiteur note aussi la virtuosité de ses procédés.
Bref, chaque vitrine nous fait presque toucher du doigt le processus de création de ces films, entre digital et manuel (ce qui étymologiquement est redondant) !

Motion factory Gaité Lyrique conor finnegan
Motion factory Gaité Lyrique Jamie Caliri et Alex Juhasz

Nous avons passé plusieurs heures dans l'exposition mais ce n'était pas suffisant. Elle se clôt en effet sur une salle de projection très fournie où nous aurions pu passer des heures ! Prévoyez au minimum 3 heures. Et ne vous inquiétez pas, ce n'est pas épuisant, on vous demande surtout de regarder des films plus que de lire des cartels. Mon seul reproche, il n'y avait pas le son sur les tablettes concernant le making-of de chaque artiste/studio : les images, c'est cool, mais quand les gens parlent, ce serait chouette de savoir ce qu'ils disent ! Mais dans l'ensemble, cette exposition est à la fois poétique et passionnante ! Je vous en mets quelques vidéos pour le plaisir, enjoy !







FEAR OF FLYING from conorfinnegan on Vimeo

lundi 16 juin 2014

Maléfique

Pas très inspiré par la programmation au cinéma ces derniers temps, je suis quand même allé voir Maléfique avec des amis. Si la motivation n'était pas complètement au rendez-vous quand les lumières se sont éteintes, le dernier Disney a finalement réussi à me convaincre.

Le plot est plutôt original : le film vous propose de revisiter le conte de la Belle au bois dormant à travers les yeux de la "méchante", la sorcière Maléfique. La première partie du film se déroule bien avant la naissance d'Aurore, et nous explique comment Maléfique est devenue cet être noir craint de tous. C'est sans doute la partie la moins intéressante, on se retrouve entre autres devant une espèce de bataille entre arbres et humains, drôle de croisement entre le Seigneur des anneaux et Game of Thrones. Mais on a l'impression que la scène a été incluse surtout pour que le film soit dans l'air du temps... Pas très convaincant en tout cas.



La suite de l'histoire, vous la connaissez : le roi et la reine ont une fille, et Maléfique la maudit. Ce que vous ne savez pas, c'est que tout ce qu'il se passe après n'est pas si clair que ce que vous pouviez croire ! 
Je ne vous en dis pas plus mais l'histoire permet de retrouver les éléments du conte que tout le monde connait, tels la quenouille, le dragon et les trois fées, tout en apportant un nouvel éclairage, un peu mièvre mais fort sympathique au conte.
Angelina Jolie a été une bonne surprise pour moi. Je voyais mal l’incarnation de Lara Croft et Mrs Smith dans ce rôle, mais elle mène sa partie avec brio. 

Au final, Maléfique n'est pas le Disney du siècle comme a pu l'être la Reine des neiges, mais ce film reste une bonne pioche quand même.

samedi 14 juin 2014

La girafe qui voulait voir la banquise

Voici un très joli petit album jeunesse de Nathalie Zimmermann et Nathalie Choux. 

Figurez-vous que Girouette la girafe, la peluche de Sébastien, a très envie de voyager. Le pingouin et l'ours blanc lui parlent de la banquise, des igloos et des esquimaux. Il n'en faut pas plus à Girouette pour partir en expédition du côté de la machine à laver. Car, juste après se trouve la porte d'entrée vers une banquise... domestique ! 

Girouette Girafe banquise

Ce livre jeunesse est sympathique et amusant, il s'inspire du thème des jouets qui veulent vivre leur vie. Mais outre l'histoire, c'est l'illustration qui retient l'attention. Des couleurs douces et vives, avec d'amusants détails : Felix le phoque a une étiquette "lavable en machine", Nestor le pingouin mécanique à une clé pour être remonté, etc. Et la banquise (l'imaginaire comme la domestique) est pleine de détails mignons. Bref, c'est charmant !

vendredi 13 juin 2014

La folle journée du professeur Kant

Kant et moi, ça s'est soldé par un semi échec. J'ai pu lire quelques unes de ses œuvres (Qu'est-ce que les Lumières par exemple, mais c'est très court) mais j'en ai abandonné d'autres (Critique de la raison pure ou critique de la faculté de juger). Dans ce livre de Jean-Paul Mongin, illustré par Laurent Moreau, j'ai pu suivre une journée avec le philosophe. Je connaissais mieux sa pensée que celle de Wittgenstein et j'ai ainsi pu constater en quoi cet ouvrage facilitait l'accès à la philosophie.

Tout est dans le titre, il s'agit de suivre Kant du lever au coucher en cette fameuse journée où il apprend que la Révolution française à commencé. Cette journée qui a déréglé toutes les pendules de Konigsberg puisque le philosophe, ponctuel comme une horloge suisse, a tellement été bouleversé par la nouvelle qu'il a modifié sa promenade quotidienne. On voit le philosophe donner des cours à l'université, inviter des contemporains pour le dîner et échanger avec eux. A vrai dire, il mène presque une vie d'ermite.

Comme pour ma précédente découverte des Petits Platons, on retrouve ici quelques idées clés de Kant. Je ne suis pas sûre que cela me fasse aborder La Critique de la raison pure plus sereinement mais j'ai ainsi rafraîchi mes notions sur le philosophe. Bref, je trouve la démarche de cette collection très intéressante et intelligente mais je n'arrive pas vraiment à me rendre compte de l’intérêt des enfants. Avez-vous lu certains ouvrages avec eux ? A partir de quel âge accrochent-ils ? Est-ce des livres à lire tout seul ou accompagné ? Si vous avez des réponses, je prends !

Bibliothèque Amsterdam
 

jeudi 12 juin 2014

Comme il vous plaira

J'ai repéré cette Lecture Commune à l'occasion du mois anglais... mais je suis un peu à la bourre. Un jour de retard pour cette pièce de Shakespeare !

foret boisVoici une étrange comédie dont l'un des thèmes est les frères ennemis. Le Duc a été chassé dans la forêt des Ardennes par son frère Frédéric. Orlando est condamné par son frère Olivier à périr en combattant un homme plus fort que lui. 
L'autre thème, c'est l'amour. Rosalinde et Célie, deux cousines, filles du Duc et de Frédéric, vivent ensemble. Lorsque Frédéric veut chasser Rosalinde, Célie la suit jusqu'en forêt où chacune va rencontrer son âme sœur. Et lorsque Rosalinde parle d'amour, on ne se croirait plus chez Shakespeare mais chez Marivaux (déguisements et tromperies, échanges sur l'amour chez l'homme ou la femme, billets et vers envoyés, etc.) ou Ovide... Bref, on se retrouve au milieu d'amours sylvestres. 
Mais ce qui est finalement intéressant, plus que les marivaudages, ce sont les tirades franches et philosophiques du bouffon et de Jacques. Rappelons-le, c'est dans cette pièce que se joue la tirade "All the world's a stage". 

Une comédie extrêmement riche, que ce soit en personnages ou en situations, très plaisante, qui se joue entre vers et prose. Si elle est très focalisée sur les jeunes filles, notamment Rosalinde qui a l'honneur de dire l'épilogue, elle parle à tous les âges. Encore une fois, rien ne remplace une représentation pour apprécier une pièce de théâtre mais le texte se lit très bien ainsi. 

challenge classiqueschallenge amoureux


mois anglais

mercredi 11 juin 2014

L'amateur d'art

Voici un essai passionnant de Francis Haskell, grand historien de l'art britannique. Celui-ci regroupe des articles publiés dans les années 1990, dans diverses revues scientifiques.
Il est composé des textes suivants : 

1. Titien et les dangers de l'exposition internationale

Dans cet article, Haskell interroge l'intérêt de grandes rétrospectives autour d'un peintre. Faut-il ou non prêter des tableaux pour celles-ci ? Et lesquels est-il pertinent de faire voyager, à la fois pour le propos et pour les raisons qui touchent à la conservation de l'oeuvre ? Toutes les expositions se valent-elles ? Doit-on systématiquement prêter ou ne pas prêter ? Car une exposition, outre son objectif scientifique, a également des enjeux politiques et économiques. Et si ces derniers dominent, doit-on encourager cette tendance ?  L'auteur revient sur quelques oeuvres de Titien exposées au Palais des Doges en 1990. Il met en garde contre de telles expositions. Il craint que les celles-ci ne prennent le pas sur les musées. Phénomène aujourd'hui avéré. Et que cette abondance d'expositions fasse souffrir les œuvres. Bref, il encourage les musées à revoir leurs priorités.  

Collection Rembrandt, maison Rembrandt


2. Les expositions des Maîtres anciens et la seconde "redécouverte des primitifs"

Haskell revient sur les expositions de chefs-d’œuvres italiens, depuis 1798 (à Londres). Cela vous rappellera certainement le propos de son ouvrage Le musée éphémère. Outre leur intérêt scientifique ou pédagogique, ces expositions ont parfois un rôle politique et participent à la construction nationaliste des états. Bref, c'est une belle introduction à l'histoire des expositions au XIXe siècle.

3. Conservation et dispersion du patrimoine italien

Dans cet article, Haskell étudie la dispersion d’œuvres italiennes via les exportations et les destructions. Il ne considère pas les œuvres d'artistes italiens réalisées sous l'impulsion d'un mécène étranger. Ce qui est intéressant dans ce propos, c'est que les interdits concernant les créations artistiques ont très tôt été draconiens en Italie : la papauté a promulgué des décrets sur le sujet dès le XVe siècle.  Haskell aborde notamment la dispersion de la collection des Gonzague de Mantoue, les pillages de Napoléon, la vente de la collection Campana. Passionnant sur l'histoire des collections.

4. La collection de tableaux de Charles Ier


Charles Ier avait réuni à Whitehall une magnifique collection de peintures. A partir de son inventaire, l'auteur propose d'en restituer l'emplacement. Il analyse ensuite les commandes du roi et ses achats (la collection des Gonzague, dont on parlait plus haut) ainsi que la vente de sa collection en 1649. 5. Anatole Demidoff et la collection Wallace Les collections de Lord Hertford et du prince Demidoff furent parmi les plus belles du XIXe siècle. Haskell étudie leur constitution (notamment la collection de mobilier) et le caractère fantasque de Demidoff, prince de San Donato. 

6. William Coningham et sa collection de Maîtres anciens

 Histoire d'un homme de culture et de sa collection au XIXe siècle. Étonnante et éclectique collection, dispersée sur un coup de tête... Les collectionneurs restent des gens étranges !


7. L'essor de l'histoire de l'art en Grande-Bretagne et ses dettes envers l'Europe

Le sujet de ces quelques pages est la contribution de savants étrangers au développement de l'histoire de l'art en Angleterre : Winckelmann, Passavent, Waagen, Eastlake, Kinkel, Thoré ou Cavalcaselle.


8. Le compromis d'un connaisseur

Retour sur Berenson, savant, connaisseur, marchand d'art et attributionniste !

Un essai qui reprend les thèmes chers à Francis Haskell à savoir l'histoire des collections, l'histoire du goût, l'histoire des expositions et les attributions. Chaque article est illustré, ce qui permet de mieux visualiser certaines œuvres. L'ensemble est le contraire d'un livre réservé à une élite informée. La plume y est claire, rythmée et vive. Bref, c'est un ouvrage à conseiller aux passionnés, qu'ils soient amateurs ou spécialistes !

mardi 10 juin 2014

La flèche d'or

Le mois anglais est pour moi l'occasion de faire sortir quelques titres de ma PAL. Parmi ceux-ci, ce roman de Mary Webb, dont j'avais beaucoup aimé La Renarde ado. Hélas, je ne sais si mes goûts ont évolué ou si celui-ci est moins bon, mais j'ai un peu souffert avec ce titre. 

Dans la campagne anglaise, Déborah et Lily sont deux jeunes filles charmantes. Si la première est de nature réservée, la seconde ne rêve que de grandeur et d'éclat.
paysage campagne normande

Et veut faire tourner la tête de tous les garçons. Elle flirte avec Joe, le frère de Déborah mais rêve de Stephen, un garçon de la ville. Or, c'est Déborah qui attire son regard. Très vite, les couples se forment. Mais l'orage gronde dans le cœur de Stephen qui s'interroge sur la route à suivre : est-ce vivre que d'être lié à une femme et à un emploi ? N'a-t-il pas mieux à faire avant que la mort n'arrive ? En proie à des doutes existentiels, auxquels répond la nature tourmentée, le jeune homme peine à jouir de son bonheur.


A vrai dire, ce roman m'a fait penser aux œuvres sociales et champêtres de Georges Sand... dont je ne suis pas une grande fan. Le côté romantisme échevelé où la nature reflète les passions humaines, la psychologie un peu lourde des caractères paysans immuables face aux citadins déboussolés et futiles, la plume sans finesse qui détaille l'ensemble des ressentis des personnages, ce n'est pas ma tasse de thé. J'ai trouvé ce roman trop explicite. Et puis les histoires d'amour à la campagne, c'est bien mais ça ne se suffit pas en soi-même. Sans parler de la touche religieuse qui plane sur tout le roman. En lisant cela, vous vous dites que c'était une contemporaine de Jane Austen, moins douée. Eh bien pas du tout, c'est une romancière de la toute fin du XIXe siècle ! 

Bref, le romantisme après l'heure, c'est un peu ridicule. La seule chose qui aurait pu sauver ce roman, c'est la nature, décrite avec force détails et lyrisme. Mais là aussi, c'est too much. Un mois anglais qui commence par une déception mais qui, je l'espère, permettra de plus belles découvertes.


lundi 9 juin 2014

Le conflit. La femme et la mère

Ce livre d'Elisabeth Badinter est depuis plusieurs années sur ma LAL. J'ai souvenir qu'il avait fait polémique lors de sa sortie. Le sujet m'intéresse et me concerne. Il nous concerne toutes. Et peut-être tous. C'est la maternité qui est au cœur de cet ouvrage et son évolution entre les années 1980 et les années 2010.



Dans une société de plus en plus individualiste et hédoniste, faire un enfant est un choix. Un choix complexe car il apporte des contraintes à sa mère (mais aussi beaucoup de bonheur parait-il). Dans les années 1970, on pouvait avoir des enfants et un boulot. C'était le boom des petits pots et du lait en poudre. Aujourd'hui, on ne jure que par les purées maison, les couches jetables et l'allaitement. Cela devient complexe de travailler à plein temps et d'élever un enfant. La maternité redevient une valeur refuge, une valeur de réconfort : quand la société va mal, que le chômage augmente, être mère, n'est-ce pas une bonne idée ? En cette période de crise, alors que le travail se révèle souvent décevant, les femmes cherchent à donner du sens à leur existence. Pourquoi pas à travers l'éducation d'un enfant ?


Voici comment s'organise l'essai d'Elisabeth Badinter : 

I. Etat des lieux

1. Les ambivalences de ma maternité

Dans cette partie, l'auteur s'interroge. S'agit-il troquer la maternité contre sa liberté ? On ne parle bien évidemment que des aspects positifs de la maternité. Une illusion du bonheur se crée autour de cette notion. Et pourtant, bien des parents ont quelques mauvaises surprises lorsque l'enfant arrive puis grandit. 
Et l'arrivée de l'enfant amplifie bien souvent les inégalités entre l'homme et la femme : cette dernière passera statistiquement plus de temps à s'occuper de l'enfant et l'homme plus de temps au travail. 
De nouveaux modèles se forment : des couples sans enfants, des femmes qui travaillent plus, qui ont des enfants plus tard ou pas du tout. Bref, la famille n'est plus une valeur porteuse. Si les vocations entre travailler et tenir sa maison coexistent, la seconde semble souffrir de désaffection. 

II. L'offensive naturaliste

2. La sainte alliance des "réactionnaires"

Dans la partie suivante, E. Badinter signale que les mouvements écologistes, en militant contre la consommation, vont aussi contre tout ce qui est artificiel dont la pilule, la péridurale et prônent l'accouchement chez soi et l'allaitement.
Certaines recherches tendent à démontrer scientifiquement l'existence de l'instinct maternel. C'est ainsi le cas de la théorie du lien entre mère et enfant. Dans celle-ci, la mère est vue comme indispensable à l'enfant alors que le père ne serait là que pour veiller aux besoins de la famille. Mais en aucun cas il ne devrait participer à l'éducation de l'enfant. Avec de telles théories, on favorise le modèle patriarcal et l'on justifie l'absence des pères. N'est-ce pas un retour en arrière ? Moi, c'est le genre de théorie qui me fait bondir !

3. Mères, vous leur devez tout !

Dans ce chapitre, l'auteur signale que la grossesse devient un ascétisme : vous n'avez plus le droit de rien faire. Boire, fumer est évidemment proscrit. Et vous êtes ultra-encadrée. Pas de bêtises possible ! Aujourd'hui, l'enfant est mis au centre, il est conçu comme l'être le plus précieux et le plus nécessaire à sa mère. C'est votre enfant qui désormais (et pour longtemps) devra primer sur vos désirs. D'ailleurs, saviez-vous qu'en l'allaitant jusqu'à trois ans, vous favorisiez le développement de ses anticorps ? Vous prendriez bien trois ans de servitude, non ? Badinter présente ici les commandements de la Leche League, qui propose une religion du bébé et stigmatise l'allaitement artificiel. Née aux Etats-Unis, cette association essaime dans le monde occidental et connait de très bons résultats notamment en Norvège.

4. L'imperium du bébé

On continue sur le lien entre mère et enfant. L'épanouissement du bébé est compris de plus en plus à travers l'allaitement et le temps passé ensemble. Il n'est pas question d'un temps de qualité mais uniquement d'une quantité de temps. La priorité de la mère doit être son enfant. Il passe avant le couple (d'ailleurs, ne faut-il pas qu'il partage le lit parental ?!) et avant elle. Bref, ce chapitre est celui du sacrifice maternel.

III. A trop charger la barque...

5. La diversité des aspirations féminines

Devant ce modèle maternel de plus en plus exigeant, les femmes se questionnent. Vont-elles ou non choisir d'avoir un enfant ? Si la vocation maternelle existe toujours, beaucoup laissent passer l'occasion d'être mère, par refus ou par report perpétuel. 

6. La grève des ventres

Un mouvement de baisse de la fécondité se fait jour en occident. Au Japon et en Europe du Sud, les couples sans enfants, les "childfree", ont doublé en vingt ans (statistique hallucinante, non ?). Cette résistance s'explique notamment par le modèle maternel trop contraignant dans une société qui privilégie le plaisir et la liberté et l'absence de politique familiale qui soutienne les femmes. Dans ces pays, il est souvent très mal vu de confier son enfant à la crèche (et celles-ci sont d'ailleurs très rares). 
L'image de la vieille fille n'existe plus. Une femme sans enfant peut être parfaitement épanouie, malgré une désapprobation sociale encore très ancrée. Ainsi, on vous demandera de vous justifier de n'être pas mère mais rarement de l'être. Même une mauvaise mère sera moins montrée du doigt qu'une femme qui refuse d'être mère. Mais est-elle réellement plus légitime ? 
Mais l'idée d'un accomplissement dans la maternité a de moins en moins cours pour les jeunes générations : la maternité apparaît comme déféminisante, désexualisante et l'instinct maternel ne semble pas exister.

7. Le cas des françaises

En France, on note une fécondité importante des femmes. E. Badinter l'explique par l'histoire. En effet, il existe en France une réputation ancienne de la séparation de la mère et de l'enfant. Ces derniers allaient chez les nourrices. Les mères se voulaient femmes avant mères. Ce qui choquait déjà l'Europe des Lumières. 
Mais en allégeant la responsabilité des mères, il semble que l'on favorise leur envie de le devenir tandis que le sacrifice les en décourage. Ainsi, le naturalisme est un véritable danger pour l'émancipation des femmes. Il utilise la culpabilité des mères pour les faire rester à la maison.


En terminant cette lecture, j'ai trouvé qu'il s'agissait d'une très bonne analyse de notre société. Les courants naturalistes sont à mes yeux limitants pour la liberté féminine. Ils favorisent une crise de l'égalité entre homme et femme, en termes de répartition du travail pro et perso. Je pense aussi que la maternité n'est pas la condition sine qua non de l'épanouissement et que beaucoup de parents devraient se poser un peu plus de questions avant d'avoir des enfants. Car nombreux sont les déçus, les amers, qui regrettent finalement une vie sans enfant. 
Se pose aussi la question de l'identité. Une femme sans enfant est-elle une femme à part entière ? En quoi se distingue-t-elle de l'homme si elle refuse la maternité ? Cette réversibilité des rôles interroge bien entendu les stéréotypes du genre.
Bref, si E. Badinter est très souvent extrême, à la fois dans les exemples qu'elle prend, les statistiques qu'elle choisit et les analyse qu'elle propose, on ne peut nier un développement des lobbies naturalistes qui met en danger, à terme, l'émancipation des femmes.