Merci à Philippe Perchoc et aux Presses Universitaires de Louvain pour l’envoi de ce livre. Cet essai, tout comme la correspondance de S.
Zweig et R. Rolland que je suis en train de lire, est une invitation à
réfléchir à ce qu’est l’Europe. Cet ouvrage s’inscrit d’ailleurs dans cette
tradition épistolaire européenne, qui a trouvé son épanouissement au XVIIIe
siècle mais qui parcourt notre histoire intellectuelle depuis le Moyen Age, se
composant de 12 lettres postées de pays européens et voisins. Alors que nous
fêtons le centenaire de la Première Guerre mondiale, un déchirement européen, il n’est pas inintéressant
de jeter un regard rétrospectif sur notre continent. A travers des anecdotes, Philippe Perchoc, amoureux et grand
connaisseur de l’Europe, nous la fait découvrir. Nous partons pour Kaliningrad,
Brest, Bruxelles, Bordeaux, Bruges, Lund, Sofia, Copenhague, Budapest,
Lisbonne, Riga et Honfleur à la rencontre de nos voisins européens avec
lui ! Chaque escale sera alors l’occasion de s’interroger sur l’un ou
l’autre aspect de l’Europe.
Il n’est pas question ici de la construction historique de
l’Europe avec ses grandes figures, Monnet ou Adenauer, même si la préface de
Michel Barnier les évoque. Il est plutôt question des hommes et de leurs
rapports à l’autre, en cette période de crise où chacun a tendance à se replier
sur son pré carré et où l’Europe a mauvaise presse.
Tout commence par un peu de géographie avec les frontières
de l’Europe. A travers le cas bien particulier de Kaliningrad, enclave russe en
Europe, près des pays baltes, notre correspondant s’inquiète des relations
entre Europe et Russie, voire Europe et Turquie. Il constate que la chute du
Rideau de fer n’a fait que repousser les limites de l’Europe mais n’a pas fait
tomber les barrières avec la Russie. Il souligne la difficulté pour un Russe de
venir étudier en France et pour un français de passer la frontière terrestre de
l’espace Schengen.
On fait aussi un peu d’histoire. Celle-ci apparait en filigrane dans chaque chapitre.
Au-delà de l’histoire officielle, celle des individus est convoquée à travers
les questions d’identité. Car si la France vit sur les mêmes frontières
(quasiment) depuis le Traité de Verdun (843) et si se sentir français n’est pas
très ambigu (et encore, cet atlas
anthropologique tend à prouver le contraire), c’est loin d’être le cas pour
tous les pays et tous les peuples. Je ne rentrerai pas dans l’histoire très
actuelle de la Crimée. Notre auteur s’intéresse à la Lettonie, allemande, juive
et soviétique, dont les individus, polyglottes aux histoires multiples, sont
victimes et bourreaux.
Philippe Perchoc nous interpelle sur des sujets
intellectuels mais aussi pratiques. Comme la défense. L’Europe vit en paix,
débarrassée du spectre de la guerre, désarmée. Elle se repose à l’ombre du
bouclier américain et ne connait la guerre que par ses musées, ses mémoriaux…
et le web 2.0 (pour ceux qui ont suivi l’histoire du poilu Léon Vivien sur
Facebook). Mais est-ce bien raisonnable d’oublier ainsi armement et diplomatie ?
Car aujourd’hui, comment intervient-on dans les conflits qui nous
entourent ? Que fait-on en 2014 ? On laisse les Américains se
précipiter. Et écouter nos conversations téléphoniques. En France, on a encore
une armée. Mais à l’échelle de l’Europe, chacun joue dans son coin… et ne pèse
rien. Pourquoi ne pas envisager une politique extérieure européenne
globale ? Pourquoi, dans ce domaine, ne pas travailler ensemble ?
La question des institutions européennes (et de leur
complexité pour le non initié) est aussi évoquée. Il y a clairement un manque
d’intérêt des citoyens pour Bruxelles, relayé efficacement par le dédain de
certains politiques et des médias. Sans compter que les actions de Bruxelles et
ses personnalités politiques nous sont bien souvent peu connues. Alors, comment
voulez-vous qu’ils fassent avancer les choses ? Peut-être en donnant plus
de moyens à l’Europe…
Notons cependant que, malgré ces méconnaissances des
institutions et de l’autre, l’auteur observe des rapprochements, des unions et
des groupements d’intérêts qui dépassent les frontières.
Il parle également de cultures, au pluriel. De ces pays qui
se sont enrichis par la colonisation et l’esclavage. De ces pays qui ont honte
mais qui demandent pardon. De ces pays aujourd’hui multiculturels, qui
cherchent un modèle d’intégration pour tous, qui réinventent l’ouverture et le
métissage mais qui ne savent pas trop comment gérer l’immigration et les
migrations… Ce multiculturalisme, dont on ne cesse de pointer l’échec, n’est
peut-être pas si raté qu’on le dit. Ne serait-ce que parce qu’il parait
impossible dans bien d’autres contrées. C’est un appel à la prise de conscience
de cette richesse qu’apporte la diversité des citoyens d’horizons et
d’histoires variés. Un appel à l’accueil favorable de l’autre, immigré ou Rom.
Abordons l’éducation à l’Europe et à la citoyenneté
européenne. A la fin des années 1950, alors que se construisait l’Europe et que
les relations avec Moscou se tendaient, Bruges accueillait les premiers étudiants
du Collège d’Europe. Ceux-ci se formaient aux humanités européennes et
affutaient leur « esprit européen ». Aujourd’hui, on peut faire des
masters spécialisés en affaires européennes un peu partout. On forme des
spécialistes. Mais sans réussir à en faire des européens, chacun connaissant
assez mal l’histoire de l’autre. Pour pallier ce manque, pourquoi ne pas
proposer des échanges, bien avant l’Erasmus des universités ?
Et après toutes ces belles études ? Le chômage. Ce
n’est plus un spectre menaçant, c’est une réalité quotidienne. Pour ceux qui
ont fait des belles et longues études comme pour les élèves en échec scolaire.
Et tout le monde s’en moque. On continue à creuser l’écart entre les
générations. On attend que ça explose. On laisse chacun se débrouiller
dans son coin. La situation est évidemment criante dans ces pays en crise que
sont la Grèce, l’Espagne ou le Portugal. Et que fait l’Europe ? Elle veut
jouer au gendarme. N’y a-t-il pas d’autres solutions ? A une époque de
repli et d’individualisme, Philippe Perchoc propose la solidarité.
A travers des anecdotes, l’histoire de rencontres,
d’échanges, de discussions, d’incompréhensions, Philippe Perchoc nous fait
connaitre un peu mieux nos voisins européens. Et nous donne envie de nous y
intéresser un peu plus afin de mieux comprendre à quoi sert ou peut servir
l’Europe. L’idée n’est pas de convaincre le lecteur (même si l’on sent les
affinités et les rêves de l’auteur) mais de le faire réfléchir sur des
problématiques actuelles, qui le concernent directement, même s’il ne s’en rend
pas bien compte. Une analyse fort utile, voire indispensable, qui sait lire le
quotidien pour en tirer des leçons et des idées. On n’est pas ici dans la
critique gratuite ou l’approbation béate, on peut lire de vraies propositions
et des projets, du concret. Philippe Perchoc redonne une véritable ambition à
l’Europe, dans la lignée d’un Robert Schuman, et nous incite à nous impliquer
dans la construction d’une Europe multiculturelle. Il transmet une vision
positive de l’Europe et propose des pistes pour une Europe future, qui
encourage la prise de risque et l’esprit critique, qui donne sa chance à tous,
notamment aux jeunes. Une Europe plus solidaire et plus ouverte. Mais aussi une
Europe plus présente, dont les actes comptent. Une Europe référente, à la
manière de sa Cour européenne des droits de l’homme. Une Europe unifiée qui
reconnaisse la diversité et s’en nourrisse.
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