S'il est une exposition qui nécessite d'avoir du temps devant soi, de prendre du temps, c'est bien celle-ci. C'est d'ailleurs ce à quoi nous invite l'artiste qui dit "sculpter le temps" avec ses vidéos, jouant sur le ralenti et la répétition. On peut y passer des heures si l'on souhaite voir l'intégralité des œuvres du vidéaste. Pour ma part, je pense retourner pour regarder l'intégralité de Going Forth by Day.
Ma première rencontre avec l'art de Viola s'est faite il y a presque 10 ans, lors d'un de mes premiers opéra à Bastille. C'était Tristan et Isolde. Je ne suis pas certaine d'avoir aimé cette mise en scène dépouillée, ces chanteurs en noir et ces écrans gigantesques. Pourtant, en visionnant aujourd'hui Tristan's Ascension et Fire Woman, je ne peux qu'être saisie par la force de ces images. Cette dualité entre homme et femme, eau et feu. Cette opposition des couleurs. Celui qui s'envole et celle qui tombe. Cela semble un peu manichéen. Peut-être. Mais ça marche bien.
L'exposition se présente comme une suite de salles noires, exposant chacune une ou plusieurs œuvres de Bill Viola sur des écrans de tailles diverses, de l'écran de poche pour Four Hands à un mur entier pour The Path. Pas de panneau à l'exception de l'introduction, pas de cartel détaillé, on plonge dans le grand bain, en immersion totale dans les vidéos. Et finalement, cela ne fonctionne pas mal. Car les vingt vidéos exposées, la plupart muettes, sont hypnotiques et invitent à la contemplation voire à la méditation. On sent bien le côté mystique de Viola. Les thèmes qu'il cherche à explorer sont universels (la vie, la mort, les passions) et donc perceptibles sans biais. Pas besoin de référence ou d'apparat critique, car même si son art est truffé d’influences artistiques (Bosch, Giotto, etc), il se veut accessible. Jouant avec les éléments, notamment l'eau, omniprésente dans son oeuvre et dans sa mythologie personnelle, Bill Viola met l'homme au centre de ses vidéos, présent, absent, reflété, seul ou en groupe. Bref, ses créations sont pleines de vie.
Parmi les œuvres qui m'ont marquées (et que j'ai regardées de bout en bout, voire plusieurs fois), je citerai par exemple le polyptyque Catherine's Room (2001). Cinq écrans diffusent cinq moments de la journée d'une femme : le sport et la lecture, la couture, l'écriture, l'allumage de cierges et le coucher. Par la fenêtre, une branche d'arbre, à différentes saisons. Catherine ne s'active pas follement. Elle prend le temps. Elle fait les choses correctement, de façon ordonnée. Elle s'étire sur un tapis de yoga : prie-t-elle, médite-t-elle ou brûle-t-elle des calories ? Au spectateur de l'imaginer. Quand Catherine coud, elle prend des airs de Vierge avant l'Annonciation, dans un intérieur qui pourrait être flamand sans cette lumière éblouissante. Elle écrit. Elle relit. Elle jette. Elle reprend. Le processus créatif s’invente devant nos yeux. Elle semble réfléchir quand elle allume les bougies, patiemment. Et au lit, à quoi pense-t-elle ? Catherine se montre à l'artiste sous tous ses profils, sans que jamais le cadre ne change ni ne bouge. Cette oeuvre, lente, interpelle l'imagination poétique du visiteur.
Avant de vous laisser vous faire votre propre opinion, un dernier mot...
...Conseils pour bien aborder cette exposition :
- Évitez absolument les heures de pointe. Cette visite mérite silence et discrétion. Impossible de s'immerger si on vous bouscule de tous côtés.
- Prenez le temps. Si vous ne pouvez pas visionner l'intégralité des œuvres, tentez tout de même d'en regarder quelques unes de bout en bout. Impossible de méditer quand on est en mode zapping.
- N'intellectualisez pas trop. Ce n'est pas une rétrospective avec un regard critique sur les vidéos. Certes, c'est bourré de références et ça manque d'explication pour qui souhaiterait analyser ce travail. Mais le but ici est simplement de vous interroger, pas d'apprendre. On est dans la sensation puis dans le questionnement. C'est une exposition de type "galeriste" plus que du type "musée".
- Emportez votre tabouret. Ah, ce n'est pas possible ? Prenez les rares bancs d'assaut, asseyez-vous par terre... Bref, mettez-vous à l'aise, on savoure mieux les vidéos ainsi.
- Et revenez me raconter ce qu'elle vous a inspiré !
Je lis ton article, il me rend encore plus curieuse ( le hasard fait qu'aujourd'hui même j'ai lu une présentation de cette expo, n'étant pas décidé, ne connaissant pas du tout cet univers de la vidéo ) mais je me demande vraiment si je serai disponible et réceptive. L'expérience m'intéresse d'autant plus maintenant que tu précises " le but ici est simplement de vous interroger, pas d'apprendre.". ( si je me décide, je reviens te dire. Pas certaine car d'autres expos me tentent beaucoup et pas tant de temps... )
RépondreSupprimerJe trouve que c'est une bonne introduction à ce que peut être l'art vidéo. Ce n'est pas complètement conceptuel.
SupprimerAprès, il faut réussir à entrer dans l'oeuvre, ce qui n'est pas forcément évident avec la foule (et l'ordre de présentation choisi : un conseil, ne t'attarde pas forcément dans les salles 2-3 et 4). Je crois que la clé, c'est vraiment de regarder du début à la fin certains films. Comme c'est assez hypnotique, tu te laisses ensuite presque porter.
Hier j'y étais et il est vrai qu'il faut prendre le temps d'attendre la suite et d'apprécier. J'ai été très perturbée par les visiteurs zappant tout, probablement mal informés. J'ai beaucoup aimé les cinq chambres, ai raté la fin des 5 panneaux de Going forth by day (trop de monde) et en suis frustrée et suis restée en extase devant cette femme devant les flammes magnifiques se jetant à l'eau. Magnifique sauf pour les "fesses". The veiling était aussi magnifique, le bruit du vent et de l'eau emportant vers la méditation...
RépondreSupprimerJe crois qu'une des clés de l'expo, c'est prendre le temps.
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